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HANDBOUND
AT THE
UNIVERSITY OF
TORONTO PRESS
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ARCHIVES DE L'ART FRANÇAIS
RECUEIL DE DOCUMENTS INÉDITS
PUBLIÉS PAR LA
SOCIÉTÉ DE L'HISTOIRE DE L'ART FRANÇAIS
NOUVELLE PÉRIODE
TOME V
CORRESPONDANCE
DE
NICOLAS POUSSIN
PUBLIÉE D'APRÈS LES ORIGINAUX
PAR
CH. JOUANNY
PARIS
JEAN SCHEMIT
LIBRAIRE DE LA SOCIÉTÉ DE l'hISTOIRE DE l'aRT FRANÇAIS
52, RUE LAFFITTK
* I9II
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»r OCT 9 ^' ém
A MONSIEUR CH.-V. LANGLOIS
HOMMAGE TRÈS RECONNAISSANT
INTRODUCTION
I.
Le texte de cette édition est celui des
manuscrits autographes, alors que Tédition
de Quatremère de Quincy (1824) eut pour
base une copie, conservée depuis à la biblio-
thèque de l'Institut. Cette copie ne donnait pas
quelques phrases et post-scriptum oubliés;
elle présentait quelques autres erreurs, no-
tamment des noms propres mal lus% mais
elle eût constitué une publication encore
satisfaisante si l'éditeur ne lui avait imposé
des modifications innombrables. Celles qui
sont relatives à la lecture plus facile du texte
(coupure des phrases trop longues, conjonc-
tions peu utiles supprimées, accords gram-
maticaux rétablis, concordance des temps
des verbes, etc.) sont excusables et peu nui-
I. Exemple : i5 oct. 1645, le cardinal Floijfe pour le car-
dinal Sfor!j[e.
1911 a
ÎV INTRODUCTION.
l'amitié; le 6 août lôSg, souvent donne sûre-
ment; le 20 novembre 1644, son tour est
écrit son atour; le 26 mai 1642, les entendus
s'appellent les connaisseurs; le 11 juin 1641,
une promesse de ne vous pas faire tort devient
celle de seconder vos efforts, etc.
Nous aurions mauvaise grâce à insister
sur des erreurs dont Ph. de Chennevières
n'a pu s'empêcher d'écrire, malgré toute sa
courtoisie :
Il n'est pas un tour ny-italien, mi-français, il n'est
pas une phrase un peu brève et fière qui n'aient été
soumis à la plus énervante castration ; rien d'insolite
et de charmant qui n'ait été défloré, qui ait échappé
au ciseau, qui n'ait passé par la grammaire. En
somme, c'est un livre à refaire et des plus urgents.
[Peintres provinciaux, 1854, t. III, p. i23.)
IL
Dans sa monographie de Poussin, M. Paul
Desjardins a démontré lui aussi, p. 7, l'in-
suffisance de l'édition de Quatremère de
Quincy. Ces indications nous inspirèrent le
désir du présent travail, que nous commen-
çâmes à la fin de 1907, quand M. Paul Des-
jardins, consulté sur l'utilité que présenterait
une nouvelle publication, nous eut répondu
d'une façon très encourageante. Nous pour-
suivions parallèlement la préparation du
INTRODUCTION.
travail et la recherche des moyens de publi-
cation, lorsqu'en janvier 1910 nous fûmes
mis en relation avec M. Henry Lemonnier,
dont le bienveillant appui nous procura l'hon-
neur de placer notre édition sous les aus-
pices de la Société de THistoire de l'Art
français, dont il était alors président. Celle-ci
possédait le dossier réuni par le regretté Ph.
de Ghennevières en vue d'une édition des
lettres de Poussin, autour de laquelle, comme
il le dit lui-même, il a « piétiné toute sa vie ».
Ce dossier, classé antérieurement par M. Le-
chevallier-Ghevignard, nous fut remis en sep-
tembre 1910. Notre texte était dressé et les
notes rédigées, mais les copies prises par
M. de Ghennevières nous apportèrent une
vérification indispensable et en particulier
une copie plus exacte de treize lettres en
italien publiées avec quelques arrangements
dans le recueil de Bottari.
III.
Les originaux actuellement connus de
lettres de Poussin, — minime portion de ce
qu'a dû écrire un correspondant aussi régu-
lier dans ses relations, — forment deux
groupes :
1° Gent trente-six lettres et six comptes
de Poussin à M. de Ghantelou, écrits de
VI INTRODUCTION.
1639 à i665, sont réunis en un superbe ma-
nuscrit conservé à la Bibliothèque nationale
de Paris (ms. fr. 12347).
2° Dix-huit lettres de Poussin, adressées
pour la plupart à Cassiano del Pozzo, sont
disséminées dans diverses collections parti-
culières ou dans quelques dépôts publics.
Occupons-nous d'abord du premier groupe,
celui qui est la base de l'étude de Poussin,
c'est-à-dire des lettres à M. de Ghantelou.
Lettres à M. de Chantelou (ms. 12347).
Elles étaient, par héritage, entre les mains
de M. Favry de Chanteloup, petit-neveu du
destinataire, quand, en 1754 ou 1755, une
copie en fut exécutée sous la direction d'un
ami intime, M. Duchesne, prévôt des bâti-
ments du roi. Les originaux passèrent pro-
bablement à M. de Selle, héritier et neveu
de M. Favry de Chanteloup, et, vers 1796,
on les perdit de vue et on les réputa perdus ^
Cette croyance donnait une valeur de
quasi-original à la copie de 1755. Aussi, dès
que l'architecte Dufourny l'eut acquise, pro-
jeta-t-il de la publier. La mort l'en empêcha,
mais l'Académie des beaux-arts acquit de
I. Voir Ph. de Chennevières, La peinture française,
p. 307.
INTRODUCTION. VII
ses héritiers cette copie de 1755 et chargea
son secrétaire perpétuel, Quatremère de
Quincy, de la donner au public. Ce fut l'édi-
tion de 1824, chez Didot. La copie de 1755
est restée depuis à la bibliothèque de l'Ins-
titut, avec quelques notes que Dufourny
avaient réunies en vue de l'édition qu'il
méditait et la copie que Quatremère de
Quincy (ou son collaborateur, M. Langlès)
remit à l'imprimeur de 1824.
On comprend que cette édition ait joui
d'une grande autorité. Il aurait fallu pou-
voir se reportera la copie de 1755 pour cons-
tater que celle-ci différait à chaque phrase
du texte imprimé en 1824, mais le public
l'ignorait à peu près. Il accordait à une copie
arrangée, embellie à la mode des préjugés
littéraires du temps, cette confiance que mé-
ritent seuls les originaux imprimés textuel-
lement.
La publication de 1824 faisait loi depuis
trente ans quand le hasard fit retrouver les
originaux envoyés à M. de Ghantelou. Ils
furent acquis par la Bibliothèque impériale,
le i3 janvier 1857, sous le n° 5o62, pour la
somme de 5, 000 francs, de M. Emile Dela-
palme, 5, rue Neuve-Saint- Augustin^. A par-
I. Nous devons ces détails à la parfaite obligeance de
M. H. Omont, membre de l'Institut, conservateur des
VIII INTRODUCTION.
tir de cette acquisition, qui forma le ms.
fr. 12347, i^ suffit d'ouvrir ce volume auto-
graphe pour juger l'édition de 1824. Une
nouvelle publication s'imposait et, dès le
28 mars 1857, M. de Chennevières obtenait
l'autorisation ministérielle de l'entreprendre.
Il y travailla toute sa vie, et l'édition ma-
gistrale qu'il élaborait eût comporté, en plus
du texte des lettres, un chapitre de recherches
là où les commentateurs ordinaires se con-
tenteraient, — à tort, — de quelques lignes.
Plusieurs de ces chapitres formèrent la
meilleure part du remarquable Essai sur la
peinture française publié en 1894; mais l'édi-
tion restait à faire, et voici plus d'un demi-
siècle que sa nécessité est reconnue.
Signalons un détail important : quand la
copie de 1755 fut exécutée, l'original de plu-
sieurs lettres était perdu, notamment celui
des premières et de quelques-unes des der-
nières : la copie de quelques fragments en a
été conservée par le scrupuleux Félibien.
D'autres lettres se perdirent entre 1755 et
1857 : mais le texte nous en est conservé
dans la copie de 1755, actuellement à la
bibliothèque de l'Institut. Ces deux sources
méritent toute créance : quand on compare
manuscrits. — La plupart des ventes de cette nature se
font par l'intermédiaire de notaires.
INTRODUCTION. IX
leur texte avec la partie des originaux qui
nous est conservée, on constate que les diver-
gences ne consistent qu'en rajeunissements
orthographiques, sans réelle importance.
Lettres à Cassiano del Pono.
Ce second groupe, — beaucoup moins
nombreux que le précédent, — comprend en
majeure partie les lettres écrites en italien
par Poussin pendant son séjour à Paris (jan-
vier 1 641 -septembre 1642) à son illustre pro-
tecteur Cassiano del Pozzo. Les originaux,
longtemps conservés dans la maison Albani,
furent enfin achetés par Dufourny (qui pos-
sédait aussi la copie de 1755 des lettres à
Chantelou), mais, au lieu d'être acquis par
l'Académie des beaux-arts, ils furent vendus
et dispersés en 1828, après le décès de Du-
fourny.
L'Académie les avait négligées parce
qu'elles n'étaient plus inédites, comme le
furent jusqu'en 1824 les lettres à Chantelou.
En effet, Bottari avait publié en lySy, dans
les Lettere pittortche, vingt-quatre lettres de
Poussin à Cassiano del Pozzo. Depuis 1828,
époque de la dispersion des originaux, l'ef-
fort devait consister à retrouver leur trace
et à établir la fidélité de la publication de
Bottari. Le rôle de M. de Chennevières con-
INTRODUCTION.
sista surtout dans cette recherche et, grâce
à lui, nous savons où sont les originaux de
quinze lettres.
C'est la copie de ces originaux, due à
M. de Chennevières, qui figure dans cette
publication. Pour les lettres dont l'original
est encore à retrouver, nous avons dû nous
en tenir au texte de Bottari, qui d'ailleurs
est un texte presque authentique, à l'excep-
tion de corrections grammaticales sans grande
importance pour le fond.
IV.
En dehors de ces deux groupes déjà con-
nus : lettres à Chantelou et à del Pozzo,
notre effort s'est porté sur la recherche de
lettres encore inédites de Poussin. Nous
avouerons que notre butin a été bien maigre :
une lettre à Cass. del Pozzo du 14 juin 1641,
conservée à la bibliothèque de Nantes, et la
lettre du 20 décembre 1641, également à G.
del Pozzo, dont nous devons le texte à l'obli-
geance de M. le comte Allard du Ghollet,
qui possède l'original dans sa belle collec-
tion d'autographes. Si l'ancienne biblio-
thèque Barberini ne possède rien de la main
de l'artiste, qui vécut quarante ans en rela-
tions respectueuses avec la maison princière
dont elle garde le nom, on ne se résoudra
INTRODUCTION. XI
pas de sitôt à croire qu'il ne subsiste plus
aucune ligne de Poussin, dans cette Italie
où il vécut près d'un demi-siècle, à l'époque
de sa production et de sa renommée. Nous
ne pourrions trop encourager les chercheurs
à explorer les dépôts de manuscrits italiens.
Même si l'on ne trouvait que des glanes,
elles auraient leur valeur, puisque les lettres
que nous possédons ne font allusion qu'à
un petit nombre de tableaux de Poussin. En
un mol, la part italienne d'information sur
Poussin reste encore peu connue et mérite-
rait de séduire les chercheurs*.
La partie inédite de cette publication se
compose de :
1° Les lettres à Cass. del Po{{o du 14 juin
1641 (bibliothèque de Nantes) et du 20 dé-
cembre 1641 (collection de M. le comte Al-
lard du Chollet).
2° Des sommaires de quelques lignes que
Chantelou avait écrits sur les originaux de
presque toutes les lettres reçues de Poussin.
I. Nous exprimerons ici nos remerciements respectueux
à Mgr Duchesne, membre de l'Académie française et de
l'Académie des inscriptions, directeur de l'École française
de Rome, qui a bien voulu s'intéresser à la présente publi-
cation, et à M. Louis Châtelain, membre de l'École, qui
a eu la complaisance de vérifier s'il existait au dos de la
Mort de Germanicus, à la galerie Barberini, une lettre de
Poussin. Cette affirmation de Dufourny ne s'est plus trou-
vée exacte.
XII INTRODUCTION.
Le copiste de 1755 les ayant négligés, l'édi-
tion de 1824 les ignorait complètement. Ces
indications résument les lettres, et souvent
elles les éclaircissent, en désignant nette-
ment le nom ou le fait auquel Poussin s'est
contenté de faire allusion.
3° Six comptes écrits de la main de Pous-
sin et adressés par lui à Chantelou pour
l'informer de l'emploi de l'argent que celui-ci
lui avait confié pour le prix de ses œuvres
et pour diverses acquisitions. Ces comptes,
qui figurent au ms. 12847, avaient été négli-
gés, comme les sommaires, par le copiste
de 1755 (ms. 12347, P- 9^5 m? 1^85 161, 192,
246).
4° Les lettres à Chantelou des 7 novembre
1641, 27 octobre 1643 (post-scriptum), 7 jan-
vier 1649 ^^i sont dans le ms. 12847 ^^ que
le copiste de 1755 avait oubliées.
V.
Une publication, surtout rectificative, ne
pouvait être trop scrupuleuse dans la repro-
duction du texte tel que Poussin l'avait écrit.
Toutes les abréviations ont été respectées,
bien que beaucoup ne se justifient que
parce que Poussin arrive à la fin de la ligne.
Nous nous sommes borné à rétablir les
accents. Nous n'avons pas même voulu
INTRODUCTION. XIII
moderniser la ponctuation : parfois, en
effet, une variante de ponctuation peut rat-
tacher un membre de phrase à celui qui
précède, alors que, dans la pensée de l'au-
teur, il se rattache à celui qui suit (ou réci-
proquement). Poussin ponctue fort peu et
fort mal, c'est vrai ; souvent, il semble em-
ployer la virgule et le point l'un pour l'autre.
Là où cette insuffisance de la ponctuation
crée une équivoque, nous l'avons laissée
subsister, puisque les éléments font défaut
pour la trancher. Le souci de la lecture
facile nous a fait ajouter un tiret vertical là
où le sens exigeait un point sans contesta-
tion possible, et où Poussin l'avait oublié.
La division en alinéas est exactement celle
du texte original.
Les mots écrits par Poussin, puis rayés
par lui, sont rétablis, mais placés entre cro-
chets. Les mots écrits deux fois, les mots
écrits en marge sont indiqués en note. Les
mots oubliés et écrits en surligne quand
Poussin s'est relu sont désignés par une
petite s italique : *.
Il est souvent difficile de savoir quand
Poussin a voulu écrire une majuscule, parce
que certaines lettres initiales (C, M, /, R)
sont chez lui presque toujours majuscules,
d'autres presque toujours minuscules (/, d,
IIV INTRODUCTION.
p). Nous avons conservé toutes les particu-
larités qui paraissaient voulues. D'ailleurs,
l'orthographe de tous les noms propres a été
rigoureusement reproduite telle que Pous-
sin Tavait écrite, bien que sa négligence aille
jusqu'à écrire, très lisiblement, Rochelieu
pour Richelieu.
Nous terminerons par un hommage bien
mérité à la mémoire de M. de Chennevières,
qui était plus digne que personne de mener
à bien une édition définitive des lettres de
Poussin. Nous associerons à son nom la
Société de l'Histoire de l'Art français, qui
a bien voulu agréer notre travail, ainsi que
MM. Paul Desjardins, Henry Lemonnier,
Alfred Rébelliau, Paul Bonnefon, Maurice
Tourneux, André Fontaine et Pierre Mar-
cel : nous les prions d'accepter le témoi-
gnage de notre respectueuse reconnaissance.
Gh. J.
OUVRAGES
CITÉS LE PLUS FRÉQUEMMENT DANS LES NOTES.
Quatremère de Quincy, Lettres de Nicolas Poussin, Paris,
1824.
André Félibien, Entretiens sur les vies et les ouvrages des
plus excellents peintres, Paris, 1666, in-40.
Giovanni- Pietro Bellori, Le Vite de' pittori, scultori et
architetti moderni, Roma, per il success. al Mascardi,
1672, in-40, xii-462 p., pi.
— La Vie de Poussin a été traduite par M. Georges
Rémond, Paris, bibl. de l'Occident, igoS.
Bottari, Lettere pittoriche, 7 vol., Rome, 1757, t. I et II.
Traduction française par Jay, en 1817.
Smith, A catalogue raisonné of the works of the most emi-
nent Dutch, Flemish and French Painters, London,
1842, in-80, t. VIII.
H. Chardon, Les frères Fréart de Chantelou, Le Mans,
1867.
Ph. de Chennevières, Essai sur l'histoire de la peinture
française, Paris, 1894.
Bonnaffé, Dictionnaire des amateurs, Paris, 1884.
Henry Lemonnier, L'art au temps de Richelieu et de Ma\a-
rin, Paris, 1893.
Paul Desjardins, Poussin (collection des Grands Artistes),
Paris, 1904.
V. Advielle, Recherches sur Nicolas Poussin et sa famille,
Paris, 1902.
XVI OUVRAGES CITÉS.
A. Bertolotti, Artisti francesi in Roma net secoli XV,
XVI e XVII, Mantova, 1886.
Correspondance de Gueffier, chargé d'affaires à Rome
(mss. inédits, Paris, Bibl. nat., Cinq-Cents Colbert 356
et suiv.).
Correspondance de Board, secrétaire de Fontenay-Mareuil
(id., fonds Dupuy 343).
CORRESPONDANCE
DE
NICOLAS POUSSIN
1. — Poussin a Cass. del Pozzo'.
(Bottari, t. I, p. 273.)
Al Sig. Commendatore Cassiano del Po\\o.
Potrebbe essere, che ella mi stimasse importune, et
impertinente, poichè dopo aver ricevute tante cortesie
di casa sua, quasi ogni volta, che io le scrivo, devo
dimandarne qualche ricompensa. Ma judicando, che
quel che Ella mi ha fatto, è stato, perché elP è dotata
di buona, nobile, e pietosa natura, mi sono assicu-
rato ancora questa volta di scriverle questa présente,
non potendo io medesimo venire a salutarla per amor
d'un' incomodità, che m'è intervenuta, per suppli-
carla di tutte le mie forze d'ajutarmi in qualche cosa,
avendone di bisogno tanto, perché la più parte del
tempo io sono infermo, quanto che io non ho nes-
suna entrata per vivere, che il lavoro délie mie mani.
I. Ce texte n'est connu, comme celui de plusieurs autres
lettres, que par la copie insérée par Bottari dans ses Lettere
pittoriche, t. I, p. 273. La note de Bottari est curieuse : « Cette
lettre seule est de la main du Poussin et paraît un billet écrit
de Rome. Pour réponse il eut 40 écus. » — Elle donnerait à
penser que Bottari n'a publié ses lettres de Poussin que d'après
des copies, — sauf celle-là qui lui serait venue en original.
[Note de Ph. de Chennevières.]
1911 I
2 CORRESPONDANCE [lÔSg
Ho disegnato l'elefante, del quale (perché m' è paruto,
ehe V. S. Illma n'aveva qualche desiderio) gliene
farô un présente; essendo dipinto con un Annibale
montato su, armato ail' antica. Per i suoi disegni, ci
penso ogni di, e presto ne finirô qualcheduno.
Il più umile servo de' suoi
PUSSINO,
Au Seig^ Commandeur Cassiano del Po\\o^ .
Il se pourrait que Votre Seigneurie' m'estimât
importun et indiscret puisque, après avoir reçu tant
de politesses de sa maison^, presque chaque fois que
je lui écris, j'ai à lui demander quelque récompense.
Mais jugeant que ce qu'elle m'a fait est l'effet d'une
nature bonne, noble et secourable, je me suis enhardi
encore cette fois à lui écrire la présente, ne pouvant
moi-même venir la saluer à cause d'une incommo-
dité qui m'est survenue, pour la supplier de toutes
mes forces de m'aider en quelque chose, en ayant
tant besoin ■*, car la plupart du temps je suis malade,
encore que je n'aie nul moyen de vivre que le travail
de mes mains. J'ai dessiné l'éléphant, dont je lui
ferai présent (parce qu'il m'a paru que V. S. IIH^ en
1. Cassiano del Pozzo, l'illustre protecteur de Poussin, 1584-
1657. — Voir, sur C. del Pozzo : J. Dumesnil, Histoire des
plus célèbres amateurs italiens, Paris, i853, p. 467 et suiv. Et
surtout : Lumbroso, Notifie sulla vita di Cassiano del Po^^^o,
Turin, 1875.
2. Nous écrirons dorénavant en abrégé, comme Poussin : V. S.
3. Selon Baldinucci, Poussin « avait l'habitude de se dire
l'élève dans son art de la maison et du musée du Chevalier
del Pozzo ».
4. La nature de cette lettre, qui est une demande de secours,
la rattache aux débuts difficiles de Poussin à Rome, où il
arriva enfin en 1624.
lÔSg] DE NICOLAS POUSSIN. 3
avait quelque envie); étant peint avec un Annibal
monté dessus, armé à l'antique. Pour vos dessins',
j'y pense chaque jour, et bientôt j'en finirai quelqu'un.
Le plus humble de vos serviteurs,
Poussin.
2. — Fragment a Stella*.
a II fit encore dans le même temps [vers 1637] deux
Tableaux, l'un pour la Fleur, Peintre', où il repré-
senta Pan et Syringue^ ; et l'autre pour le sieur
Stella'*, où l'on voit Armide qui emporte Regnaud^.
1. Cassiano del Pozzo était grand amateur de dessins :
« ... entre une infinité de rares dessins qu'il nous fit voir et
dont il avait fait une recherche toute particulière... » (Félibien,
Entretiens sur les vies, etc., éd. 1705, t. II, p. Sg).
2. L'original de cette lettre est perdu, comme celui de toutes
celles adressées à Stella. Ces fragments nous ont été conservés
par les citations Félibien, éd. 1706, p. 19. — La comparaison
des citations de Félibien avec l'original, quand il existe
encore, établit la fidélité de la reproduction, à quelques
rajeunissements près dans la forme.
3. Nicolas-Guillaume, dit La Fleur, mort en i663. Il était
alors logé au Louvre et prenait le titre de « peintre du roi ».
Son surnom lui venait du genre qu'il affectionnait. En i638, il
travaillait à Rome, et c'est alors sans doute que Poussin le
connut (voir Rob. Dumesnil, Le peintre graveur français, t. IV,
p. II).
4. Pan et Syrinx, actuellement au Musée de Dresde.
5. Jacques Stella, né à Lyon en 1596, mort à Paris le 20 avril
1657. Il arriva à Rome en 1623, c'est-à-dire un an avant Pous-
sin, et y devint pour toujours « son très tendre ami » (Bellori,
p. 17). Ph. de Chennevières {La peinture française, p. 273) a
délicatement retracé l'attachement inaltérable que Poussin
témoigna à la famille de Stella, après la mort de Jacques, et
la piété dont cette « honnête tribu de Lyonnais fidèles » le paya
de retour. C'étaient des peintres et graveurs estimés. Le por-
trait de Condé, qui figure dans le trophée de M. le Prince à
Chantilly, est de Stella (peut-être Poussin, par Chantelou, un
moment secrétaire du duc d'Enghein, n'est-il pas étranger à
cette commande?).
6. Actuellement au Musée de Berlin (n" 288 du Catalogue de
Smith).
4 CORRESPONDANCE [iÔBq
Le premier est présentement dans le cabinet du che-
valier de Lorraine \ et l'autre dans celui de Mr de
Boisfranc^, Lors que le Poussin envoya celui du sieur
Stella, il lui écrivit le soin qu'il avoit pris à le bien
faire.
« Je l'ai peint, dit-il, de la manière que vous verrez,
d'autant que le sujet est de soi mol, à la différence de
celui de M. de la Vrillière', qui est d'une manière
plus sévère, comme il est raisonnable, considérant le
sujet qui est héroïque. »
Le Poussin avoit de grands égards à traiter diffé-
remment tous les sujets qu'il représentoit, non seule-
ment par les différentes expressions, mais encore par
les diverses manières de peindre les unes plus déli-
cates, les autres plus fortes. C'est pourquoi il étoit
bien aise qu'on connût dans ses ouvrages le soin qu'il
prenoit. Aussi dans la même Lettre, en parlant au
Sieur Stella du Tableau de la Manne* ^ qui est
aujourd'hui dans le Cabinet du Roi, et auquel il tra-
vailloit alors :
« J'ai trouvé, dit-il, une certaine distribution pour
1. Joachim de Seiglière de Boisfranc, conseiller du Roi,
surintendant de la maison de Monsieur. M. Bonnaffé (p. 28)
dit qu'il possédait deux tableaux de Poussin : Renaud empor-
tant Armide et l'Adoration des Mages (au Louvre, n' 423).
2. Philippe, dit le Chevalier de Lorraine, favori de Monsieur;
personnage équivoque, mais qui se connaissait en tableaux et
possédait plusieurs Poussin [le Passage de la mer Ronge, le
Veau d'or, un Paysage avec un grand chemin, Pan et Syrinx
peint pour La Fleur).
3. Louis Phélypeaux, duc de la Vrillière (1599-1681), secré-
taire d'État. Il « aimoit extrêmement la peinture et a laissé un
cabinet où l'on voit un grand nombre d'excellents tableaux »
(Sauvai). Poussin peignit pour lui Camille et le maître d'école
(au Louvre, n° 436).
4. Les Israélites recueillant la manne (au Louvre, n" 420).
Poussin l'envoya à Chantelou en avril 1639.
l63g] DE NICOLAS POUSSIN. 5
le Tableau de M. de Chantelou\ et certaines atti-
tudes naturelles, qui font voir dans le peuple Juif la
misère et la faim où il étoit réduit, et aussi la joye et
l'allégresse où il se trouve; l'admiration dont il est
touché, le respect et la révérence qu'il a pour son
Législateur, avec un mélange de femmes, d'enfans et
d'hommes d'âge et de tempéramens difîérens; choses,
comme Je croi, qui ne déplairont pas à ceux qui les
sauront bien lire. »
3. — M. DE Noyers a Poussin.
(Ms. 12347, fol. 3«.)
' [ Coppie de lettre de Monseigneur* à M. Poussin . M. de
Noyers le convie de venir en France, luy mande
les conditions que le Roy lui fera.]
Monsieur,
Aussy tost que le Roy meust faict l'honneur de me
1. Paul-Fréart de Chantelou, célèbre par l'amitié de Poussin,
l'heureux destinataire des lettres du ms. 12347; ^^ ^^ Mans, le
25 mars 1609 (le plus jeune de ces trois frères, toujours ferme-
ment unis), mort en 1694 (date incertaine). Ph. de Chenne-
vières a tracé de lui un joli portrait {La peinture française,
p. i5o).
2. L'original est perdu (il était sans doute dans les papiers
de Poussin). Nous publions la copie du ms. 12347, 1^^ Chan-
telou avait eu la précaution de se faire donner, sans doute
avant que le secrétaire de M. de Noyers n'envoie l'original.
Félibien, qui avait eu communication des pièces de l'actuel
ms. 12347, 1'^ publiée, t. II, p. 33o.
3. Nous donnons, entre crochets, le sommaire que Paul
Fréart de Chantelou a écrit sur la plupart des lettres de son
illustre correspondant. Ces sommaires sont inédits.
4. François Sublet de Noyers, né vers 1578, d'une famille de
finance. Il fut d'abord employé dans les finances, puis chargé
des fortifications, secrétaire d'Etat à la Guerre en i636, surin-
tendant des Bâtiments, le 16 septembre i638, disgracié le
10 avril 1643, mort le 20 octobre 1645. Nous préparons une
6 CORRESPONDANCE [l63g
donner la charge de Surintendant de ses bâtiments, il
me vint en pensée de me servir de l'authorité qu'elle
me done po"" remettre en honeur les arts et les
sciences; et comme j'ay un amour tout particulier
po"" la peinture \ je fis desseing de la caresser comme
une maistresse bien aimée, et de luy doner les pri-
mices de mes soings. Vous l'avés sceu par vos amys
qui sont de deçà 2, et comme je les priay de vous
escrire de ma part que je demandois justice à l'Italie,
et que du moins elle nous fist restitution de ce que
elle nous retenoit depuis tant d'années, attendant que,
pour un'entière satisfaction, elle nous donat encores
quelqun de ses nourissons. Vous entendes bien que
par là je repetois Monsieur le Poussin et quelquautre
excellent Peintre Italiam et affin de faire conoistre
aux uns et aux autres l'estime que le Roy fesoit de
vostre personne et des autres homes rares et vertueux
comme vous, je vous fis escrire, ce que je vous con-
firme par celle-cy, qui vous servira de première assu-
rance de la Promesse que l'on vous faict jusques à ce
qu'à votre arrivée je vous mette en main les brevets
et les expéditions du Roy : que je vous enverray
mille escus pour les frais de votre voyage; que je
vous feray doner mille escus de gaiges pour chacun
an, un logement commode dans la maison du Roy,
étude sur ce collaborateur de Richelieu, qui fut le protecteur
de Poussin. Selon Sauvai, les Chantelou étaient neveux de
M. de Noyers.
1. On sait cependant que M. de Noyers a été accusé d'avoir
fait détruire, par scrupule de conscience, la fameuse Léda de
Michel-Ange, qui était conservée au château de Fontainebleau,
dont il avait la garde (voir Roger de Piles, Vie des peintres, en
1699)-
2. Les peintres Stella, Lemaire, Errard, etc., suppose avec
raison H. Chardon.
l639] DE NICOLAS POUSSIN. 7
soit au Louvre, à Paris, ou à Fontainebleau, à votre
choix; que Je vous le feray meubler honestement
pour la première foys que vous y logerez, sy vous le
voulez, cela estant à votre choix ; que vous ne peindrés
point en Platfonds ny en voûtes, et que vous ne serez
obligé que pour cinq années ainsy que vous le desi-
rez, bien que j'espère que, lorsque vous aurés respi-
ray l'air de la patrie, difficilement le quitterez-vous.
Vous voyez maintenant clair dans les conditions
que l'on vous a proposées, et que vous avés désirées.
Il reste à vous en dire une seuUe que je vous impose,
qui est que vous ne peindrez pour personne que par
ma permission; car je vous faits venir pour le Roy
non pour les particulliers, ce que je ne vous dis pas
pour vous exclure de les servir; mais j'entends que
ce ne soit que par mon ordre. Après cela, venés gaie-
ment et vous assurés que vous trouvères icy plus de
contentement que vous ne vous en pouvés imaginer.
De Noyers.
De Ruel', ce 14* Janvier lôSg.
A Monsieur Poussin.
4. — Louis XIII a Poussin.
(Félibien, p. 22.)
Cher et bien amé. Nous ayant été fait rapport par
aucuns de nos plus spécieux serviteurs de l'estime
que vous vous êtes aquise, et du rang que vous tenez
parmi les plus fameux et les plus excellents Peintres
de toute l'Italie, et désirant, à l'imitation de nos Pré-
I. Ruelj la maison de campagne de Richelieu, à côté de qui
se tenait M. de Noyers. Jean Le Maire y avait peint une pers-
pective de l'Arc de Constantin, dont on peut voir la gravure
dans Champier et Sandoz, Le Palais-Royal, t. I, p. 33.
8 CORRESPONDANCE [l63g
décesseurs, contribuer autant qu'il nous sera possible
à l'ornement et décoration de nos Maisons Royales,
en appelant auprès de nous ceux qui excellent dans
les Arts, et dont la suffisance se fait remarquer dans
les lieux où ils semblent les. plus chéris, Nous vous
faisons cette Lettre pour vous dire que Nous vous
avons choisi et retenu pour l'un de nos Peintres
ordinaires, et que nous voulons dorénavant vous
employer en cette qualité. A cet effet, nôtre intention
est que la présente reçue, vous ayez à vous disposer
de venir par deçà, où les services que vous nous ren-
drez seront aussi considérez, que vos œuvres et vôtre
mérite le sont dans les lieux où vous êtes, en don-
nant ordre au Sieur de Noyers Conseiller en nôtre
Conseil d'État, Secrétaire de nos Commandemens,
et Surintendant de nos Bâtimens, de vous faire plus
particulièrement entendre le cas que nous faisons de
vous, et le bien et avantage que nous avons résolu de
vous faire. Nous n'ajouterons rien à la présente que
pour prier Dieu qu'il vous ait en sa sainte garde.
Donné à Fontainebleau le i5. Janvier i63g.
5. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fol. I.)
A Monsieur de Chantelou ' .
[i 5 janvier i63g.
Parle du tableau de la Manne qu'il va acheuer et
de la résolution de venir en France^.]
1. Nous reproduirons toujours le texte exact de la suscrip-
tion, sauf la répétition du mot Monsieur. On sait en effet
qu'on écrivait d'abord sur une ligne : A Monsieur, puis à la
ligne en dessous : Monsieur Un Tel.
2. Partout où Chantelou a écrit le sommaire des lettres
(généralement au dos), nous le reproduisons, en tête du texte,
et imprimé dans ce caractère spécial.
1639] DE NICOLAS POUSSIN. 9
Monsieur, Plust à dieu n'auoir point de si légitimes
escuses à vous faire comme les miennes. Peu de
temps après auoir fet résolution de finir vostre
tableau, mesme y aïant desjà fet quelques figures, un
mal de vesie auquel je suis subiect, de quatre ans en
sa, m'a trauaillé de manière que, dès lors jusques à
présent, j'ay esté entre les mains des Médecins et Chi-
rurgiens, tourmenté comme un danné; mais, grâce à
dieu, je me porte mieux, et espère que la santé me
retournera comme deuant. Mais il faut que je die,
que la mélanquolie que je me suis prinse de ne
pouuoir suivre la bonne volonté que j'auois d'acheuer
vostre tableau, m'a fet plus de mal que nulle autre
chose ; et pensant tousiours à la promesse que je vous
auois fette, m'en voyant empesché, j'ay voulu déses-
pérer. Mais maintenant je me sens tourner le désir
plus grand que jamais de vous seruir. Je m'en vas
donc pousuiure, sans perdre une heure de temps.
Pour la résolution que Monseigneur de Noyers
désire scauoir de moy, il ne faut point s'immaginer
que je n'ayes esté en grandisime doute de ce que je
deuois respondre ; car après auoir demeuré l'espace de
quinze ans entiers en ce pais icy, assés heureuse-
ment, mesmement m'y estans marié', en espérâse di
mourir, j'avois conclu en moy mesme de suiure le
dire Italien : Chi sta bene non si moua. Mais après
auoir repceu une seconde lettre de la main du sei-
gneur Le Maire^, en la fin de laquelle il y a une jointe
1. Poussin avait épousé Anne-Marie Dughet, fille aînée du
peintre de ce nom, le 9 août i63o, à l'église San Lorenzo in
Lucina (folio 178 du registre des mariages).
2. Il y eut alors trois peintres du nom de Lemaire. Il s'agit
ici du plus connu : Jean Le Maire, dit le gros Lemaire, ou
encore Le Maire Poussin, à cause de son amitié avec notre
artiste. Né à Dammartin, 1597, '^ séjourna vingt ans à Rome,
10 CORRESPONDANCE [iÔSq
de vostre main qui dit : je me suis trouué à la closture
de cette lettre de laquelle j'ay donné une partie de la
matière, et cœt.; qui a assés serui à m'esbranler,
mesmement à me résoudre de prendre le parti que l'on
m'offre, principalement pour ce que j'aurai par delà
melieure commodité de vous seruir (monsieur) à qui
je seray toute ma vie estroitement obligé
de Rome Ce i5 janvier i638*. Nicolas Poussin.
i6i3-i633, se signala en France par ses travaux décoratifs au
château de Ruel pour Richelieu; retourna à Rome, en 1642, en
compagnie de Poussin; mort en i655. — Voir : Sauvai, Anti-
quités de Paris, t. II, p. 207; Félibien, t. II, p. 659.
I . Bien que Poussin ait daté très lisiblement sa lettre du i5 jan-
vier i638, pourquoi a-t-on toujours été unanime à l'inscrire
à la date du i5 janvier i63g?
1° H. Chardon {Les Fréart, p. 33) résume ainsi les raisons
de fait, toutes trois justifiées :
a) En janvier i638, Poussin n'avait pas quinze ans « entiers »
de séjour en Italie, puisqu'il y était arrivé en 1624.
b) En janvier i638, le tableau de la Manne ne peut guère être
presque fini, puisqu'il ne sera envoyé que le 28 avril 1639.
c) En janvier i638, Poussin ne pourrait pas être appelé en
France par M. de Noyers qui n'obtiendra la surintendance des
Bâtiments que le 16 septembre i638.
2" Les raisons tirées de l'examen du ms. 12341, bien que peu
décisives, n'infirment pas les précédentes :
a) La remarque de H. Chardon que cette date : i638, est
d'une autre encre que le reste de la lettre, paraît exacte, mais
elle ne porte guère, parce que Poussin a pu écrire la lettre le
i3 ou le 14 janvier, par exemple, et ne la dater que le jour du
départ de l'ordinaire, le i5.
c) Les indications manuscrites de Chantelou sont insuffi-
santes. A côté de l'adresse, il a écrit, sans doute à des époques
différentes, deux mentions : l'une porte nettement : M. Pous-
sin XV janvier i638, et dans l'autre : i5 janvier i638, le
8 a ensuite été surchargé d'un 9.
3° D'ailleurs, l'autorité de Félibien, qui connaissait en détail
toutes ces lettres, et bien d'autres, confirme pleinement la date
de 1639 : « ... il eût de la peine à se résoudre de venir à Paris,
comme j'ai vu par une de ses lettres (du i5 janvier lôSg), où il
témoigne à M. de Chantelou, qu'il ne désire point quitter
Rome, mais d'y servir le Roi, M. le Cardinal et M. de Noyers
1639] DE NICOLAS POUSSIN. II
Monsieur, je vous suplie que si se présentoit la
moindre difficulté en l'accomplissement de nostre
affaire de la laisser aler à qui la désire plus que moy.
Car à la fin tout autant peu-je seruir icy le Roy,
Monseigneur le Cardinal, Monsigneur de Noyers et
vous, comme delà ausibien. Ce qui me fait pro-
metre est, en grande partie, pour monstrer que je
suis obéissans. Mais cependant je metray ma vie et
ma santé en compromis, pour la grande difficulté que
il y a à voyager maintenant; outre que je suis mal
sain : mais enfin je remetteray le tout entre les mains
de Dieu et des vostres. J'atens vostre réponse.
6. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fol. 5.)
A Monsieur de Chantelou, saigraitaire de
Monseigneur de Noyers, en Court.
[Cette lettre parle du tableau de la Manne.]
Monsieur, je ne scaurois par où commencer à vous
témoigner comme je me sens vostre obligé. Je ne
pourois jamais l'exprimer, quand bien ce seroit mon
mestier que de bien dire. Cela est cause que je
désire extrêmement d'estre plus proche de vous,
affin d'auoir plus de commodité de vous faire voir[s]
mes resentiments. Mais je me consoleray cependans
que la nécessité me retient icy à m'employer à un
en tout ce qui lui sera commandé : ce ne fût qu'après avoir
reçu la lettre (des 14 et i5 de janvier iGSg) de M. de Noyers
et celle du Roi qu'il écrivit à M. de Chantelou qu'il se dispo-
soit pour partir l'automne suivant » (Félibien, p. 21). L'erreur
de Poussin est d'ailleurs des plus explicables : la nouvelle
année (1639) n'avait encore que quinze jours, et l'habitude lui
a fait écrire l'ancien millésime (i638).
12 CORRESPONDANCE [iÔSq
eschantillion de ce que je voudrois faire pour vous,
et ne diray autre sinon qu'après auoir eu la lettre du
Roy et celle de Monseigneur de Noyiers, je n'ay
pensé à autre chose qu'à me partir et obéir promte-
ment; mais à mon grant regret, je suis contreint
d'atendre à l'automne prochain. Que si dieu me le
permet, je me metray en chemin, pour jouir du
bonheur de voir[s] et seruir mon Roy et mes bien-
facteurs; et vous supliant (monsieur) de me continuer
vostre bienueillance, je demeureray éternellement
Vostre très humble
seruiteur
Poussin.
de Rome Ce disneuf de feburier
1639.
Il vous plaira m'ordonner à qui
je doibs conseigner vostre tableau de la Manne
affin de vous le faire tenir assurément.
Il sera fini pour la mie-caresme^
7. — Poussin a Jean Le Maire.
(Ms. 12347, fol. 72.)
A Monsieur Le Maire^ Peintre de Sa Magesté^ aux
Tuilleries^ près le grand pauillion, à Paris^.
Monsieur,
J'ay repceu la lettre du Roy avec celle de Monsei-
1. En 1639, Pâques fut le 24 avril et la mi-carême le 4.
2. L'original présente des corrections orthographiques, d'une
encre plus noire que le texte de Poussin : accents, apos-
trophes, Vh du mot honneur, deçà pour desa, etc. Ces correc-
tions, bien inutiles, datent peut-être de la copie de 1755.
3. La correspondance de Poussin avec Jean Lemaire (le gros
Lemaire) et les tableaux qu'il lui avait faits furent détruits
dans un incendie du pavillon des Tuileries, où il demeurait
(Gault de Saint-Germain, trad. des Mesures de VAntitioûs,
p. 5).
l63g] DE NICOLAS POUSSIN. l3
gneur de Noyers, celle de monsieur de Chanteloup
et la vostre. L'une et l'autre m'ont fait cognoistres
apertement le bon prédicament auquel vous m'aués
mis enuers tous; et véritablem» l'onneur, les caresses
et les offres que l'on me fet sont trop grands pour le
peu de mérite que j'ay. Mais puisque dieu et la bonne
fortune * le veut ainsi, l'on ne me sauroit tant faire de
bien que je ne l'endure. Je me suis donc résolu de
me partir d'icy, comme vous scaués, pour aler seruir
mon prinse. Ce que j'aurois fet incontinent le beau
temps venu ; mais après auoir considéré dilligem-
ment toutes mes afferes, J'ay trouué qu'il m'est
impossible de faire mon voyage plus tost que à
l'automne prochain. Veu, outre mes autres affaires,
que j'ai trois ou quatre tableaux commensés, sans
parler de celui de monsieur de Chanteloup, lesquels
il faus que je finisse, estant tous pour des personnes
de considération desquels je veus sortir honneste-
ment, comme de tous mes amis de par desà désirant
d'en cSserver l'amitié et bienueillance. J'en escriray
à Monsieur de Noyers; mais je vous suplie de le
prier encore, vous, d'auoir un peu de pasience, et de
considérer que la délibération mienne et ses com-
mandemens sont venus comme à l'impourueu, estans
desià engagé dans les présentes affaires.
Je vous suplie au reste de me dire comme il vous
semble que je m'aye à gouuerner enuers monsieur de
Chanteloup, touchans son tableau. Il sera fini pour la
mi-Caresme : il contient, sans le paisage, trente sis ou
quarante figures, et est, entre vous et moy, un
tableau de cinq cents escus comme de sinq cents tes-
tons. De sorte me trouuans son obligé maintenant je
désirerois le recognoistre; mais de luy en faire un
présent, vous jugerés bien que ce seroint des libéra-
14 CORRESPONDANCE [iÔSq
lités qui me seroint mal séantes. J'ay donc résolu de
le traicter comme homme à qui je suis obligé : et
puis quand je seray de par delà, je scauroy forbien le
recognoistre mieus *. Acommodés donc l'affaire avec
luy comme il vous semblera à propos. J'en désirerois
enquore deus cens esqus d'ici, fesant conte de luy en
donner cent et plus : toutefois qu'il face ce qui lui
y plairai Car quand je luy escriray, je ne luy parleray
d'autre chose, sinon que son tableau est fini, et qu'il
ordonne ce que j'en auray à faire, et à * qui je le dois
conseigner, pour luy faire tenir. Vous me fériés ausi
un grand plaisir, si vous pouuiés scauoir à quoy l'on
me veut employer et quel desein a Monsieur de
Noyers de faire rechercher de ce pays icy tant de
peintres, sculteurs et architectes : mais je ne voudrois
pas qun autre que vous seut ma curiosité.
Les choses que vous me demandés, comme l'azur
et les autre choses, je vous les porteray, dieu aidans.
En la lettre que Monsieur de Nouyers m'a escrite
touchans mes conditions, il en a oublié une qui est
principale : car outre le voyage et les gages, il ne me
parle point du payement de mes oeuures. Je croy
bien qu'il enten aisi; mais estant resté en doubte, je
\ n'oserois en parler que à vous seul. C'est pouquoy
je vous prie de tout mon coeur de m'escrire segrète-
ment, comme vous croyés qui l'entends. Du reste
toute mon afîere'va bien; mais quand j'ay eu pensé
au choix que me donne le dit Monseigneur de
Noyiers^ d'habiter à Fontainebleau ou à Paris, j'ay
1. Phrase ajoutée, en très fin, dans la marge.
2. Dans les deux cas, Poussin avait d'abord écrit, peu lisible-
ment d'ailleurs, Lavrillière, puis il effaça et surchargea par :
Noyiers.
1639] DE NICOLAS POUSSIN. l5
choisi la demeure de la ville et non point des champs,
où principalement vous demeurés : car sans vous,
cher ami, Je vivrois déconsolé. C'est pouquoy vous
prirés de ma part-Nostre dit seigneur, qu'il luy plaise
me faire ordonner quelque pauure trou, pourueu que
se soit auprès de vous.
Du reste, je m'en vas mettre la main à la plume
pour remersier Monsieur de Noyers et nostre bon
ami monsieur de Chantelou pour qui je trauaille auec
grand amour et soing et crois, dieu aydans, qu'il sera
content de mon fet.
Je vous suis au reste obligé pour toute ma vie.
de Rome ce disneuf
de feburier i63g. Poussin.
Deux ou trois mois deuant que de partir, je vous
escriray de plusieur chose, et qui je méneray quand et
moy, car plusieurs s'offrent.
J'escriray ausi à monseigneur de Noyers pour tou-
cher un peu de quibus pour mon voyage. Du reste
commandés icy que vous serés serui.
Dieu vous maintiene en vostre prospérité
jusques à ce que vous en soyés las'.
Vous deués auertir Monseigneur de Noyers pour*
son*honneur*touchans les peintres Italiens que l'on
mande pour aler en France, qu'il ni en face point
aler de moins suffisants que les François qui y sont,
car j'ay bien peur que les bons ni aillent pas, mais
quelques ignorants autour desquels les François
s'abusent très grossièrement, et dieu voille que aulîeu
I. Écrit à la façon d'un distique, avec beaucoup de marge à
gauche.
-h
l6 CORRESPONDANCE [l63g
di faire cognoistre la vray peinture, il n'ariue tout le
contraire.
Ce que je dis c'est en homme de bien
car je cognois for bien ce qu'il y a en leur sac.
8. — Poussin a M. de Noyers.
(Ms. 12847, fol. 9.)
A Monseigneur de Noyiers^
Conseiller du Roy en son Conseil d^ Estât et priûé,
secrétaire de ses commandements et superintendant
de ses maisons royales; en Court*.
Mon seigneur
Après auoir considéré l'exelence de vos vertus et
vostre grande qualité, j'étois pour implorer l'ayde de
quelque homme biendisant, n'osant de moymesme,
pour le grand respect que je vous porte, vous escrire
la présente, ainsi mal polie et rude comme elle est
mais à la fin j'ay pensé que ce n'est pas ce que vous
attendes de moy qui fais profession des choses
muettes ; outre que j'ai pensé ausi que en l'appareil des
magnifiques tables * des grands Seigneurs, quelque-
fois entre les délicates viandes, se peuuent bien entre-
mesler quelque fruits Rustiques et agrestes, non pour
autre que pour leur forme strauagante. Les susdites
choses (et la confianse que j'ay en vostre bénignité)
m'ont poussé à vous escrire ce peu de mots, non que
par iceus je puisse faire entendre les extrêmes obli-
I. La lettre est très bien écrite, comme il convient pour un
destinataire de cette importance.
IÔBq] de NICOLAS POUSSIN. I7
gâtions que je doibs à vostre Infinie bonté, car elles
sont telles, que je n'ay jamais osé désirer les biens
que je repçois de vostre libérale main, ny mesme osé
espérer à tant d'honneur que de me voir fait digne
par vostre grâce de seruir au plus grand et plus juste ^
Roy de la terre, mais puisque il a plu à vostre bonté
de me faire cet honneur, je tascheray au moins à ne
diminuer en rien la bonne oppinion en laquelle vous
m'aués, et quand et quand je tascheray à me mons-
trer ausy obéissant comme mon debuoir le requert
en fesant toutte sorte de dilligence pour me mettre en
chemin de vous aler servir, espérant, s'il plaist à
dieu, que se sera l'automne qui vient; et nuse manqué
de partir Incontinent^, si se neust esté pour ne pas
perdre la bienueillanse de tant d'honnête gens qui à
mon absense mesme peuuent tenir la protextion de
ce que j'ay de plus cher en ce monde, vous me con-
cederés donc (Monseigneur) encore cette grâce, s'il
vous plaist, de demeurer icy ce peu de temps, pour
pouuoir donner satisfaction à mes amis. Que s'il
vous plaist d'ordonner autrement pourueu que j'en
aye le moindre signe du monde je n'auray égart à
autre chose qu'à vous obéir comme à mon maistre et
bienfacteur deuant qui je m'incline déuotieusement
et prie dieu de tout mon cœur qu'il luy plaise vous
élargir toutes les biens désirables.
Le plus humble de tous
vos humbles seruiteurs
Poussin
de Rome ce vintiesme de feburier 1639.
1. Allusion au surnom du roi : Louis XIII le Juste.
2. Au début des mots, Poussin écrit souvent la lettre I par
une majuscule.
1911 2
l8 CORRESPONDANCE [iÔSq
9. — Poussin a M. de Noyers.
(Copie de l'Institut, lettre 17 1.)
Mon seigneur
la libéralité de sa Majesté, et votre bénignité et bien-
veillance en mon endroit, ont de la proportion seu-
lement entre vous, et non pas avec un si débile sujet
comme je suis. Mais quoy outre ^ les nouvelles obli-
gations si je me trouve dès ma naissance estre esclave
de lui que doije faire pour reconnoître les bénifices
de l'autre, Certes, Monseigneur, si ce n'étoit que le
servage que nous devons à nos Rois est une liberté de
nos droits vous promettrés destre plus vosire, puisque
déjà vous m'avez donnés. Mais en ceci ce qui est de
votre Roy vous estant commun, jespère bientôt davoir
Ihonneur de vous servir et honnorer de toutes mes
forces, mais pour maintenant, je ne sçaurois sinon
humblement vous remercier de ce qu'il vous a plû de
me faire expédier une lettre de change de mille écus
pour mon voyage des quels la plus grande partie
jespère recevoir à Paris s'il plaira à votre bénignité
n'en voulant toucher icy sinon un peu, pour subve-
nir aux choses qui me seront plus nécessaires je me
hâterai donc le plus qu'il me sera possible de vous
aller servir car maintenant il ne reste ici que ce qui
1. L'original de cette lettre manque. Nous ne la connaissons
que par la copie de 1755, aujourd'hui à l'Institut (copie d'ail-
leurs très fidèle). Elle y est insérée avant celle du 3o mai 1641.
Nous l'avons changée de place, à l'exemple de Quatremère de
Quincy, qui l'a rétablie à la place chronologique qui lui con-
vient.
2. Mots douteux : outre ou autre.
i63g] DE NICOLAS POUSSIN. 19
est de plus matériel l'esprit étant déjà transporté chez
vous à vous faire humble révérence
Votre esclave
Poussin.
10. — Poussin a Ghantelou.
(Ms. 12347, fo^- "•)
A Monsieur de Chantelou^ Saicraitaire de
Monseigneur de Noyers^ en Court*.
[M. Poussin ig mars i63g.
Mande qu'il est résolu de venir en France^
que le tableau de la Manne est fini.]
Monsieur, Il ne faut point doubter que je n'aye
assés de subiet de me fier en vous, et de croire tout
ensemble que vous estes celuy qui mi a obligé le plus.
C'est pourquoy je remais toutte mon affaire entre
vos mains, et suis délibéré de prendre le moins que
je pouray de l'argent qu'il a plu à Sa Maiesté et à
Monseigneur de Noyers de 'me faire tenir icy pour
mon voyage; et ni euse point touché du tout, si ce
n'estoit que desià l'ordre m'en est venu par une lettre
de change que j'ay repceue avec les vostres. Deuant
donc que je me parte d'icy, je vous feray sauoir au
net ce que j'auray repçeu et mon intention touchans
le reste, vous asseurans que ce que j'en fais n'est
pour le respect d'aucun guaing mais pour vous témoi-
gner la confianse que j'ay en vous.
Je vous ai desià fait scauoir que vostre tableau
I. L'écriture hâtive de cette lettre (peut-être expédiée au
moment du départ du courrier) contraste avec l'aspect appliqué
de la précédente.
20 CORRESPONDANCE [l63g
estoit fini et que je n'atendois autre que vostre ordre
affin de vous le faire tenir promtement et assurément.
Vostre plus obligé seruiteur
Poussin
de Rome, ce disneuf de marts 1639.
11. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fol. i3.)
A Monsieur de Chantelou, Commis de Monseigneur
de Noyers en Court.
[28^ avril i63g. Cette lettre accompagnoit le ta-
bleau de la Manne.
M. Poussin. 28 avril m'enuoyant la Manne.]
Monsieur,
J'atendray que dieu me face la grase d'estre auprès
de vous pour recognoistre les obligations que je vous
dois, non avec des paroles, mais par effet, si vous
m'en jugerés digne. Pour maintenant je ne vous
importuneray point de long discours ; je vous adui-
seray seuUement que je vous enuoye vostre tableau de
la manne, par bertholin. Courrier de Lyon : Je l'ay
enchâssé dilligemment, et croy que vous le recepurés
bien conditioné. Je l'ay accompagné d'un autre d'un
autre petit que j'envoyeà Monsieur Debonaire\ por-
temanteau, n'ayans jusques à présent eu autre occa-
sion pour luy faire tenir que la présente. Vous luy
permetterés donc de prendre car il est sien.
Quand vous aurés repceu le vostre, je vous suplie,
si vous le trouués bon, de l'orner d'un peu de cor-
niche, car il en a besoin, affin que en le considérans
1. Le nom est assez peu lisible.
lÔSp] DE NICOLAS POUSSIN. 21
en toute ses parties les rayons de l'œil soient retenus
et non point espars au dehors en' recepuant les
espèses * des autres obiects voisins qui venant pesle-
mesle, avec les choses dépeintes confondent le Jour.
Il seroit fort à propos que laditte corniche fut
dorée d'or mat tout simplement, car il s'unit très-
doucement avec les couleurs sans les offenser*.
Au reste, si vous vous souuiendrés de la première
lettre que je vous escris, touchans les mouuement
des figures que je vous prometois di faire, et que tout
ensemble vous considériés le^ tableau, je crois que
facillement vous recognoistrés quelles sont celles qui
languisent, qui admire, celles qui ont pitié, qui font
action de charité, de grande nécessité, de désir de se
repestre de cSsolation, et autres, car les sept première
figure à main gauche vous diront tout ce qui est icy
escrit et tout le reste est de la mesme estoflfe : lises
l'istoire et le tableau, afin de cognoistre si chasque
chose est apropriée au subiect.
Et si, après l'auoir considéré plus d'une fois vous
en aurés quelque satisfaction, mandés le moy s'il
vous plaist, sans rien déguiser, affin que je me
réiouisse de vous auoir contenté pour la première
fois que j'ay eu l'onneur de vous seruir. Si non nous
nous obligons à toute sorte d'amende, vous supplians
de considérer enquore * que l'esprit est pront et la
cher débile.
1. Poussin écrivant les e souvent comme des o, on peut sou-
tenir qu'il a écrit, non pas en, mais ou.
2. « M. Poussin prie toujours qu'à ses tableaux l'on ne mette
que des bordures bien simples et sans or bruni », dira Chan-
telou au Bernin, en i665 (Ph. de Chennevières, La peinture
française, p. 270).
3. Peut-être ce.
K
22 CORRESPONDANCE [iÔSq
J'ay escrit à monsieur Le Maire de l'ocasion prin-
cipale qui me retient icy pour cet été; je vous suplie
donc (Monsieur) avec lui de faire mes escuses enuers
Monseigneur de Noyers ^ affin que, mettant cette cor-
toisie avec les autres que je resois journellem* de
vou!5, je sois toutte ma vie le plus obligé à vous seruir
qui soit * au Mode
Poussin
de Rome ce vingthuitiesme
d'apvril 1639.
J'écriray à Monsieur Stella que je croy qui est à
lion qu'incontinent ariué le tableau il vous le fase
tenir.
Deuant que de le publier il seroit
fort à propos de l'orner un peu.
Il doit estre colloque fort
peu au dessus de l'œil mais
au contraire.
12. — Poussin a Jean Le Maire.
(Ms. 12347, fo^- ^^•)
A Monsieur Le Maire^ peintre du Roy
aux Tuilleries, à Paris.
[M. Poussin à M. Le Maire 6 aoust 1 63g .
Il luy parle de l'enuoy du tableau de la Manne. Il
a peur qu'on juge de ce qu'il sait d^un si petit ouurage ^ .
1. La nouvelle de la venue prochaine de Poussin était déjà
publique : le 17 avril lôSg, Bourdelot écrit à Cass. del Pozzo,
« que l'on tient pour tout assuré qu'il vient ici aux gages du
roi. Quelques-uns même parlent de Claude le Lorrain » (Lum-
broso, Notifie sulla vita di Cassiano del Po^:{0, Turin, 1875).
2. Ce tableau mesure 2 mètres de long et o"49 de hauteur;
les figures ont o"52 de taille.
lÔ'ig] DE NICOLAS POUSSIN. 23
Est en perplexité du voyage de France à cause de ses
incommodités.]
Monsieur Comme touttes vos lettres ont acous-
tumé de m'apporter un extrême contentement, la
dernière pareillement m'a réiouy autant que pas une
autre; car par icelle, oultre que j'entens la bonne
santé où vous estes, la nouuelle de l'arivée du tableau
de Monsieur de Chantelou m'a osté de la grande
peine où j'étois; d'autans que par le long chemin et
dangereus comme il est maintenant, je * doutois * que *
il ni fut arrivé quelque mauuais encombre. Mais
puisque il est paruenu entre vos mains sein et sauf,
j'estime que ce m'est un bon hoeur; d'autans que
monsieur de Chantelou ne le verra point qu'il ne soit
en bonne posture, comme je croy que vous luy
mettrés. Et si lui sera agréable, se me sera un des
plus grand contentements qui me puisse ariuer.
Néanmoins que et vous et luy je vous prie de consi-
dérer que en de si petits espaces il est impossible de
faire et observer se que l'on sait, et que à la fin ce ne
peut être autre que comme une idée de chose plus
grande; qu'il accepte donc tel qu'il est en atendans
mieus.
Vous me solicités de partir cet automne sans y
manquer; je vous assure que le retarder icy dauan-
tage ne me tourneroit pas à conte comme l'on dit
icy parce que j'ay renoncé à toute mes pratiques;
et mesme depuis que je me résolus de partir jusque à
maintenant, j'ay eu l'esprit for peu en repos, mais au
contraire casi perpétuellement agité, pensant tous les
jours à mille chose, lesquelles par ce nouveau chan-
gement me pouroint entreuenir. Ne vous emerueillés
point de ce que je vous escrits, car j'ay estime d'auoir
24 CORRESPONDANCE [iÔSq
fet une grande folie d'auoir donné ma parole et de
m'estre obligé dans une indisposition telle que est la
miene en un temps où j'aurois plus besoin de repos
que de nouuelles fatigues, laisser et abandonner la
paix et la douceur de ma petite maison \ pour des
choses imagineres lesquelles me succéderont peut-
estre tout au rebours. Toute ces choses icy m'ont
passé et passent tous les jours avec un milion d'autre
plus poignâtes par l'entendement, et néanmoins je
conclus tousiours d'une manière, c'est assauoir que
je me partiray, que j'iray à la première commodité,
et suis en même estât que si l'on me vouloit fendre
par la moitié et me séparer en deux. Il est vray que
j'ay grande volonté de mettre en effet ma promesse;
mais d'un autre costé je me trouve retenu et empesché
de certains mal heurs qui semblent proprement qui
me veillent empêcher d'acomplir mon desein. Mon
misérable mal de carnosité n'est point guari, et j'ay
poeur qu'il faudra retomber entre les mains des bou-
reaux de chirurgiens devant que de me partir car de
se acheminer par un long voyage et fâcheux auec
telle maladie, se seroit aler chercher son malheur
auec la chandelle. Je feray donc ce que il sera en ma
puissance pour guarir et me partir. Du reste face dieu
ce qui me doit ariver m'arivera.
Je ne vous escrirai d'autre pour maintenant, mais
souuent je vous feray scavoir ma disposition
Votre très obligé seruiteur
Poussin
De Rome ce sisiesme de
Aust 1639.
I. Sur la maison de Poussin à Rome (n° 9, via Sixtina, selon
la tradition), — ou plutôt ses maisons successives, — voir :
Ph. de Chennevières, La peinture française^ p. ii6, et Emilia
Pattison, L'art , 1882, p. 121.
1639] de nicolas poussin. 25
13. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fol- '?•)
A Monsieur de Chantelou^ Premier commis de
Monseigneur de Noyers^ En Court ^.
[i3 septembre i63g.
Il mande que ses incommodités s'opposent au des-
sein qu'il auoitfait de venir en France.]
Monsieur
Je* ne scay de qui je me doibs plaindre le plustost
ou de moymesme ou de la mauuaise fortune. Si j'ay
duré de me mettre en deuoir d'obéir promptement à
mes supérieurs, c'est moy qui ay tort, mais si
m'effosque d'accomplir ma promesse, jen suis empes-
ché par des extrêmes incommodités corporelles, doije
dire que c'est la fortune ou que c'est dieu qui ne le
veut pas permettre? Il y a desià une bonne espase de
temps que j'auois délibéré de vous aduertir que mon
incommodité ordinaire me retournoit plus que jamais,
mais la crainte de vous fâcher, et l'espérance, qui
tousiours me trompe, que j'auois de quelque amen-
dement m'ont retenu jusques à maintenant que suis
forcé de vous aduertir qu'il faut par nécessité (après
auoir renonsé à toutes mes pratiques et auoir accom-
modé toute mes affaires délibéré de me partir) tom-
ber derechef je n'oseroin dire entre les mains des
Médecins, mais des Boureaux, qui d'un petit mal
m'ont conduit jusques à un terme qui me donne fort
à craindre de ma personne.
I. A ce moment, Richelieu, qui jugeait Chantelou « entendu
et diligent » (Avenel, Corr., t. VI, p. 5o3), avait pensé à l'en-
voyer en mission à Cologne, où Marie de Médicis se mourait.
20 CORRESPONDANCE [iÔBq
Je VOUS supplie donc (Monsieur) à qui je suis tant
obligé) de faire que Monseigneur de Noyers sache
Testât où je suis, affin que comme j'espère, il m'es-
cuse et aye quelque côpassiô de ma disgrâce; car je
n'oserois croire qu'il nust du regret d'entendre la
mort de son humble subiect au lieu de son ariuée.
Votre très obligé à vous
seruir
Poussin
De Rome ce tresiesme de septembre
1639.
14. — M. DE Noyers a Chantelou.
(Ms. 12347, fol. 21.)
[De Monsigneur 12 octobre i63g.]
Pour Monsieur de Chantelou, Commis de Monsei-
gneur de Noyers, Secrétaire d'Estat\
Du 12e Octobre 1639, à Lion^.
Monsigneur le Cardinal auoit bien raison de me
presser de vous enuoier en Piedmont, car je voy bien
que sans voz soins la citadelle de Turin nous eust
1. A côté, d'une autre écriture plus noire : Pour Paul Fréavd
de Chantelou gouverneur de Chasteau du loir et M" dhostel du
Roy. Cette mention n'a pu être écrite qu'après le 2o"mars i656,
date du mariage de Chantelou avec M'"" de Montmort, qui lui
apportait ce gouvernement qu'elle tenait en survivance de son
premier mari. Ces lignes sont sans doute des héritiers de
M. de Noyers (mort le 20 octobre 1645), quand ils procédèrent
au tri de ses papiers.
2. Les affaires de Piémont occupaient fort Richelieu. La
duchesse régente de Savoie venait de se rencontrer à Gre-
noble, le 25 septembre lôSg, avec Louis XIII, son frère. Ses
beaux-frères révoltés, Maurice et Thomas de Savoie, alliés des
Espagnols, avaient pris Turin, sauf la citadelle, dont la mise
en état de défense avait été l'un des gros soucis de M. de
Noyers, secrétaire d'État à la Guerre depuis i636.
1639] DE NICOLAS POUSSIN. 27
faict un affronta Je prie Dieu de ce que vous y aués
si utillement seruy, et ie le prie de vous y conseruer
en bonne santé, afin quaiant satisfaict à ce qui vous a
esté ordonné nous nous puissions reuoir pour ne
nous pas séparer si facillement que nous auons faict
Jusques icy.
Je seray bien aise quà la première occasion vous
m'enuoyiez un estât par le menu de tous les ouurages
et trauaux que vous auez entrepris, ce qui est faict, et
ce qui reste à faire.
Le pauvre mons"" de Chambray* a besoin d'estre
encouragé et ie n'en voy point de meilleur moien que
de l'asseurer qu'il reuiendra avec vous, pourueu qu'il
aye faict ce qui luy a esté commandé/^.
Je vous remercie de l'espitre de Lentulus que ie
desirois d'auoir il y a fort longtemps/.
Mais quoy oublierons nous tout à faict la vertu, ne
parlerons nous plus de M. le Poussain, et du sculp-
teur qui debuoit venir auec lui/"*.
1. La phrase du début est soulignée par M. de Noyers.
2. Roland Fréart de Chambray, né au Mans le i3 juillet
1606, mort le 11 décembre 1676. Il entra dans les ordres, mais
s'occupa toute sa vie de questions de géométrie, de perspec-
tive et d'art. Entre i63o et i636, il avait fait un premier voyage
à Rome et s'y était lié avec Charles Errard. Il y revint, avec
M. de Chantelou, en 1641.
3. Comme les secrétaires ponctuaient peu ou mal, de Noyers,
en relisant les lettres, séparait les phrases par de grandes
barres, que nous reproduisons.
4. C'était le sculpteur renommé François Duquesnoy, né
en 1594, mort à Livourne le i3 juillet 1643. Poussin était
très lié avec lui; vers i63o : « Il vivait dans une même maison,
en compagnie de Francesco Fiammingo, sculpteur, l'un et
l'autre très désireux de progresser dans leur art, et pour cela
s'appliquant ensemble très attentivement aux choses antiques »
(Bellori, trad. Rémond, p. 9). Voir, sur les conditions du
voyage de Duquesnoy : Jay, Recueil de lettres sur la peinture et
la sculpture, p. 33o, et L Abecedario de Mariette, t. II, p. 140.
28 CORRESPONDANCE [l639
Ne scauriez vous en descouurir quelqu'un tandis
que vous estes par delà, et tâcher à le desbaucher et
le ramener auec vous. Ce seroit une bonne récom-
pense de vostre absence qui mest insupportable comme
d'une personne que ie chéris comme moy mesme/.
De Noyers.
Je commence à me bien porter
grâces à dieu et à prendre l'air
depuis trois iours, et par mesme
moien mes forces.
15. — Poussin a de Noyers.
(Ms. 12347, fol. 21.)
A Monseigneur de Noyers, Conseillier du Roy en
ces Conseils d'estat et priué, Saigraitaire de ces
Commandements et Superintendant de ces Maisons
Roy ailes. En court \
[i63g 1 3 décembre.
Lettres^ à M. de Noyers sur ce qu'il estoit appelle
pour venir en France seruir le Roy.]
Le deuoir de la reuerense que je proffesse enuers
vous (Monseigneur) m'oblige à vous notifier la
cause de mon retardement. J'étois bien résolu de
vous aler seruir, et extrêment honnoré d'en auoir les
occasions; mais la mauuaise fortune s'est opposée
auec violence contre l'exécution de mon deuoir et
1. Comme pour les autres lettres à M. de Noyers, l'écriture
est plus espacée et plus appliquée, plus lisible aussi.
2. Chantelou a écrit très lisiblement lettres. Ce pluriel
s'explique parce que la lettre suivante est aussi du i5 décembre
1639.
IÔSq] de NICOLAS POUSSIN. 29
l'espéranse que J'auois de melieurement en^ mes indis-
positions m'a abusé, car je suis réduit en tel estât que
je suis forsé de changer de deseing et de suplier
vostre bonté de me dispenser de mon veu, puis que
en peu de temps je suis devenu inutile, ne m'ayant
demeuré que le regret de viure. J'aurois trop de pré-
somption de ne vous pas prier de cette faueur auant
que de la mériter, je veus biencognoistre [cognoistre]
ce que je demande non de mon mérite mais de vostre
bénévolence; en cette manière, je recepuray la grase
et vous la gloire. Cependans (Monseigneur) je vous
offre l'immuable promtitude de ma bonne volonté,
puisque le Ciel ne me consède autre faculté conue-
nable à la satisfaction de mes obligations.
Le plus humble de tous vos
seruiteurs
Poussin
De Rome ce iSième décembre
1639.
16. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12847, fol- 23.)
A Monsieur de Chantelou^ commis de
Monseigneur de Noyers^ en Court.
{M. Le Poussin 1 5 décembre 1 63g .
Il cherche à se dégager
de venir en France^.]
Monsieur Ily a desià quelque temps que me trouuant
1. Mot très surchargé : Poussin avait peut-être écrit d'abord :
isir (sortir).
2. Le fragment de la lettre originale que portait le som-
3o CORRESPONDANCE [iÔBq
gesné par mes continuelles incommodités du moyen
de faire le voyage de France auquel je me suis obligé
par les belles occasions que par vostre courtoisie
m'en avoint esté donnés, je ne manquai pas de vous
en aduertir et vous suplier très affectueusement avec le
Sieur Le Maire de le faire scauoir à Monseigneur de
Noyers affin qu'il sceut la cause de mon retarde-
ment; mais soit le peu de conte que vous faittes d'un
qui vous est inutile seruiteur ou le peu de satisfac-
tion que vous aués eu au service de mes débiles
forses vous ont rendu, ou autre, jusques à maintenant
je n'ay eu aucune réponse. Mais (Monsieur) je vous
supplie, sans reguarder au mérite d'exerser enuers
moy vostre courtoisie : se sera un effet de vostre
naturelle inclination et un office de vostre bénéuo-
lense ne dédaigner point mes prières qui sont accom-
pagnés de tant d'obligations, d'autans que la seruitu
que je vous doibs s'exerce autant à vous demander
des faneurs, comme le satisfaire à tant d'obligations
auquelles je m'efforseray tousiours de correspondre,
conserués-moy en vos bonne grâce et consolés-moy
auec la bonne fin de ce présent négose
Vostre trèsobligé
Poussin
de Rome Ce i5me décembre
1639.
maire écrit par Chantelou est déchiré dans le ms. 12347.
Nous n'avons plus que : Jl cherc..., et la suite est prise dans la
copie de 1755, à l'Institut.
1640] de nicolas poussin. 3l
17. — * Instruction pour
M. De Ghantelou sen
ALLANT A ROME^.
(Ms. 12347, fol. 25.)
Du 8^ may 1640 à NantueiP.
Le Roy enuoye mons. de Ghantelou à Rome pour
en ramener le s»" Poussin peintre et le s"" François
sculpteur./^
Son principal soin doit donc estre de les persuader
en sorte qu'il puisse avoir l'effect de son voiage./
Pour ce il se seruira, premièrement de sa bonne
conduitte. puis de la faueur de ceus ausquels il a des
lettres du Roy, de S. E. et de moy./^
Lesd. Si's Poussin et François s'estans laissés
entendre que la principalle cause de leurs retarde-
mens estois l'apréhention qu'ils avoient des change-
mens et inconstances de la france, et qu'après auoir
quitté leurs habitudes de Rome, si monsieur de
Noyers qui les affectionne venoit à leur manquer ils
se trouveroient tout à coup frustrez de leurs espé-
1. Cette mention est écrite au dos du folio 25 et ensuite :
Pour Paul Fréard de Ghantelou gouuerneur de la ville et chas-
teau de Chasteau du loir et 3/tre d'hostel ordinaire du Roy.
Voir note i, p. 26.
2. Le jour même où M. de Noyers écrivait cette lettre à
Ghantelou, Richelieu écrivait, de Nanteuil également, à Maza-
rin : « Le roy envoyant en Italie le s' de Ghantelou, commis
de M. de Noyers, pour faire recherche des plus excellents
peintres, sculpteurs, architectes et autres fameux artisans, et
les faire venir en France, je conjure Monsieur Mazarin de luy
vouloir donner des lettres pour ses amis de Rome, afin d'as-
sister le dict Ghantelou et faciliter l'exécution du commande-
ment que S. M. luy a faict sur ce sujet » (Avenel, t. VI, p. 691).
3. Nanteuil-lès-Meaux, château du duc d'Halluin, fils du
maréchal de Schomberg.
4. Voir p. 27, note 3.
k
32 CORRESPONDANCE [164O
rances et des appointemens qui leur ont esté promis
par les lettres de Sa Ma*^. Pour a quoy obuier
M. Lumague^ donnera a M. de Chantelou une lettre
^ par laquelle il leur respondra des mille écus qui leur
sont promis par- chacune année, durant les trois
années qu'ils font estât de séjourner en france, si tant
est que le bon traictement quils y receuront ne les
oblige a y demeurer toutte leur vie./
Que si lesd. s»"» Poussin et François prévenus par
les artiffices des Espagnols ou de quelques autres
mal affectionnez à la france, refusoient absolument
d'y venir au retour dud. S"" de Chantelou il tachera
d'en attirer d'autres au seruice de Sa Maiesté, qui
soient, sinon esgaux à la vertu de ceux-là, au moins
qui en aprochent le plus près que faire se pourra, se
seruant de l'argent destiné pour lesd. s" Poussin et
François pour ceux qu'il choisira en leur place./
S'il rencontroit dans le cours de son voiage quelque
peinture ou sculpture qui méritast, soit par l'excel-
lence de l'ouurage, soit par le bon marché, d'être
achaiptées et enuoyées en France, l'on laisse à sa dis-
crétion d'en user selon qu'il estimera pour le mieux 2./
Il y a desia longtemps que les Pères Jésuistes de
S' Louis' croyent que les mesures des tableaux de
I. Lumaga, ou Lumague, ou Lumagne, notable banquier
d'origine génoise; il servit la politique de Richelieu, puis de
Mazarin. Colbert aurait d'abord travaillé chez lui, et ce serait
Lumagne qui l'aurait donné à Mazarin (voir P. Clément, Hist.
de Colbert^ p. 79). Poussin peignit pour lui le célèbre paysage
de Diogène. Ce banquier est souvent cité dans les correspon-
dances de Richelieu et de Peiresc.
2 Tout ce paragraphe est souligné par M. de Noyers et mar-
qué en marge d'un trait vertical, comme particulièrement
important.
3. M. de Noyers était un dévot personnage, fort lié avec les
Jésuites. Il s'agit ici des Jésuites dont la nouvelle église avait
été commencée, rue Saint-Antoine, en 1627.
1640] DE NICOLAS POUSSIN. 33
leur grand autel ont esté enuoyez à Rome, c'est
pourquoy Mons. de Chantelou ne manquera pas de
les porter avec luy. et le faire exécuter au plustost
par le peintre quil en jugera le plus capable, estans à
Rome./
Il aura soin de sa santé sur touttes choses.
De Noyers.
18. — Pour Mess^ de Chantelou.
A Rome.
(Ms, 12347, fo^- 27O
[Monsigneur i3 Aoust 1640.]
D'Amiens ce i3« Aoust 1640.
Je ne voulus point hier vous rien mander de la
prise d'Arras^ tant parce que je n'en auois pas le
loisir que parce que le discours en estant long jaimois
mieux vous en enuoier la relation imprimée que vous
ferés voir par delà que de ne faire qu'effleurer une
affaire qui mérite un si grand discours./
Serués vous de cett' occasion po"" emporter l'esprit de
Mons»^ le Poussin et luy dictes que sil n'aime sa patrie
qu'au moins il deffere a une nation qui faict aujour- >-
d'huy la meilleure part de tout ce qu'il y a de meil-
leur en l'Europe./
Je ne veux pas seulement vous faire l'ouuerture qui
m'a esté fait par un Italiain qui est de faire sentir à
M^ le Poussin que les Roys ont les mains bien longues
et quil sera bien difficile d'empescher qu'un grand
Roy comme le nostre n'ait quelques sentiments de
l'iniure qu'il reçoit d'un homme nai son subiect, et
qui luy manque de parole./
I. La ville d'Arras fut assiégée le i3 juin 1640. Elle capitula
le 9 août.
1911 3
<
34 CORRESPONDANCE [164O
Que lorsqu'il pensera auoir triomphé de la France
il y a danger quil ne s'en trouve abbatu et improuis-
tement accablé. Cette manière de procéder est si con-
traire au mien et à mon génie que je ne la couche icy
que po»" n'obmettre rien des ouuertures qui me sont
faites po"" faire seruir le Roy mais uzès en a nostre
mode qui dict tousiours nihil invita Mineruâ.
Vous aués faictune grande aquisition dans l'amitié
de Mons'' le Cavallier del Potzo qui est icy en un'
estime singulière et tient lieu du chef des vertueux.
J'estime ce trésor par luymesme non par les assis-
tances que vous espérés tirer de luy po"^ vaincre la
dureté de M"" le Poussin./ Je serai prou satisfaict de
vostre voiage si vous en ramenez M. le Flamend
Duquesnoi car comme je le vous mandois hier S. E.
le souhaitte avec un' incroiable passion.
Laduis qui vous a esté doné d'apporter en France
les creux des plus beaux basreliefs de Rome ' ne peult
n'estre très utile^. Po"" ceux de la colonne de Traian si
la chose est de grand prix non seulement po' avoir
1. M. de Chambray, frère de Chantelou et alors à Rome avec
lui, écrira lui-niême, dans la préface du Parallèle de l'archi-
tecture antique et de la moderne :
« Nous apportasmes une grande diligence à faire former et
ramasser tout ce que le temps et l'occasion de nostre voyage
nous pût fournir des plus excellents antiques, tant d'architec-
ture que de sculpture, dont les principales pièces estoient deux
grands chapiteaux, l'un d'une colonne et l'autre d'un des
pilastres angulaires du dedans de la Rotonde [le Panthéon], que
nous choisismes, comme les plus beaux modèles Corinthiens
qui soient restez de l'antiquité : deux médailles d'onze palmes
de diamètre tirées de l'Arc de triomphe de Constantin, soixante-
dix bas-reliefs de la colonne Trajane et beaucoup d'autres
histoires particulières; quelques-uns desquels furent mis en
bronze dès l'année suivante : d'autres furent employez en
matière d'imitation au compartiment de la voûte de la grande
gallerie du Louvre, auquel M. Le Poussin les introduisit ingé-
nieusement et avec beaucoup d'adresse. »
2. Phrase soulignée par M, de Noyers.
1640] DE NICOLAS POUSSIN. 35
les ds. creux mais aussy po^ les apporter en france
vous pourrés vous dispenser de ces soingz si le coust
venoit a en estre médiocre Vous ne scauriés auoir
trop de belles choses utiles comme celle la.
Continués vos cortèges ainsy que vous aués bien
commencé Voicy la troisième depuis que vous estes
à Rome. Dieu vous y conserue et vous en ramène en
bone santé. J'ay escript à M. lambassad.^ et à M. guef-
fier^. Vous receurés avec cellecy un compliment à
M. le C^i Bicchy ^ que vous assurerésde mon obéissance
De Noyers.
19. — [Lettre de Monseigneur durant tire* voyage
de Rome^.]
(Ms. 12347, f^o'- 29-)
Po^ Mes Cousins de Chantelou^.
De Chaulnes^ Ce i5me Septemb 1640.
Je recoi présentement la vostre du i5«du passé qui
1. F'rançois du Val, marquis de Fontenay-Mareuil, né vers
1594, mort le 25 octobre i665; ambassadeur à Rome de 1640 à
1649, à deux reprises, séparées par la courte ambassade de
Saint-Chamont.
2. Gueffier, chargé d'affaires de France à Rome. Il faisait
l'intérim quand on n'envoyait pas d'ambassadeur, ce qui arri-
vait assez souvent. Il écrit, le 23 avril 1645, qu'il y a « tantôt
cinquante ans » qu'il est au service du roi (voir : Bibl. nat.,
mss., sa Correspondance diplomatique, Cinq-Cents Colbert 356
et suiv.).
3. Le cardinal Bichi, l'homme de confiance de la politique
française dans le dédale des intrigues politiques d'Italie. « E car-
dinale affezionato in tutto suo potere alla corona di Francia »,
dit l'ambassadeur vénitien.
4. Lecture douteuse. {Notre voyage, celui de Paul et Roland
Fréart.)
5. Cette lettre est tout entière de la main de M. de Noyers. Les
précédentes, sauf la signature, sont de la main d'un secrétaire.
6. Sans doute de la main du fils de M. de Noyers. Voir note i,
p. 26.
7. Chaulnes (auj. dans la Somme), duché-pairie instituée en
A-
A
36 CORRESPONDANCE [164O
m'a apporté dautant plus de joie que je l'avois impa-
tiemment attendue./
Elle me cause des mouvements différents selon les
heureux succès ou les offendicules que vous trouués
en vostre chemin, la mortiffication du changement de
M"^ du Quesnoy m'a esté sensible comme un' amer-
tume mortelle et j'advoue que c'est une mauldite
nation que l'Espagnole qui porte sa rage contre la
vertu mesme et ne peult souffrir que la mesprisant
elle soit receullie des aultres. En vérité c'est une
gente infâme et qui mériteroit d'estre reléguée dans
un angle du Cabo de Finisterras séparée du com-
merce de tout le reste des humains. Ce que je crai-
gnois est arrivé en vérité et ce que j'aimois le plus
m'est eschapé des mains lorsque je croiois le mieux
estreindre. Il fault que ce soit dieu qui accoit^ ces
flots car il ny a point de respect humain qui y ante-
mestre la main 2./
Ce pourroit il faire que vous emportassiés Mons^
de Cortone^. Mais je n'espère plus rien après cette
perte ^.
Il me semble que nous serons tousiours malheu-
reux et que vous reviendrés les mains vuides ou
1621 pour le frère de Luynes (Honoré d'Albert d'Ailly, seigneur
de Cadenet, duc et maréchal de Ghaulnes) qui assiégeait
Arras.
1. « Accoiser, vieux mot qui signifiait adoucir, apaiser »
{Dictionnaire de Furetière).
2. Lecture douteuse.
3. Pietro Berettini, dit Da Cortona (i" nov. iBgG-iG mai
1669); peintre célèbre pour sa facilité comme décorateur de
palais, qualité que Poussin devait juger assez sévèrement. Il
décora, notamment, les voûtes de l'immense salle du palais
Barberini.
4. Lecture très douteuse : le mot est surchargé d'encre;
c'est perte, peine ou pièce.
1640] DE NICOLAS POUSSIN. Sy
pleines de vent comme ceus qui aiant esté riches en
resuant se trouvent misérables de pauureté à leur
reueil. J'avois desia faict l'appartement et l'emmeu-
blem^ de Mr. du Quesnoy et je le considerois desia
dans les miracles de ses mains l'aimant et l'admirant
esgalement, de sorte que je me sents comme tombé
en veufuage, priué avant la possession, Cependant
po"" ne pas désespérer de ntre bone fortune faites
vostre possible pour ce brave Cortone et poi" Mons"" le
Poussin, et comme je voi que vostre sesiour à Rome
donc lieu à nos ennemys de faire des contremines à
tout ce que vous entreprenés je suis d'aduis que vous
résoluiés ce que vous pourrés soit po"" l'un soit po""
l'aultre et que vous laissiés des ordres secrets con-
certés avec ceus qui auront assés de ceur pour venir
en France po"" les faire partir quand et comment vous
le résouldrés avec eux si vous pouviés leur faire
prendre de l'argent po"" les obliger à venir et ni plus
manquer comme les aultres j'estime que la voie ni
seroit pas mauuaise car aultrement tout nous escha-
pera des mains./ Voicy la saison du retour de vos
quartiers car passé Octob. il faict assés fascheux et
par rue et par Tibre. Reuenés donc au nom de Dieu
et reuenés en la bonne santé que vous souhaite le
meilleur de vos amys
De Noyers
Monsr de la Tuillerie' m'a parlé d'un M"^ Pribre^
1. Gaspard Coignet de la Tuilerie, l'un des ambassadeurs de
France sous Richelieu (notamment à Venise et en Hollande).
« C'est un homme d'une grande vertu et dans une haute
estime... ». Bourdelot à C. del Pozzo, 10 oct. lôSy (cité dans
Lumbroso, Noti:{ie sulla vita di Cass. del Po^:(o, p. 226). Son
cabinet de livres, médailles et bronzes était réputé. — Voir :
Archives de l'Art français^ t. V, p. 84.
2. « Je ne sais quel est l'artiste recommandé par M. de la
38 CORRESPONDANCE [164O
de Boulogne allieuo d'un grand peintre qui vist
encores M"^ Pribre est françois et l'on le dict appro-
chant de la perfection de son maistre. Il croit que
nous le pourrions avoir. Il me semble quil y a du
Rhin au nom de ce bon maistre./
Noubliés pas de me faire venir les Conciles géné-
raux il follio/ en blanc car je les ferai relier pardeça
demandés aussi a quelqu' habile Père jésuite s'il y a
quelques excellents liures à Rome qui soient rares
par deçà et en ce cas acheptés les moy, noubliés pas
un Baronius. Car je n'en ay point.
Il sera sans d« relié./
De Noyers.
M. de Chantelou (Rome).
20. — Mazarin a Chantelou.
(Ms. 12347, fol. 3i.)
A Thurin ce 4 décembre 1640.
Monsieur, Cette dépesche m'auoit esté fort particu-
lièrement recommandée par Monsieur de Noyers et
je mestois seruy pour cet efîect de l'occasion d'un
Courier extraordinaire affin qu'elle vous fust rendue
auec seureté et auec plus de diligence, mais n'ayant
peu ariuer assez a temps a rome mon secrétaire me la
renuoye et m'escript qu'il vous a consigné auant
votre départ quelques bagatelles pour moy lesquelles
je vous prie de remettre à M"" Burlamachy à Lion et
en cas que vous soyez plus aduancez de les vouloir
Thuillerie. Son indication me paraît se rapporter à aucun des
Boulongne, ni au Bolognèse qui est Italien, ni aux artistes fran-
y çais alors en Italie, Perrier, Blanchet, Pierre Mignard, Pierre
Puget, élève du Cortone, Claude le Lorrain, etc. » (H. Char-
don, p. 41).
1640] DE NICOLAS POUSSIN. Sç
donner au s^ Charles qui fait mes atfaires à Paris. Je
prendray par aduance cette occasion pour vous remer-
cier du soing que vous en avés voulu prendre, en
attendant que moy mesme je le puisse faire comme je
lespère dans quelque temps et vous asseure que
je suis
Monsieur
Vostre très affectionné
serviteur Masarini
A Turin ^ ce 4 Xbre
1640.
M. de Chanteloue.
Je vous supplie dans le récit que vous fairés de ce
que vous aués remarqué à Rome a Monsieur de
Noyers de ne pas oublier de luy faire mes excuses si
le désir et la passion que iay pour que vous fussiez
bien seruy de delà n'a pas esté au point que ie Teusse
souhaité et avec cette occasion je m'asseure que vous
l'asseurerés de mon trèshumble seruice.
Vous trouuerés bon que je vous prie aussy de faire
mes baizemains à M^ Pouzin et luy dire que iay impa-
tience destre à la Court po"" lembrasser et me reiouir
de la bonne résolution quil a prise'.
1. Mazarin, ambassadeur extraordinaire en Piémont, venait
de faire signer l'avant-veille (2 déc. 1640) le traité de réconci-
liation entre la régente de Savoie et ses beaux-frères, révoltés
à l'instigation de l'Espagne. Cette pacification mettait le comble
à sa faveur auprès de Richelieu et du roi, et le chapeau de
cardinal lui fut conféré un an après, le 16 décembre 1641.
2. « L'inventaire de la galerie du cardinal Mazarin, dressé
après sa mort, contient la mention de trois tableaux du Pous-
sin : Quatre enfants nus et deux chiens, Apollon et une Muse,
Endymion et le char du soleil » (de Cosnac, Les richesses du
palais Mai^arin). C'était relativement très peu pour une gale-
rie aussi riche.
40 correspondance [164i
21. — Poussin a Carl. Ant. del Pozzo.
(Bellori, i" éd-, 1672, p. 424I.)
Al Sîg. Commen. Carlo Antonio del Po\\Oy Roma.
Confidandomi nell' ordinaria humanita, che V. S.
Illustrissima hà vsato sempre verso di me, hô cre-
duto essere douere raccontarle il buon successo del
mio viaggio, lo stato, e'I luogo, doue mi trouo, affin-
chè vn mio padrone, come lei, sappia doue coman-
darmi. Hô con sanità fatto il viaggio di Roma a Fon-
tanableô, oue fui raccolto honoratissimamente nel
palazzo da vn gentilhuomo perciô ordinato dal Si-
gnore di Noyers, e trattato lo spatio di tre giorni
splendidamente. Poi in vna carrozza dal detto Signore
fui condotto a Parigi, doue subito arriuato feci rin-
contro al detto Signore di Noyers, il quale humana-
mente mi abbracciô, testificando l'allegrezza del mio
arriuo. La sera fui condotto per ordine suo, nel
luogo, ch' egli haueua determinato, per la mia
dimora : egli è vn palazzetto, che bisogna dir cosi,
in mezzo del giardino délie Tuilleries, contiene noue
stanze in tre piani, senza gli appartamenti da basso
separati, cioè vna cucina, luogo del Guardiano, vna
stalla, vn luogo da rinchiudere il verno i gelsomini,
con trè altri luoghi comodi per moite cose necessa-
rie. V'è di più vn bello, e gran giardino pieno di
alberi à frutto, e diuersissimi fiori, ed herbe, con tre
fontanelle, ed vn pozzo, oltre vn bel cortile, doue
sono altri alberi fruttiferi, hô le vedute, che scuo-
prono da tutte le parti, e credo l'estate sia vn para-
I. Publiée aussi dans Bottari, t. II, p. 387.
1641] DE NICOLAS POUSSIN. 4I
diso. Entrando in questo luogo, trouai tutto il piano
di mezzo accommodato, e mobilato nobilmente, con
tutte le prouisioni di cose necessarie sino al legno,
ed vna botte di buon vino vecchio di due anni; e lo
spatio di tre giorni fui ben trattato aile spese del Re
con li miei amici. Il di seguente fui condotto dal
detto Signor Noyers ail' Eminentissimo, il quale con
vna benignità straordinaria, mi abbracciô, e piglian-
domi per la mano mostrô di hauer gran gusto di
vedermi. Di là à tre giorni fui menato à S. Germano;
affinchè il Signore di Noyers mi appresentasse al Rè,
ma trouandosi indisposto, la mattina seguente fui
introdotto dal Signore le Grand fauorito del Rè, che
come benigno Principe ed humanissimo, si degnô di
accarezzarmi, e stette vna mezz' hora à domandarmi
di moite cose, e voltandosi verso li suoi Cortegiani,
disse Voila Vouet bien atrapé. Dope egli stesso mi
ordino di fare li quadri grandi délie sue Cappelle di
Fontanableo, e San Germano. Tornato che fui à casa
mia, mi furono portati in vna bella borza di velluto
torchino due mila scudi in oro délia stampa nuoua,
mille scudi per le mie gages, e mille per il viaggio,
oltre tutte le spese. E vero che li quatrini sono in
questo paese molto necessarij, perche ogni cosa vi è
caro straordinariamente. Adesso fo li pensieri di
moite opère, che s'hanno da fare, e credo che si met-
terà mano à qualche opéra di tapezzaria : délie prime
che io metterô in luce, ardirô di mandargliene qualche
cosa, non altrimente che per tributo délia mia ser-
vitù, che le deuo, e subito che le balle nostre saranno
arriuate, spero bene compartire il tempo in maniera,
che vna parte l'impiegherô al seruigio del Signor
Caualiere suo fratello. Si sono mandate le copie in
42 CORRESPONDANCE [164I
Piemonte di quelle liste de' libri di Pirro Ligorio.
lo le raccomando li miei pochi interessi, e la mia
casa, mentr' ella si è voluta degnare di curarsene
nella mia assenza, la quale non sarà lunga, se io
posso. La supplico, che essendo nata per fauorirmi,
ella voglia riceuere queste mie molestie con quella
generosità, che è sua propria, contentandosi che io
le corrisponda con l'affetto délia mia diuotione. Il
Signore le doni lunga, e felice vita, mentre à lei mi
dedico humilmente.
Parigi li 6, Gennaro 1641.
Niccolô PussiNO.
Au Seig^ Commandeur Carlo Antonio^ del Po\\o^
à Rome.
Me confiant à l'ordinaire humanité dontV. S. 111™^
a toujours usé envers moi, j'ai cru qu'il était de mon
devoir de lui raconter le bon succès de mon voyage,
l'état et le lieu où je me trouve, afin que mon patron,
comme vous l'êtes, sache oii me donner ses ordres.
J'ai fait en bonne santé le voyage de Rome à Fontai-
^ nebleau, où je fus accueilli très honorablement au
palais par un gentilhomme, commis à cet effet par
M. de Noyers^, et traité l'espace de trois jours splen-
didement. Puis, en un carrosse du dit Seigneur, je
1. Ce Carlo Antonio, né le 28 novembre 1606, est le frère de
Cassiano del Pozzo, l'illustre protecteur de Poussin. Bottari
fait de lui un archevêque de Pise, erreur reproduite par Jay
et par Quatremère de Quincy. « Le chevalier del Pozzo était
fils d'Antonio Cassiano. Celui-ci était fils d'un premier prési-
dent du Piémont et cousin de l'archevêque Carlo Antonio »
(Ughelli, Italia Sacra, t. III, p. 591).
2. M. de Noyers avait, dans ses attributions, la garde du
château de Fontainebleau (voir Bulletin de la Soc. de l'Hist.
de Paris, t. XII, p. 358).
1641] DE NICOLAS POUSSIN. 48
fus conduit à Paris, où aussitôt arrivé* je fis visite
audit M. de Noyers, lequel m'embrassa cordiale-
ment, attestant sa joie de mon arrivée. Le soir je fus
conduit par son ordre au lieu qu'il avait déterminé
pour ma demeure. C'est un petit palais, car il faut
l'appeler ainsi, au milieu du jardin des Tuilleries^.
Il contient neuf chambres en trois étages, sans les
appartements du bas qui sont séparés, à savoir une
cuisine, un endroit pour le gardien, une écurie, un
endroit pour renfermer l'hiver les jasmins, et trois
autres endroits commodes pour nombre de choses
nécessaires. Il y a de plus un beau et grand jardin
plein d'arbres à fruits, de fleurs et de légumes les
plus variés, avec trois petites fontaines et un puits,
outre une belle cour, où sont d'autres arbres fruitiers.
J'ai des vues découvertes de tous les côtés, et je crois
que l'été c'est un Paradis. En entrant dans ce lieu je
trouvai tout l'étage du milieu préparé et meublé
noblement, avec toutes les provisions des choses
nécessaires jusqu'au bois à brûler et une pièce de
bon vin vieux de deux ans; et l'espace de trois jours
j'ai été bien traité, aux frais du Roi, avec mes amis'.
Le jour suivant, je fus conduit par le dit M. de
1. L'arrivée de Poussin eut les honneurs de la Galette de
Renaudot (p. 848) : « De Paris, le 22 décembre 1640. Le 17 du
courant arriva en cette ville le sieur le Poussin, excellent
peintre que le Roy a fait venir de Rome, et fut receu par le
sieur de Noyers Secrétaire d'Estat et Surintendant des basti-
mens de Sa Majesté, et ensuite par son Eminence, avec des
caresses proportionnées à la grandeur du mérite et de la répu-
tation qu'il s'est acquis en son art. »
2. Sur la maison des Tuileries, voir les recherches de Ph.
de Chennevières, La peinture française, p. i53. C'est le pavil-
lon de la Cloche, ainsi nommé de la forme du toit.
3. Les artistes secondaires que Poussin amène avec lui et
qu'il appellera souvent la brigade.
44 CORRESPONDANCE [164I
Noyers à l'Eminentissime, qui, avec une bienveil-
lance extraordinaire, m'embrassa, et me prenant par
la main, témoigna d'avoir grand plaisir à me voir,
A trois jours de là je fus mené à Saint-Germain, pour
être présenté au Roi par M"" de Noyers, mais comme il
se trouva indisposé, le matin suivant, je fus introduit
par M. le Grand', favori du Roi, qui en Prince bon et
très affable, daigna me caresser^, et resta une demi-
heure à me demander beaucoup de choses; et se
> tournant vers ses courtisans, il dit : « Voilà Vouet^
bien attrapé ». Ensuite lui-même m'ordonna de faire
les grands tableaux de ses chapelles de Fontainebleau
et de Saint-Germain. Retourné en ma maison, on me
porta, en une belle bourse de velours turquin, deux
mille écus d'or^ à la frappe nouvelle'^, mille écus
pour mes gages et mille pour le voyage, en plus de
1. Cinq-Mars avait prêté serment, comme grand écuyer, le
i5 novembre lôSg. M. de Noyers paraît avoir été assez lié avec
lui, et Cinq-Mars demanda quelquefois son intervention dans
ses « brouilleries » avec le roi (voir Avenel, Le dernier épi-
sode de la vie de Richelieu, p. 29). — Cinq-Mars était alors
dans une de ses « brouilleries » avec Louis XIII, qui, le 5 jan-
vier 1641, se plaignait de lui à Richelieu. Ils ne se réconci-
lièrent que le i3.
2. Cette bonté persistera. D'après le Dictionnaire des beaux-
arts, de Lacombe (éd. de 1759, p. 699) : « Un jour que cet
artiste [Poussin] venait à Fontainebleau, Sa Majesté envoya
ses carrosses au devant, et lui fit l'honneur d'aller jusqu'à la
porte de sa chambre pour le recevoir. »
3. Simon Vouet (1590-1649) fut, en effet, déchu, à partir de
, cette date, d'une faveur éclatante dont il jouissait depuis 1627,
quand le roi le rappela d'Italie, après un séjour de quinze ans.
Il va prendre d'ailleurs sa revanche dans les cabales qui vont
bientôt se dresser contre Poussin.
4. L'écu d'argent de 60 sols (voir Caillet, L'administration
sous Richelieu, p. 524).
5. La frappe de ï638, faite par Varin, sous la direction de
M. de Noyers, était en effet fort belle (voir Bonnaffé, p. 74).
1641] DE NICOLAS POUSSIN. ^5
toutes mes dépenses. Il est vrai que les quatrains^ sont
en ce pays bien nécessaires, parce que toute chose y
est chère extraordinairement. A cette heure, je fais
les croquis de beaucoup d'ouvrages qu'il me faut
faire, et je crois qu'il faudra mettre la main à quelque
œuvre de tapisserie^. Des premiers travaux que je
mettrai au jour, je m'efforcerai de vous envoyer
quelque chose, simplement comme tribut de l'obéis-
sance que je vous dois, et aussitôt que nos bagages
seront arrivés, j'espère bien partager le temps de
manière que j'en emploie une partie au service de
M. le Chevalier votre frère. Les copies de ces listes de
livres de Pirro Ligorio^ ont été envoyées en Piémont.
Je recommande à V. S. mes petits intérêts et ma mai-
son, puisqu'elle a bien voulu daigner en prendre
soin en mon absence, laquelle ne sera pas longue, si
je puis. Je supplie V. S., qui semble née pour me
>
1. « Quatrain, se dit aussi d'une ancienne monnaie qui
valait un liard. On dit encore, à l'imitation des Italiens, je
n'ai pas un quatrain, pour dire je n'ai point d'argent. » Dict.
de Furetière.
2. II s'agissait d'égaler les fameux Ara:(p du Vatican :
« Huit histoires du Vieux Testament pour autant de tapisse- v,
ries des chambres royales, à l'imitation des autres de Raphaël »
(Bellori, trad. Rémond, p. 24).
3. « Pirro (Pyrrhus) Ligorio s'est fait à la fois connaître
comme architecte, comme antiquaire et comme faussaire.
Mommsen a démontré qu'il forgeait de toutes pièces des ins-
criptions qu'il publiait ensuite comme antiques » (note de
M. Eugène Mûntz, p. 594 du t. V de la Corresp. de Peiresc).
« Dans ces livres étaient dessinées toutes les antiquités de
Rome avec leur description; et les dessins étaient des origi-
naux de la main du Ligorio. Aujourd'hui, ils sont dans la
Bibliothèque royale de Turin, et une belle copie des mêmes
livres est dans la bibliothèque Vaticane » (note de Bottari).
M. de Chennevières suppose que cette copie est sans doute
celle faite à Turin, en 1641, pour les del Pozzo, par l'entre-
mise de Poussin.
46 CORRESPONDANCE [1641
favoriser, qu'elle veuille souffrir mes importunités
avec cette générosité qui lui est propre, trouvant bon
que j'y réponde par l'affection de mon dévouement.
Que le Seigneur lui donne une longue et heureuse
vie à laquelle je me consacre humblement.
Paris, le 6 janvier 1641.
Nicolas Poussin.
22. — Poussin a Cass. del Pozzo^
Al Ill^° et iR""> Sig^'^ e Prôn mio
Oss^° Il Sig^ Caualier del Poi\o
a i Chiavari
In Roma.
La molta riuerenza che porto a VS : l\V^^ e Reuer»»
richiede, che notifichi il nostro saluo arriuo in Parigi,
e come doppo essere stati riceuuti dal Sig: de Noyers
molto amorevolmente, il di seguente mi appresentô
al Cardinal di Richelieu il quai mi fece carezze
straordinarie e pochi giorni doppo fui menato nella
villa del detto Sig^^ a fine che il di seguente egli
m'introducesse dal Re ma l'altra mattina rètrouan-
dosi indisfosto ordinô al Sig. de Chantelou di con-
durmi a S. Germano doue essendo arriuati fui di là
a poco tempo condotto dal Re per il Sigr»^ le Grand
I. Nous donnons le texte que M. Lafenestre a copié sur l'ori-
ginal pour M. de Chennevières en 1879. Cette lettre, publiée
par Bottari (t. I, p. 274), est le n" 1629 de la vente Fillon.
M. Victor Advielle la signale en quelques lignes, p. 127,
comme vendue 2o5 francs, mais sa notice renferme deux
erreurs : M. de Nogent, au lieu de M. de Noyers, et le i" jan-
vier au lieu du 7. Nous reconnaissons cependant que nous ne
donnons la date du 7 que d'après Bottari, car la copie Lafe-
nestre, comme on peut le constater, ne présente pas de quan-
tième.
1641] DE NICOLAS POUSSIN. 47
suo fauorito. La modestia mi prohibisce di dire in
che maniera fui riceuuto da sua Maestà finalmente
tornassimo à Ruel doue essendo un lungo spatio di
tempo in caméra del d» Sig"" de Noyers egli m'intra-
tenne di moite cose è particolarmente di Roma délie
persone le più notabile ricordandosi del nome di VS.
Ill'"a e R«>a ne lodo sommamente la virtù è mostro
apertamente di hauere à gloria particolare di scruirla
a ogni occasione perô sarebbe buono di hauer noti-
tia dalle cose sue di Piemonte à fine che quanto
prima vi si ponesse quel ordine neccessario alla lor
conseruatione. Il Sig"^ de Chantelou hauendogli rac-
contato le cortesie délie quali lei us6 verso di lui e
del fratello haueuano disposto l'animo del d*» Sig*"^
nô solamente a questo puoco che lei desidera ma io
credo che VS. 111™^ e R'"'» riceuerà altri segni délia
sua affett"'^ si è mandato una copia délia lista dei
libri di Pirro Ligorio aTorino se n'aspetta la risposta.
Noi aspettamo le nostre Balle è subito arriuate non
mancherô di metter mano al quadretto del suo Bat-
tesimo non hauendo al mondo maggior gusto come
d'hauere l'occasione di rendergli qualche deuoto ser-
vitio pregando humil'e d'hauer sempre nella sua
prottetione li miei interessi e di credere che mentre
saro conservato nella sua affett»^ io mi stimaro feli-
cissimo et obligato eternamente a pregare il Sig*^
Iddio per Augumento délia sua félicita mentre le
baggio humilissimamente le mani.
DI VS. Ill«a e Reu«n«
humiliss»"» Ser^e
Nicolo PoussiNo.
di Parigi il di
Gennaio 1641.
48 CORRESPONDANCE [164I
^ no mi seruiro di questa lettera di cambio di 3oo
scudi ne farô auuisato il Sig"" Lomago'^.
A l'Ill""^ et Rev^"" Seig\ mon Maître très honoré,
le Seig^ Chevalier del Po:{:{o, aux Chiava?n à Rome.
Le grand respect que je porte à V. S. IIH^ et
Rever"»^ exige que je vous fasse savoir notre heu-
reuse arrivée à Paris, et comment après avoir été
reçus par le Seigf de Noyers très affectueusement, le
jour suivant il me présenta au Cardinal de Richelieu,
lequel me fit des caresses extraordinaires; et peu de
jours après, je fus mené au château du dit Seig»", afin
qu'il me présentât le jour suivant au Roi, mais, cet
autre matin, se trouvant indisposé, il ordonna à
M. de Chantelou de me conduire à Saint-Germain,
où étant arrivé, je fus presque aussitôt conduit au
Roi par Monsieur le Grand, son favori. La modestie
me défend de dire de quelle manière je fus reçu par
Sa Majesté. Finalement nous retournâmes à Ruel,
où étant restés un long espace de temps dans la
chambre du dit Seig^ de Noyers, il m'entretînt de
beaucoup de choses, et particulièrement de Rome,
et de ses personnages les plus considérables. Se rap-
pelant le nom de V. S, HW^ et R™", il loua souverai-
nement votre mérite et montra ouvertement qu'il
tiendrait à gloire particulière de vous servir en toute
occasion. C'est pourquoi il serait bon d'avoir une
note de vos affaires de Piémont, afin d'y mettre aus-
sitôt l'ordre nécessaire à leur conservation. Le seig^
1. Au bas de la page.
2. La copie Lafenestre, la seule où figure ce post-scriptum,
donne Somago. Il semble cependant qu'il ne puisse s'agir que
du banquier Lumagne (voir p. 32, note i).
1641] DE NICOLAS POUSSIN. 49
de Chantelou, lui ayant raconté les politesses dont
vous aviez usé envers lui et son frère*, avait disposé
l'esprit du dit Seig"", non seulement à ce peu que vous
désirez, mais je crois que V. S. Ill""* et R""* recevra
d'autres marques de son affection. On a envoyé à
Turin une copie de la liste des livres de Pirro Ligo-
rio, et on en attend la réponse.
Nous attendons nos bagages, dès leur arrivée, je
ne manquerai pas de mettre la main au petit tableau
de votre Baptême, n'ayant au monde de plus grand
plaisir que d'avoir l'occasion de vous rendre quelque
fidèle service, vous priant humblement d'avoir tou-
jours mes intérêts sous votre protection, et de croire
que tant que vous me conserverez votre affection, je
m'estimerai très heureux et éternellement tenu de
prier le Seigr Dieu pour l'accroissement de votre
bonheur, cependant que je vous baise très humble-
ment les mains.
De V. S. Ill°" et R«»«
le très humble Ser"^
Nicolas Poussin.
de Paris le 7 janvier 1641.
Je ne me servirai pas de cette lettre de change de
3oo écus et je n'en aviserai pas le Seig"" Lomago.
I. « Je veux encore adjouter icy et tesmoigner au public,
pour mon frère de Chantelou et pour moy, les obligations par-
ticulières que nous avons à la courtoisie de M. le cavalier del
Pozzo, l'esprit le mieux fait, le cœur le plus noble, et en vérité
le plus galant homme que nous ayons abordé dans l'Italie, le
quel, parmy un grand nombre de régals dont il nous combla
à Rome au voyage que nous y fîmes en l'année 1640, nous fit
présent de ce rare manuscrit avec les desseins du Poussin »
(Roland Fréart de Chambray, Préface du Traité de la peinture
de Léonard de Vinci, i65i).
1911 4
5o CORRESPONDANCE [164I
23. — Poussin a Cass. del Pozzo.
(Paris, Bibl. nat., ms. n. a. fr. 20809, ^^^' 22'.)
Air ///«o et i?ev«»o Sig'^^ et Pron
mio Oss^° Il Sig^ Cavalier
del Poi\o
In Roma.
Illf° e Revpf Sig"" mio
Jo so l'huomo del mondo il più confuso quando
considère che tutte le lettere che io inuio a VS: Ill'y^
non sono piene se non ô di demande ô di rendimenti
di gratie ricevute, non dimeno mentre lei mi hà
honorato délia sua benevolenza sino adesso di nuouo
me gli racommando ringratiandola infinitamente di
quelle gratie che hà usato verso di mia casa confes-
sando che in questo mondo non hô altro Padrone di
lei è l'assicuro che mi dolgo délia mia poca habiltà à
servirla
D.I.V.S: IllT?et RTf
Devotiss«° Serrp
Nicolô PoussiNO.
Di Parigi il di Primo
marto 1641.
I. L'original de ce billet a été publié par Ph. de Chenne-
vières dans les Archives de l'Art français, t. V, m, Documents,
p, I et 2. « C'est M. Ant.-Aug. Renouard qui a bien voulu
nous autoriser à le publier. Cette précieuse feuille lui fut rap-
portée de Rome vers 1824 ou 1825 par M. Jules Renouard, son
fils. L'autographe irrécusable du Poussin était destiné à ser-
vir de point de comparaison de l'écriture authentique du
maître avec celle d'un bien curieux manuscrit du Traité de la
\^ Peinture de Léonard, manuscrit possédé par M. Renouard le
père. » Depuis ces lignes de Ph. de Chennevières, l'acquisi-
tion par la Bibliothèque nationale du ms. 12847 (^^^7) ^^ P^*""
met plus une affirmation aussi catégorique. En contraste avec
l'écriture vraiment irrécusable du ms. 12347, ^^ billet du
1641] DE NICOLAS POUSSIN. 5l
A mon III^^ et Rev"^^ Seig^^ mon Patron
très honoré^ le Seig^ Cavalier del Po\:{o, à Rome.
Mon IlHe et Rev"* Seig"",
Je suis l'homme du monde le plus confus quand je
considère que toutes les lettres que j'envoie à V. S.
Ill'"e ne sont pleines que de demandes ou de remer-
ciements pour des grâces reçues. Néanmoins, tandis
que vous m'avez honoré de votre bienveillance jus-
qu'à présent, de nouveau je me recommande à vous,
en vous remerciant infiniment de ces grâces dont
vous avez usé à l'égard de ma maison, en confessant
que en ce monde je n'ai pas d'autre Patron que vous
et je vous assure que je me lamente de mon peu d'ha-
bileté à vous servir
De V. S. ni"»*' et R"»
le très dévoué Ser»",
Nicolas Poussin.
de Paris le premier mars 1641.
24. — Noyers a Chantelou.
(Ms. 12347, fol. 32 '.)
[Monseigneur ig^ mars 1641.]
De Ruel ce 19* Mars 1641.
Si Mons' le Poussin est bien aise que touttes ces
raretés soient arriuées à bon port je vous prie de luy
dire que certainem' je le suis plus que luy car sa satis-
faction m'est plus chère que la miene propre.
Continuez à faire tout desbaler et ranger car il ne
1" mars 1641 présente des boucles, des parafes et une aisance
presque élégante qui dénotent une main différente de celle de
Poussin.
I. Lettre tout entière de la main de M. de Noyers.
52 CORRESPONDANCE [1641
fault pas négliger à la françoise les derniers pas qui
CGuronent l'ouurage.
J'ay signé le billet que vous m'aués enuoié po^
Monf Du Quesnoy flamend et po"" M"" Blondeau.
Ne précipités pas vostre retour parce que j'aime
mieux estre priué d'un bien qui se peult recouurer
que de ce qui ne reuient plus.
De Noyers.
25. — Brevet de Louis XIII a Poussin.
(Bellori, éd. de 1672, p. 426.)
Aviourd'huy vingtiesme Mars 1641. Le Roy estant
à Sainct Germain en Laye voulant tesmoigner l'es-
time particulière que Sa Maiestè faict de la persone
du Sieur Poussin, qu'elle a fait venir d'Italie sur la
cognoissance particulière qu'elle a du haut degré
d'excellence auquel il est paruenu dans l'art de la
peinture, non seulement par les longues estudes qu'il
a faictes de toutes les sciences nécessaires à la per-
fection d'iceluy, mais aussi à cause des dispositions
naturelles, et des talents que Dieu lui a donné pour
les arts. Sa Maiestè l'a choisy et retenu pour son
premier Peintre ordinaire, et en cette qualité luy a
donné la direction générale de tous les ouurages de
peinture et d'ornemens qu'elle fera cy après faire
pour l'embellissement de ses Maisons Royalles, vou-
lant que tous ses autres peintres ne puissent faire
aucuns ouurages pour Sa Maiestè sans en auoir fait
veoir les desseins et receu sur iceux les aduis et
conseils dudit Sieur Poussin, et pour luy donner
moyen de s'entretenir à son seruice : Sa Maiestè luy
a accordé la somme de trois milles Hures de gage
par chacun an, qui sera d'oresnauant payée par les
1641] DE NICOLAS POUSSIN. 53
Trésoriers de ses bastimens, chacun en l'année de
son exercice, ainsi que de coustume, et qu'elle luy a
esté payée pour la présente année. Et pour cet effect
sera laditte somme de trois milles liures doresnauant
couchée, et employée soubs le nom dudit Sieur Pous-
sin, dans les Estats des dits offices de ses bastimens,
Côme aussi Sa ditte Maiestè a accordé au Sieur Pous-
sin la maison, lardin qui est dans le milieu de son
lardin de Tuilleries, ou a demeuré cy deuant le feu
Sieur Menou pour y loger et en iouir sa vie durant,
corne a faict ledit Sieur Menou. En tesmoignage de
quoy Sa Maiestè m'a commandé d'expédier audit
Sieur Poussin le présent breuet qu'elle a vouleu
signer de sa main et faict contresigner par moy son
Conseiller et Secrétaire d'estat, et de ses commande-
mens et finances, et Surintendant et ordonnateur
gênerai de ses bastimens.
LOVIS.
SUBLET.
26. — Poussin a M. de Noyers.
(Ms. 12347, fo'- 34O
A Monseigneur de Nqyer^ Conseillier du Roy en ces
Conseils d'estat et priiié Saicraitaire de ses corn-
tnandemens de surintendance de ces maisons
Royales^ à Ruel.
[M. Poussin 10 auril 1641.
Il desdie à M. de Noyers le dessein du frontispice
de Virgile^.]
Monseigneur
Puis qu'il vous a pieu me commander de faire le
I. « Apollon qui couronne de laurier Virgile pour la poésie
héroïque de l'Enéide ; voici un enfant qui tient le titre du livre
$4 CORRESPONDANCE [1641
desaing du front du Hure de Virgille et estans le pre-
mier que j'ay fait pour mettre en lumière je viens
auec simple et deuotieus silence vous le dédier tel
qu'il est, estans assuré que comme quelquefois les
muettes Images apendues à un temple par les hommes
les ^ ne sont pas moins agréables à dieu que les psalmes
éïoquens chantés par les prebtres Ainsi j'espère que
vostre bénignité trouuerra ausi agréables mes tacites
Images comme lui sont les facondes Louanges de qui
les scait faire.
m'inclinant je vous fais
tresprofonde révérence
me confessant vostre
esclaue
Le poussin.
de Paris ^ ce disieme apuril 1641.
27. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fo^' 36.)
A Monsieur de Chantelou^
Commis de monseigneur de Noyer, à Ruel.
[M. Poussin 10^ auril i64i-]
Monsieur Ces jours passés
j'auois délibéré d'aler à ruel pour remersier Monsei-
gneur de la grâce qu'il a fette à moy et à mon cher
ami Salomon Girard, mais ayant commencé à mettre
et les roseaux de la flûte, qui s'entendent pour les églogues
pastorales, et ensemble la faux, symbole de la moisson, celle-ci
pour la Géorgique » (Bellori, trad. Rémond, p. 27).
1. Les, pour lais, opposé à prêtres (interprétation due à
M. André Fontaine).
2. Le coin gauche de la feuille présente, au ms. 12347, une
déchirure : on ne lit plus que les deux dernières lettres du
mot Paris.
1641] DE NICOLAS POUSSIN. 55
au net le dessaing pour le Virgille j'ai mieus aimé le
poursuiure croyans par ce moyen me rendre plus
agréable à mondit Seigneur, et comme cet le premier
que j'ay fet pour mettre en lumière j'ay osé luy
dédier. Je vous supplie luy faire trouuer bon la bonne
inclination que vous aués pour vostre serviteur, m'as-
sure de cette grâce vous assurant (Monsieur) que si
journellement je resois de vous de nouuelles faneurs
et si mon peu de pouuoir ni peut correspondre au
moins ma bonne affection est deuenue si grande
qu'elle ne pourra jamais être surmontée d'aucune
autre.
Le plus humble
de tous vos seruiteurs
Poussin.
De paris ce disième apuril 1641.
28. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fol- 38.)
A Monsieur de Chantelou.
[10^ auril 1641.
Po'^ accompagner le dessein du Virgille.]
Monsieur Comme j'estois prest
de porter les deus présentes lettres en la maison de
messieurs vos frères pour vous la faire tenir avec le
présent dessein j'ay repceu une de vos lettres auec
un breuet du roy lequel m'a raui et confôdu tout
ensemble et demeure muet de me voir aïsi fauorisé
de Monseigneur et de vous
Je vous en demeure
éternellement obligé
* Si l'on ne trouue a propos que
I. Dans le ms., le post-scriptum se trouve inséré dans l'es-
56 CORRESPONDANCE [1641
la teste ^ du poète soit auec
la barbe jen ferai une autre
selon la medaigle antique afin
de contenter ceus qui trouuent a
redire partout
Vostre très humble
seruiteur
Poussin.
29. — Poussin a Cass. del Pozzo.
(Coll. Naylor2.)
Al 111"^° et R^'^ Sigf^ et Prdn
mio oss^° il sig. caualier del Po\\o^ in Roma.
111™° Sigf mio
Son spesso consolato con le sue amorevoliss'ne
lettere. due n'ho ricevute in un sol giorno, quelle
del 25 di Gennaro, e del i3 di Marzo, per l'una e
l'altra conosco quant' è grande l'affetto di V. S. IIH*
verso il suo ser'e e li sui. Mi consolarei davantaggio
s'io potessi altro che con la divozione mostrare i
miei risentimenti. E vero che ho occasione di mos-
trare almeno con la prontezza quanto son desiderozo
di seruirla particolamente nel operetta che Ici mi
lascio da fare del Battessimo di Christo ma la mia
buona uolontà interrotta per l'importunità di quelli
pace très large qui sépare la fin de la lettre de la signature.
Notre format nous oblige à donner aux post-scriptum la place
qu'ils occupent dans les lettres aujourd'hui.
1. Teste surchargeant_^g-Mre, que Poussin avait d'abord écrit,
puis a rayé.
2. L'original appartenait à la collection F. Naylor quand
M. Thibaudeau envoya, en 1879, à M. de Chennevières, la
copie « mot pour mot » dont nous donnons le texte. Bottari
l'avait publiée, t. I, p. 276.
1641] DE NICOLAS POUSSIN. Sj
che mi soprastanno quali non mi lasciano un ora di
tempo libero tuttavia quest' istate credo darci com-
pimento, la fini) di abbozzare totto che fù arrivata
cominciando anco quella del Sig' Gio : Stefano. L'uno
e l'altro se dio piace invierô insieme pigliando l'occa-
sione ch'io troverô più a proposito. Potrebbe essere
che per il mezzo del Nunzio nuovo VS. 111™^ mi por-
gesse qualche indrizzo per sicuramente fargli tenere
é quelle é qualch' altra gentilezza, s'io la potrô fare,
o ricuperare. Mi commandi la prego, in tutte quelle
cose che sei conosce che la posso servire come devo.
raccommandandomi la prego di tutto il mio affetto
di continuare la tutella che sei ha preso délia mia
casa e bagiandogli le mani gli faccio humiliss'na
riuerenza
DI VS Ill'na R«a
Hummo Serre
Nicole PoussiNO.
Di Parigi il 18 Aprile 1641.
Au Seig^ III^^ et i, mon Patron très honoré^
le Seig^ Cavalier del Po^^o, à Rome.
Mon IlHe Seigf
Je suis souvent consolé par vos lettres pleines d'af-
fection : j'en ai reçu deux en un seul jour, celle du
25 janvier et celle du i3 mars. Je reconnais, par l'une
et l'autre, combien est grande l'affection de V. S.
111™^ pour son Ser"" et les siens. Je me consolerais
davantage si je pouvais lui montrer mes sentiments
autrement que par mon dévouement. Il est vrai que
j'ai l'occasion de lui montrer au moins par ma
promptitude combien je suis désireux de la servir,
particulièrement dans le petit ouvrage qu'elle m'a
58 CORRESPONDANCE [164I
laissé à faire, du Baptême du Christ; mais ma
bonne volonté est interrompue par l'importunité
de mes supérieurs, lesquels ne me laissent pas
une heure de temps libre : toutefois cet été je crois
bien le mener à fin. J'ai fini de l'ébaucher dès
que j'ai été arrivé, et j'ai commencé aussi celui du
Seigr Giov. Stefano^ S'il plaît à Dieu, j'enverrai l'un
et l'autre ensemble, saisissant l'occasion que je trou-
verai la plus à propos. Il se pourrait que par le
moyen du nouveau Nonce^, V. S. Ill'"'' me donnât
quelque adresse pour les lui faire tenir sûrement, et
les tableaux, et toute autre fantaisie, si je peux la lui
faire ou la lui procurer. Qu'elle me commande, je
l'en prie, pour toutes les choses où elle sait que je la
peux servir comme je le dois. Je la prie de tout mon
cœur de continuer la tutelle qu'elle a prise de ma
maison, et, lui baisant les mains, je lui fais la plus
humble révérence,
De V. S. Ill-ne et R««
le très humble serviteur
Nicolas Poussin.
De Paris le i8 Avril 1641.
1. Giovanni-Stefano Roccatagliata. Gabriel Naudé écrit à
Cass. del Pozzo, le 18 avril 1642, qu'il a fait à Poussin « une
relation particulière sur ce que l'Ill. Seig' Carlo Antonio [del
Pozzo] et le seigneur Stefano promettaient de faire, pour que
ses intérêts fussent bien gouvernés » (texte italien dans Lum-
broso, Notifie sulla vita di Cass. del Po:^jo). Roccatagliata fut
l'exécuteur testamentaire de Carlo Antonio. Il mourut en i652
{Ibid., p. 148).
2. Il s'agit du Génois Girolamo Grimaldi, qui sera fait car-
dinal en 1643, à la recommandation de Louis XIII. Richelieu
écrit au cardinal Bichi, le 25 octobre 1640 : « Aussitôt que le
nonce Grimaldi sera arrivé... »
1641] de nicolas poussin. 5g
30. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fol. 39.)
A Monsieur de Chantelou^
commis de Monseigneur de Noyier, à Ruel.
[M. Poussin i3^ auril 1641 *•
Il remercie d'un muid de vin.]
Monsieur et patron
Mardi dernier après auoir eu l'onneur de vous
acompagner à Meudon et auoir esté joieusement, à
mon retour je trouuoi que l'on desendoit en ma caue
un mui de vin que vous m'auiés mandé. Comme
c'est vostre coustume de faire regorger ma maison
de biens et de faueurs. Mercredi j'eus une de vos
gracieuses lettres par laquelle je vis que particulière-
ment vous désiriés scauoirce qu'il me sembloit dudit
vin. Je l'ay esséié avec mes amis aimans le piot, nous
l'auons tous trouué trèsbon, et m'assure, quand il
sera rassis, que l'on le trouuera ecceient. Du reste
nous vous seruirons, car nous en boirons à vostre
santé, quand nous aurons soif, sans i'espargner; car
ausi bien je vois que le prouerbe est véritable qui
dit : qui chapons mange, chapon luy vient. Mesme-
ment hier Monsieur de CostSse m'enuoya un pasté \-
de cerf si grand que l'on voit bien que le pâtisier
n'en a retenu sinon les cornes. Je vous assure (Mon-
I. La date de cette lettre est douteuse. Poussin a écrit très
lisiblement ; ce tantiesme dauril. Aussi la copie de l'Institut
porte-t-elle : ce trantieme avril. Mais, en tête du sommaire,
Chantelou a écrit une date qui peut se lire i3 avril ou peut-
être même / 7 avril. En avril 1641, les mardis étaient les 5,
12, 19 et 26.
60 CORRESPONDANCE [164I
sieur) que deshormais je ne manqueray pas, à com-
mencer par le dimanche, à me resiouir comme je fis
le dimanche passé, affin que la sepmaine ensuivâte
soit comme l'on dit que toutte l'année est au pais de
Cocagne. Je vous suis le plus obligé homme du
monde comme ausi je vous suis le plus deuotieus
seruiteur de tous vos seruiteurs
Poussin.
De vostre maison du Jardin
des Tuilleries ce tantiesme d'auril 1641.
31. — Poussin a Chantelou.
(Copie de l'Institut, i5" lettre 1.)
de Paris ce dixième May 1641
Monsieur Le sieur Adam^
étant fort désireux de s'employer au service de sa
Majesté et de Monseigneur de Noyers m'a prié de
vous supplier de vous souvenir de lui et de son loge-
ment devant que vous vous parties d'ici pour que
mon dit Seigneur vous en a chargé. Il c'est délibéré
de vous aller saluer à Ruel d'autant que hier il ne
peut avoir l'honneur d'en traiter avec vous il vous
dira de bouche plusieurs choses touchant la menui-
serie qu'il aura à faire, je vous supplie très humble-
ment de l'entendre et de donner ordre tel que l'on
puisse commencer et continuer à travailler à la ditte
menuiserie de la Galerie ce que nous en fesons lui et
moi n'est que pour vous faire souvenir de ce que vous
souhaiteriés ainsi comme nous croyons
Votre plus humble serviteur
Signé : Poussin.
1. Original perdu entre la confection de la copie de l'Insti-
tut (1754 ou 1755) et l'achat par l'Etat du ms. 12347 ('^^7)-
2. Sur Adam, cf. lettre du 21 septembre 1642.
1641] de nicolas poussin. 61
32. — Poussin a Ghantelou.
(Copie de l'Institut, i6' lettre»,)
Après avoir mûrement pensé à la proposition que
vous me fîtes hier d'aller à Dangu^ et de la à Chan-
tilli j'ai trouvé qu'il étoit impossible d'employer en
ce voyage moins de cinq ou six jours si d'avanture
l'on ne vouloit faire de très longues journées auquel
travail outre la saison qui est chaude j'aurois peur ne
pouvoir pas résister sans mettre ma santé en com-
promisse, il y a tant de temps que je suis sedenterre
que je doute que ce travail immodéré^ ne m'incom-
mode beaucoup le recevant sans m'y être acoutumé
premièrement peu à peu.
Vous savés bien ce qui arriva au venir d'Italie ici
pour avoir témérairement entrepris de vous suivre à
cheval vous qui êtes d'ici il y a longtemps endurci
de cette manière d'exercices, jai aussi diligemment
fait le calcul des choses que jai à faire en l'espace de
trois semaines et trouvé que je n'ai pas une seule
heure de temps à perdre ains au contraire je ne m'as-
sure pas d'avoir en ce temps là accompli se quil faut
que je fasse. Je vous suplie si cest une chose qui soit
1. Original perdu; cette lettre n'est connue, comme la pré-
cédente, que par la fidèle copie de 1755, à la bibliothèque de
l'Institut.
2. Dangu, à une lieue de Gisors, auj. arr. des Andelys.
C'était la maison de campagne de M. de Noyers, qui l'embel-
lira, s'y retirera et y mourra le 20 octobre 1645. Le 23 mai T
1641, Louis XIII quitta Saint-Germain pour aller en Picardie,
coucha le 24 à Dangu et continua par Gournay, Aumale et
Abbeville.
3. « Tous les jours étoient pour lui des jours d'étude, et
tous les momens qu'il employoit à peindre ou à dessiner lui j^
tenoient lieu de divertissement. Il étudioit en quelque lieu
qu'il fût » (Félibien, p. n).
62 CORRESPONDANCE [1641
si nécessaire au moins de me permettre d'y aller com-
modément et à petites journées mêmement Je put
vous aller trouver sii vous plaist y aller devant si ce
nut été la grande hâte que jai de finir aujourd'hui les
dessins que vous vîtes hier commencer. Je vous aurois
été avertir des choses mêmes qui sont contenues en
ces quatre lignes auquelles je vous de donner de
bouche un mot de réponse. Je suis et serei toute
ma vie
Monsieur
Votre très humble et très affectionné
serviteur
Signé : Poussin.
33. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12847, fol. 41.)
A Monsieur De Chantelou,
commis de monseigneur De Noyers en Court.
[M. Poussin 3o^ may 1641.
Il mande que les portraits du Roy et de S. E. que
j'auois enuoyés à M. le Cheualier du Puys ont esté
gastés; recommande Langelon; qu'il trauaille au des-
sein de la Bible et au tableau de S^ Germain.]
Monsieur Depuis que vous
vous este parti de cette ville j'ai reçeu une lettre de
monsieur le Cheualier du puis parlaquelle il témoigne
assés combien vous l'aués obligé, par le présent que
vous lui aués fet des portraits de nostre Roy trescres-
tien et de Son Eminense. Il les repceut assés mal
conditionnés, d'autans que la casette fut ouverte par
ceux de la poste, et lesdits portrais remis si négli-
geamment et si mal roulés, que auec grandissime
peine Ion les a peu restaurer parce que les toiles s'es-
toint attachées auec la peinture en telle façon que
1641] DE NICOLAS POUSSIN. 63
particulièrement le champ et les cheueus ont esté
ruinés; lerreur auroit peu estre commis à paris pre-
mièrement là où elle demoura huit jours et puis de
là ceus de lion et de Rome [mesme] en auront fet de
mesme. J'ay bien voulu vous en aduertir affin que à
l'aduenir, quand vous vous délibérerés de mander
quelque chose à vos amis vous ne vous fiés pas à des
personnes qui ne portent respect [ni] au nom de
monseigneur de Noyers, nonplus que si lesdites
choses avoint esté enuoyées par une personne des
plus ordinaires.
Le seigneur Francesco Angeloni* atend la résolu-
tion qui touche la dédicasse de son liure d'autant
plus ardamment que pourceque l'on sait à la Cour
de Rome l'occasion qui l'empesche de le publier et
chascun est attendans ce que une si longue dillation
pourra enfanter; il désireroit fort que l'affaire ce
conclus au plus tost, car autrement il luy conuiendra
prendre un nouveau parti pour publier laditte oeuure.
J'ay entendu qu'il importeroit autour de mille escus,
mais Je crois que deus cens pistoles accommoderoint
toutte son aff"ere. Je vous suplie (Monsieur) d'en
escrire un mot, affin que ce galant homme là soit
hors de peine. Je vous suplie ausi de me faire scauoir
(s'il m'est permis) si vous continués à faire designer
le sieur Errard^ comme le sieur Jouan Angelo Gani-
1. Le sieur Angeloni, savant antiquaire romain, oncle de ce
Bellori qui écrira Le Vite de' Pittori, etc., et notamment celle
de Poussin. Il aimait fort la peinture et fut un grand collection-
neur de dessins et de gravures. Le livre dont il s'agit est une
Historia Augusta da Giulio Cesare a Costantino, qu'il réussit
enfin à dédier à Louis XIII et qu'il publia à Rome.
2. Le peintre Charles Errard, 1615-1689, fils d'un artiste de
Nantes; il fit deux séjours à Rome et peignit au retour la gale-
rie de Dangu pour M. de Noyers. Il fut le collaborateur de
M. de Chambray dans ses ouvrages sur la peinture. En 1661,
64 CORRESPONDANCE [1641
nio' qui vous baise les mains. Quant pour moy, je
travaille continuellement au tableau de S' Germain.
J'ay ordonné le compartiment de la galerie ^ j'en ay
donné les profiles et modénatures. Nous ne trouuons
autre sculpteur que monsieur perlan' pour modeler
et se qui sera nécessaire, mais l'on le guiddera le
mieus que l'on poura, affin qu'il puisse seconder nos
intentions. Sependant que l'on fera le second pont,
je ferais les cartons de dessus les fenestres, affin que
incontinent le stuc fini, l'on i dépeigne ce qui est
nécessaire.
J'ay espéranse que l'œuure se fera tost et à peu de
fres; je crois ausi qu'elle ne sera pas ingrate; quand
il i en aura une partie d'accomplie je vous escriray
de l'effet qu'elle fera et bien[tost] je vous enuoiray le
pensement du frontispice de la grande bible. Je vous
escriray déshormais de toute mes actions affin que
vous voyes si j'atendray dilligemment à m'employer
aux choses que Monseigneur [a] atend de moy. J'ay
esté auiourd'hui avec Monsieur de Chambrai et le
sieur Le Clerc au nouiciat des Jésuites*, pour voir
il occupait une situation prépondérante qu'il eut le bon sens
de céder plus tard à Le Brun, en échange de la direction de
l'École française de Rome.
1. Jean-Angelo Caninio, né à Rome en 1609, mort en 1666,
disciple du Dominiquin. « Il s'étoit beaucoup attaché à dessi-
ner des monuments antiques... C'étoit un homme sage et qui,
faisant son unique occupation de l'étude, étoit fort retiré. » Il
a notamment gravé le portrait de ÏAngeloni (Mariette, Abeced.,
t. II, p. 299).
2. La grande galerie du Louvre (voir Ph. de Chennevières,
La peinture française, p. 176).
3. Henry Perlan, de Paris, baptisé le 4 avril 1697; sculpteur
et excellent fondeur en bronze; ami intime de Jacques Sara-
zin; mort en 1662. — Quatremère de Quincy, dans l'édition de
1824, l'a confondu avec Thibaut Poissan (voir Jal, p. 955).
4. Il ne faut pas confondre le Noviciat des Jésuites avec leur
1641] DE NICOLAS POUSSIN. 65
ce que l'on pouroit faire pour amender le bas relief
que l'on a fet des armes de monseigneur. J'i aporterei
ce qui sera de mon possible, et joindrai mes petites
forces avec celles dudit Clerc s'il en sera besoin affin
que ledit monseigneur reste serui. Nous vous en
enuerrons quelque pensement. Sependans je vous
supHe de mecontinuerl'honneur de vos bonne grâce,
affin que je viue contens, prians dieu qu'il vous
rende, Monsieur, le plus heureus de tous les hommes,
Vostre plus humble et obligé seruiteur,
Le poussin.
de paris ce trentiesme may 1641.
34. — Poussin a Cass. del Pozzo'.
Al 111"'° et R"'^ Sig'^ e Prdn mio
055™° il Sig'^^ Caualier del Poi\o
in Roma.
Ill'no e R-n^ Sig'' mio
Deuo esser molto contento mentre V. S. 111°»» et
R™a mi porge inditio délia continuatione della sua
beneuolenza ma puô bene anco congetturare da i suoi
fauori la nécessita délie mie obbligationi dalle quali
non potro mai soUeuarmi. Mi dolgo del insolenza
delli ministri della posta di hauer ardito di aprire la
cassetta oue erano i retratti mandati a lei dal Sig»' de
église de la rue Saint-Antoine. L'église du Noviciat, dont M. de
Noyers avait été le fondateur, était toute voisine de Saint-Sul-
pice, entre les rues du Pot-de-Fer, du chevalier Honoré, de
Mézières et Cassette. On la voit dans le plan de Paris par
Gomboust, en i652, et dans une gravure d'Israël Sylvestre
[Ga:^ette des beaux-arts, i" mars 1877, p. 3io).
I. Cette lettre inédite est dans le dossier Ph. de Chenne-
vières, sans mention de l'endroit où se trouve l'original.
ign 5
66 CORRESPONDANCE [1^41
Noyers, per l'auenire quando sarà di bisogno di man-
darlei qualche cosa ni si darà meglior ordine. ne ho
scritto al Sig^ de Chantalou il quale se uorrà ne
potrà fare que gli risentimenti che bisogna. Jo credo
che V. S. IIW^ restara seruita intorno al suo negotio
di Piemonte perche sento che questi Sig" hanno
preso la sua causa in affettione. credo che presto lei
ne hauera qualche buona nuoua. mené rallegrerô
sommamente dessa se tal cosa riesce al suo gusto.
non diro altro per adesso se non che priego il Sig""
Iddio di conseruare a me la sua amoreuole prottet-
tione e di concedere a lei ogni contentenzza deside-
rabile mentre col fine confermandoli il dono che l'ho
fatto gia molto tempo di me medesimo gli faccio
affettuossiss™^ riuerenza.
Di V. S. lU»»^ et R«°a / hum»» S'^
Nicolô Poussin.
di Parigi 3i maggio 1641.
A r Illustrissime et Reverendissime mon Seigneur et
Maître^ le très honoré Seigneur Cavalier del Po^^o^
à Rome ^ .
Mon Ill«ne et Rév™e Seigneur,
Je dois être bien heureux de la nouvelle marque
que me donne V. S. Ill"« et Révœe de la continuation
de sa bienveillance, et elle doit bien aussi juger par
ses faveurs combien il me sera impossible de m'ac-
quitter jamais de mes obligations envers elle. J'ai
bien de l'ennui de l'insolence qu'ont eue les employés
de la poste d'oser ouvrir la petite caisse où étaient les
portraits que vous envoyait M. de Noyers. A l'avenir,
quand il sera besoin de vous envoyer quelque chose,
I. Traduction de Ph. de Chennevières.
1641] DE NICOLAS POUSSIN. 67
on y donnera meilleur ordre. J'en ai écrit à M. de
Chantelou, lequel s'il le veut, pourra en faire les
réclamations qu'il faut. Je crois que V. S. Ill"'^ sera
bien servie pour ce qui regarde son affaire de Pié-
mont^, parce que je vois que ces Messieurs ont pris
ses intérêts à cœur. Je crois que bientôt elle en aura
quelque bonne nouvelle. Je m'en réjouirai infiniment
si cette affaire réussit à son souhait. Je n'ai plus rien
à dire quant à présent, si ce n'est que je prie Dieu de
me conserver votre aimable protection, et de vous
accorder tous les contentements que vous pouvez
désirer, et vous renouvelant jusqu'à la fin le don que
je vous ai fait depuis si longtemps de moi-même, je
vous fais mes plus affectueuses révérences.
De Votre S. Ill'"^ et Revn^, le très humble serviteur,
Nicolas Poussin.
de Paris, le 3i mai 1641.
35. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fol- 43''0
A Monsieur de Chantelou,
Commis de Monseigneur de Noyers.
[M. Poussin I i^juin 1641.
Cette lettre contient les raisons pour M. le Cheua-
lier du Puys pour l'abaye q' contestoit^ contre l'abbé
Mondin*. Elle est fort persuadante.]
Monsieur Vous m'aués honnoré
1. Allusion à la demande que Cassiano del Pozzo faisait de
l'abbaye de Cavour. Les lettres suivantes expliquent l'affaire
et relatent son succès.
2. Lettre écrite en fin et assez mal.
3. Lecture douteuse : M. de Chennevières lirait convoitoit.
4. L'abbé Mondin, Piémontais, était l'un des négociateurs
de Richelieu en Piémont en 1639. Il s'attacha plus tard à
V
68 CORRESPONDANCE [164I
de trois de vos lettres dont les deus dernières sont
datées du deus et cinquiesme juin. Par la première
j'ay admiré la vertu et grande hardiesse de Mon-
sieur Gasion'. Mais la souuenanse que vous aués de
l'affaire de Monsieur le Cheualier du puis oblige tout
le monde à croire que vous estes le gentilhomme du
monde le plus porté à faire du bien et faire des
grâces au jens de mérite. Véritablement il ne scauroit
vous ariuerunplus beau subiect, pour exercer vostre
vertu et montrer vostre crédit que celui-cy. Tout
freschement j'en ay repceu des lettres par lesquelles
il me prie de vous faire souuenir de sa juste cause et
de le fauoriser. Vous aurés, je crois, entendu ses
raisons et s'il plaisoit à Monseigneur les considérer.
Je crois qu'il luy sembleroit chose peu conuenable
que une grâce fette du Pape de mouvement propre à
un seruiteur effectif du Cardinal Son Nepueu^, et qui
mérita de le seruir dès le commencement du pontifi-
cat, n'ayans eu jusques à présent aucune récompense
Mazarin, dont il obtint de bons bénéfices et un canonicat à
Notre-Dame. « C'est un homme qui est fin et rusé », dit Guy
Patin, « qui se connoît à tout, grand mercadan à troquer,
acheter, vendre et revendre ». Voir L. de Laborde, Le palais
Mazarin, p. 198.
1. L'intrépide Gassion, 1609-1647. — M. de Chennevières
signale ici qu'il s'agit de l'audacieuse prise de la petite place
de Lillers, par Gassion, au commencement du siège d'Aire
(fin de mai 1641). Cf. Mercure français, t. XXIV, p. 61-62.
M. de Chantelou était alors en mission près de Gassion (voir
H. Chardon, p. 43).
2. On peut dire que la vie de Poussin, depuis son arrivée à
Rome, en 1624, s'est déroulée dans la clientèle des Barbcrini.
Leur puissance venait du long pontificat d'Urbain VIII (Maf-
feo Barberini, né en i568, élu le ig juillet 1623, mort le 29 juil-
let 1644). Le plus illustre des neveux du pape était l'aîné, Fran-
cesco Barberini (1597-1679), envoyé en mission en France et
en Espagne pour essayer de régler l'affaire de la Valteline
(1625-1626), vice-chancelier de la cour de Rome, fondateur de
la célèbre bibliothèque Barberine.
1641] DE NICOLAS POUSSIN. 69
sinon bien petite, et ne trouuant aucun empesche-
ment alla grâce repceiie, estans subiec originaire de
Sauoye; avec Tauoir eu un frère qui seruit person-
nellement le Duc de Sauoye, Mari de Madame \
sependans qu'il vécut et en paix et en guerre où il
perdit la vie, oultre qu'il seruit à Rome les ambassa-
deurs de Sauoie de 1611. Jusques à présent et tout
ensemble et en mesme temps s'est tousiours monstre
très déuot des Ministres de la France et de nostre
Nation jusques à un tel signe que au commencement
du Pontificat après auoir esté apellé au seruice du
Palais il se trouua quelqun qui procura qu'il en fust
esclus, disant qu'il estoit trop françois, et qu'il n'es-
toit pas conuenable de mettre auprès d'un Nepueu
de Pape une personne qui fust tant intrinsèque à
Nostre Nation et bien veu des ministres d'icelle; d'où
il manqua peu qu'il n'en repceut quelque afront; à
cause de quoy il semble que se soit une chose bien
dure et peu conuenable, que une grâce ainsi bien
qualifiée ne puisse subsister. Mais doiue sedder à un
Abé lequel, oultrequ'il est assés honnestementpouruu
par les grâces qu'il a repceùes en Piémont, mais
encore ici il peut en receuoir de Sa Maiesté, à toutte
heure, par le moyen de Son Eminence, tout ce que
ses espérances peuvent apéter, parceque il est en un
pais où les vacanses sont opulentes et infinies, pour
en pouuoir estre pourueu quand il plaira à Sa Maiesté.
Mais si l'on oste audit Cheualier du puis ceque si
Justement il lui preuient, quand et d'où a il à espé-
rer récompense, estans les occasions de « vacanse «
rares en Piémont? Et de celles-là moins, auxquelles
I. Christine de France (i6o6-i663), sœur de Louis XIII, régente
depuis la mort de Victor-Amédée I", le 7 octobre iGSy.
70 CORRESPONDANCE [164I
il se trouue conioint l'utilité, avec un tiltre honno-
rable, comme est celuy de l'Abaie de Cavore\ estans
le pontificat passé, tant outre que, de beaucoup de
centinaire d'anés en çà^, l'on n'a point de mémoire
d'un plus long, luy oste l'espérance d'un tel bien à
venir, et si il pospose le présent, il est obligé à ainsi
faire, parceque s'il méprise une grâce à luy fette, si
plainne d'afection et de bonne volonté du Pape,
lequel, après l'auoir honnoré, joint des paroles telles
qu'il en demeure obligé plus que par le don de l'abaie.
Sa Sainteté mesme pouroit auoir un juste prétexte de
ne penser jamais plus à luy faire aucune grâce. Je
vous assure (Monsieur) que si ledit Cheualier du puis,
vostre très affectionné, estime laditte Abaye, il estime
d'autans plus sa réputation, laquelle est en ce cas ici
si fort engagée qui ne se peut plus dens les fets du
succès de fortune. Employés vous donc. Monsieur,
pour l'amour d'un si honneste homme et pour une si
juste cause; prenés la protection d'un Cheualier qui
toutte sa vie a esté si deuot seruiteur de Sa Maiesté
et de nostre Nation. C'est bien une vérité que le plus
grand obstacle qui l'empesche la jouisanse de la pro-
vision de la ditte abaie ne viene que des recomman-
dations d'ici fettes contre luy.
S'il plaira à Monseigneurluy donner quelque aide,
il conuiendra faire que les ministres auquels l'on
1. Cavore, petite ville piémontaise, l'une de celles que les
Français occupèrent sous Louis XIII, à douze kilomètres de
Pignerol.
2. Depuis beaucoup de siècles. — En effet, Urbain VIII (élu
en 1623) régnait depuis dix-huit ans : il fallait remonter jus-
qu'à Innocent III pour trouver un pontificat aussi prolongé
{1198-1216).
1641] DE NICOLAS POUSSIN. 7I
désignera d'escrire à Turin pour le seruise dudit
Cheualier et recommandations de ces interês, tant
pour l'abaye que pour quelque peu de stables qu'il y
a, lisent apelle [à un] un sien parent qu'il a fet son
procureur en laditte ville de Turin, dit il Signor Fran-
cesco Maria Borgarello, du quel on aura tousiours
cognoisance par le moyen des pères Jésuites dudit
lieu^, que celuy-là selon le besoin aura soin de tout
ce qu'il sera nécessaire.
Par la vostre du cinquiesme Juin vous me fettes
scauoir ce que Monseigneur a délibéré de faire pour
l'Ageloin. Je luy escriray promptement.
Je vous remercie très affectueusement des faneurs
que journellement vous me fettes, et de ce qu'il vous
plaist me mettre en bonne opinion enuers Son Emi-
nense. Je tascherai, monsieur, à ne vous pas fere
tort. Je vous suplie ausi de me continuer es grâces de
Monseigneur de Noyers, afin que les obligations que
Je vous dois n'en aye point de pareille.
Il est ariué en cette ville un jeune homme peintre
que vous aués désiré voir à Rome : c'est celui qui a
dépeint une chapelle en l'église du peuple, là où sont
dépeints certains ornemens de grisaille dont la ma-
nière vous plut assés; il travaille fort bien à fres,
comme vous en aurés veu la preuve; il m'est venu
voir, et c'est offert de seruir en ce qu'il sera bon; s'il
vous plaist, nous l'arrêterons pour trauailler aux
ornements de la galerie; il compose, il est inuentif et
I. Cassiano del Pozzo était né dans la maison qui fait face
au collège des Jésuites de Turin, en iSSg ou i5cp (Lumbroso,
op. cit., p. i35). — M. de Noyers était, on le sait, fort lié avec
les Jésuites.
7» CORRESPONDANCE [1641
collore compétentement bien; en somme, c'est bien
nostre cas. L'on dit que Monsieur Harmen^ est par
le chemin.
Je suis vostre très obligé
et humble seruiteur
Le poussin.
Du Jardin des Tuilleries ce unziesme Juin
1641.
Mon beau frère '^ vous fet très humble réuérense et
toutte la brigate^.
36. — Poussin a Cass. del Pozzo.
(Bibl. de Nantes, ms. 166*.)
AU' III'^^ et i?"?? Sig[^, Oniss'^o
Il Sig!. Ahhatte di Cauore,
In Roma.
111™° Sigf Abbate
Hô riceuuto le lettere di VS 111""^ del 28 Aprile è
1. Herman van Swanewelt, de l'Académie royale en i65i. —
« Il existe des gravures de Swanvelt, d'après les dessins de
Poussin pour l'Adonis de Marino » (G. Rémond, p. 8). C'était
aussi un peintre dont les sujets devaient plaire à Poussin,
puisqu'on lit dans l'inventaire des tableaux vendus en Angle-
terre en 1788 : « Hermann Svanefeld, Vue de Campo-Vaccino
et les Bergers, vendus réunis i5o guinées » (Champier et San-
doz, Le Palais-Royal, t. I, p. 517).
2. Le peintre Gaspard Dughet, dit le Guaspre (i6i3-25 mai
1675).
3. Ce post-scriptum est écrit en marge et verticalement.
4. Cette lettre, inédite, appartient à la bibliothèque de Nantes,
fonds Labouchère, fol. 166. Elle est accompagnée d'une lettre en
anglais, sans date, par laquelle le vendeur, Thomas Thorpe, con-
firme que la lettre en question est bien un original et non une
copie. — Nous rapprocherions de cette lettre ce que dit Castellan
dans la Vie de N. Poussin (en tête de l'œuvre gravé par Landon)
lorsqu'il suppose « que les lettres du Poussin, imprimées dans
164 1] DE NICOLAS POUSSIN. jS
del i5 di maggio c5 quelle del Sig. Carlo Antonio
suo fratello ma nô posso rispondere aile sue fine al
altro ordinario solamente diro à lei per non mancare
à quanto mi commanda che sono pochi giorni hebbe
una lettera del Sig"" de Chantalou che contiene queste
parole (per risposta di una mia per la qualé la sup-
plicauo afféttuosamente il ricordarsi délia giustissima
causa causa di V. S. Ill™=>). Je noublie pas en lafere
de monsieur le Chchevallier du Puis de la quelle
monsieur de Noyier à desia parlé à monsignour le
Cardinal qui luy a dit se souuenier fort bien dauoir
escript à Roma [aen] en fauéur de labbe Mondin sa
partie et den auoir fait escripre au nom du Roy par
M. de Chauigny^ a la recommandation de Madame,
cela est fascheux. neammoings ie ne pers pas espe-
ranse encores que par disgrâce M. de la court^ qui
estoit intime à mi de monsigneur Ambassadeur
auprès de Madame de Sauoye à qui il en vouloit
escripre soit mort depuis quinze iours
questo è quanto io posso farli sapere. subito riceuute
l'ouvrage italien intitulé : Lettere pittoriche, et dont M. Du-
fourny, membre de l'Institut, possède les originaux, sont de
la main du Gaspre, qui servait de secrétaire au Poussin. Parmi
ces lettres, il y en a d'autographes, dont une, entre autres, est
fort curieuse, en ce qu'elle est commencée en italien de la
main du Gaspre, continuée en français de celle du Poussin,
finie comme les autres en italien et signée Nicolo Poussino ».
Cette lettre est cependant tout entière écrite de la même
main, qui n'est pas celle de Poussin, mais celle qui a écrit le
billet du i" mars 1641. — Nous remercions MM. J. Barou,
proviseur du lycée, et Giraud-Mangin, conservateur de la
bibliothèque, à Nantes, qui ont eu l'obligeance de vérifier le
texte italien de cette lettre.
1. Léon Bouthillier, comte de Chavigny et de Busançois
(28 mars 1608-11 oct. i652); secrétaire d'Etat en i632 et asso-
cié à son père dans la confiance de Richelieu et la conduite
des affaires.
2. M. de la Cour, conseiller du roi en ses conseils, ambassa-
deur ordinaire du roi à Turin, en 1640.
74 CORRESPONDANCE ['^41
le sue lettere ultime hô scritto al ditto Sig.^ de Chan-
talou di far quanto sarà à lui possibilé per amor di
VS: incitandolo il mégliô ch' ho potuto cô quelle
giustissime ragioni che lei si è degnata di confidarmi
spero presto hauérne qualche risposta è subito scri-
uero il tutto l'ringratio cô ogni affetto délia continua-
tione del suo amore uerso di me è priego Iddio di
tutto core di felicitar le sue impresé.
DI. VS: IlWfe Rt?
Humrao Ser"
Nicolô Poussin.
Di Parigi questo 14 Giugno 1641
Commessi errore nel dire che la lettere che lei
hebbe con li ritratti fusse di monsigneur de Noyers
ma ella era di mosieur de Chantalou.
A rill'^'' et R""^ Seig",
le très honoré Seig^ Abbé de Cavore, à Rome.
IlHe Seig"- Abbé,
J'ai reçu les lettres de V. S. Ill'ns du 28 avril et du
1 5 mai, avec celles du Seig. Carlo Antonio votre frère
mais je ne puis répondre aux vôtres avant l'autre
ordinaire; je vous dirai seulement, pour ne pas man-
quer à ce que vous me demandez, qu'il y a quelques
jours j'eus une lettre du Seig'' de Chantalou qui con-
tient ces mots (en réponse à une de mes lettres par
laquelle je le suppliais affectueusement de se souvenir
delacausesi justedeV. S. 111™^). Je noublie pas, etc....
... Voilà tout ce que je peux vous faire savoir. Dès
que j'eus reçu vos dernières lettres, j'ai écrit au dit
Seig"^ de Chantalou de faire tout ce qui lui sera pos-
sible, pour l'amour de V. S., l'incitant le mieux que
j'ai pu avec toutes ces raisons si justes que vous avez
1641] DE NICOLAS POUSSIN. jS
daigné me confier. J'espère avoir rapidement quelque
réponse et je vous écrirai tout de suite. Je vous remer-
cie en toute affection de la continuation de votre
affection à mon égard, et je prie Dieu de tout cœur
de faire aboutir vos entreprises.
De V. S. Ill™« et R-^^
Le très humble ser"^
Nicolas Poussin.
De Paris ce 14 Juin 1641.
J'ai commis une erreur en disant que la lettre que
vous eûtes avec les portraits était de Mgr de Noyers,
mais elle était de M. de Chantelou.
37. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fol. 45.)
A Monsieur de Chantelou,
Commis de Monseigneur de Noyers, en Court.
[M. Poussin 16 juin 1641.
Il parle de la dédicace du Liure de Langelon.
Des armes de Mgr au Nouitiat, désire quelles ne
soient pas de manière gotique.
Souhaite d'auoir quelque beau sujet po^ le tableau du
Nouitiat.]
Monsieur Par la vostre du
cinquiesme juing, vous me fettes scauoir que mon-
seigneur estoit demeuré d'accord de donner deus
cents pistoles à paris à quelqun qui eust la charge de
les recepuoir, et si je voulois mander à qui il les fau-
droit déliurer que cela se feroit incontinent. J'ay parlé
à Monsieur Passar^ Auditeur des Contes et l'ai prié
I. « ... Monsieur Michel Passait, Maître de la Chambre des
Comptes,... Nicolas s'employait volontiers à satisfaire le noble
génie de ce Seigneur, très amoureux de la peinture, et infini-
ment érudit en cet art » (Bellori, trad. Rémond, p. 5i). — Pas-
»76 CORRESPONDANCE [164I
de m'aider en la conduitte de la présente affaire.
Nous auons donc parlé à Monsieur Lumagne pour
la remise des dittes pistoles; il dit qu'il les fera tenir
à Rome, à huit pour cent, pour l'amour dudit Pas-
sar. Vous en ordonnerés maintenans comme il vous
plaira; mais il seroit nécessaire de scauoir si le Hure
se desdie au Roy ou à Monseigneur Le Cardinal
Rochelieu, pour ceque la Lettre dédicatoire pour le
Roy est assés belle, mais l'autre se pouroit amender
et conviendroit que ledit Angelon s'efforsast d'en
composer une autre d'un stille plus releué.
Il seroit nécessaire d'escrire à Monsieur le Chan-
cellier\ affin qu'il mist son seau au priuilège du Hure.
Il faudroit scauoir combien d'exemplaire l'on
veut, et si l'on les veut reliés ou non, mais l'on ne les
relie pas bien à Rome. Le jeune homme flamen dont
troptost je vous auois fait la feste, a esté, je m'as-
sure, desconseillé de quelque homme de bien de ne
s'arester point ici; il cest donc délibéré de partir
pour s'en aler en son pais. Nous aurons patiense.
Monsieur Errard, voyans que vous auiés escrit au
Signeur Jan Ange et fat les offres que vous lui auiés
fettes, et n'ayans pas (comme je crois) encore repceu
les vostres, ni ne sachans rien de l'ordre que lui
auiés mandé, doubtoit que vous ne fusiés pas assés
satisfait des deseins qu'il vous auoit enuoyés, c'est
sard, maître des comptes, puis général des finances, demeu-
rait à Paris, quai de la Mégisserie, et possédait deux tableaux
de Poussin : Orion aveuglé par Diane et Camille che^ les Fa-
lisques, dont M. de la Vrillière avait une réplique en grand.
I. Pierre Séguier, 1588-1672, chancelier depuis décembre i635.
C'est à la sollicitation du chancelier Séguier que Poussin sera
accompagné, dans son retour de Paris à Rome (1642), de
Charles Le Brun.
1641] DE NICOLAS POUSSIN. 77
pourquoy il en désiroit scauoir quelque chose, et
que si vous auiés ces petites fatigues agréables, il
s'estimoit estre bien fortuné et tascheroit de plus en
plus à vous satisferre et auroit l'esprit en repos.
Depuis j'ai repseu une lettre de lui datée du
8esme may, là où il confesse assés les grandes obli-
gations qu'il vous doibt, et la bonne volonté qu'il a
de vous seruir. Il ne faut pas que joublie à vous
remercier trèshumblement de ceque il vous a plu
ordonner que l'on me donnast quinze cens franc,
pour ceque je feroi durant May, Juin et Juillet, alla
galerie grande.
Vous me demandés mon auis touchans l'employ
du Sieur Jan Ange; il me semble, puisque il ne peut
designer pour vous que à son loisir et commodité,
qu'il suffira bien de luy payer ces desseings comme
vous aués fet estans à Rome.
Monsieur Le Clerc et moy nous vous enuoyrons
chasqun un squitze des Armes que Monseigneur veut
faire insculpter en la vouste de l'église du Nouiciat
des pères Jésuites. Vous consulterés sur iceus, vous
nous manderés lequel il vous plaira le plus et si, par
hazart. Monseigneur i trouuoit quelque difficulté,
l'on tournera à la manière ordinaire, gotique et bar-
bare, en les trauaillans seulement mieux que celles
qui desia y estoint fettes ; l'on n'atend autre que vostre
aduis; le bosage est prest. Je vous enuoyerei la pen-
sée du front de la grade bible à la première occasion.
Sil Monseigneur trouuoit bon d'élire quelque
subiect pour le tableau du Nouitiat, là où l'on eust
occasiô de monstrer quelque bon trait de peintur,
jen serois bien aise. Voilà (Monsieur) tout ce que jay
^8 CORRESPONDANCE [164I
à VOUS faire scauoir pour maintenant; je vous sou-
hette toutte sorte de contentemens. Cependans que
je demeure le plus humble de vos seruiteur
Le poussin.
de vostre maison du Jardin des Tuilleries
ce lôesme juin 1641.
Monsieur Le Maire et toutte la brigata vous salue
trèshumblement.
38. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fol. 47.)
A Monsieur de Chantelou,
commis de Monseigneur de Noyers^ à Ruel.
[1641.
Touchant le tableau de la Scène S^-Germain en
Lajre.]
Monsieur, Je suis extrêmement
joieus de ce que Monseigneur a choisi pour le tableau
de S'-Germain le subiect de la S*« Eucaristie en la
manière que vous me l'escriués, d'autâs qu'il y aura
champ pour faire quelque chose de bien. Je ne pen-
seray désormais à ^utre qu'à trouuer quelque belle
distribution conuen^ble audit subiect.
Vous me mandés que je voye le dessain que le
Sieur Dominique a fet pour la vouste de l'escalier
de Son Eminense. Je ne l'ay point trouué dans le
paquet que vous m'aués enuoyé.
J'ay repceu la lettre de faueur pour les habitans de
Villers^. Vous me permettrés bien de vous en remer-
1. Villers, à une lieue du Grand-Andely. Le site de la mai-
son où est né Poussin (détruite depuis longtemps) a été gravé
dans le Journal spécial des lettres et des beaux-arts, n* XI,
1641] DE NICOLAS POUSSIN. 79
cier de tout mon cœur. Monsieur de la Planche^
thésorier des bâtimens du roy, m'a apporté les
mesures des tapiseries, que Monseigneur a desein de
faire faire. J'auray l'honneur d'en conférer auec vous
à vostre retour à Paris. Je suis et serai toute ma vie
le plus humble de vos seruiteurs.
Poussin.
39. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, f'O^* 49')
A Monsieur de Chantelou,
Commis de Monseigneur de Noyers^ en Court.
[M. Poussin 20^ juin 1641.
Il mande quil a mis ensemble le tableau de la Sène
quil n'a pas encore choisy le sujet de celiiy du Nouitiat
quil a rendu les 200 pistoles pour Langelon
quil a fet les modénatures des armes de Monsieur de
Noyers
que Melâ^ trauaille au frontispice de Virgile
Et qu'il fait celuy de la Bible.]
Monsieur J'ey escrit à Mon-
sieur le Cheuallier du puis du soing que vous prenés
12 octobre 1834. — Les recherches, faites avec beaucoup d'obli-
geance par M. l'archiviste départemental de l'Eure, pour retrou-
ver quelque trace de cette « lettre de faveur » sont restées
infructueuses.
1. Raphaël de la Planche, trésorier des bâtiments, directeur
de la manufacture des tapisseries du faubourg Saint-Germain
(au coin de la rue de la Chaise et de la rue de Varenne).
2. Chantelou se trompe de date en écrivant le sommaire;
Poussin a bien écrit au bas de la lettre : ce vintneuf Juin.
3. Claude Mellan, graveur; baptisé à Abbeville le 23 mai
iSgS; séjourna à Rome, avec Vouet, de 1624 à 1627; s'établit
définitivement à Paris en 1637; mort le 9 septembre 1688 (voir
la longue étude de Mariette, dans son Abecedario).
X
8o CORRESPONDANCE [1641
de ces intérés, et comme mesmement vous estes
résolu de l'honnorer de vos lettres. J'aurois de rechef
par cet ordinaire escript au Signeur angelon de Tes-
tât où est son afîere; mais d'autans que nous n'auons
peu l'accomplir, je ne luy escriray pas pour le pré-
sent. Puis que le desseing de l'arme de Monseigneur
luy a plu, j'en fais un peu de modénature pour don-
ner au Signeur Le Claire affin que l'eccégution s'en
ensuiue plus facillement et auec melieure grâce. Je
n'ai pas enquores eu la mesure du tableau du noui-
siat des pères Jésuites' ni mesme fet chois du subiect
du dit tableau; mais je mi apliqueray incontinent,
d'autans que auiourd'hui je finis de mettre ensemble
le tableau de la Cesne, et sependans qu'il se séchera,
je trauailleray au cartons de la grande gallerie, qui
va forbien, dieu merci. J'ay fet des modelles de cire^
que j'ay baillés à Monsieur parlan affin de faire
modeler les piédestaus du dit ornement de la gallerie.
L'on i pourra commenser à dépeindre et dorer incon-
tinent, et crois infailiblement qu'elle se fera bientost;
les stucateurs mesme se vante, avec l'aide de trois ou
quatre autres, de la rendre fette d'un bout à l'autre
en cinq ou six ans au plus. Je me dois trouuer se soir,
1. Ce n'était pas la première fois que Poussin travaillait
pour ces grands amis de M. de Noyers : « Lors qu'en 1623, les
Pères Jésuites de Paris célébrèrent la canonisation de Saint
Ignace et de Saint François Xavier, et que les Écoliers de
leur Collège, pour rendre cette cérémonie plus considérable,
^ voulurent faire peindre les Miracles de ces deux grands Saints,
le Poussin fut choisi pour faire six tableaux à détrempe. Il
avait une si grande pratique dans cette sorte de travail qu'il
ne fut guère plus de six jours à les faire. » Félibien, t. IV,
p. 245 (éd. de i685).
2. Voir une cire attribuée à Poussin, une Ariane endormie,
au Louvre (legs Gatteaux), salle IX. Lire Bellori, sur les figures
X de cire que Poussin modelait avant de peindre ses tableaux;
et, sur Poussin sculpteur, Ph. de Chennevières, La peinture
française, p. 245.
I
1641] DE NICOLAS POUSSIN. 81
à sis heures, chez monsieur de Mauroy^ pour con-
sulter de « ceque il faudra faire pour l'accompagne-
ment de la cheminée de la chambre de Môseig'^ auec
le plancher. Nous auons ausi repceu dudit Mon-
sieur de Mauroy deus cens pistoles, et auons parlé à
Monsieur de Bertemer, qui dit que l'on les peut
faire tenir à Rome en mêmes espèces; nous n'auons
voulu faire autre chose que de vous en aduertir, afïin
que vous preniés la peine d'en escrire à Monsieur Du
Lieu^ s'il en sera besoin. Nous sependans adende-
ronsvostre ordre et ferons du reste ce que vous com-
manderés. J'ay veu une lettre es mains de monsieur Le
Maire, par laquelle je cognois assés le soin que vous
aués de moy ; je ne peus atendre autre chose de vous,
Monsieur, que du bien et de la consolation, puis que
il vous plaist de m'aimer. J'oubliois à vous dire que
l'on dit que le Sieur Harmen est ariué à Fontaine-
bleau. Monsieur Meslen travaille au frontispice du
Virgille et si j'euse pu vous enuoyer le squitze de la
pensée que j'ay trouuée pour le liure de la Bible,
comme je vous auois promis, j'en euses esté bien
content; mais se sera pour la première commodité.
Il me semble n'oubier rien deceque il faut que je
vous rende conte, sinon que vous aurés tousiours en
moy un très déuôt, très obligé et humble seruiteur à
jamais
Le poussin.
de Paris ce vintneuf Juin 1641.
1. Le s' de Mauroy, un des premiers commis de M. de
Noyers et intendant général des finances. Il habitait près de la
porte Saint-Honoré et possédait deux tableaux de Poussin :
l'Assomption (Louvre, n" 423) et l'Adoration des Mages
(Louvre, n" 429).
2. Du Lieu, agent des postes, fréquemment cité dans la cor-
respondance de Peiresc.
1911 6
82 correspondance [164i
40. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fol. 5i 1.)
A Monsieur De Chantelou^
Commis de Monseigneur de Noyers^ en Court.
[M. Poussin 2 juillet 1641.
Il parle des 200 pistoles enuoyées à Langelon;
qu'il pensera au tableau du Nouitiat, que la peinture
de la gallerie ir-a plus viste que le Stuc^.]
Monsieur Hier je repceus
les vostres du trentiesme Juing et ce matin le sieur
baron et moy auons esté chés monsieur de bertomer
luy présenter vos lettres; il est venu auec nous en la
maison de monsieur du lieu auquel mesmement J'ay
donné la lettre que vous luy auiés escripte, touchans
l'aflfere du S*" François Angelon. Ledit Signeur du
Lieu a repceu les deuscens pistoles et dit de les faire
tenir le plus assurément qu'il luy seroit possible, ne
pouuans toutefois respondre dudit argens, si par
malheur le porteur d'iceluy venoit à estre détroussé',
mais il en espère bonne issue, d'autans que telles dis-
grâces ariuent fort rarement; mêmem* les courriers
de Lion n'estans point arestés à Gênes comme parle
1. Le verso du fol. 52 du ms. porte, d'une autre main que
Chantelou, des mots et des parafes écrits au hasard, sans
doute pour essayer la qualité d'une plume : Louis, David,
Lau7-in, Loiin, Martin, etc.. Monsieur Reverendissime et Illus-
trissime, etc.
2. Il est souvent difficile de savoir quand le sommaire de
Chantelou va à la ligne, parce qu'il l'a généralement écrit sur
la lettre, pliée en huit, c'est-à-dire sur une largeur de six à
sept centimètres.
3. Cette crainte n'avait rien d'imaginaire : Board signale, le
9 novembre 1641, que le courrier a été « voslé entièrement
dans les montagnes de Gênes » (Bibl, nat., ms. fonds Du-
puy 343).
1641] DE NICOLAS POUSSIN. 83
passé, pour le soupson de la contagion, vont sans
changer jusques à rome. L'on n'a tiré aucun repceùe
[desd] dudit S*" du Liu d'autans que vous ne nous
l'auiés pas ordonné.
J'ay aujourd'hui désigné deus termes pour la grande
gallerie; vous pouués assurer Monseigneur que la
peinture d'icelle se fera bien plus tost que le stuc.
J'employe quelque heure du soir à lire les vies de
S^ Ignase et de S' Xauier^ pour i trouuer quelque
subiect pour le tableau du Nouitiat; mais je crois
qu'il faudra s'arester à celui qui nous fût donné par
Monseigneur il y a desia long temps. J'ay eu la
mesure dudit tableau, niais l'on ne le peut faire
entrer en ma sale d'autans que le châssis a quatorze
pies et demi de hauteur; je ne laisserai pas cependans
de continuer à en faire la pensée, et m'ocuper entiè-
rement en tout ce qui concerne le contentem' de
monseigneur et le vostre, en vous suplians (Monsieur)
de me continuer vostre bonne affection, et de m'on-
norer du nom de vostre très humble et très obligé
seruiteur
Vostre plus humble
seruiteur
Le poussin.
de paris Ce 2 Juillet 1641.
J'escrirei vendredi au susdit Angelon.
41. — Poussin a Cass. del Pozzo.
(Coll. Fillon2.)
Al Sig. Commendatore Cassiano del Po\:{o.
Piu spesso scriverei a VS: Ill™f se non fosse il
1. « Lisant les histoires grecques et latines, il annotait les ^
sujets, puis, à l'occasion, s'en servait » (Bellori, trad. Rémond,
p. 34).
2. Nous publions le texte, tel que M. G. Lafenestre l'a com-
84 CORRESPONDANCE [164I
timoré di arrecarli tedio, particolarmente quando non
si offerisse occasione di impiegar le mie poche solle-
citudine in servitio suo ma dove occorresse adoprar
le mie debolezze non sarei négligente de farlo corne
ho fatto per il passato nel soUicitare il Sig : de Chan-
telou è medesimamente il Sig : de Noyers di abbrac-
ciare i suoi interessi è quanto ho potuto scoprire gli
ne ho fatto sapere il tutto incontinente e di novo ne
farei souvenire il detto Chantelou se non fosse che
per la sua ultima mi scrisse che non era piu di biso-
gno di altro ch' egli si era risoluto di scriuerne a VS:
lU'Pf qualche buona nova. Non so s'egli havera esse-
guito la sua promessa perche loro hanno havuto gravi
negotii dal hora in quà, hora che le cose sono in
miglior stato gli ne scriverô è saporô il tutto. Se io
sono stato per fino adesso sensa haver dato compi-
mento aile cose di VS: 111™^ che portai meco gli ne
domando perdono ho ben risoluto fermamente d'im-
piegarei tutto il mese di Agosto prossimo è non atten-
dere ad altro lei si assicuri che se le mie forze sono
tenue almeno il mio affetto è grandissimo non respi-
rando altro più in questo mondo che di essere
annouerato tra i suoi obligatissimi Ser«"e ^li continui
la prego nelle sue gratie, a fine ch'io possa viver con-
tente et inchinandomi humilmente gli bagio la mano.
DIVS. Ill»f e Rr
Hum«° Serre
Nicolô PoussiNO.
Di Parigi 25 Luglio 1641.
muniqué à M. de Chennevières, en 187g, d'après l'original (col-
lection Fillon). Bottari l'avait publiée (t. I, p. 276). — Elle
a figuré au catalogue de Sotheby, vente des 8-10 nov. 1899,
n" 287 (note de Léop. Delisle).
1641] DE NICOLAS POUSSIN. 85
Au Seig^ Commandeur Cassiano del Po^o.
J'écrirais plus souvent à V. S. 111™^, n'était la
crainte de lui apporter de l'ennui, surtout quand il
ne s'offre point d'occasion d'employer mes faibles
moyens à son service, mais là où il s'en présenterait
d'utiliser ma faiblesse, je ne serais pas négligent à le
faire, comme je l'ai fait par le passé, en sollicitant le
Seig'^ de Chantelou, et même le Seig'' de Noyers,
d'embrasser vos intérêts, et de ce que j'ai pu en
découvrir, je vous ai fait savoir le tout incontinent;
et de nouveau j'en ferais souvenir le dit Chantelou,
s'il ne m'avait écrit dans sa dernière lettre qu'il n'en
était plus besoin, et qu'il était résolu à écrire à V. S.
\\\me quelque bonne nouvelle. Je ne sais s'il aura
exécuté sa promesse, parce qu'ils ont eu depuis lors
de graves affaires. Aujourd'hui que les choses sont
en meilleur état, je lui en écrirai et je saurai le tout.
Si j'ai été jusqu'à présent sans avoir achevé toutes les
choses de V. S. 111»^ que j'ai apportées avec moi, je
vous en demande pardon. J'ai bien fermement résolu
d'y employer tout le mois d'Août prochain, et de ne
pas attendre à un autre. Que V. S. soit bien assurée
que si mes forces sont médiocres, au moins mon
attachement est-il très grand, car je n'aspire plus à
autre chose en ce monde qu'à être compté au nombre
de ses plus obligés Seri's. Qu'elle me continue, je
l'en prie, ses grâces afin que je puisse vivre content,
et m'inclinant humblement je lui baise la main
De V. S. Il^e et R"»*
Le très humble Ser""
Nicolas Poussin.
De Paris, 25 juillet 1641.
86 correspondance [164i
42. — Poussin a Ghantelou.
(Ms, 12347, fol. 53.)
A Monsieur de Chantelou^
Comrtiis de Monseigneur De Noyers En Court.
[M. Poussin 3 aoust 1641.
Cette lettre mérite d'être veue.
Il parle de Vouurage de la gallerie, du tableau de
la Cène, Explique le frontispice de la Bible, et autres
choses.]
Monsieur Si je n'euses bien seu les
grandes affaires qui de continue vous ont teneu
occupé, je n'euses pas tardé jusques à auiourdhui à
vous escrire; maintenans que peut-estre vous aurés le
loisir de lire la présente, je vous assure de ma melieure
disposition, grâces à dieu, et du bon estât où sont
nos ouurages. La grande Galerie s'auance fort, et
néanmoins qu'il y aye peu d'ouuriers, j'ay espérance
que à vostre retour, vous vous estonnerés de ce que
l'on aura fet. Je me suis occupé sans cesse à lentour
des cartons, lesquels je suis obligé de varier sur
chasque fenestre et sur chasque tremeau, m'estans
résolu d'i représenter une suite de la vie d'Hercules,
matière certe capable d'occuper un bon designateur
tout entier, d'autans que les dits cartons veulent estre
faicts en grand et en petit, pour plus de commodité
des ouuriers, et afin que l'œuure en deuienne melieure.
Il faut mesmement que j'inuente tous les jours quelque
chose de nouueau pour diuersifier le relief de stuc,
autrement il faudroit que les hommes demeurassent
sans rien faire ; mais vous scaués combien le beautemps
en ce pais icy doit estre teneu cher. Toute ces choses
1641] DE NICOLAS POUSSIN. 87
ont esté la cause que encores je n'ay peu finir le tableau
de S'. Germain, auquel il faut grandemens retoucher
pour les strauagans effets que * de l'umidité de l'hiuer
passé luy a causés ; mais pourceque de nouueau Mon-
signeur m'a ordonné de faire le tableau du Nouitiat
des Jésuites pour la fin de nouembre, je me suis
quant et quant résolu di mettre la main et de le faire
pour ce temps-là, si mes débiles forces me le per-
mettent; et cependans que la toille ce préparera, je
pouray retoucher la susdite Cesne au lieu d'aler
prendre des diuertissemens à d'Angu ou en autre
lieu, ainsi que monseigneur de sa courtoisie m'en ha
inuité. (Monsieur) je vous assure, pourueu que ji
puisse résister, je n'ay point d'autre plaisir que à le
seruir; là sont mes pourmenades mes jeux [et] mes
esbatemens et ma délectation ; je me contenteray pour
un jour ou deus faire un tour aux enuirons de Paris
en quelque lieu pour seullement respirer un peu.
Cependant j'enuoye à Monseigneur le squitze du front
de la Bible, mais sans corectiô car deuans que de le
terminer, j'ay désiré que vous Payés veu, affin que
dans la penser et disposition totale ou particulière
des figures, il estoit besoin di altérer quelque chose,
vous m'en donniés votre aduis. La figure ellée repré-
sente l'histoire; elle escript de la main gauche, affin
que la planche la remette à droit; l'autre figure veil-
lée représente la prophessie; sur le liure qu'elle tient
sera escript biblia Regia. Le Sphinx qui est dessus ne
représente autre que l'obscurité des Choses Enigma-
tiques. Celle qui est au milieu représente le père Eter-
nel auteur et Moteur de toute les Choses bonnes,
baste que l'entière déclaration^ vous en sera fette par
I. « Il y a figuré un ange qui écrit sur son genou et tient sa
88 CORRESPONDANCE [1641
Monsieur du fresne. Et si vous aués le loisir de vous
resouuenir de vostre bon ami Monsieur le Cheualier
du Puis, je le pourois assurer de la continuation de
vostre chère amitié; en fin, monsieur, regardés en
quoy je pourois fidèlement vous seruir que je suis
totalement.
Monsieur,
Vostre trèshumble seruiteur
Le poussin
de Paris ce troisiesme Aust.
mon frère ^ et toutte la Compagnie vous baise très
aflFectueusement les mains.
Vous me renuoyerés soigneusement le desain que
je vous mande d'autans qu'il me seruira à finir celui
qui doit estre graué.
Je baise trèsaffectueusement les mains à * tous
ceux de la maison de Monseigneur.
43. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fol- 55.)
A Monsieur de Chantelou,
Commis De Monseigneur De Noyers, en Court.
[Il discourt de l'ornement du Cabinet de M. de
Noyers, mal distribué par le S'^ Le Mercier^.
plume arrêtée sur la feuille, regardant en arrière comme vers
le temps passé. L'ange est ailé, et voici la religion en noble
manteau, avec la face voilée, tenant à la main une sphynge,
qui est les obscurs mystères de la Sagesse et des choses sacrées;
mais en une haute sphère de lumière resplendit le Père Eter-
nel, avec les bras ouverts, illuminant de foi et de vérité les
esprits humains » (Bellori, trad. Rémond, p. 27),
1. Gaspar Dughet (le Guaspre), beau-frère de Poussin.
2. Jacques Lemercier construisit au Louvre le pavillon de
l'Horloge, 1624, et un quart de la cour intérieure, le château
de Richelieu, le Palais-Cardinal, la Sorbonne, les églises de
Saint-Roch et de l'Oratoire.
1641] DE NICOLAS POUSSIN. 89
// parle de Fouquer * .
Et que le tableau de s^ germain n'est pas encore
acheué.]
Monsieur Monsieur de
Mauroy desirans que Monseigneur à son retour puisse
commodément et auec plaisir habiter sa maison, non
seullement fet dilligenter les dorures des cheminées,
acheuer les ornements des sales et chambres, mais
ausi désireroit faire le mesme du Cabinet; c'est pour-
quoy je vous mande ses deux fuoilles de papier où,
en la plus petite, est désigné la distribution et com-
partiment que en a fait l'architecte (que dieu bénie)
mais pourceque Je ne * peus scauoir quelle intention
il a eue, je me trouue embarassé, lor que je voudrois
le décorer de quelquechose conuenable alla personne
pour laquelle il a esté fabriqué. Car à en dire la vérité,
il seroit fort propre pour en faire la boutique d'un
petit mercier; tant y a je vous enuoye le penser tel
que vous voyés. L'espase A du petit dessein vous
monstre la forme de la menuiserie telle quelle est
réalement; depuis a jusques à .b. du grand dessein
I. « Fouquière excellent Païsagiste avoit eu ordre de Mr de
Noyers de peindre des vues de toutes les principales Villes de
France, pour mettre entre les fenestres de la grande Gale-
rie du Louvre, et en remplir les trumeaux. Il crût que cet
ouvrage, qui véritablement eût été considérable, devoit le
rendre maître de toute la conduite des ornemens de la Gale-
rie; et comme cela ne réussissoit pas selon son dessein, il fut je
un de ceux qui se plaignit le plus du Poussin » (Félibien, p. 26).
Quant au titre de baron, Félibien ajoute qu'il « portoit toujours
une longue épée », et que : « Pour soutenir sa vanité sur le fait de
la Noblesse que le Roi lui avoit accordée, il souftroit volon-
tiers toutes sortes d'incommoditez, aimant mieux ne point tra-
vailler, et ne rien gagner, que de n'estre pas considéré comme
un Gentilhomme d'un mérite extraordinaire » (Félibien, t. IV,
p. 26). — Sur cet élève de Rubens, venu en France en 1621,
voir la Revue de l'Art français^ 1888, p. 100.
go CORRESPONDANCE [164I
est ce que l'on y peut feindre pour le rendre plus
riche. L'ornement .C. est feint sur la platte bande
releuée hors œuure marquée au petit dessein .X.
pour les espaces marqués .d. Monseigneur délibérera,
s'il lui plaist, ce qui luy agréra davantage, parcequc
les figures rondes qui i sont peuuent recepuoir des
profetes, sibiles, apostres, empereurs, roys, docteurs
et hommes illustres, mesmement des devises et sen-
tenses. Les autres espaces voisins peuuent estre
dépeints de camaieus, de vases à l'antique ou nuds
ou remplis de fleurs, ou de quelque petites figures
fettes à plaisir ou bien représentantes quelques per-
sonnages signalés. Dans les espaces .f. l'on y peut
faire ce que l'on voudra, le lieu estant un peu plus
libre que le reste.
Je désirerois ausi scauoir ce que le dit monseigneur
désire au plafons ; le Sieur Dominique s'offre de le
peindre. Il m'a semblé que manquans à la menuiserie
la corniche, il seroit assés à propos di en feindre une,
avec quelque autre chose qui apetissast ledit espace
du plafond, d'autans que si l'on veut dépeindre au
milieu quelque chose qui paroisse enfonsé, l'espase
de soy est trop grand pour le peu de distanse qu'il y
a pour le voirs. J'ay ausi pensé que ledit ornement
debuoit correspondre aumoins en couleurs alla salle,
c'est assauoir de blanc, or et turquin. Si vous aués le
temps commode pour nous donner response, nous
chercherons quelqun incontinent qui le puisse ecce-
guter le mieus qu'il sera possible.
Le Baron Fauquer est veneu me trouuer auec sa
grandeur accoustumée ; il trouue fort estrange de ce
que l'on a mis la main à l'ornement de la grande gal-
lerie sans lui en auoir communiqué aucune chose. Il
1641J DE NICOLAS POUSSIN, 9I
dit auoir un ordre du roy confirmé de monseigneur
de Noyers touchans la ditte direction, prétendans que
ses paisages soint l'ornement principal dudit lieu,
estans le reste seuUement des Incidents. J'ay bien
voulu vous escrire sesi pour vous faire rire. Le tableau
de S^-Germain n'est enquore du tout fini, n'ayans peu
en auoir le temps; tout le reste va bien, dieumersi. Je
prie dieu, Monsieur, qu'il vous rende très heureux.
Je me recommande à vos grâces et baise les mains
comme je vous suis
Monsieur
Vostre trèshumble seruiteur
Le Poussin
de Paris Ce 19 Aust 1641.
Toute nottre trouppe vous fet réuérense.
44. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, f°^* ^7-)
A Monsieur de Chantelou,
Commis de Monseigneur de Noyers, en Court.
[M. Poussin 23 aoust 1641 .
Parle du payement du tableau S^ Germain
qu'il trauaille à ceux de S. E.]
Monsieur J'ay repceu la vostre du
vintuniesme aust avec les deseins de l'ornement du
Cabinet de Monseigneur. Si tost que j'aurei fini de
vous escrire la présente je me porterei au logis' pour
I. Ce logis, assez modeste, est décrit par Sauvai {Antiquités
de Paris, t. II, p. 206). Il était situé rue Saint-Honoré, tout
près de la rue Neuve-Saint-Roch, à proximité du « palazetto »
de Poussin (dans le jardin des Tuileries).
■\
92 CORRESPONDANCE [164I
prendre les mesures justement et ordonner ce qui
sera du reste puis que vous vous en remettes à moy.
Je vous remersie de toutte mon affection du désir que
vous aués de mon bien et satisfaction touchans le
paiement de mes fatigues. Et puis qu'il plaist à
Monseigneur de scauoir ce que je désire por le
tableau de la Chapelle de S' Germain ^ je vous
suplie à près que je l'aurei dit den retrencher ce qui
semblera de trop et si l'on ne m'en veut donner huit
cens escus je me contenteray de si ou de cinq car je
serai tousiourssatisfet. Pour celuy de Son Eminence
cent pistoles le paieroint bien mais je ne le peus pas si
tost finir comme je voudrois toutefois je ferei mon pos-
sible et tascherai qu'il soit en son lieu pour le retour
de Monseigneur le Cardinal^. Je communiquerei ausi
à monsieur de Chambray les choses susdittes affin
que enquores Monseigneur de sa part en aye cognois-
sance.
Vous assurerés ausi Monseigneur que auec l'aide
de dieu le tableau du Nouitiat^ sera fet pour le temps
que lom ma donné et avec tout cela les autres œuvre
qui demandent ma conduite ne laissent pas de s'auan-
cer estans bien résolu de trauailler pour la satisfac-
tion dudit monseigneur à qui je fes très profonde
1. « La quittance originale est conservée dans la collection
de feu M. Boilly. » Elle a été publiée par M. Charavay dans
sa Revue des documents historiques, août -septembre 1874,
p. gi-92. Elle est datée du 16 septembre 1641. Cette Cène de
Saint-Germain est au Louvre (n° 428).
2. Richelieu était alors à Amiens, ainsi que Louis XIII, depuis
le 18 août 1641. Il ne reviendra à Paris qu'au début de novembre.
3. Poussin peignit pour Richelieu, selon Bellori, le Buisson
ardent, sur la cheminée du cabinet de Son Ém., et le Temps
enlevant la Vérité, au plafond de la même salle (ce dernier
tableau au Louvre, n» 446).
1641] DE NICOLAS POUSSIN. qS
reuerence et à vous Monsieur je demeure perpétuel-
lement obligé
Vostre trèshumble seruiteur
Le poussin
de Paris ce 23 Aust 1641
Monsieur le Cheuallier du puis vous baise les
mains.
Et monsieur Auury vous salue deuotieus' et toutte
nostre compagnie.
45. — Poussin a Cass. del Pozzo.
(Bottari, t. I, p. 277.)
Al Commendatore Cassiano del Po\:{o.
Jo so molto bene che V. S. IIH^ ha fatto sinora
qualche stima délia mia sincerità, e forse sarà quella
parte che m'avrà fatto degno délie grazie che ella ha
usato sempre verso di me, perô con quell'istessa desi-
dero di procedere, non volendo cercare quelle cose
délie quali altrui puô acquistarsi la benevolenza e
l'amore dei personaggi dignissimi, corne lei; perô
con questa présente la vengo umilmente a salutare, e
ricordarmi quell'umile servitore che ho sempre pro-
fessato di essere. Rendole conto délie mie azioni,
delli miei impieghi, e di tutto quello ch'io faccio, ma
temo, dopo ch'averô dette di attendere ai disegni
d'ogni maniera, a quadri di diversa materia, ed a pen-
sieri d'ogni sorte, ella non mi biasimi d'essere stato
sin adesso senza mostrarle colla minima cosa quell'-
affezione che in effetto ho, ed averô sempre di ser-
virla. Non è veramente che, la mia buona volontà
non sia più che mai ardentissima, ma come io mi son
sempre fidato nella suoi saggia discrezione, mi sono
al quanto acquietato d'animo, e supponendo che ella
94 CORRESPONDANCE [1641
giudicherà, nel mio arrivo qui, moite cose essermi
State preparate, di maniera taie, che, sebbene m'ero
risoluto per tutto questo mese d'agosto adoprarmi
in servizio suo, particolarmente nel fornire il suo
Battesimo di Ghristo nel Giordano, non mi è stato
possibile darci una pennellata, bisognando par néces-
sita, oltre le altre cose, fornire per novembre un qua-
drone alto i6 piedi, che il sig. de Noyers dona al
Noviziato dei Gesuiti. L'opéra e ricca di figure mag-
giori del naturale. È vero che, fatto questo, potro
alquanto respirare, e pigliar un poco di tempo per
servira il mio riveritissimo padrone : le notte par
l'avvenire saranno lunghe, e spero con quel mezzo
poter far almeno qualche disegno délie case che
depingero per farne parte à VS : IlH?, perché altri-
menti crederei non aver fatto multa. Usi dunque, la
supplico, verso di me quella cortesia e pazienza sua
solita afïinchè ne resti io consolato. L'assicuro che il
sig. de Noyers la riverisce ed onora sommamente,
dico questo di buona parte : prego Dio che la renda
felicissima, e mi doni grazia di riverirla a casa sua.
Monsù de Chantelou e Cambré le fanno umilissima
riverenza.
Parigi, 6 settembre 1641.
Au Commandeur Cassiano del Po\\o.
Je sais fort bien que V. S. HW^ a fait jusqu'ici
quelque estime de ma sincérité, et peut-être sera-ce
ce trait qui m'aura fait digne des grâces dont elle a
toujours usé envers moi ; aussi est-ce toujours avec
cette même sincérité que je désire continuer, ne vou-
lant point rechercher les choses par lesquelles les
autres peuvent s'acquérir la .bienveillance et l'amitié
1641] DE NICOLAS POUSSIN. qS
de personnages aussi considérables que V. S. C'est
pourquoi, par la présente, je viens humblement vous
saluer et vous rappeler quel humble serviteur j'ai tou-
jours fait profession d'être ; je vous rends compte de
mes actions, de mes occupations, et de tout ce que je
fais, mais je crains qu'après vous avoir dit d'attendre
des dessins de tout genre, des tableaux de divers
sujets, et des esquisses de toute sorte, vous ne me
blâmiez d'être resté jusquà présent sans vous mon-
trer, par la moindre chose, quelle passion j'ai en effet
et j'aurai toujours de vous servir. Ce n'est vraiment
pas que ma bonne volonté ne soit plus ardente que
jamais, mais comme je me suis toujours fié à la sage
discrétion de V. S., je me suis quelque peu tranquil-
lisé l'esprit, supposant bien qu'elle s'imaginera qu'à
mon arrivée ici, beaucoup de choses m'avaient été
préparées, de telle façon que malgré ma résolution
de m'employer pendant tout ce mois d'août à son ser-
vice, en particulier à lui exécuter son Baptême du
Christ dans le Jourdain, il ne m'a pas été possible d'y
donner un coup de pinceau, travaillant par nécessité
outre les autres choses, à fournir pour novembre un
tableau haut de 16 pieds ^, que le Seig"" de Noyers
donne au Noviciat des Jésuites. L'œuvre est riche en
figures plus grandes que nature. Il est vrai que celui-là
fait, je pourrai un peu respirer, et prendre un peu de
temps pour servir mon très révéré maître : à l'avenir
les nuits seront longues, et j'espère ainsi pouvoir au
moins faire quelque dessin des choses que je peindrai
I. Le tableau du Noviciat, qui n'est autre que le n° 434 du
Louvre : Saint François- Xavier rappelant à la vie la fille d'un ^
habitant de Cangorima {Japon), mesure 4"'44 de haut sur 2'»34
de largeur.
A-
gÔ CORRESPONDANCE [164I
pour en faire part à V. S. lU™^, parce qu'autrement
je croirais n'avoir rien fait. Qu'elle use donc, je l'en
supplie, envers moi, de sa courtoisie et de sa patience
accoutumées, afin que je me console. Je l'assure que
le Seig"" de Noyers la révère et l'honore infiniment,
je le dis de bonne source. Je prie Dieu qu'il la
rende très heureuse, et qu'il me donne la grâce de
vous porter mes respects dans votre maison.
Messieurs de Chantelou et Cambré vous font très
humble révérence.
Paris, 6 septembre 1641.
46. — Poussin a Cass. del Pozzo.
(British Mmseumi.)
AU 111'^° et Rew^^ Sig"^ et Prôn
mio oss'^° il Sig^ Abbate di Cauore
In Roma.
Illmo et Rmo Sigf Abbate
Creda pure VS : 111™? e R™» ogni uolta che pongo
la mano alla penna per scriuergli sospiro, et mi ar-
rossisco, et mi disturbo tutto non per altro che mi
ritrouo qui seruitor suo, et è uero che il giogo che
mi son messo sopra il coUo mi impedisce il debito e
l'affettion mia uerso di lei ma spero scuoterlo presto
per in libertà ancora una uolta seruire al mio caro
Sig'^e et Prône sensa intermissione alcuna lauoro
quando in una cosa è quando in una altra suppor-
tarei queste fatiche uolentieri se non fusse che quell'
I. L'original est conservé au British Muséum, n° 19272. C'est
le n" 801 de la collection Donnadieu et le lot 629 de la vente
chez Puttick, le 26 janvier i853. — Bottari l'avait publiée,
t. I, p. 279.
1641] DE NICOLAS POUSSIN. §7
opère che vorrebbono molto tempo bisogna sbri-
garle in un tratto, giuro à VS: che se io stassi molto
tempo in questo paese bisognarebbe ch'io diuentassi
un strapassone come gl' altri che ci sono li studij è
le buone osseruationi o délie anchita' o d'altro non
ui sono conosciuti in verun modo, è quello chi hà
délie inclinatione allô studio et al far bene se ne deue
certo discostar molto, O' fatto cominciare dal mio
disegno li stucchi è la Pittura délia Galleria Grande
ma con poca mia sodisfatione (nondimèno che piac-
cia à questi animali) imperoche non trouo nessuno
che secondi alquanto la mia intentione nulladimeno
che ne faccia li disegni in grande è in piccolo. Un
giorno se Iddio mi da la uita ne mandero à VS: il
disegno sperando con le uiglie del inuerno poterie
ponerele al netto hô posto al suo luogho il quadro
délia cena di Christo cioe alla Cappella di San Ger-
mano et è riuscito assai bene lauoro interno à quello
del nouitiato dei gesuiti e opéra grande grande è
contiene 14 figure magiore del naturale et è quello
che bisogna fornire in dui mesi essendo constretto
per questo rispetto a rimettere la partita del suo bat-
tesimo di Christo alla prima commodita io spero
nella bonta et infinita cortesia sua assicurandomi che
lei me iscusera la prego di honorarmi del titolo di
humile seruitore
DJ VS : Ill«f et Rff
Humiliss«no Ser^f
Nicolô Poussin
Di Parigi 20 di Settembre 1641.
I. Lapsus pour antichita.
1911 7
^8 CORRESPONDANCE [164I
A l'Ill'^^ et i?ev»e Seig^^ mon Maître très-honoré,
le Seig^ Abbé de Cavore\ à Rome.
Ill»« et R™* Seigr Abbé,
Que V. S. Ill™« et R'"* le croie bien : chaque fois
que Je mets la main à la plume pour, vous écrire, je
soupire, je rougis, et je me trouble rien qu'à la pen-
sée que je me trouve ici en serviteur inutile; il est
vrai que le joug que je me suis mis surJe cou m'em-
pêche de m'acquitter de ma dette et de mon affection
envers vous, mais j'espère le secouer bien vite pour
encore une fois servir en liberté mon cher Seig"" et
Maître. Sans aucune interruption, je travaille tantôt
à une chose et tantôt à une autre. Je supporterais
volontiers ces fatigues, si ce n'est qu'il faille expédier
d'un trait les ouvrages qui exigeraient beaucoup de
temps. Je jure à V. S. que si je restais beaucoup de
\ temps en ce pays, il faudrait que je devinsse un stra-
pazzone^, comme les autres qui sont ici. Les études
et les bonnes observations, d'après l'antique ou autre,
n'y sont connues d'aucune façon, et celui qui a de
l'inclination à étudier et à bien faire, doit certaine-
ment s'en éloigner. J'ai fait commencer sur mes des-
sins les stucs et la peinture de la Grande Galerie,
mais avec peu de satisfaction pour moi (quoique cela
plaise à ces animaux), parce que je ne trouve per-
sonne qui seconde un peu ma pensée, bien que je
1. Cassiano del Pozzo avait donc obtenu cette abbaye.
Ughelli, dans Vltalia sacra (1644-62), t. III, p. Sgi, le men-
tionne ainsi : « ... le chevalier Cassiano, abbé de Sainte-
Marie de Cavour, homme illustre par la douceur de ses
mœurs, sa science, ses vertus éminentes... »
2. Abatteur de besogne, gâte-métier, quelqu'un qui travaille
à la diable.
1641] DE NICOLAS POUSSIN. 99
fasse les dessins en grand et en petit. Un jour, si
Dieu me prête vie, J'enverrai le dessin à V. S., espé-
rant pouvoir le mettre au net dans les veillées d'hi-
ver. J'ai mis en place le tableau de la Cène du Christ,
dans la chapelle de Saint-Germain, et il est assez bien
réussi. Je travaille à celui du Noviciat des Jésuites :
c'est un grand ouvrage, qui contient 14 figures plus
grandes que nature, et c'est ce travail qu'il faut livrer
en deux mois, ce qui me contraint de remettre le
départ de votre Baptême du Christ à la première
commodité. J'espère dans la bonté et la courtoisie
infinie de V. S.; m'assurant qu'elle m'excusera; Je la
prie de m'honorer du titre d'humble serviteur
De V. S. IIH" et Rn^^
Le très humble Ser*"
Nicolas Poussin.
De Paris 20 Septembre 1641.
47. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fol. 59.)
A Monsieur de Chantelou^ Commis de Monseigneur
de Noyers, en Court.
[M. Poussin 25*^^ Septembre 1641.
Remerciment. — Mande quil trauaille pour le
Nouitiat et la gallerie.]
Monsieur Jay repceu celle du xxi Sep-
tembre dont vous m'aués voulu honnorer. Je ni ay
trouué autre que des nouuelles gratifications dont Je
vous suis extrêmement obligé. J'ay pensé qu'il ne
seroit point mal à propos de remersier Monseigneur
de la libéralité eusée enuers moi. parce mot de lettre
tOO CORRESPONDANCE [164I
icy incluse avec la vostre mais sil vous semble que
cela aye peu de grâce dauoirtant atendu Je vous sup-
plie de supléer à ma faute et de fair mon escuse. Je
me suis depuis deus ou trois jours trouué formai
d'une cuisse mais pour cela je ne laisse pas de trauail-
1er pour le Nouitiat et pour la galerie. Le mal grâces
à dieu se commence à passer. Je vous remersie très
humblement des bonnes nouuelles que vous maués
mandées Jen suis extrêmement resiouy et prie dieu
que bien souuent nous en ayons de même et qu'il
vous donne monsieur toute sorte de contentemens
Vostre très humble
Seruiteur
Poussin
de Paris 25 Septembre 1641.
48. — Poussin a Cass. del Pozzo.
(Bottari, t. I, p. 280.)
Al Commendatore Cassiano del Po:{\o.
Ho ricevuto la sua cortesissima del 3i Agosto
insieme con quella del sig. Carlo Antonio. Rendo
ail' uno e ail' altro infinité grazie dé segni continui
ch' io ricevo del loro amore. L'obbligazione che le
professo, è infinita, e mi stenderei più alla lunga nel
ringraziarla, ma una lettera venulami dalla parte di
monsù Chantelou con due copie di Rafîaello, ch' egli
m' ha ordinato d'inviare a VS : 111™.", non me ne dà
il tempo, essendo per partirsi il corriero.
Mi sono dunque state portate questa mattina due
copie, l'una délia belle Madona di Rafîaello, ch' è
a Fontanableau, l'altra è nel gabinetto del re. L'una
1641] DE NICOLAS POUSSIN. lOI
e l'altra sono buone copie; ma una cosa m' ha date
gran fastidio, perciocchè suilappandole, ho trovo
che quella di Fontanableau per la negligenza di
qualche ignorante, è stata offesa. Quasi stavo per non
inviarla, se non fosse che ho giudicato che facilmente
si potera ristorare. lo non voglio farlo sapere al detto
Sig. Chantelou perché n'avrebbe troppo dispiacere.
V. S. gradisca il dono corne è, mentre l'intenzione di
chi l'offerisce è bonissima. «Credo che questa volta
egli averà dato miglior ordine che non fece per li
ritratti del re e del cardinale. Del resto mi sento sol-
levato da un grandissimo fastidio, mentre ella vuol
usare délia sua pazienza e cortesia ordinaria nell'
aspettare il finimento del Battesimo. Mi raccomando,
etc.
Di Parigi, 4 ottobre, 1641.
Au Commandeur Cassiano del Po\\o.
J'ai reçu votre très courtoise lettre du 3i août en
même temps que celle du Seig"" Carlo Antonio. A
l'un et à l'autre, je rends des grâces infinies pour les
marques continuelles que je reçois de votre afifection.
La reconnaissance que je professe est infinie, et je
m'étendrais plus longuement en remerciements, mais
une lettre qui me vient de la part de Monsieur de
Chantelou, avec deux copies de Raphaël qu'il m'a
ordonné d'envoyer à V. S. l\\^^, ne m'en donne pas
le temps, car le courrier est prêt à partir.
On m'a donc apporté ce matin deux copies, l'une
de la belle Madone de Raphaël qui est à Fontaine-
bleau; l'autre est dans le cabinet du Roi^ L'une et
I. La Grande Sainte-Famille de François I" qui était alors
X
102 CORRESPONDANCE [164I
l'autre sont de bonnes copies, mais quelque chose
m'a donné grand ennui : c'est qu'en les déroulant, j'ai
trouvé que celle de Fontainebleau, par la négligence
de quelques ignorants, avait été abîmée. J'étais presque
résolu à ne pas vous l'envoyer, si je n'eusse jugé qu'elle
se pouvait facilement restaurer. Je ne veux pas le faire
savoir audit M. de Chantelou, parce qu'il en aurait
trop de déplaisir. Que V. S. agrée le présent comme
il est, puisque l'intention de celui qui l'offre est excel-
lente. Je crois que cette fois il aura donné de meil-
leurs ordres qu'il ne fît pour les portraits du Roi et
du Cardinal. Du reste, je me sens soulagé d'un grand
ennui puisque V. S. veut bien user de sa patience et
de sa courtoisie ordinaire pour attendre l'achève-
ment du Baptême. Je me recommande, etc.
De Paris, 4 octobre 1641.
49. — Poussin a Cass. del Pozzo.
(Coll. Chambryi.)
Al III^^ e R^° Sig^^ et Pron mio os^°
il Sigl. Ahbate di Cauore
in Roma.
111™" et Reu»° Sig : mio
Farei gran torto à quella benignità singolare con
à Fontainebleau. L'autre Raphaël mentionné ici est la Belle
Jardinière. Del Pozzo connaissait fort bien les trésors de Fon-
tainebleau. M. Mùntz a publié, dans les Mémoires de la
Société de l'Histoire de Paris, t. XII, une intéressante des-
cription de Fontainebleau en 1625, par Cassiano del Pozzo,
alors secrétaire du card. Franc. Barberini dans sa légation de
France (ms. de la Bibl. nat. de Naples, X. E. 54).
I. Lettre communiquée par M. Chambry aux Archives de
l'Art français et publiée dans le t. III (i852-53), p. 225, par
Ph. de Chennevières. — M. Chambry l'aurait acquise, pour
1641] DE NICOLAS POUSSIN. I03
la quale VS : 111™? in ogni occasione si è compiaciuta
di favorirmi se io non venisse con queste mie à pre-
garla di volere continuarmi nelle sue gratie, è favori
è raccommandarli la protettione de miei in questi
tempi miserabili pregandola di pigliare la loro pro-
tettione al bisogno, mi mortifico grandemente di
vedermili inutile servitore, ma al incontro mi solleua
in gran parte la sua bontà singolare la quale spero
che mi dispensarà per adesso délia esecutione del
mio debito. Piaccia à sua divina maestà che non solo
ella godi in questo tempo ogni prospero auuenimento
ma che anco gli siano conceduuti da Iddio lunghi è
felicissimi anni mentre le baggio humil** le mani.
Di Parigi, 25 ottobre 1641.
DI VS : Ill«f et Reu"??
Hum'ff Ser^e
Nicolo Poussin.
A rill^^ et JR»^ Seig^^ mon Patron très honoré,
le Seig'^ Abbé de Cavore, à Rome.
Mon Seigf lU'ns et Rev^^
Je ferais grand tort à cette singulière bienveillance
dontV. S. Illf^ s'est complue en toute occasion à me
favoriser, si je ne venais, dans cette lettre, la prier de
vouloir me continuer ses grâces et ses faveurs, et lui
recommander la protection des miens dans ces temps
misérables', la priant de prendre leur protection au
83 francs environ, à la vente faite à Londres le 18 décembre
1848 par Puttick et Simpson. Elle aurait appartenu précédem-
ment à M. Donnadieu, qui l'acheta de M. Thorpe, lequel
l'avait trouvée, avec d'autres, dans les papiers d'un amateur
décédé. Cette lettre figurait à la vente des 5-7 juillet 1900
(catal. Sotheby, n" 275), note de Léop. Delisle.
I. Cette épithète de Poussin doit s'entendre plutôt au sens
104 CORRESPONDANCE [164I
besoin. Je suis grandement mortifié de me voir inu-
tile serviteur de V. S.; mais d'un autre côté, j'ai
grande confiance en sa bonté singulière, laquelle, je
l'espère, me dispensera pour le moment de l'acquit
de ma dette ^ Qu'il plaise à la divine Majesté que
non-seulement V. S. jouisse en ce moment de toute
prospérité, mais qu'il lui soit encore accordé par
Dieu de longues et très heureuses années; cependant
je lui baise très humblement les mains.
De V. S. I1H« et Rêver™*
Le très humble serviteur,
Nicolas Poussin.
De Paris, 25 octobre 1641.
50. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12847, fol. 61 2.)
A Monsieur de Chantelou, commis de
Monseigneur de Noyers, à Ruel.
[Un compliment sur un régal que je luy auois
enuoyé.]
Monsieur^
Je ne repsois jamais présent que de touttes les sai-
moral qu'au sens historique, car il n'y avait alors à Rome
aucun malheur public qui la justifiât. A Paris sévissait une
épidémie de petite vérole (voir Avenel, Corresp. de Richelieu,
t. VI, p. 885).
1. « Le petit ouvrage du Baptême de Jésus-Christ dans le
Jourdain qu'il lui avoit laissé à terminer » et auquel, en sep-
tembre 1641, « il ne lui avoit pas encore été possible de don-
ner un coup de pinceau » (note de Ph. de Chennevières).
2. Cette lettre est inédite. Le copiste de 1755 l'aura sau-
tée par erreur; aussi Quatremère n'a-t-il pu la publier.
3. Le coin de la feuille originale étant déchiré, les quatre
premières lettres de Monsieur et le premier mot de la lettre :
Je manquent au ms. 12847.
1641] DE NICOLAS POUSSIN. I05
sons et à toutte heure ne me facent jouir des délices
de vostre généreuse courtoisie. Il est bien vray que
la fortune en ce qu'elle va fesant ne scait jamais ce
quelle fet fesans les princes * dïfen coeur petit et rauallé
et les gentilhommes d'une Ame Royale, Moy qui
vous donne telle louange considérant vostre Magna-
nimité je vous célèbre. encore pour homme de tant
de bonté que les peuples seroint bienheureus qui
obéiroint à un Signeur de telle marque 2.
Qui n'est point né prince ce monstre tel par les
nobles actions de qui la nature la orné et celuy qui
est né grand seigneur et ne fait rien de conuenable à
sa naissance quil se restitue le coustume qui doibt à
soymesme auec le procéder de vos^ trèscourtoise
largesses lesquelles estans digne d'un degré Royal me
forsent de dire autre chose que ceque je dis et je vous
jure Monsieur que si je n'estois moy mesme je croi-
rois d'estre vous qui haués conuerti l'amour et la
réuéranse que je vous porte en lobligation que je vous
doibts
Vostre très obligé à jamais
Poussin
de Paris ce 7 novembre 1641.
51. — Poussin a Cass. del Pozzo.
(Bottari, t. I, p. 281.)
Al Commendatore Cassiano del Poi\o.
Sig. ill. Sono stato ormai tanto bene informato per
1. Poussin, ayant répété le mot, l'a rayé la seconde fois.
2. Poussin avait d'abord écrit vertu qu'il a rayé et remplacé
par marque.
3. Poussin avait d'abord écrit : vostre.
I06 CORRESPONDANCE [164I
mezzo delle sue benignissime lettere di quelle cose
che ho da fare, che non credo mai fare ne dire cosa
che non la sia di gusto e di placera, in quanto aile
mie forze, lasciando indietro moite cose. Solamente
farô sapere che sono stato finora assai bene délia
sanità, e trattato molto amorevolmente da questi
signori, onorato e ricompensato. L'opère mie sono
State accettissime, ed il Re e la Reina hanno laudato
il quadro délia Cena per la lor Cappella, dilettandoli,
a quello che hanno detto, quanto la vistà delli loro
figliuoli. Il Cardinal de Richelieu è stato soddisfatto
del suoi tanto, che ne ha fatto complimento, e rin-
graziatomi lui stesso in presenza di Monsig. Maza-
rini. Adesso dipingo un quadrone per l'altar mag-
giore del Noviziato de' Gesuiti, ma con troppa fretta,
altrimenti potea riuscire per la disposizione. Sarà
finito per natale. Alla galleria grande lavoriamo
pianpiano, fino a tantochè il sig. de Noyers abbia
fatto risoluzione di farla fare tutta di seguito. Di
tutte queste cose, come già promisi a VS : Ill™f , ne
manderô qualche disegno, e perché in questo tempo
inverno, mentre per la bella stagione non avrei potuto
sodisfarla come avrei desiderato. Ora non potendo
per l'incomodità del tempo attendere ad altro chè a
disegnare o dipingere in piccolo, mi sarà buona oc-
casione per adoperarmi in suo servizio, e cosi spero
Il Sig. de Noyers mi disse l'altro giorno di aver
scritto a Madama di Savoia per impetrar da essa gli
originali di Pirro Ligorio, e ch' egli li aspettara
quanto prima. Sono, a quel che dice, i5 volumi, con
un altro trattato molto raro délia Ragion dell' Armi
e del Blasone. Accerto VS : Ill'Pf di questo, acciô mi
comandi, chè se io vedo in detti libri cosa degna del
1641] DE NICOLAS POUSSIN. IO7
suo gusto, posso pregare il suddetto signore per
poterne cavare qualche cosa dove io la potessi servire,
la prego non sprezzare la mia divozione, e di coman-
darmi corne a quello che le è obbligato eternamente.
Di Parigi, 21 novembre, 1641.
Au Commandeur Cassiano del Po^o.
Par le moyen des deux lettres si bienveillantes de
V. S., me voilà si bien informé des choses que j'ai à
faire, que je ne crois plus désormais faire ou dire
chose qui ne soit pas de votre goût et de votre plaisir.
Tout en laissant de côté, selon mes forces, beaucoup
de choses, je vous ferai savoir seulement que j'ai été
jusqu'à présent en très bonne santé, et traité très
gracieusement par ces Seigneurs, honoré et récom-
pensé. Mes ouvrages ont été très bien reçus, et le Roi
et la Reine ont loué le tableau de la Cène pour leur
chapelle, y prenant autant de plaisir, à ce qu'ils ont
dit, qu'à la vue de leurs enfants. Le Cardinal de
Richelieu a été si satisfait du sien, qu'il m'en a fait
compliment, et m'en a lui-même remercié, en présence
de Monseigf Mazarini. En ce moment, je peins un
grand tableau pour le maître-autel du Noviciat des
Jésuites, mais trop à la hâte^; autrement il pourrait
avoir du succès pour la composition. Il sera fini pour
Noël. A la grande galerie, nous travaillons tout dou-
cement jusqu'à ce que M. de Noyers ait pris la
résolution de la faire faire tout de suite 2. De toutes
1. Roland de Chambray dit en effet qu'il a été « peint avec
une grande précipitation et pendant l'hyver » (Dédicace du
Traité de la peinture de i65i).
2. Roland de Chambray confirme indirectement cette incons-
tance dont Poussin ne pouvait s'accommoder : « La demande
I08 CORRESPONDANCE [1641
ces choses, comme je l'ai déjà promis à V. S. Ill^n^,
je lui en enverrai quelque dessin, nous trouvant en
ce temps d'hiver, parce qu'à la belle saison je n'aurai
pu la satisfaire comme je l'aurai désiré. Aujourd'hui
ne pouvant, à cause de l'incommodité du temps,
m'occuper à autre chose qu'à dessiner et peindre en
petit, ce me sera une bonne occasion pour m'em-
ployer à votre service, et c'est ce que j'espère. Le
seig"" de Noyers me dit l'autre jour avoir écrit à
Madame de Savoie pour obtenir d'elle les originaux
de Pirro Ligorio, et qu'il les attendait à la première
occasion. Il y en a, à ce qu'il dit, i5 volumes, avec
un autre traité fort rare de la Raison des Armes et
du Blason. J'en informe V. S. afin qu'elle me donne
ses ordres; que si je vois dans les dits livres quelque
chose digne de votre bon goût, je puisse prier le sus-
dit Seig"" de m'en laisser tirer quelque chose pour
vous. Du reste si en ce pays-ci, il y avait quelque
chose en quoi je pusse servir V. S., je la prie de
ne pas épargner mon dévouement, et de me com-
mander comme celui qui est son éternellement obligé.
De Paris, 21 novembre 1641.
52. — Poussin a Cass. del Pozzo.
(Coll. de M. le comte Allard du Chollet.)
AU' III^^ et JReM™o Sigl^, et Prôn mio
il Sig : Caualier dél Poiio
In Roma.
111™? et Reu«° Sig/. mio
Infinité sono le occasioni che obbligano à venire
qu'on luy fit d'un dessein, non pas le plus magnifique ny le
plus superbe qu'il peust composer, mais d'un ornement dont
l'exécution fust prompte, et d'une dépense modérée, eu esgard
au temps et à l'humeur impatiente de nostre nation » (Dédi-
cace du Traité de la peinture, i65i).
1641] DE NICOLAS POUSSIN. IO9
spesso con le mie a riuerire VS : Ill™f et R'Pf ma la
prossimità di questo Santiss'yo giorno di Natale m'
inuita à pregare la bonta eterna di nostro Sig';t che
lei goda in queste feste è sempre una quiète i tran-
quilità di animo che riesca conforme al suo deside-
rio è placera à lei di credère che non ha nessun Ser|;«
che più ardentemente di me gli desidera quelle con-
tentesse che richiedono al suo merito mi mortifica il
non potere accompagnare alla présente ed quéllo ch'
ho cominciato di fare mi solleua al incontro la sua
singolar bontà la quale priego mi lassi goder lunga-
mente la sua benigna protettione et le bagio riueren-
temente le mani.
DIVS. Ill«? et Reuma
Humiliss™p Seryf
Nicolô Poussin
Di Parigi 20 Xbre : 1641
A l'Ill^^ et R^^ et Seig^^ mon Patron^
le Seigneur Cavalier del Po^o^ à Rome*.
Mon IlHe et R«« Seigneur,
Infinies sont les occasions qui m'obligent à venir
souvent avec mes lettres présenter mes respects à
V. S., mais la proximité de ce très saint jour de Noël
m'invite à prier la bonté éternelle de N. S. que vous
jouissiez en cette fête et toujours d'un repos et d'une
tranquillité d'âme conformes à votre désir; et qu'il
vous plaise de croire qu'il n'y a aucun serviteur qui
I. L'original de cette lettre appartient à la collection d'auto-
graphes de M. le comte Allard du Chcllet, lequel a bien voulu
nous la communiquer, pour cette édition, avec la plus aimable
obligeance. Tous les amis de Poussin lui en seront d'autant
plus reconnaissants que ce texte était resté inédit. La lettre
figurait précédemment dans les collections Fillion et Sensier.
IIO CORRESPONDANCE [1642
VOUS désire plus ardemment que moi les comente-
ments que l'on réclame pour votre mérite. Je suis
peiné de ne pas pouvoir accompagner cette lettre, et
en ce que j'ai commencé de faire, me soutient votre
bonté singulière, que je prie de me faire jouir long-
temps de votre bonne protection, et je vous baise
respectueusement les mains
De V. S. IIH^ et R«n«
Le très humble Ser"^
Nicolas Poussin.
De Paris, le 20 Dec. 1641.
53. — Poussin a Cass. del Pozzo.
(Coll. Naylori.)
111: et Reu«f Sig^ mio
Qualche giorni sono che mi fù portato una lettera
di VS : Ill™f per un amico di Monsieur Bovart secre-
tario del Marchese de fontane Mareil Ambasciadore
in Roma et al 6 di Gennaro mi fu portato da un fat-
tore délia posta di leone un piego nel quale erano il
frontispicio é l'intitulazione del libro del Padre fer-
rari detto l'Esperidi con quatro pezzi di miniatura
rappresentanti un cedro tagliato in diverse manière
con la dichiarazione del sudeto frutto. Di poi hauer
bagiato la lettera di VS : et apertala la lessi con
quella attenzione che si deue et intesi il contenuto di
essa mi stimai fortunatiss^pf mentre lei si degnaua
aile volte di darmi occasione se non di seruirla
I. L'original se trouvait dans la collection F. Naylor quand
M, Thibaudeau fit, en 1879, pour M. de Chennevières la copie
que nous publions. Bottari l'avait publiée, t. I, p. 282, avec
beaucoup de menues retouches. La suscription manque dans
la copie Thibaudeau.
1642] DE NICOLAS POUSSIN. III
almeno di esercitare la mia deuozione quanto si
estendano le mie debolezze. Ma prima di entrar piu
auanti in questo negozio del quale ella mi scriue gli
dirô che ultimamente facendo le raccomandazioni sue
al Sig^. de Chantelou è gli diede la sua lettera la
quale riceuè con grandiss'^° piacere è venendo al pro-
posito di parlare délia Abbadia sua mi disse che egli
èra vero che il Sig"^ de Noyers hauer per moite volte
tentato il Cardinale su questi negozio ma nonhauendo
potuto far cosa di momento per causa délie lettere
scritte costi et dal Re è dal detto Cardinale in fauor
del Mondino non haueuano voluto riuocare la prima
dimanda non vi era altra via per far conseguire a
VS : quel che desideraua le non che donando al detto
Mondino il primo benefizio vacante quisti per ricom-
penza e cedesse a VS : le sue pretenzioni giunse à
questo che il cardinal Barberino n'haueua scritto al
Cardinal Mazzarini. Sentite queste nuoue pregai ins-
tantemente il Sig^. de Chantelou di scriuerne à VS :
mi promesse di farlo e credo che la sua lettera giungera
costi prima di questa. Tornero dunque a dire che dop-
po hauer trattato secretamente il sudetto negozio del
Padre ferrari con l'istesso di Chantelou è datogli ad
intender ogni cosa, lo pregai di pensare qualche mezzo
di farlo gentilmente intendere al S'ig'^ de Noyers
senza che nessun altro lo sapessi questo si tratto al
12 di questo et al i5 del medisimo il detto Cantelou
mi disse che vi era buona disposizione gli diede
dunque in mano quanto lei mi haueua mandato
(eccetto la lettera di VS : che fesi copiare senza nome)
accio fussèro informati piu à pieno del fatto subito
che ne hauero qualche altra nova non manchero à
scriuerlo ma dio voglia che l'infiniti negozio che
112 CORRESPONDANCE [1642
hanno al présente (percioche il Re si parte al 25 di
questo mese per il viaggio délia Catalognia) non li
occupi in maniera che non possino volger gl' occhi
aile cose più curiose. lo ho fatto quanto ho potuto
in tanti mesi per fare espedire il privileggio del libro
del Angeloni ma la mia soUecitudine non ha potuto
tanto tuttavia credo sicuramente che sarà per il primo
ordinario io dico questo accio ella sappia la dificulta
che voi e à fare spedire il minimo negozio. Il Sig^.
de Chantelou ha messo in capo al Sig^. de Noyer di
pregare VS : Ill?f di permettere che li suoi sette sacra-
menti siano copiati da un Pitture che io deuo (dice
egli) nominare questo non vien gia del mio consiglio
VS: fera corne gli placera ma io so bene che non
hauerei mai gusto di rifare quello che già ho fatto
volta l'impieghi che mi danno non sono tante degni
che io non li potessi lasciare per attendere à qualche
noui disegni di Panni arazzi se loro pero hauessero
il pensiero a cose nobile ma à dire il vero non ci è
cosa quivi che meriti starci troppo. Temo di moles-
tarla con queste mie ciance la supplico caramente di
continuarmi nelle sue grazie è di credere mentre
viuero la maggior che hauero mai sara di compia-
cere à VS: Ill?f à cui bagio riuerenf^i^ le mani.
DI VS : Ill«f et Reu™f
Humiliss^p ser^^
Nicolô Poussin
Di Parigi 17 di Gennaro 1642.
Hauerei molta da caro di sapere qualche mezzo sicuro
per far tenere il quadretto suo quando sarà compito
accompagnato di qualche pochi disegni insieme con
la madonina del Sig^ Roccatagliata percio che non
li vorrei mettere in risico VS: me ne darà auuiso.
1642] DE NICOLAS POUSSIN. Il3
Mon HW^ et R'^e seigneur,
II y a quelques jours qu'une lettre de V. S. Ill™«= me
fut portée par un ami de Monsieur Bovart\ secré-
taire du Marquis de Fontane Mareil, Ambassadeur
à Rome, et le 6 janvier, par un facteur de la poste de
Lyon, un paquet dans lequel étaient le frontispice et
le titre du livre du Père Ferrari 2, appelé les Hespé-
rides, avec quatre pièces de miniature, représentant un
citron coupé de diverses manières, avec l'explication
du susdit fruit. Après avoir baisé la lettre de V. S. et
l'avoir ouverte, je la lus avec l'attention qui se doit,
et je compris son contenu, mais je m'estimai très
heureux de ce que vous daigniez me donner cette fois
l'occasion, sinon de vous servir, du moins d'exercer
mon dévouement dans les limites de mes faibles
moyens. Mais, avant d'entrer plus avant dans l'affaire
dont V. S. m'a écrit, je dirai que dernièrement, en
faisant vos recommandations à M. de Chantelou,
1. Il s'agit de « M. Board, secrétaire de l'Ambassade de
Rome, sous M. le Marquis de Fontenay ». Nous avons pris la
matière de nombreuses notes dans ses lettres inédites, qui
concernent les années 1641-1642 et 1647 (Bibl. nat., ms. fonds
Dupuy 343). Malheureusement Board n'y mentionne pas Pous-
sin; sa relation est exclusivement d'ordre diplomatique.
2. Jean-Baptiste Ferrari, jésuite, né à Sienne en 1584, reçu
en 1602, se distingua par l'étendue de ses connaissances. Il
occupa pendant vingt-huit ans la chaire d'hébreu au Collège
Romain et mourut à Sienne, le i"' février i655. Le titre exact
de l'ouvrage en question est : « Hesperides sive de Malorum
aureorum cultura et usu Libri quatuor Jo. Baptistae Ferrarii,
Senensis, e Societate Jesu. Romae, sumptibus Hermanni
Scheus, MDCXLVI, fol., pp. 48, sllelt. » Cet ouvrage contient
loi planches gravées sur cuivre par C. Bloemaert, d'après
Pietro de Cortone (Sommersvogel, p. 676). Ferrari avait loué
Poussin, affirmant que Louis XIII l'avait appelé en France
« afin que l'Alexandre français ne manquât pas d'avoir son
Apelles ».
1911 8
X
114 CORRESPONDANCE [1642
je lui ai donné votre lettre qu'il reçut avec un très
grand plaisir; et arrivé à parler du sujet de votre
Abbaye, il me dit qu'il était vrai que le seig"" de
Noyers eût, à maintes reprises, sondé le Cardinal sur
cette affaire, mais n'ayant pu faire rien d'important,
à cause des lettres d'ici écrites pour là-bas par le Roi et
le Cardinal en faveur de Mondino, ils n'avaient pas
voulu annuUer la première demande; qu'il n'y avait
pas d'autre moyen de faire obtenir à V. S. ce qu'elle
désirait que de donner le premier bénéfice vacant au
dit Mondino, qui en retour céderait ses prétentions
à V. S. Il ajouta à cela que le cardinal Barberini en
avait écrit au cardinal Mazzarini. Ayant appris ces
nouvelles, je priai instamment M. de Chantelou
d'écrire à V. S. Il me promit de le faire, et je crois
que sa lettre arrivera là-bas avant celle-ci. Je reviens
donc à dire qu'après avoir traité secrètement la sus-
dite affaire du Père Ferrari avec le même de Chante-
lou, et lui avoir donné explication du tout, je le priai
de penser à quelque moyen de la faire galamment
entendre à M. de Noyers, sans que personne autre
le sache. Cela se traita le 12 de ce mois, et le 1 5 du
même, le dit Chantelou me dit qu'il y avait de bonnes
dispositions. Je lui remis donc en main tout ce que
vous m'aviez envoyé (excepté la lettre de V. S. que je
fis copier sans nom) afin qu'ils fussent informés du
fait plus pleinement. Aussitôt que j'en aurai quelque
autre nouvelle, je ne manquerai pas de vous l'écrire,
mais Dieu veuille que les affaires infinies qu'ils ont à
présent (parce que le Roi part le 25 de ce mois pour le
voyage de Catalogne *) ne les occupent pas de manière
1. Louis XIII passa l'hiver de 1641 à Saint-Germain; il était
fort souffrant. Richelieu voulait qu'il se rendît devant Perpi-
1642] DE NICOLAS POUSSIN. Il5
qu'ils ne puissent tourner les yeux vers les choses
plus curieuses. J'ai fait tout ce que j'ai pu, depuis
tant de mois, pour faire expédier le privilège du livre
de l'Angeloni, mais mes sollicitations n'ont pas eu
assez de pouvoir. Toutefois, je crois sûrement que ce
sera pour le premier ordinaire. Je vous dis cela afin
que vous sachiez la difficulté qu'il y a à faire expé-
dier la moindre affaire. M. de Chantelou a mis
en tête à M. de Noyers de prier V. S. HW* de per-
mettre que ses sept sacrements soient copiés par un
peintre que je dois, dit-il, désigner. Cela ne vient pas
de mon conseil. V. S. fera ce qu'il lui plaira, mais je
sais bien que je n'aurai jamais du plaisir à refaire ce
que j'ai déjà fait une fois. Les travaux qu'ils me
donnent ne sont pas si relevés que je ne les puisse
laisser pour m'occuper à quelques nouveaux dessins
de tapisseries, s'ils pouvaient penser à de grandes
choses, mais à dire vrai, il n'y a rien ici qui mérite
qu'on s'y tienne trop. Je crains d'ennuyer V. S. de
mes sornettes. Je la supplie chèrement de me conti-
nuer ses grâces, et de croire que tant que je vivrai,
la plus grande que j'aurai sera de complaire à V. S.
lU^^, à qui je baise respectueusement les mains.
De V. S. Ill«« et R^^
Le très humble ser"",
Nicolas Poussin.
Je serais bien aise de savoir quelque moyen sûr de
vous faire tenir votre petit tableau quand il sera
achevé, accompagné de quelques petits dessins, en
même temps que la petite Madone du Seig^ Roccata-
gnan pour encourager l'armée qui l'assiégeait, mais Cinq-
Mars essayait de le retenir à Saint-Germain, où son influence
s'exerçait plus librement.
Il6 CORRESPONDANCE [1642
gliata, parce que je ne voudrais pas leur faire courir
de risque* Ainsi V. S. me donnera son avis.
54. — Poussin a Cass. del Pozzo.
(British Muséum •.)
Al 111"^° et Reu^° Sig[^,et Prôn
Qssmo II sigr Caualier del Posso
In Roma.
Per l'ordinario passato scrisse a VS: Ill'Pf che
haueuo trattato del negotio del Padre ferrari secreta-
mente con mosieur de Châtelou è che il sudetto
qualche giorni di poi mi disse hauer trouato il Sig :
de Noyers in buona dispositione ma ch' era di biso-
gno far vedere al sudetto Sig^t quello che VS : 111"??
mandaua per esser informato del tutto gli messi
dunque in mano il princîpio di detto libro il frontes-
picio è li quattro pezzi di miniatura con la lor dichia-
ratione alli 20 di questo riuidi il detto Sigî. de Chan-
talou il quai mi disse che si farebbe quanto lei et il
buon Padre desiderauano et che il Sig^ de Noyers
ordinarebbe quanto prima per la rimessa di denari
costi è giunse il sudV? che partendosi il Re di Parigi
con il Cardinale è tutta la Corte alli 25 del corrente
per Leone che pigliarebbe la cura totale di detto nego-
tio sopra di se et che nô era di bisogno che io ne
pigliassi altra briga eccetto di far sapere a VS : in che
stato era il fatto et auuertire che la dedication del
I. L'original est conservé au British Muséum, n° 23744. C'était
le n° 1075 de la vente faite le 8 juin 1860 chez MM. Christie.
Il avait fait partie de la collection de Sir Thomas Lawrence
et avait été fac-similé dans le catalogue de la troisième vente
des dessins de cette collection (août i835). Bottari l'a publiée,
t. I, p. 284.
1642] DE NICOLAS POUSSIN. II7
opéra si deue fare al Rè questo e quanto posso
scriuere per adesso se bene ho grandissima materia
di ringratiar VS : del honore de suoi commandi è de
segni continui délia sua amoreuolezza la prego di
continuarmi li suoi favori nel commandarmi mentre
gli bagio humillss',« le mani.
DI VS : Illff et Reud™"
Humiliss'î'f Ser^e
Nicolô Poussin.
Di Parigi 24 Gennaio 1642.
Par le dernier ordinaire, j'écrivis à V. S. 111™= que
j'avais traité secrètement de l'affaire du Père Ferrari
avec monsieur de Châtelou, et que, quelques jours
après, celui-ci me dit avoir trouvé M. de Noyers
en bonne disposition, mais qu'il était besoin de faire
voir au susdit Seig"", pour être informé du tout, ce
que V. S. Ill'"^ avait écrit. Je lui mis donc en main le
début du dit livre, le frontispice et les quatre mor-
ceaux de miniature avec leur explication. Le 20 de ce
mois, je revis le dit M. de Chantalou, lequel me dit
qu'il serait fait comme V. S. et le bon Père désiraient,
et que M. de Noyers donnerait des ordres à la
première occasion pour la remise de l'argent là-bas.
Il ajouta que le Roi, avec le Cardinal et toute la Cour,
partant le 25 courant pour Lyon\ il prendrait sur lui
le soin total de cette affaire et qu'il n'était pas besoin
que je fisse d'autre démarche, excepté de faire savoir à
V. S. en quel état se trouvait l'affaire, et d'avertir que
la dédicace de l'ouvrage se devait adresser au Roi.
I. Louis XIII quitte Saint-Germain le lundi 27 janvier 1642.
Il s'arrête six jours à Lyon, en février, et arrive à Narbonne
le II mars.
Il8 CORRESPONDANCE [1642
Voilà tout ce que je puis écrire pour le moment, bien
que j'aie le plus grand sujet de remercier V. S. de
l'honneur de ses ordres et des marques continuelles
de sa bienveillance. Je la prie de me continuer la
faveur de ses commandements cependant que je lui
baise très humblement les mains,
De V. S. HW^ et R'^^
Le très humble Ser^
Nicolas Poussin.
De Paris 24 janvier 1642.
55. — Poussin a Cass. del Pozzo.
(Coll. Alf. Huthi.)
Quando è grande la consolatione ch' io sento nel
esser fauorito délie lettere di VS : lU^f non lo potrei
esprimere in alcun modo giudichi dunque quanto
deue esser maggiore quando per quelle nedo conti-
nuare in me l'affection sua sono gratie che' di sopra
mi piouono dal cielo conosco bene chè in me non è
quella virtu che rende un huomo degno di essere
amato da lei confesso di non meritar tanto bene
hauerei maggiore cagione di contentenzza se almeno
la mia buona volunta (délia quale son tutto pieno)
nonvenisse impedita d'accidenti non preuisti dico in
questo modo perche à quel suo quadretto del Batte-
simo non ho potuto dar compimento essendo stato
constretto quando con più feruore mi ero messo à
I. Publiée dans Bottari, éd. 1767, 1. 1, p. 285. — Nous publions
la copie envoyée par M. Thibaudeau à M. de Chennevières en
1880, d'après l'original qui appartenait alors à M. Alfred Huth,
à Londres. — Cette collection a été vendue les 12 et i3 juin
191 1. Le lot i83 (lettre du 14 mars 1642) a été acheté par un
marchand non anglais nommé Megler (renseignement dû à
l'obligeance de M. Warrer, conservateur au British Muséum).
1642] DE NICOLAS POUSSIN. II9
volerlo fornir tralasciarlo per un freddo irrepente è
acuto in maniera che si dura fatica à sopportarlo
ben vestito à canto buon fuoco ma queste sono le
strauaganze di questo paese quindici di sono clie
l'aria si era fatta soave fuor di modo et ogni augeletto
cominciava col canto à ralegrarsi per l'apparente
primavera, ogni arbuscello comminsciava à spuntare
le tenere fronde è l'odorante viole con l'herbe molli
ricopriuano la terra poco auanti poluerosa dal hor-
rido fredo. ecco in una notte un vento dit tramontana
eccitato dalla forza délia luna Ruza (cosi la chiamano
in questo Paese) con una foltissima neve che respiuge
il bel tempo (troppo frettoloso certo) più lungi di
noi che non era del mese di Gennaro Non si mara-
vigli dunque VS : se hô abbandonato i pennelli che
mi sento gelere siuo al anima ma tosto che il tempo
correra commodo tornerô ancor io à dar compi-
mento alla sudetta operetta in tanto aspettarô quello
che VS: mi ordinerà per il sicuro inuiamento di quella
intanto la prego humil'.« di honorarmi sempre délie
sue gratie
DI VS : IllTf et Reuff
Humiliss™° Ser";*
Nicolo Poussin
di Parigî 14 Marzo 1642.
Si grande est la consolation que j'éprouve d'être favo-
risé des lettres de V. S. Ill™«, que je ne la peux expri-
mer d'aucune façon; jugez donc combien elle doit
grandir encore quand je vois par elles que vous
me continuez votre affection. Ce sont autant de
grâces qui me pleuvent du ciel. Je reconnais bien qu'il
n'y a pas en moi ces qualités qui rendent un homme
digne de votre affection ; je confesse que je ne mérite
120 CORRESPONDANCE [1642
pas un si grand bien. J'aurais plus de motifs de con-
tentement de moi-même si du moins la bonne volonté
(dont je suis tout plein) ne venait point à être empê-
chée par des accidents imprévus. Je dis cela parce
que je n'ai pu donner achèvement au petit tableau du
Baptême de V. S., ayant été contraint de l'inter-
rompre, quand je m'étais mis avec le plus d'ardeur à
le vouloir finir, par un froid subit et piquant, de sorte
qu'on a de la peine à le supporter, quoique bien vêtu
et près d'un bon feu, mais tels sont les caprices de
ce pays. Il y a quinze jours que la température s'y
était faite douce hors de saison, et que tous les petits
oiseaux y commençaient à se réjouir par leur chant
de l'arrivée du printemps; tous les arbrisseaux com-
mençaient à faire bourgeonner leur tendre feuillage,
et les odorantes violettes, avec l'herbe tendre, recou-
vraient la terre, poudreuse peu de jours avant d'un
horrible froid. En une nuit, voici un vent de tramon-
tane, soulevé par la force de la Lune Rousse (comme
ils l'appellent en ce pays-ci), avec une neige très
épaisse, qui rejette le beau temps, trop prompt à
venir, certainement plus loin de nous qu'il n'était au
mois de janvier. Que V. S. ne s'étonne donc pas si
j'ai abandonné les pinceaux, me sentant gelé jusqu'à
l'âme ; mais aussitôt que le temps redeviendra com-
mode, je me remettrai encore à terminer les susdits
petits ouvrages. D'ici là, j'attendrai ce que V. S.
m'ordonnera pour la sûreté de l'envoi. Je la prie hum-
blement de m'honorer toujours de ses grâces*
De V. S. Ill^e et R'"*
Le très humble Ser"",
Nicolas Poussin
De Paris 14 mars 1642.
I. N'oublions pas qu'à ce moment, les questions relatives à
1642] de nicolas poussin. 121
56. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, f°'- ^^0
A Monsieur de Chantelou,
Commis de Monseigneur de Noyers, en Court.
[20^ Mars 1642.
Cette lettre mérite d'être veue.
Il respond à celle que je luy escriuis de Nismes.
Il mande qu'il a fait le dessein de l'Horace. Il tes-
moigne en estre assés content.
Il dit une jolie comparaison pourquoy il n^escript
point à M. de Noyers.]
de Paris ce 20 Mars
Monsieur
Le Signeur Salomon Girard Mon cher ami se partant
d'ici pour aler en Court cest offert de vous présenter
mes trèshumbles baisemains et tout ensemble la pré-
sente par laquelle je vous remersie de l'honneur que
vous m'aués fet de mescrire et de m'auoir fet part des
belles choses que vous aués vues par vostre voiage'.
Je m'assure bien qu'il sera vroi ce que vous dittes
qu'à cette fois vous aurés cueilli avec plus de plaisir
la fleur des beaus ouurages qu'autrefois vous n'aués
vues qu'en passant sans les bien lire. Les choses
Poussin et à la grande Galerie n'étaient rien auprès du grand
drame psychologique et politique qui se jouait autour de
Louis XIII, entre Richelieu et Cinq-Mars. C'est la veille de
cette lettre que Cinq-Mars et ses complices (dont Gaston
d'Orléans et le duc de Bouillon) avaient signé le traité secret
avec l'Espagne (i3 mars 1642).
I. Le roi était arrivé à Narbonne le 10 mars et Richelieu le
i3. Le cardinal, très malade, y restera jusqu'au 27 mai, mais,
dès le 21 avril, le roi se rend au camp de l'armée qui assié-
geait Perpignan. Chantelou avait suivi M. de Noyers et Riche-
lieu et passé par Briare, la Charité, Moulins, Lyon, Beaucaire
et Narbonne.
122 CORRESPONDANCE [1642
esquelles il i a de la perfection ne se doiuent pas voir
alla haste mais avec temp jugement et intelligense. il
faut user des mesme moiens à les bien juger comme
à les bien faire. Les belle filles que vous aués vues à
Nimes ne vous aurons je m'assure pas moins délecté
l'esprit par la vue que les belles collomnes de la mai-
son quarée veu que celles ici ne sont que des vieilles
copies de cellelà. C'est ce me semble un grand con-
tentement lors que parmi nos trauaus i a quelque
entremes^ qui en adoucit la peine. Je ne me sens
jamais tant eccité à prendre de la peine et de trauail-
1er comme quand jay veu quelque bel obiect. Mais
héllas nous sommes ici trop loings du SoleiP pour i
pouuoir rencontrer quelque chose de délectable Mais
néanmoins quil ne me tombe rien dessous la vue
que de hideus le peu du reste des impressions que
jeus jadis des belle choses mont fourni je ne scais
quelle idée pour le frontispice de l'Orase^ qui peut
passer entre les autre petite choses que jay désignés.
Je lei constitué es mains de Monsieur de Chantelou"*
vostre fraire affin que Monsieur Meslen^ ne dise pas
1. S'est dit longtemps au théâtre au sens d'intermède {Dic-
tionnaire de Littré).
2. Bourdelot à Cass. del Pozzo, dès le 28 janvier 1642 : « J'ai
vu M. Poussin qui se porte bien ici, mais regrette toujours
Rome; nous devons faire une petite débauche virtuosa, exprès
pour boire et saluer vos bonnes grâces, et tombâmes dans la
même pensée que quel ricordo nous rendait heureux. »
3. « Une Muse qui pose le masque satyrique sur le visage
d'Horace, à cause de ses satyres, et tenant en main la lyre,
en signe de ses odes et chansons » (Bellori, trad. Rémond,
p. 27). On peut voir ce volume, exposé à la Bibl. nat., galerie
Mazarine, i'» vitrine du milieu en entrant, sous le n° 289.
4. Il s'agit ici de l'aîné des trois frères Fréart, Jean de Chan-
telou, et non pas du second, Roland de Chambray, comme
le dit à tort Quatremère de Quincy.
5. Le graveur Claude Mellan, baptisé à Abbeville, le 23 mai
1642] DE NICOLAS POUSSIN. 123
que je sois la cause du retardement de l'accomplisse-
mentdevosliures. Quand Monsieur du fresne* m'aura
donné le subiect du frontispice du Liure des Consilles ^
j'i trauaillerei ne désirant rien au monde plus que de
vous seruir. J'aurois ausi escript à Monseigneur et
l'aurois remersié de l'onneur quil m'a fet de m'auoir
escript de La Charité^ si se n'estoit que je me trouue
trop débile et de trop peu d'ornement de parolles
pour un personnage si délicat. Je ferei donc enuers
lui comme font les Oisons qui se partent des palluds
Méothides pour passer le Mons Thaurin craignans
les Aigles qui i habitent. Je vous supplie (Monsieur)
de m'en escuser enuers luy et l'assurer de ma réué-
rense et deuotion. Je vous enuoye une lettre mandée
1598, mort le 9 septembre 1688. Après avoir étudié à Rome,
avec Vouet, il s'est établi définitivement à Paris en 1637. —
« Il ne mit point son nom, ni celui du Poussin au frontis-
pice qu'il grava en 1641 sur le dessein de ce grand homme
pour paroître à la tête des œuvres de Virgile de l'impression
du Louvre. Il faut croire que le peintre s'en plaignit...; car
dans le frontispice pour les œuvres d'Horace et dans celui de
la Bible, qui furent gravés en 1642 et dont le Poussin avoit
pareillement fourni les desseins, cette omission est réparée »
(Mariette, Abecedario, t. III, p. 355).
1. Raphaël Trichet du Fresne (1611-1661); attaché à Gaston
d'Orléans quand de Noyers le nomma intendant de l'Imprime-
rie royale; Gabriel Naudé l'emmena ensuite en Suède, où il
devint conservateur, puis bibliothécaire de Christine, qu'il sui-
vit en Italie (i655). Mais Bonnaffé se trompe quand il dit que
c'est alors qu'il fit la connaissance de Poussin : cette lettre et
celle du 18 juin 1645 établissent qu'en i655 ils se connaissaient
depuis longtemps. L'Imprimerie royale, fondée en 1640, était
installée au rez-de-chaussée de la grande galerie du Louvre.
Louis XIII vint la visiter le 4 juin 1642,
2. « Le recueil général de tous les conciles mis en trente-
sept volumes, qui est le plus beau, le plus utile et le plus
royal ouvrage qui aist esté mis au jour jusques à cette heure »
(Roland Fréart de Chambray, Dédicace du Traité de la pein-
ture, i65i).
3. Richelieu était passé à la Charité-sur-Loire le 9 février 1642.
124 CORRESPONDANCE [1642
de Rome. Je vous fais très humble réuérense et
demeure à jamais
Vostre trèsobligé et trèsdéuôt seruiteur
Poussin
mon frère' vous baise très humblement les mains
comme font pareillement tous ceus de nostre brigade^.
57. — Poussin a Cass. del Pozzo.
(Bottari, t. I, p. 286.)
Intendo per la risposta, che V. S. Illustriss. m'ha
dato come Ella ha trovato a proposito il cercare
qualche mezzo sicuro per l'inviamento del quadro di
V. S. costi. Ricevuto che averô l'ordine, sapendo a
chi lo dovrô consegnare, non occorrerà far altro, se
non incontinente fornito che sarà, e asciutto bene,
usar délia dilligenza accennatami da Lei. Intanto
attenderô di condurlo a quelle perfezione, che a me
sarà possibile e maggiore. L'incomodità del tempo
passato, come già scrissi a V. S. è stata causa che
non l'ho fino adesso potuto intieramente compire.
Rimane il Cristo con due Angiolini, ma spero la set-
timana prossima darli l'ultimo mano : e quello del
Sig. Roccatagliata fornirollo, Dio ajutando, per Pas-
qua. Non saprei dare a V. S. nuova alcuna del ne-
gozio del Padre Ferrari, perciocchè non ho avuto
lettere da Monsieur de Chantelou d'allora, che si
parti di Parigi per Narbona, non estante, che alla
1. Gaspard Dughet (le Guaspre), beau-frère de Poussin.
2. Le mot est employé dans le même sens dans ce fragment
de lettre, de Gabriel Naudé à Cass. del Pozzo, 18 avril 1642 :
« Il signor Bourdelotio, col quale poi havemo bevuto assieme
con monsior Puzzino alla sanità di lei et del signor suo fra-
tello a quali tutta la nostra brigata. » Sur Naudé, voir la note i,
p. i56.
1642] DE NICOLAS POUSSIN. 125
sua partenza gli raccomandassi il dette negozio cal-
damente. Mi disse di volerne pigliar cura taie, che
non erà più bisogno di dirne altro : nondimeno ne
scriverô, e saprô al vero, se io posso, la risoluzione
del Sig. de Noyers. Coll' istessa occasione ho detto
al Sig. de Chantelou la difficoltà, che occorre per le
copie pretese da lui, e la cortesia, délia quale usa
V. S. nell' otîerirgliene i disegni coloriti. Credo, che
restera pago sentendo le ragioni, che V. S. adduce,
anzi è facil cosa, che la fantasia gliene sia passata
prima ancora, che la risposta gli ne sia venuta. Non
starô più a tediarla, ma dando fine a questa, la pre-
gherô umilmamente di farmi sempre partecipe délie
sue grazie, mentre me l'inchino devotamente, etc.
Di Parigi 27. Marzo 1642.
Niccolô Poussin,
Je vois par la réponse que V. S. IIH* m'a donnée
qu'elle a trouvé à propos de chercher quelque moyen
sûr pour l'envoi là-bas de votre tableau. Quand j'en
aurai reçu l'ordre et que je saurai à qui je le dois con-
signer, il n'y aura rien d'autre à faire (aussitôt qu'il
sera terminé et bien séché) que de prendre les
soins que vous m'indiquez. En attendant, je vais
le conduire à la perfection la plus grande qu'il me
sera possible. L'incommodité du temps qu'il a fait,
comme je l'ai écrit à V. S., a été cause que je n'ai pu
jusqu'à présent l'achever entièrement. Reste le Christ
aux deux petits anges, mais j'espère la semaine pro-
chaine y donner la dernière main ; et celui du seig.
Roccatagliata sera terminé pour Pâques * , Dieu aidant.
Je ne saurai donner à V. S. aucune nouvelle de l'af-
I. Pâques était le 20 avril 1642.
126 CORRESPONDANCE [1642
faire du Père Ferrari, parce que je n'ai pas eu de
lettre de Monsieur de Chantelou depuis qu'il est parti
de Paris à Narbonne, bien qu'à son départ je lui aie
recommandé chaudement la dite affaire. Il me dit
qu'il en voulait prendre tel soin qu'il n'était plus
besoin de lui en dire autre chose : néanmoins j'en
écrirai et je saurai au vrai, si je peux, la résolution
de M. de Noyers. Par la même occasion j'ai dit
à M. de Chantelou la difficulté que présenteraient
les copies auxquelles il prétend, et la courtoisie dont
en use V. S. en lui offrant des dessins coloriés.
Je crois qu'il sentira les raisons que V. S. lui donne,
mais c'est chose aisée que la fantaisie ne lui en soit
passée encore avant que la réponse ne lui soit parve-
nue. Je cesse d'ennuyer V. S., mais je la prie hum-
blement, en finissant la présente, de m'admettre tou-
jours dans ses bonnes grâces, cependant que je
m'incline respectueusement, etc.
Nicolas Poussin.
De Paris 27 Mars 1642.
58. — Poussin a Cass. del Pozzo.
(Copie Lafenestrei.)
AU III"^? et Reu^° Sigl^, et Prôn mio
Oss^^^ Il Sig\%Abbate di Cauore
In Roma.
Illmo et reu'f° Sig: Abbate mio Sigi;t
Comprendo molto bene per quel' ultima lettera del
I. Nous donnons le texte d'après la copie envoyée par
M. Lafenestre à M. de Chennevières, en 1879. Cette lettre a
été signalée à M. Advielle, p. 117, par M. Charavay et marquée
comme ayant été vendue 100 francs. C'est le n« i632 de la
1642] DE NICOLAS POUSSIN. I27
I * Marzo délia quale sono stato honorato da VS : Ill^f
quai via ho da tenere per l'inviamento più sicuro del
suo quadro ma tra tutti questi mezzi mi parebbe il
più spedito e forsi più sicuro sarebbe di trattar con
qualche corriere di leone è far in maniera che pro-
mettessi portarlo di leone a Roma chiuso nella sua
valigia perche io credo che la detta cassetta doue
sarebbe il quadro facilmente vi potrebbe intrare
potrà V. S : pigliarne la misura (mentre questo è del
istessa grandezza de gli altri) è farla vedere al detto
Corriero è guardare se si potrebbe aggiustare la detta
misura si pigliarà per il lato piu stretto. Quanto a
me assicuro V. S : di mandarli in leone con sicurezza
è farla capitare in mano di un molto galanthuomo
nominato monsieur vanscor il quale lo potrà con-
segnare in mano del Corriero con il quale V. S :
haverà trattato. Con questa via le cose anderanno un
poco alla lunga ma mi par la miglior via perché i
corrieri passano senza impedimento è presto dove per
mar le cose vanno alla lunga e le robbe sono sugette
alla fortuna del mare et dei Corsarii è spesso tal cose
sono spiate e sugette in somma à mille pericoli. Le
intanto si offerisse qualche buona occasione non la
perderô io scrissi in che stato era il sudetto quadretto
e per questo assicuro V. S. che dimani lo finisco di
tutto punto non lascero di rivederlo aile volte per se
io posso andarlo tuttavia megliorando. Havrei gusto
di potere attendere al suggetto che VS : mi propone
délie nozze di Peleo perché non se ne puô trovare uno
vente Fillion. M. Lafenestre l'indique d'une écriture très serrée
et très rapide. Il y a 44 lignes à la page. Bottari l'a publiée
(t. I, p. 287). La trace de l'original est aujourd'hui perdue.
I. Bottari a lu : del 7 Marzo.
ra8 CORRESPONDANCE [1642
che possi dare più sugetto di far cosa spiritosa che
questo ma la facilita che questi Sig^'. hamo trovato
im me è causa che nô ho tempo ne per soddisfare à
me ne per servire ad un patrone ô amico essendo
impiegato di continuo ad bagatelle cioè a disegni di
frontespicj de libri, o disegni per ornamenti de Cabi-
netti, camini coperchi de libri ed altre frascherie cosi
costoro aile volte mi propongono cose grandi ma
belle parole e cattivi fatti ingannano savi è matti.
Dicono che mi posso ricreare in queste cose a fine di
pagarme, con questo dire non essendomi queste
fatiche che sono lunghe è penose contate a niente.
Mi ordinô al partir di qui il Sig: de Noyers di fare
una madonna a gusto mio (acciô disse lui) che si
dicesse la madonna del Poussino come si dice la
Madonna di RafFaello. Voleva che io facesse un qua-
dro per la Capella délia congregatione dei Padri
Gesuiti ma visto il luogho per l'angustia è il manca-
mento di lume non vi si puô far niente di buono di
maniera che par non sappiano in che impiegarmi
havendomi fatto venir senza disegno. Dubito che
vedendo che nô facio venir la moglie meco dubitino
che dando maggior occasione di guadagno mi danno
ancora occasion maggiore di tornarmene presto. Ma
sia come si voglia se il disegno che fece nel animo
mio nel venir qui non mi riesce del tutto, n'haverô
fatto sempre una parte et il viaggio mi sarà stato ben
pagato. Hebbe l'altro giorno una lettera di monsieur
di Noyers dove mi mandava che il Re consen-
tiva (perché prima che sono partito io mi ero lamen-
tato delli impieghi dove mi facevano quasi perdere
il tempo) che dopo aver posto mi ordine générale
alla Galleria grande comettesi parte di me monsieur
1642] DE NICOLAS POUSSIN. I29
Lemer amico mio del quale V. S. ha non so che qua-
dretti di Ruine, acciô io potessi liberamente attendere
alla fattura di disegni à Pitture di Sette Sacramenti
per servire a fare le tapezzerie regge non so se questo
verra ad effetto si vede bene in questo che sono corne
questi animali che per dove uno passa tutti gli altri
vogliono passare.
Ho un gusto particolare délia risposta data da
V. S. a monsieur de Chantelou toccando il copiar de
suoi quadri. Perché io so buono innovare è non
copiar le cose già fatte una volta da me. Di là si pu6
giudicare facilmente délia lor furia in ogni cosa per-
ciochè se immaginano con questo mezzo di avanzar
molto tempo : insomma sta molto bene che V. S. li
habbia solo. Scriverô alla prima comodità a mon-
sieur de Chantelou che faccia ricordare al Sig: de
Noyers del negotio del Padre Ferrari. VS : me iscusi
se le ho cosi molesto e se mi piglio questo ardire di
scriverle con questa familiarità, essendo un Sigi;t che
devo riverir sommamente ma non potendomi confi-
dar con nessun altre mi lascio incorrere in questo
fallo. Le priego dal Cielo il compimento de suoi
degni desirii la riverisco humilissimamente e le bagio
le mani.
DI VS. Ill'pf e Reu^f
Humiliss'î'.o Serff
Nicolô Poussin.
Di Parigi 4 Aprilc 1642.
A l'Ill'^^ et Rev^^ Seig", mon Maître très honoré^
le Seig^ Abbé de Cavore^ à Rome.
Ill™e et revns Seigf Abbé mon Seigr,
Je comprends fort bien, par cette dernière lettre du
1911 9
l3o CORRESPONDANCE [1642
!««■ mars dont V. S. IIW^ m'a honoré, quelle voie je dois
tenir pour l'envoi plus assuré de son tableau, mais,
de tous ces moyens, il me semble que le plus expédi-
tif et peut-être le plus sûr, serait de traiter avec quelque
courrier de Lyon, et de faire en sorte qu'il promît de
le porter de Lyon à Rome enfermé dans sa valise,
parce que je crois que la dite petite caisse où serait le
tableau y pourrait facilement entrer. V. S. pourra en
prendre la mesure (puisque celui-ci est de la même
grandeur que les autres), et la faire voir au dit Cour-
rier, et s'assurer qu'elle peut s'y ajuster. La dite
mesure se prendra par le côté le plus étroit. Quant à
moi, je certifie à V. S. que je l'enverrai à Lyon en
toute sécurité, et le ferai tenir entre les mains d'un
fort galant homme, nommé monsieur Vanscor, qui
pourra le consigner aux mains du Courrier avec
lequel V. S. aura traité. Par cette voie, les choses
iront un peu par la longue voie, mais pour moi c'est
la meilleure, parce que les courriers passent sans
empêchement et vite, là où par mer les choses vont
longuement et les marchandises sont sujettes aux
hasards de la mer et des corsaires, et souvent de telles
choses sont guettées et exposées en somme à mille
périls. Si cependant il s'offrait quelque bonne occa-
sion, je ne la perdrais pas. J'ai écrit en quel état se
trouvait le susdit tableau et j'assure par celle-ci V. S.
que demain je le finis de tout point, et je ne laisserai
point de le revoir quelquefois pourvoir si je peux lui
donner encore quelque amélioration. J'aurai plaisir à
pouvoir m'occuper du sujet que V. S. me propose
des noces de Pelée*, parce qu'il ne s'en peut trouver
I. Le catalogue de Smith ne signale aucun tableau des noces
de Pelée.
1642] DE NICOLAS POUSSIN. l3l
d'autre qui puisse donner lieu de faire une chose plus
pleine d'invention que celui-là, mais la facilité que ces
M" ont trouvée en moi est cause que je n'ai le temps,
ni de me satisfaire, ni de servir un maître ou ami,
employé sans répit que je suis à des bagatelles, telles
que dessins de frontispices de livres, dessins pour
orner des cabinets, des cheminées, des reliures de
livres et autres niaiseries. Parfois aussi ils me pro-
posent de grandes choses, mais à belles paroles et
tristes effets, se laissent prendre sages et fous. Ils me
disent qu'à ces choses-là, je peux me récréer, afin de
me payer ainsi de paroles, car ces travaux, qui sont
longs et pénibles, ne m'étaient comptés pour rien. A
son départ d'ici, M. de Noyers m'ordonna de faire une
Vierge à mon goût, afin, dit-il, que l'on dise la
Madone du Poussin, comme on dit la Madone de
Raphaël. Il voulait que je fisse un tableau pour la
chapelle de l'ordre des Pères Jésuites, mais après
avoir vu l'endroit, à cause de l'exiguité et du défaut
de lumière, il ne s'y peut rien faire de bon, de sorte
qu'il semble qu'ils ne sachent pas à quoi m'employer
et qu'ils m'aient fait venir sans plan arrêté. Je me
doute que voyant que je n'amenais pas ma femme
avec moi, ils imaginent qu'en me donnant une plus
grande occasion de gain, ils me donneraient aussi une
plus grande occasion de m'en retourner prompte-
ment. Mais, quoi qu'il arrive, si le parti que j'ai pris
dans mon esprit de venir ici, ne me réussit pas
entièrement, j'en aurai toujours réalisé une partie,
et le voyage m'aura été bien payé. J'eus l'autre jour
une lettre de monsieur de Noyers où il me mandait
que le Roi consentait (parce que je m'étais plaint
avant qu'ils partent des travaux auxquels ils me fai-
Ii32 CORRESPONDANCE [1642
saient presque perdre mon temps) à ce qu'après avoir
arrêté un plan général pour la grande galerie, j'en
chargeasse sous moi monsieur Lemer * , mon ami, dont
VS. a je ne sais quels petits tableaux de ruines, afin
que je pusse librement m'occuper de l'exécution des
dessins pour les Peintures des Sept Sacrements, pour
servir à faire les tapisseries royales. Je ne sais si l'on
en verra l'effet. On voit bien en cela qu'ils sont comme
ces animaux qui, par où l'un passe, tous les autres
veulent y passer.
J'ai un plaisir particulier de la réponse que V. S. a
donnée à monsieur de Chantelou, touchant la copie
de vos tableaux, parce que je suis bon à faire du nou-
^ veau, et non à copier ce que j'ai déjà fait une fois.
Par là on peut juger facilement de leur furia en toute
chose, parce qu'ils s'imaginent gagner beaucoup de
temps par ce moyen : en somme il est fort bien que
V. S. les possède seule. J'écrirai à la première occa-
sion à monsieur de Chantelou qu'il fasse souvenir le
Seigr de Noyers de l'affaire du Père Ferrari. Que
V. S. m'excuse si je lui suis si importun, et si je prends
la liberté de lui écrire avec cette familiarité, vous
qui êtes un Seig"" que je dois révérer souverainement,
mais ne pouvant me confier à personne autre, je me
laisse entraîner à ce manquement. Je prie le Ciel
pour l'exaucement des dignes désirs de V. S.; je la
révère très humblement et lui baise les mains
De V. S. IIH-^ et R"»"
Le très humble Ser"",
Nicolas Poussin.
De Paris, 4 Avril* 1642.
1. Jean Lemaire (voir la lettre suivante et la note 2, p. 9).
2. Dans ce même mois d'avril, les amis de del Pozzo se
réunirent pour un repas intime, dont Bourdelot lui écrit
1642] de nicolas poussin. l33
59. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fol- 65.)
A Monsieur de Chantelou^
Commis de Monseigneur de Noyers^ en Court.
[Cette lettre dénote quil auoit lesprit ambarrassé
des différentes choses dont Ion le sur char geoit^.]
de Paris ce yiesœ* auril 1642
Monsieur J'eus dernièremen l'onneurde recep-
uoir une lettre de Monseignour datée du 23'"™« Mars^
laquelle au commencem' contient ces mots exprès.
Le Génie du poussin veut agir si librement que je ne
veux pas sellement lui indiquer ceque celui du Roy
désire du sien. (Monsieur) Je nay jamais seu ce que
le Roy désireroit de moy qui suis son trèshumble Ser-
uiteur et ne crois pas qu'on lui ay jamais dit à quoy
je suis bon. De plus il me dit que Sa Maiesté sera for
ce joli récit, le i" mai 1642 : « ... J'ai été pour voir M. Pous-
sin pour lui faire voir les témoignages d'affection que vous
avez pour lui; je ne l'ai pas trouvé en son logis, mais je
l'y trouverai. C'est un homme qui vous adore et qui respire
toujours l'Italie, mais principalement vous, son grand patron.
Six jours devant mon partement, nous fîmes le festin dont je
vous avais écrit en votre commémoration. M" Naudé, Patin et
Ruher, très savants hommes et médecins y étaient, le bon
M. Gassendi, M" Poussin, le Maire et Rémy, fameux peintres,
qui ont tous une haute vénération pour vous, où votre santé
fut bue avec grandes acclamations et celles du Sig' Carlo
Antonio; si nous eussions eu votre portrait, nous l'eussions
couronné de fleurs et rendu tous les honneurs qu'on faisait
aux héros de l'antiquité. Ils visitèrent mes petites antiques
dont ils trouvèrent quelques-unes belles. » M. de Noyers
aurait récusé quelque convive, notamment Guy Patin, ennemi
des « loyolites » et de la « séquelle cardinalesque ».
1. L'écriture de la lettre paraît, en effet, assez émue.
2. M. de Noyers se trouvait alors à Narbonne, où séjour-
naient Louis XIII et Richelieu.
l34 CORRESPONDANCE [1642
aise que Je donne les ordres généraus à Monsieur
Le Maire pour conduire sous moy les ouurages de la
grande gallerie. Je le feray volontiers. Car comme
désireus de son bien il en aura le guain. et pourra en
ce travail s'amaigrira mais néanmoins je ne scaurois
bien entendre ce que Monseigneur désire de moy
sans grande confusion, dautans qu'il mest impos-
sible datendre à des frontispices de liures à une vierge
au tableau de la Congrégation de S*-Louys à tous les
deseins de la gallerie. et à faire des tableaus pour les
tapiseries Royalles. Je nay que une main et une débile
teste, et ne peus estre secondé de personne ne soulagé.
il dit que je pourray diuertir mes belles idées à faire
la susdite Vierge et la purification nostre dame^.
Cest la mesme chose comme quand l'on me dit vous
ferés un tel dessein à vos heure perduees. Mais tour-
nons à Monsieur Le Maire. S'il est bastans de faire
ceque je luy direi dès ausi tost quil le voudra entre-
prendre je l'informerei de tout ce quil aura à faire.
Mais je ni veux plus après mettre la main. Mais sil
faut atendre que jaye mis les ordres que dit Monsei-
gneur il ne me faut point parler dautre employ dau-
tans que comme jei dit plusieurs fois cest tout ce que
je peux faire, et quand jen serois totallem* deschargé
les desseins des tapisseries sont bien suffisant pour
me donner à penser. San que jay besoin dautre diuer-
tissemens. Vous m'escuserés (Monsieur) si je parle si
librement. Mon naturel me contrainctde chercher et
aimer les choses bien ordonnées fuians la confusion
qui m'est ausi contraire et anémie comme est la
1. On le surnommait « le gros Lemaire ».
2. Cette Purification n'est pas mentionnée dans le catalogue
de Smith. Poussin n'a pas dû l'exécuter.
1642] DE NICOLAS POUSSIN. l35
lumière des obscurs ténèbres. Je vous dis cesi confi-
damment m'assurant sur la bonté de vostre naturel
et parceque vous gouuernés^ l'esprit de Monseignour
particulièrement sur ces choses icy^.
1. Poussin a évidemment écrit : gouuernés, — mais le mot
a été surchargé, d'une encre plus noire, par le mot : entraî-
nés.-^ Je suppose que Chantelou, qui communiquait très pro-
bablement à M. de Noyers toutes les lettres de Poussin, aura
d'abord corrigé le mot : gouuernés, qui aurait paru un peu
excessif, et lui aura substitué un terme plus acceptable pour
M. de Noyers.
2. Une lettre capitale, et non encore signalée, de Gabriel
Naudé à Cass. del Pozzo, du 18 avril 1642, explique clairement
la situation de Poussin :
« J'ai pareillement remis à M. Poussin la lettre en main
propre, et lui ai donné des renseignements et (fait) une rela-
tion particulière sur ce que l'Ill. M. Carlo Antonio et M. Ste-
fano promettaient de faire, c'est-à-dire [de veiller à ce] que
ses intérêts fussent bien gouvernés. Mais enfin dans l'entre-
tien un peu plus prolongé que j'eus avec lui dans la maison
de M. Bourdelot, je découvris au net son intention, qui est de
demeurer ici encore quelque temps, pour s'en retourner après
à Rome, où, affirme-t-il, il jouit d'une plus parfaite santé de
corps et d'un plus grand repos de l'âme, et s'il est bien pos-
sible que ce soit la véritable cause, toutefois je m'imagine
encore que ce peut être un prétexte, car, à le dire confiden-
tiellement à V. S. Ill"", quoique M. Poussin soit homme d'un
très grand talent et connu pour tel par beaucoup de ministres,
toutefois, le Vouet se maintient très ferme et est l'occasion
chaque jour d'une concurrence fort ennuyeuse, car c'est un
homme effréné, d'humeur violente, qui cherche son intérêt
perfas et nefas, et quand il pense le trouver, il ajoute quelque
ironie et sarcasme, comme verbi gratia de répandre le bruit
que tel tableau que l'on estime fait par lui, est seulement d'un
de ses aides. Tout cela ne doit pas plaire beaucoup à qui est
considéré ici comme son antagoniste ou concurrent. Il me
semble encore que les ministres ont un peu manqué de dis-
cernement en mettant tant de commandes sur le dos de
M. Poussin que — travaillât-il continuellement — il ne pouvait
espérer les achever dans toute sa vie, et à cet ennui s'en ajoute
un autre, car ledit M. Poussin travaillant seulement ses des-
sins et cartons, il peut se rencontrer que des peintres igno-
rants ne les copient à sa manière, de sorte que ou pour ces
raisons ou pour d'autres, je tiens pour assuré que ledit M.,
l36 CORRESPONDANCE [1642
Le sieur Vincent Manciolla ma prié que je sache
de vous sil doibt venir comme il fut proposé dès
l'anée passée pour lui faire dépeindre les tableaus du
lambris de la gallerie du Louvre il en atend la res-
ponce et de l'argent pour son voyage.
Le sieur Angelloni vous supplie trèshumblement
de luy faire cette faueur quil puisse recepuoir quelque
lettres touchans l'agrément de son livre et affin que
estans honnoré d'icelles elle facent taire ceux qui
quelquefois mette leur langues jusque au Ciel et
quelle puisse seruir pour honnorer sa postérité C'est
une grâce que vous lui pouués faire'. Le bon Père
Ferrari est atendans les commandements de Monsei-
gneur touchans la dédication de son liure des Hes-
pérides au Roy vous en aués donné des espérances
assés grandes pour oser vous en faire souuenir. Sil
vous plaist Monsieur me donner un mot de responce
vous soulagerés extrêmement votre trèshumble ser-
uiteur
pour vous seruir
à jamais
Poussin
Jey entendu dire quil ia à Narbonne en quelque lieu
dès qu'il aura fini ce qu'il s'est pour l'instant chargé d'exécu-
ter, s'en retournera à Rome pour vivre plus tranquillement,
et bien que je Ten ai dissuadé le plus qu'il m'a été possible,
toutefois je dis confidentiellement à V. S. 111"" que les agita-
tions de cette cité sont telles et si fastidieuses à qui est habi-
tué à la vie de Rome qu'il lui paraît chose certaine d'être passé
du paradis dans l'enfer... Je supplie V. S. Ill"* de ne pas divul-
guer ce que je lui ai dit sur M. Poussin... » (traduction du
texte italien, cité dans Lumbroso, Notù^ie sulla vita di Cas-
siano del Po:{:{o con alcuni siioi ricordi e una centeria di let-
tere (dont celles de Bourdelot). Turin, 1875 (dans Miscellanea,
t. XV).
I. Dans le manuscrit, un intervalle de deux centimètres.
1642] DE NICOLAS POUSSIN. iSj
de ces murailles un bas relief dexellente manière
vous vous en pourries informer'.
60. — Poussin a Gass. del Pozzo.
(Bottari, t. I, p. 290.)
Subito ch' ebbi ricevuta quella di V. S. Illustriss.
de i5. Marzo, sentito corne mi avevo da comportare
intorno ail' invio de i due quadretti, feci diligenza di
vedere il Sig. Carlo maestro di casa del Cardinal
Mazzarino; ma avendo egli mutato casa mi fu inse-
gnato in che luogo dimorava; e trovata la stanza mi
fu detto, ch' egli aveva cominciato a far portar ivi
non so che mobili, ma che ancor non vi stava, e si
credeva fosse fuor di Parigi. Subito, che saperô del suo
ritorno, vedrô, se si potrà far quello, che si desidera.
Intanto V. S. averà ricevuto la mia, dove le propongo
un mezzo il più securo, il quale non è al parer mio
lontano dal sentimento di V. S. ma se il sudetto Sig.
Carlo ne darà la comodità di mandar li detti qua-
dretti, io lo farô prontamente sapere a V. S., ma se
I. Il est possible que ce soit le bas-relief que Sauvai décrit,
chez M. de Noyers : « On voit aussi dans un des coins de cette
cour, un demi-relief antique de marbre blanc que la ville de
Nîmes donna à ce ministre d'État, à son retour de Roussil-
lon... » C'est, ajoute Sauvai, « un morceau de frise d'un grand
et superbe édifice ... une forte et puissante aigle qui traînoit
dans son bec un feston d'une longueur, et d'une grosseur
extraordinaire : les fruits, les fleurs, les graines qui le forment,
sont d'un grand goût et d'une savante manière ... l'attitude de
cette aigle est fière et brave, et se ressent bien du faste
Romain... » {Antiquités de Paris, t. II, p. 207). — Il ne serait
pas surprenant que Poussin eût été renseigné par Cassiano
del Pozzo, à qui Bourdelot avait écrit, le 3 octobre lôSg : « Je
fais ici la guerre aux antiques que je cherche par toutes les
maisons de Narbonne; il y a quantité de beaux bas-reliefs,
inscriptions et tombeaux », — ou par Bourdelot lui-même.
*>!»•
l38 CORRESPONDANCE [1642
la comodità non fosse pronta, intanto Ellapotràren-
dermi risposta di quello, che le ho proposto. Oltre di
questo, Monsù Stella pittore et amico mio si parti
l'altro jeri per Leone sua patria, dove starà tutta l'es-
tate. Egli mi ha promesso, se occorrerà, di trattare
con qualche corriero, che egli li conosce tutti, et
inviare a Roma sicuramente ciô, che gli manderô,
corne se fusse cosa sua propria. V. S. mi accenni ciô,
che le pare per il meglio : finalmente farè ogni dili-
genza per condurre a fine il suddetto negozio man-
dandolo franco di porto per Roma. Ho scritto al Sig.
de Chantelou del negozio del Padre Ferrari, deilibri
del Ligorio, e di altre cose, delli quali il sudetto
m' ha promesso di pigliarsi cura. Dalla parte mia non
mancherô di far sempre quello, che farà del debito
mio tanto, quanto si estenderanno le mie debo-
lezze etc.
Parigi i8. Aprile 1642.
Niccolô Poussin.
Aussitôt que j'eus reçu la lettre du i5 mars de
V. S. 111"% et que j'eus compris comment j'avais à
procéder pour l'envoi de ses deux tableaux, j'ai fait
diligence pourvoir le Seig"" Carlo', intendant du car-
dinal Mazzarino; mais, comme il avait changé de
demeure, on m'indiqua l'endroit où il demeurait; et
sa chambre une fois trouvée, on me dit qu'il avait
commencé à y faire porter je ne sais quels meubles,
mais qu'il ne s'y tenait pas encore, et qu'on le croyait
hors de Paris. Aussitôt que j'apprendrai son retour,
je verrai s'il peut faire ce que vous désirez. D'ici là,
1. C'est ce même « s' Charles, qui fait mes affaires à Paris »,
comme l'écrivait Mazarin à Chantelou, le 4 décembre 1640.
1642] DE NICOLAS POUSSIN. iSq
V. S. aura reçu ma lettre où je lui propose le moyen
le plus sûr, qui n'est pas, à ce qu'il me parait, éloigné
de l'avis de V. S., mais si le dit Seig"^ Carlo nous
donne l'occasion d'envoyer les dits tableaux, je le
ferai promptement savoir à V. S., mais si l'occasion
n'était pas prochaine, vous pourriez d'ici là me rendre
réponse sur ce que je vous ai proposé. Outre cela,
Monsieur Stella, peintre, mon ami, est parti avant-
hier pour Lyon sa patrie, où il restera tout l'été. Il m'a
promis, en l'occurrence, de traiter avec quelque
courrier — lui qui les connaît tous — et d'envoyer à
Rome ce que je lui enverrai, en sûreté comme si
c'était son propre bien. Que V. S. me fasse savoir ce
qui lui parait le meilleur : enfin je ferai toute dili-
gence pour mener la susdite affaire à bonne fin, en
envoyant le tableau à Rome, franc de port. J'ai écrit
à M. de Chantelou de l'affaire du Père Ferrari, des
livres du Ligorio, et des autres choses dont il m'a
promis de prendre soin. De mon côté, je ne manque-
rai pas de m'acquitter d'un tel devoir selon l'étendue
de mes faibles moyens, etc.
Nicolas Poussin.
Paris, 18 avril 1642.
61. — Poussin a M. de Noyers.
(Félibien, éd. i685, p. 278.)
Ces discours n'auroient pas esté capables de tou-
cher le Poussin, s'il n'eust sceû qu'ils alloient jusques
à M. de Noyers qui les écoutoit, et qui peut-estre en
fit paroistre quelque chose. Cela donna occasion au
140 CORRESPONDANCE [1642
Poussin de luy écrire une grande lettre ^ qu'il com-
mença par luy dire :
« Qu'il auroit souhaité de mesme que faisoit autre-
fois un Philosophe, qu'on pust voir ce qui se passe
dans l'homme, parce que non-seulement ony décou-
vriroit le vice et la vertu, mais aussi les sciences et
les bonnes disciplines; ce qui seroitd'un grand avan-
tage pour les personnes sçavantes, desquelles on pour-
roit mieux connoistre le mérite; mais comme la
nature en a usé d'une autre sorte, il est aussi difficile
de bien juger de la capacité des personnes dans les
sciences et dans les arts, que de leurs bonnes ou de
leurs mauvaises inclinations dans les mœurs.
Que toute l'étude et l'industrie des gens sçavans ne
peut obliger le reste des hommes à avoir une croyance
entière en ce qu'ils disent. Ce qui de tout temps a
esté assez connu à l'égard des Peintres non -seu-
lement les plus anciens, mais encore les modernes,
comme d'un Annibal Carache^, et d'un Domini-
1. « C'est, à coup sûr, l'une des lettres les plus curieuses qu'il
ait écrites, celle que Félibien s'était procurée, je ne sais
comme, des héritiers sans doute de M. de Noyers, et qui ne
fait point partie du recueil que nous a conservé M. de Chan-
telou, de sa correspondance personnelle. » ... « Poussin pro-
fite de l'occasion offerte pour infliger à M. le surintendant
des Bâtiments une leçon complète et d'un tour fort relevé, sur
ce qui convenait à l'entreprise pour laquelle on l'avait mandé,
leçon capable d'apprendre à tout jamais à de Noyers ses fonc-
tions de surintendant, et avant tout la valeur extraordinaire
de l'homme qu'il avait là dans la main et le respect profond
qui lui était dû. Il semble, en effet, que le coup ait porté
juste, car de ce jour Poussin parut avoir ses coudées franches,
et M. de Noyers ne lui demande plus que d'accélérer son
œuvre » (Ph. de Chennevières, La peinture française, p. 179).
2. Poussin avait lu les malheurs d'Annibal Carrache dans le
« Libro délie opère de Caracci al bulino et ail' aqua forte con
la vita delV istesso », cité dans le « Mémoire des pièces qui se
sont trouvées à Rome dans le cabinet de Monsieur Nicolas
1642] DE NICOLAS POUSSIN. I4I
quin% qui ne manquèrent ni d'art, ni de science, pour
faire juger de leur mérite, qui pourtant ne fût point
connu, tant par un effet de leur mauvaise fortune, que
par les brigues de leurs envieux qui jouirent pendant
leur vie d'une réputation et d'un honneur qu'ils ne
méritoient point. Qu'il se peut mettre au rang des
Caraches et des Dominiquins dans leur malheur. Et
s'adressant à M. de Noyers, il se plaint de ce qu'il
preste l'oreille aux médisances de ses ennemis, luy
qui devroit estre son protecteur, puis que c'est luy qui
leur donne occasion de le calomnier, en faisant oster
leurs Tableaux des lieux où ils estoient, pour y placer
les siens.
Que ceux qui avoient mis la main à ce qui avoit
esté commencé dans la grande Gallerie, et qui pré-
tendoient y faire quelque gain, ceux encore qui espé-
roient avoir quelques Tableaux de sa main, et qui
s'en voyoient privez par la défense qu'il luy a faite
de ne point travailler pour les particuliers, sont autant
d'ennemis qui crient sans cesse contre luy. Qu'encore
qu'il n'ait rien à craindre d'eux, puis que par la grâce
de Dieu il s'est acquis des biens qui ne sont point des
Poussin, et qui sont présentement à vendre entre les mains
du sieur Joanni [Jean Dughet], son cousin et son héritier, en
1678 » (Paris, Bibl. nat., mss. coll. Moreau849, ^^^- ^4l)- — Anni-
bal Carracci (1560-1609); Poussin déclarait sa grande galerie du
palais Farnèse l'une des merveilles de l'art. Il ne reçut pour
ce travail de huit années que la somme ridicule de 5oo écus.
Il revint de Rome profondément découragé. Un voyage qu'il
fit à Naples ne dissipa pas son chagrin et il revint mourir à
Rome à quarante-neuf ans.
I. Domenico Zampieri, né en i58i. On sait l'impression qu'il
produisit sur Poussin, qui put le fréquenter de 1623 à i63o,
avant son départ pour Naples. Poussin avait certainement
appris avec douleur les persécutions que lui fit subir la cabale
de Ribera, et sa mort, avec apparence de poison, le i5 avril
1641.
142 CORRESPONDANCE [1642
biens de fortune qu'on luy puisse oster, mais avec
lesquels il peut aller partout : la douleur néanmoins
de se sentir si maltraité, luy fourniroit assez de matière
pour faire voir les raisons qu'il a de soustenir ses
opinions plus solides que celles des autres, et luy
faire connoistre l'impertinence de ses calomniateurs.
Mais que la crainte de luy estre ennuyeux le réduit à
luy dire en peu de mots, que ceux qui le dégoustent
des ouvrages qu'il a commencez dans la grande Gal-
lerie sont des ignorans, ou des malicieux. Que tout
le monde en peut juger de la sorte, et que luy-mesme
devroit bien s'appercevoir que ce n'a point esté par
hasard, mais avec raison qu'il a évité les défauts et
les choses monstrueuses qui paroissoient déjà assez
dans ce que le Mercier avoit commencé, telles que
sont la lourde et désagréable pesanteur de l'ouvrage,
l'abbaissement de la voûte qui sembloit tomber en
bas, l'extrême froideur de la composition; l'aspect
mélancolique, pauvre et sec de toutes les parties; et
certaines choses contraires et opposées mises ensemble
que les sens et la raison ne peuvent souifrir, comme
ce qui est trop gros et ce qui est trop délié; les par-
ties trop grandes et celles qui sont trop petites; le
trop fort et le trop foible, avec un accompagnement
entier d'autres choses désagréables.
Il n'y avoit, continuè-t-il dans sa lettre, aucune
variété ; rien ne se pouvoit soustenir, l'on n'y trouvoit
ni liaison, ni suite. Les grandeurs des quadres
n'avoient aucune proportion avec leurs distances, et
ne se pouvoient voir commodément, parce que ces
quadres estoient placez au milieu de la voûte, et jus-
tement sur la teste des regardans, qui se seroient, s'il
faut ainsi dire, aveuglez en pensant les considérer.
1642] DE NICOLAS POUSSIN. 148
Tout le compartiment estoit défectueux, l'Architecte
s'estant assujeti à certaines consoles qui régnent le
long de la corniche, lesquelles ne sont pas en pareil
nombre des deux costez, puis qu'il s'en trouve quatre
d'un costé, et cinq à l'opposite : ce qui auroit obligé
à défaire tout l'ouvrage, ou bien y laisser des défauts
insupportables. »
Après avoir ainsi remarqué ces manquemens,
et apporté les raisons qu'il avoit eues de tout
changer, il justifie sa conduite, et ce qu'il a fait,
en faisant comprendre de quelle sorte l'on doit
regarder les choses pour en bien juger.
« Il faut sçavoir, dit-il, qu'il y a deux manières de
voir les objets, l'une en les voyant simplement, et
l'autre en les considérant avec attention. Voir simple-
ment n'est autre chose que recevoir naturellement
dans l'œil la forme et la ressemblance de la chose
veûë. Mais voir un objet en le considérant, c'est
qu'outre la simple et naturelle réception de la forme
dans l'œil, l'on cherche avec une application particu-
lière les moyens de bien connoistre ce mesme objet :
Ainsi on peut dire que le simple aspect est une opé-
ration naturelle, et que ce que je nomme le Prospect
est un office de raison qui dépend de trois choses,
sçavoir de l'œil, du rayon visuel, et de la distance de
l'œil à l'objet : et c'est de cette connoissance dont il
seroit à souhaiter que ceux qui se meslent de donner
leur jugement fussent bien instruits.
Il faut observer, continué le Poussin, que le lambris
de la Gallerie a vingt-un pieds de haut, et vingt-
quatre pieds de long d'une fenestre à l'autre. La lar-
geur de la Gallerie qui sert de distance pour consi-
dérer l'étendue du lambris a aussi vingt-quatre pieds.
Î44 CORRESPONDANCE [1642
Le Tableau du milieu du lambris a douze pieds de
long sur neuf pieds de haut, y compris la bordure :
de-sorte que la largeur de la Gallerie est d'une dis-
tance proportionnée pour voir d'un coup d'œil le
Tableau qui doit estre dans le lambris. Pourquoy
donc dit-on que les Tableaux des lambris sont trop
petits, puis que toute la Gallerie se doit considérer
par parties, et chaque trumeau en particulier? Du
mesme endroit et de la mesme distance on doit regar-
der d'un seul coup d'œil la moitié du cintre de la
voûte audessus du lambris, et l'on doit connoistre
que tout ce que j'ay disposé dans cette voûte doit estre
considéré comme y estant attaché et en plaque, sans
prétendre qu'il y ait aucun corps qui rompe ou qui
soit au-delà et plus enfoncé que la superficie de la
voûte, mais que le tout fait également son cintre et
sa figure.
Que si j'eusse fait ces parties qui sont attachées ou
feintes estre attachées à la voûte, et les autres que
l'on dit estre trop petites, plus grandes qu'elles ne
sont, je serois tombé dans les mesmes défauts qu'on
avoit faits, et j'aurois paru aussi ignorant que ceux
qui ont travaillé et qui travaillent encore aujourd'huy
à plusieurs ouvrages considérables, lesquels font bien
voir qu'ils ne sçavent pas que c'est contre l'ordre et
les exemples que la nature mesme nous fournit, de
poser les choses plus grandes et plus massives aux
endroits les plus élevés, et de faire porter aux corps
les plus délicats et les plus foibles, ce qui est le plus
pesant et le plus fort. C'est cette ignorance grossière
qui fait que tous les édifices conduits avec si peu de
science et de jugement, semblent patir, s'abbaisser,
et tomber sous le faix, au lieu d'estre égayez, seveltes,
1642] DE NICOLAS POUSSIN. 14$
et légers, et paroistre se porter facilement, comme la
nature et la raison enseignent à les faire.
Qui est celuy qui ne comprendra pas quelle con-
fusion auroit paru si j'avois mis des ornemens dans
tous les endroits où les critiques en demandent; et
que si ceux que j'ay placez avoient esté plus grands
qu'ils ne sont, ils se feroient voir sous un plus grand
angle, et avec trop de force, et ainsi viendroient à
offenser l'œil, à cause principalement que la voûte
reçoit une lumière égale et uniforme en toutes ses
parties? N'auroit-il pas semblé que cette partie de la
voûte auroit tiré en bas, et se seroit détachée du reste
de la Gallerie, rompant la douce suite des autres orne-
mens? Si c'estoit des choses réelles, comme je pré-
tens qu'elles paroissent, qui seroit si mal avisé de
placer les plus grandes et les plus pesantes dans un
lieu où elles ne pourroient se maintenir? Mais tous
ceux qui se meslent d'entreprendre de grands ouvrages
ne sçavent pas que les diminutions à l'œil se font
d'une autre manière, et se conduisent par des raisons
particulières dans les choses élevées perpendiculai-
rement en hauteur, et dont les parallèles ont leur
point de concours au centre de la terre. »
Pour répondre à ceux qui ne trouvoient pas la
voûte de la Gallerie assez riche, le Poussin ajouste :
« qu'on ne luy a jamais proposé de faire le plus
superbe ouvrage qu'il pust imaginer, et que si on
eust voulu l'y engager, il auroit librement dit son
avis, et n'auroit pas conseillé de faire une entreprise
si grande et si difficile à bien exécuter : première-
ment, à cause du peu d'ouvriers qui se trouvent à
Paris capables d'y travailler; secondement, à cause
du long-temps qu'il eust fallu y employer; et en troi-
1911 10
146 CORRESPONDANCE [1642
sième lieu, à cause de l'excessive dépense qui ne luy
semble pas bien employée dans une Gallerie d'une si
grande étendue, qui ne peut servir que d'un pas-
sage^, et qui pourroit encore un jour tomber dans un
aussi mauvais estât qu'il l'avoit trouvée, la négligence
et le trop peu d'amour que ceux de nostre nation ont
pour les belles choses estant si grande, qu'à peine
sont-elles faites qu'on n'en tient plus de compte,
mais au contraire on prend souvent plaisir à les
détruire. Qu'ainsi il croyoit avoir très-bien servi le
Roy, en faisant un ouvrage plus recherché, plus
agréable, plus beau, mieux entendu, mieux distribué,
plus varié, en moins de temps, et avec beaucoup
moins de dépense que celuy qui avoit esté commencé.
Mais que si l'on vouloit écouter les différents avis, et
les nouvelles propositions que ses ennemis pour-
roient faire tous les jours, et qu'elles agréassent davan-
tage que ce qu'il taschoit de faire, nonobstant les
bonnes raisons qu'il en rendoit, il ne pouvoit s'y
opposer; au contraire, qu'il céderoit volontiers sa
place à d'autres qu'on jugeroit plus capables. Qu'au
moins il auroit cette joye d'avoir esté cause qu'on
auroit découvert en France des gens habiles que l'on
n'y connoissoit pas, lesquels pourroient embellir
Paris d'excellens ouvrages qui feroient honneur à la
nation. »
I. Cette critique était la justesse même. La galerie ne devait
son existence et sa longueur qu'au dessein de Henri IV, instruit
parla journée des Barricades, de pouvoir communiquer libre-
ment du Louvre (renfermé dans les murs de Paris, depuis
Etienne Marcel) avec les Tuileries (construites hors des murs).
La grande Galerie n'a guère servi, en tant que galerie, avant
l'installation du musée, sauf le 2 avril 1810; elle fut comme
« un passage » triomphal, quand tous les corps de l'Etat fai-
saient la haie et que Napoléon et Marie-Louise se rendirent
des Tuileries au Salon carré, où leur mariage civil fut célébré.
1642] DE NICOLAS POUSSIN. 147
Il parle ensuite de son Tableau du Novitiat des
Jésuites, et dit, « Que ceux qui prétendent que le
Christ ressemble plûtost à un Jupiter tonnant qu'à un
Dieu de miséricorde, dévoient estre persuadez qu'il
ne luy manquera Jamais d'industrie pour donner à
ses figures des expressions conformes à ce qu'elles
doivent représenter; mais qu'il ne peut » (ce sont les
propres termes dont il me souvient) qu'il ne peut,
dis-je, « et ne doit jamais s'imaginer un Christ en
quelque action que ce soit, avec un visage de tortico
lis ou d'un père douillet^ veû qu'estant sur la terre
parmi les hommes, il estoit mesme difficile de le con-
sidérer en face. »
Il s'excuse sur sa manière de s'énoncer, et dit
qu'on doit lui pardonner, parce qu'il a vécu avec les
personnes qui l'ont sceû entendre par ses ouvrages,
n'estant pas son mestier de sçavoir bien escrire. y>
Enfin il finit la lettre en faisant voir « qu'il sentoit
bien ce qu'il estoit capable de faire, sans s'en préva-
loir, ni rechercher la faveur; mais pour rendre tou-
jours témoignage à la vérité, et ne tomber jamais
dans la flaterie qui sont trop opposées pour se ren-
contrer ensemble ».
62. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fol. 67.)
A Monsieur de Chantelou^
Commis de monseigneur de Noyers^ en Court.
[M. Poussin 24 auril 1642.]
Monsieur
Les lettres de Monseignour et celles dont il vous a
plu m'honnorer celles mesme que Mo^escrit à M^ de
I4S CORRESPONDANCE [1642
Chambray vostre fraire mont obligé à dresser telle-
ment quellement une lettre à Monseigneur peu arti-
ficieuse véritablement mais plaine de franchise et de
vérité ^ Je vous suplie comme mon bon protecteur,
si par aduenture Mo"" la trouuoit mal asaisonnée de
l'adoucir un peu du miP distillans de vostre persua-
sion. Vous verres comme je croy ce qu'elle contient
et me ferés cette grâce de men faire donner un mot
de response. si ella mérite. Jey parlé à M"" Le Maire
le bon ami qui accorde à ce que le Roy et Monsei-
gneur luy commandera en ce que il sera nécessaire de
faire dors en aduant alla gallerie. Sependant il aten-
dra à certeines siennes affaires particulières que je
continueray ledit ouurage jusques à tant quil soit en
estât destre répliqué. Je vous baise très affectueuse-
ment les mains Cependans que je demeurerei éternel-
lement
Vostre très obéissant
Seruiteur
Poussin
de Paris Ce 24 apuril 1642.
63. — Poussin a Cass. del Pozzo.
(Coll. Huths.)
// Commendatore Cassiano del Po\\o^.
Non e certo necessario come VS : lU'Pf mi scriue
1. Il s'agit de la lettre précédente, dont la date est ainsi
précisée.
2. Pour miel.
3. Nous publions la copie envoyée par M. Thibaudeau à
M. de Chennevières, en 1880, d'après l'original qui appartenait
alors à M. Alfred Huth. Bottari l'avait publiée (t. I, p. 291).
4. La copie Thibaudeau ne donne pas la suscription. Nous
reproduisons l'indication que Bottari place en tête de ses
copies, bien que toutes les lettres en italien dussent très pro-
bablement avoir comme suscription la longue formule : « Al
111-^." et Reu^.", etc. » — M. Warrer, conservateur au British
1642] DE NICOLAS POUSSIN. I49
per la sua del 12 Aprile che lei metti in pensiero per
sollecitarmi à dar compimento ail' operatta per lei
cominciata mentre che possi accertar VS : si no hauere
hauuto in vita mia cosa da fare che me habbia dato
tanto d'inquietudine come di vedermi impedito quanto
con l'importunita e impatienza di questi SS['. et
quando con la dificulta délia stagione il compimento
di una cosa di già tanto tempo cominciata et aspetata.
Ma con l'aiuto d'Iddio l'ho condotta à fine e se nô
fusse la dificulta d'inviarla che mi da nuovo fastidio
non mi curarei del resto; sapendo moite bene che
VS: nô dubita del gran zelo ch' ho di aggradirgli.
Sono stato più volte da Monsieur Carlo et finalmente
hauendolo ritrouate gli disse che VS : havea parlato
col Padre Mazzarini et che il detto Pfè l'havea assi-
curata che il sudetto Carlo l'hauerebbe seruito mentre
gli parlasse da parte di VS: Il detto Carlo con un
viso assai simulato disse « se bene n5 ho l'honore
di conoscere particolarmente al Sig^ Caualier del
Pozzo per il merito suo l'honore è volentieri lo ser-
viro, ma il Cardinal mio non essendo in Roma non
vi è per adesso occasione di mandar costi Robba
veruna, ma lasciatemi riuedere Questa è la risposta
che n'ho hauuta. » Non lascerô spesso di vedere se lui
manda qualche cosa costi, e se coli e con le diligenze
necessarie gli consegnero li sudetti quadretti incassati
in quel modo che lei mi accenna ma se si présentasse
in quel mezzo qualche altra buona occasione me ne
servirô Stia VS : sicuro che farô quanto io potrô acciô
prestamente et sicuramente il negozio gli sia man-
dato. Non potrei se nô replicare à VS: quello che
Muséum, a eu la complaisance de nous faire savoir que cette
lettre, lot 184 de la vente Huth, i2-i3 juin 191 1, a été achetée
par J. Leighton, libraire, 40, Brewer St., London W.
l5o CORRESPONDANCE [1642
scrissi p. l'ultima mia del fato del Pfë Ferrari hauen-
domi scritto Monsieur de Chantelou p : risposta di
quello che lo pregano queste istesse parole Bisogna
rimettere il negozio di questi SS" cioe del Padre ferrari
et del Angeloni al mio viaggio per Roma che sarà al
fine di Maggio. Se lui dice il vero non lo so non dime-
noche si pui congetturare p : tante cose da lui pro-
messe fino adesso le quali non ho fatte quello che si
puo aspettardaquello. Délie madonne dei libri di Pirro
ligorio et di quelle cose, che mi importan assai non
ne posso cauare alcun construtto ; non vi è poi che
tormenti più la mente di questi huomini che il pen-
sar più di una volta in una cosa dico questo tacen-
done moite che la carta non puô soffrire.
Supplico humilissimamente VS: Ill^f di fauorire
verto l'em'^p Cardinal Barberino uno amico mio caro
detto maestro franc? Bonnemes^ sottodiacono délia
città di Nantes pretendente dritto in un canonicato
délia Chiesa di Rennes sopra alla quale è una lita
délia Cura di Corsset dioceso di Nantes vacante p : la
morte de Yves Balac del mese di Aprile ultimo pas-
sato Aggiungero questa gratia al numéro di tante
altre che ho riceuuto et riceuo giornalmente délia sua
Benignita finiro con bagiarli humilmente le mani
DI VS : Illf? et R^f
Humilissff et obligatiss™° ser^*
Nicolo Poussin
Di Parigi 9 Maggio 1642.
Il n'est pas certes nécessaire, comme me l'écrit V. S.
Illme par la vôtre du 12 avril, que vous vous tourmen-
tiez pour me solliciter de donner fin au petit ouvrage
commencé pour elle, quoique je puisse bien vous cer-
I. Bottari a lu : Bonnomes.
1642] DE NICOLAS POUSSIN. l5l
tifier n'avoir eu de ma vie chose à faire qui m'ait tant
donné de souci, comme de me voir empêché (tantôt
par l'importunité et l'impatience de ces Messieurs,
tantôt par la rigueur de la saison) d'achever une chose
depuis déjà tant de temps commencée et attendue.
Mais, avec l'aide de Dieu, je l'ai conduite à fin et
n'était la difficulté de l'envoyer qui me donne de nou-
veaux ennuis, je ne m'occuperais plus du reste;
sachant fort bien que V. S. ne doute pas du grand
zèle que j'ai pour lui être agréable. J'ai été plusieurs
fois chez Monsieur Carlo, et l'ayaut enfin trouvé, je
lui dis que V. S. avait parlé au Père Mazzarini* et
que le dit Père vous avait assuré que le susdit Carlo
vous servirait si on lui parlait de la part de V. S. Avec
un air assez dissimulé, le dit Carlo me dit : « Quoique
je n'aie pas l'honneur de connaître particulièrement
le Seigî Cavalier del Pozzo, je l'honore pour son
mérite et le servirai volontiers, mais le Cardinal mon
maître n'étant pas à Rome^, il n'y a pas d'occasion,
pour le moment, d'envoyer là-bas aucun bagage,
mais venez me revoir. » Telle est la réponse que
j'en ai eue. Je ne laisserai pas de voir de temps en
temps s'il envoie quelque chose là-bas, et s'il y a lieu,
je lui consignerai, avec toute la diligence requise, les
dits tableaux, mis en caisse de la façon que vous
m'indiquez; mais s'il se présentait sur ces entrefaites
quelque autre bonne occasion, je m'en servirais. Que
1. Michel Mazarin, né à Rome en 1607, mort à Rome le
2 septembre 1648. Il était dominicain, quand la fortune de
son frère excita son ambition. L'archevêché d'Aix le dédom-
magea d'avoir dû refuser le généralat de son ordre; plus tard,
cardinal de Sainte-Cécile, 8 octobre 1647, et vice-roi de Cata-
logne. Ce fut un médiocre, dont l'ambition gêna fort la poli-
tique française.
2. Mazarin était auprès de Richelieu à Narbonne.
l52 CORRESPONDANCE [1642
V. S. se trouve pour assurée que je ferai tout ce que
je pourrai pour que l'affaire vous soit envoyée promp-
tement et sûrement. Je ne pourrai que répéter à V. S.
ce que j'ai écrit, dans ma dernière lettre, au sujet du
Père Ferrari, Monsieur de Chantelou m'ayant écrit
en réponse à ce dont je le priais, ces propres mots : « Il
faut remettre l'affaire de ces Messieurs, c'est-à-dire
du Père Ferrari et de l'Angeloni, à mon voyage à
Rome, qui sera pour la fin de mai. » S'il dit vrai, je
ne le sais; ce qu'on peut en entendre, on peut du
moins le conjecturer par tant de choses qu'il a pro-
mises jusqu'à présent, et qu'il n'a point tenues. Au
sujet des Vierges, des livres de Pirro Ligorio, et de
toutes ces choses qui m'importent assez, je n'en puis
tirer aucun avantage : il n'y a rien qui tourmente
plus l'esprit de ces hommes que de penser plus d'une
'^ fois à une même chose ^ Je dis cela, et j'en tais beau-
coup que je ne peux confier au papier.
Je supplie très humblement V. S. Ill*"^ de favoriser
auprès de S. É. le Cardinal Barberini un ami qui
m'est cher et s'appelle maître François Bonnemes^,
sous-diacre de la ville de Nantes, candidat de droit à
un canonicat de l'Église de Rennes, sur lequel il y a
contestation de la Cure de Corsset (diocèse de Nantes)
vacant par la mort de Yves Balac, du mois d'avril
dernier. J'ajouterai cette grâce au nombre de tant
d'autres que j'ai reçues et que je reçois journellement
1. N'oublions pas quel drame se nouait à la cour. Riche-
lieu, dangereusement malade à Narbonne, redoutait que le
roi, malade lui aussi, ne cédât enfin aux intrigues de Cinq-
Mars.
2. Sur cette question, voir les Notes complémentaires.
1642] DE NICOLAS POUSSIN. l53
de votre bonté. Je finirai en vous baisant iiumble-
ment les mains,
De V. S. Illn^e et R'"^
Le très humble et très obligé ser"",
Nicolas Poussin
De Paris, g mai 1642.
64. — Poussin a Cass. del Pozzo.
(Coll. Naylori.)
Al 111'"° et Rew^f Sig\^, et Prôn
mio Oss^f il Sigl, Ahbate
di Caiiore In Roma
Scriuo questa à VS : lU'P» per notificarli che questa
mattina ho consegnato in mano propria di monsieur
Carlo maestro di casa del em'pf Cardinal Mazzarini
conformé aile due lettere di VS : la prima del 14 Mar-
zo et la seconda del 12 aprile li due quadretti quello
di VS: ch' e un Battesimo di Christo composto di
i3 figure principali et l'altro di 3 figure cioe délia
Madonna che tiene in grembo un Christarello ignudo
et di san Gioseflfo stando à giacere in una finestra.
L'uno e l'altro quadro e sigillato del mio sigillo sul
dorso è incassatti diligente î« in una casetta di legno
ricoperta di tela incerata et involta con funicella la
soprascritta è in una carta sul coperchio inchiodato
e poi incerata sopra li chiodi et dalle due teste délia
I. L'original appartenait à la collection F. Naylor quand
M. Thibaudeau envoya à M. de Chennevières, en 1879, le texte
que nous publions. Bottari l'avait publié (t. I, p. 293). M. Ad-
vielle signale cette lettre, p. 127, comme ayant été depuis ven-
due 3oo francs.
ïS/\. CORRESPONDANCE [1642
carta ui è il mio sigillo in cera di Spagna : sopra la is-
tessa tela incerata vi é la medesima soprascritta che
nella carta è dice semplicemente « Al 111™° Sig : Caua-
lier dal Pozzo in Roma. Questi sono li contrasegni
per li quali potra VS : riconoscere il tutto. Il sudetto
Monsieur Carlo non ha voluto niente per il porto
anzi mi ha promesso d'inviar la sudetta cassa gratis
è sicuramente con l'occasion di un ritratto è certe
canne d'indie che il signor Gabriel Naudet manda al
Emo Cardinale Antonio II tutto si mandera in Arles
e quando il Cardinal Mazzarini passera in Italia pas-
sera^ questo involto con le sue Robbe Iddio voglia
che sia presto è che ogni cosa riesca bene. Ho pen-
sât© di non mandere a VS: i disegni che mi ritrouo
fatti con questa occasione tanto perche non ho potuto
cauare ancor dalle mani di Monsieur Meslan dui de
principali come non mi è parso bene di mettere ogni
cosa in pericolo per una via istessa spero bene man-
darli presto nondimeno che aspettando più crescera
il n.o è Monsieur Stella amico mio essendo di présente
in Leone mi seruira in questo negozio è facilmente le
fara tenere à VS: col mezzo di qualche corriero essendo
cosa facile a portare Scriuerorene à VS : più à pieno
quando saro per inviarglieli dandoli in contrasegni di
ogni minima cosa. Se la buona fortuna farà capitare il
detto quadretto in mano di VS : la prego con ogni
affetto di gradire quello come divotamente gli lo
dono nulladimeno che in questo atto altro non in sia
di considerabile che la mia buona volonta non sti-
mando che sia cosa degna non più che l'altre cose
ch' ella si tiene del mio di esser in mano di persona
1. Sic.
1642] DE NICOLAS POUSSIN. l55
di tanto merito è cognizione. Intanto la riuerisco di
tutto core bagiandole riuerentemente le mani.
D. I. VS: Ill'pfet Reu«ff
Humiliss'yp ser^«
Nicole Poussin
Di Parigi 22 Maggio 1642.
Dubito che l'intrinchi nati di qualche tempo in quà
in questa corte non siano causa di ritardare l'effetti
délie promesse fatte al padre ferrari.
A l'Ill'^^ et jRev™e seig"^, mon Maître très honoré,
le Seig^ Abbé de Cavore, à Rome.
J'écris la présente à V. S. Ill*"" pour lui faire savoir
que ce matin j'ai remis en mains propres à mon-
sieur Carlo, intendant de S. É. le Cardinal Mazza-
rini, — conformément aux deux lettres de V. S., la
première du 14 mars et la seconde du 12 avril — , les
deux petits tableaux : celui de V. S., qui est un Bap-
tême du Christ, composé de i3 figures principales, et
l'autre, de 3 figures, à savoir la Vierge qui tient l'En-
fant Jésus nu dans son giron, et Saint Joseph appuyé
contre une fenêtre. L'un et l'autre tableau sont scellés
au revers de mon sceau et tous deux sont enfermés
avec soin dans une caisse de bois recouverte de toile
cirée et entourée d'une corde. L'adresse est sur une
carte clouée sur le couvercle, avec de la cire sur les
clous, et aux deux bouts de la carte est mon sceau en
cire d'Espagne; sur la même toile cirée est la même
adresse, qui porte simplement : A rill«»e Seig"" le Ca-
valier del Pozzo, à Rome. Voilà les marques aux-
quelles V. S. pourra reconnaître le tout. Le susdit
Monsieur Carlo n'a rien voulu pour le port, et il m'a
X
l56 CORRESPONDANCE [1642
bien promis d'envoyer la dite caisse gratis et sûre-
ment en même temps qu'un portrait et certaines
cannes de l'Inde que le Seig"" Gabriel Naudet^ envoie
à S. É. le Cardinal Antoine. Le tout s'enverra à
Arles, et quand le cardinal Mazzarini passera en Ita-
lie, le paquet partira dans ses bagages. Dieu veuille
que ce soit bientôt^ et que toute chose réussisse. J'ai
pensé ne pas devoir envoyer à V. S. par cette occa-
sion ceux de mes dessins que j'ai retrouvés, autant
parce que je n'ai pas pu encore retirer deux des prin-
cipaux des mains de Monsieur Meslan que parce que
je n'ai pas jugé bon de faire courir à tout le risque
d'une seule voie. J'espère bien vous les envoyer
promptement, pendant qu'en attendant, leur nombre
s'augmentera, et Monsieur Stella, mon ami, actuelle-
ment à Lyon, me servira en cette affaire et les fera
facilement tenir à V. S. par le moyen de quelque
courrier, car ce sont choses faciles à transporter.
J'écrirai à V. S. plus en détail quand je serai pour les
lui envoyer, et lui donnerai les indications les plus
détaillées des moindres choses. Si la bonne fortune
1. Gabriel Naudé, le célèbre bibliographe, né à Paris le
2 février 1600, mort à Abbeville le 3o juillet i653. Il était,
depuis 1629, bibliothécaire du cardinal Bagni à Rome, quand
il devint celui du cardinal Antonio Barberini (1641), puis de
Richelieu, qui l'appela à Paris (1642). Il est célèbre surtout
comme bibliothécaire de Mazarin et par la fondation de la
bibliothèque Mazarine, la première ouverte au public en
France dès 1643.
2. Mazarin écrivait à Le Tellier le n mai 1642 : « Sa Majesté
m'a ordonné de faire un voyage à Rome. » Richelieu écrivait
à M. de Noyers le i3 mai 1642 : « Mr. Mazarin ne veut point
de vaisseau pour aller à Rome... », et, le 18 mai : « J'ai enfin
fait résoudre M' le cardinal Mazarin à s'en aller... » — Cepen-
dant, Mazarin resta, notamment parce que Richelieu, très
malade, ne pouvait garder près de lui un plus précieux colla-
borateur (voir Avenel, Corresp. de Richelieu).
1642] DE NICOLAS POUSSIN. l57
fait arriver le dit tableau entre les mains de V. S., je
la prie de tout cœur de l'agréer avec affection comme
je le lui donne, n'y ayant rien de considérable dans
cet ouvrage que ma bonne volonté; et je ne saurais
l'estimer digne, — non plus que les autres choses que
vous avez de moi, — d'être entre les mains d'une per-
sonne de tant de mérite et de réputation que je révère
de tout cœur, en lui baisant respectueusement les
mains.
De V. S. Ill«« et R«°«
Le très humble ser""
Nicolas Poussin.
De Paris 22 mai 1642.
Je ne suis pas sûr que les intrigues nées en cette
cour voici quelque temps n'aient retardé l'effet des
promesses faites au Père Ferrari.
65. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fol- 69*)
A Monsieur de Chantelou^
Commis de Monseigneur de Noyers^ en Court.
[M. Poussin 26 May 1642.
Cette lettre est escripte après celle pour sa def-
fence.]
de Paris Ce 26. May
Monsieur Je nei osé jusques à pré-
sent vous importuner de mes lettres sachans les gran-
dissimes affaires que la maladie de Son Éminense^
I. La santé très chancelante de Richelieu s'était fort altérée
en mai 1642. Un flux hémorroïdal supprimé avait provoqué
une série d'abcès au bras droit. Sétons, injections, aucun
remède ne diminuait les souffrances cruelles du malade ni
lui rendait l'usage de son bras qui ne lui permettait plus
d'écrire ni même de signer.
l58 CORRESPONDANCE [1642
suscitée vous a acru mais maiten^ que nous auons
bonne nouuelle de sa santé ^ jay cru que vous auriés
dauenture le loisir de recepuoir et lire ce mot qui ne
seruira que de un milion de remerciment que je fais
à Monseigneur de Noyer et à vous touchans les lettres
du dishuitiesme auril de Narbonnes : par icelles mon-
dit Signour me deschargant de ce que alla vérité
meust beaucoup embarassé. Je repçus avec les sus-
dites lettres un billet pour donner à Monsieur de
mauroy^ en vertu du quel je debuois recepuoir cinq
cens escus pour ce que jay fet cette anée alla gallerie.
Je les auois desia repçus Cest pourquoy le sudit bil-
let na de rien serui. Je continue tousiours comme
alacoustumée les desseins et cartons de la gallerie
sans moccuper à autre chose. Jespère que alla fin
de ce mois j'aurey mis à bon termes les sudits des-
seins de sorte quil restera seullement à continuer
les fables d'Hercules et lors le tout se pourra com-
mettre à Monsieur Le maire sil en voudra prendre la
1. Le chancelier Séguier, resté pour tenir Paris, ne laissait
parvenir au public que des nouvelles empreintes d'un optimisme
officiel. Richelieu allait si peu mieux que, le 22 mai 1642,
M. de Noyers (que Richelieu avait appelé le 18) écrivait à Cha-
vigni : « Je feus désolé hier toute la journée tant S. Ém. me
sembla en mauvais état... », et c'est le lendemain 23 que
Richelieu rédigea son testament. Il quitta Narbonne pour
Agde, le 27 mai 1642. — Guy Patin ne se trompait pas quand
il écrivait à Belon, le 24 mai 1642 : « Beaucoup de gens qui
ont plus d'intérêt à sa conservation que le commun disent tou-
jours qu'il va en amendant, sed non ego credulis illis; )e crois
bien que le mal est fort grand et que le personnage est fort
affaibli » (Bibl. nat., ms. fr. 9358).
2. M. de Mauroy, l'un des premiers commis de M. de
Noyers (Avenel, Con: de Richelieu, t. VIII, p. 140), puis inten-
dant général des finances et ambassadeur de France. Il possé-
dait de Poussin l'Assomption (n° 423 du Louvre) et une Adora-
tion des Mages (n" 429).
1642] DE NICOLAS POUSSIN. l5g
peine et sil plaira à Monseigneur de me donner occa-
sion de pouuoir laisser quelque chose en france de
moy auant que je meure digne du peu de nom que
jay aquis enuers les entendus.
Jescris il i a quelque temps une longue lettre à
Môseigneur où je crains d'auoir trop parlé à la bône
toutefois j'espère quil mescusera si bien il y aura eu
quelque chose du mal digéré dautans qu'il scait bien
combien il est insuportable d'endurer ^ les sottes
repréhensions des ignorans. Je massure que de vostre
costé vous naurés pas manqué de me fauoriser en
adoussissant ce qui y estoit de trop rude. Je vous
suplie de me tenir tousiours en votre protectio et que
je ne désire au monde rien plus que d'estre tousiours
Monsieur le plus humble et le plus déuôt de vos ser-
uiteurs
Vostre trèsobligé Seruiteur
Poussin.
66. — Poussin a Cass. del Pozzo.
(Bottari, t. I, p. 294.)
Al Commendatore Cassiano del Po:{\o.
Avendi di già colF ultime mie del 22 maggio scritto
a VS : IlHf di aver consegnato in mano di monsù
Carlo, maestro di casa dell' eminentiss. cardinal
Mazzarini, la casetta con li due quadri, secondo che
per due consécutive di VS: n'avevo avuto ordine,
nulladimeno essendo arrivate a tempo le sue delli
3 maggio, per le quali VS : dimostrar di stimar
I. Poussin avait d'abord écrit supporter, puis il a rayé et
surchargé par le mot endurer.
l6o CORRESPONDANCE [1642
meglior mezzo quelle che le avevo proposto, cioé
d'inviargliela per un corriero, l'ho subito ritirata di
mano del suddetto Carlo, tenendola presso di me fino
e tanto che VS : m'abbia scritto a quai corriero s'ab-
bia da consegnare la cassa in Lione. Non potrei
dirle quanto ho caro che la cosa passi in questo
modo, perché dubitavio che per la via délie robe del
Cardinal Mazzarini l'involto dei nostri quadretti no
si fosse smarrito o almeno tardato troppo a giun-
ger costi, essendo il viaggio pçr Roma del ditto car-
dinale molto incerto. Del resto, per esser piccola e
non incassata, facilmente si saria potuta perdere, et
particolarmente non essendomi alcuno présente che
ne prendesse cura.
Per quest' ordinario scriverô a monsù Stella in
Leone di quanto sarà necessario fare, acciochè subito,
saputo il nome del corriero col quale avrà da trat-
tare, gli mandi la detta cassa sigillata, ed accomo-
data conforme a quello che già ho scritto. Non man-
dero a VS : per questa volta li disegni per la cause
già accennatele, etc.
Di Parigi, 3o maggio, 1642.
Au Commandeur Cassiano del Po^^o.
Par ma dernière lettre du 22 mai, j'avais déjà écrit
à V. S. 111"* que j'avais consigné entre les mains de
Monsieur Carlo, intendant de S. E. le Cardinal
Mazzarini, la petite caisse et les deux tableaux, selon
l'ordre que j'en avais reçu de V. S. par deux lettres
consécutives; néanmoins votre lettre du 3 mai étant
arrivée à temps, celle par laquelle V. S. me dit tenir
comme meilleur moyen celui que je lui avais pro-
posé, c'est-à-dire de lui envoyer la caisse par un cour-
1642] DE NICOLAS POUSSIN. 161
rier, je l'ai de suite retirée des mains du susdit Carlo,
la gardant près de moi jusqu'à tant que V. S. m'ait
écrit à quel courrier elle devait être remise à Lyon.
Je ne saurais dire combien je tiendrais à ce que la
caisse fut transportée par cette voie, car je crains que
par le moyen des bagages du Cardinal Mazzarini,
l'enveloppe de nos tableaux ne soit abîmée, où au
moins que cela ne tarde trop à vous arriver là-bas, le
voyage à Rome dudit Cardinal étant fort incertain.
Du reste, comme le paquet est peu volumineux et non
fortement emballé, il pourrait se perdre facilement,
surtout qu'il n'y a personne là pour en prendre soin.
J'écrirai par cet ordinaire à monsieur Stella, à
Lyon, ce qu'il sera nécessaire de faire, afin qu'aussi-
tôt qu'il saura le nom du courrier avec lequel il aura
à traiter, qu'il lui envoie la dite caisse scellée et pré-
parée comme je le lui ai déjà écrit. Je n'enverrai pas à
V. S. les dessins pour cette fois, pour les raisons que
je lui ai déjà expliquées, etc.
De Paris, 3o mai 1642.
67. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fo'- 71-)
A Monsieur de Chantelou^
Commis de Monseigneur de Noyers^ en Court K
[M. Poussin^ 6 juin 1642.
Cette lettre est ensuitte de^ son apologie.]
Monsieur
Si lor paradis des auares et enfer des prodigues
1. Cette lettre est mieux écrite que les autres, comme il con-
vient pour une lettre de remerciements.
2. La feuille étant déchirée, les deux mots suivants manquent
au ms. 12347. Nous les complétons avec la copie de l'Institut.
1911 II
r62 CORRESPONDANCE [1642
auoit quelque peu du resentiment qu'il oste à qui
plus en a plus en voudroit auoir, sentiroit un plaisir
démesuré — lors que à cens qui le tenoint pour faus
il aparoist au contraire par la bonté du paragon
lequel sur le front de soymesme le descouure parfet
en sa finesse'. Je dis ainsi en matière de la mauuaise
impression que la bonne âme de Monsigneur auoit
repsue du coustume des hommes enuieus de la pros-
périté d'autrui. Néanmoins que je doiue au lieu de la
haine que me portent mes émulateurs ^ me vanger en
leur fesant du bien et du plaisir, d'autant que leur
peruersité sera cause que Son Eccellense qui ma
trouué sicere et loint de la fraude na point autrement
preste l'oreille aus persécuteur de mon honneur au
contraire se confiant en ma loyauté plus que Jamais
jespère quil mexersera en des meilleures occasions
que par le passé.
Monsieur
Vostre trèshumble
Seruiteur
Poussin
de paris Ce 6. Juin 1642
Je nai repceu la lettre de Monseigneur escripte du
disiesme Mai que mardi passé '.
1. « Le commencement rappelle le style et les idées de Voi-
ture, ou les concetti du cavalier Marini, le premier protec-
teur de l'artiste » (Dumesnil, Hist. des amateurs italiens, i853,
p. 495). Il s'agit de la pierre de touche.
2. Poussin, qui avait d'abord écrit adulateurs^ a rayé les
trois premières lettres et surchargé en émulateurs.
3. Mardi 3 juin 1642. — Le 10 mai, M. de Noyers était près
de Louis XIII, au camp devant Perpignan, depuis le 28 avril.
Son rôle consistait à rendre compte journellement à Richelieu,
resté discrètement à Narbonne, des intrigues de Cinq-Mars et
des dispositions de Louis XIII.
1642] de nicolas poussin. l63
68. — Poussin a Cass. del Pozzo.
(Bottari, t. I, p. 295.)
Al Commendatore Cassiano del Po^o.
Ho aspettando di di in di che V. S. illustriss. mi
dia qualche notizia del corriero col quale arrà trat-
tato per l'invio costi délia cassetta, dove sono li due
quadretti del Battesimo e délia Madonne, conforme
quello che V. S. mi accennô per l'ultima sua delli
3 maggio. ho di già mandata la suddetta cassetta in
Leone a monsù Stella, il quale se la terra in casa sino
a tanto che gli si dica a quai corriero l'averà da con-
segnare; ma perô ho pensato che, se tra da diei o
quindiei giorni non avessi nuova di V. S., pregare il
detto monsù Stella, che tratti lui con qualcuno di
quel corrieri, accio le mandi il detto involto, come
se fosse sua cosa propria, per chè vedo che l'aspettare
le risposte délie risposte, va tanto alla lunga ch' egli
è una penitenza non piccola. Faro perô avvisato V. S.
del tutto quando sarà tempo.
Li disegni non li manderô cosi tosto, perciocchè
le vorrei mandare con essi l'ordinanza délia galleria
grande, che faccio disegnare da un giovane archi-
tetto, che tra poco tempo l'averà disegnata, e monsù
Melan ancora avra finite d'intagliare li disegni che
egli tiene. Tosto che potro ragunare queste poche
cose, insieme le manderô a V. S., a cui divotamente
m'inchino, ec.
Di Parigi, i3 giugno, 1642.
Au Commandeur Cassiano del Po\:{o.
J'attends de jour en jour que V. S. 111™= me donne
164 CORRESPONDANCE [1642
quelques renseignements sur le courrier avec qui elle
aura traité pour l'envoi là-bas de la petite caisse où
sont les deux tableaux du Baptême et de la Vierge,
selon ce que V. S. m'a fait savoir par sa dernière
lettre du 3 mai. J'ai déjà envoyé la dite caisse à Lyon
à Monsieur Stella, lequel la tiendra chez lui jusqu'à
tant qu'on lui dise à quel courrier il aura à la consi-
gner. Cependant j'ai pensé que si d'ici douze ou
quinze jours, je n'avais pas de nouvelles de V. S., je
prierais le dit monsieur Stella de traiter lui-même
avec l'un de ces courriers, afin qu'il vous envoie le dit
paquet comme si c'était son bien propre, — parce
que je vois qu'en attendant la réponse de la réponse,
cela va si lentement que ce n'est pas une petite péni-
tence. J'aviserai cependant V. S. de tout quand il en
sera temps.
Je ne vous enverrai pas les dessins de suite,
parce que je voudrais vous envoyer avec eux l'ordon-
nance de la grande gallerie, que je fais dessiner
par un jeune architecte qui en aura bientôt fait, et
Monsieur Melan aura également fini de graver les
dessins qu'il détient. Aussitôt que je pourrai réunir
ces petits choses, je les enverrai ensemble à V. S., que
je salue respectueusement, etc.
Nicolas Poussin.
De Paris, i3 juin 1642.
69. — Poussin a Cass. del Pozzo.
(Bottari, t. I, p. 296.)
Al Commendatore Cassiano del Po!{{o.
Ho ricevuto in questo settimana tre lettere da
parte di V. S. Illustriss. l'una per mezzo del Sig.
1642] DE NICOLAS POUSSIN. l65
Gabriel Naudet, l'altra da Monsu Petit mercante, e
l'altra dal P. Nicerone. Le due ultime sono del 21.,
e 3i. di Maggio. Per la prima rendo infinité grazie a
V. S. del favore, ch' ella si compiace d'usare verso
l'amico mio Francesco Bonnomes. E circa poi a
quello che V. S. mi scrive di Monsù Carlo, e dell'
inviamento délia cassetta dei quadri, ho scritto più
d'una volta quello, ch' è accaduto, e come fino a
quest'ora non ho aspettato altro da V. S. che il nome,
e cognome del corriero, al quale Ella desidererebbe,
che la detta cassetta fosse consegnata. Ho pure scritto,
che se l'ordine di V. S. tardasse troppo a venire, avevo
risoluto di non perder più tempo, anzi di pregar
Monsù Stella di trattar con uno de' corrieri di Leone,
e rimaner d'accordo con quello di portar a Roma, e
consegnare in mano di V. S. la detta cassa sana, e
salva. E giacchè Ella non mi accenna di non aver fino
ad ora trattato con alcuno, tosto che mi sarà giunta
la nuova, che il detto Stella avéra ricevuta la cassa,
li scriverô, e pregherô di spedire il negozio, come
fosse suo proprio; e credo, che lo faràpuntualmente,
per6 V. S. non si metta più in pensiero di questo, e
lasci fare. Scriverô poi, e faro sapere chi sarà quel
corriero, quando si avrà da partire, e con quai patto
portera la detta cassa, e se sarà pagata, o no.
Péril negozio del Padre Ferrari non ne dirô altro.
Dicesi, che Monsù de Chantelou vada a Roma quanto
prima; e costi, se n'averà pero commisione, potrà
servire il detto Padre, conforme n'avea data la spe-
ranza. Dell' altre cose tacerô ancora, perché il far-
gliene sovvenire non ha giovato.
Mi sento di nuovo soprammodo obligato à V. S.
che mi dà occasione di servire l'Eminentiss. Sig.
l66 CORRESPONDANCE [1642
Cardinal Barberino del disegno dell' istoria di Sci-
pione, mi dispiace perô d'essermi privato del pen-
siero, che ne feci prima del partirmi di Roma, essen-
domene rimasta solo l'idea, la quale col tempo, che
potrô rubare, metterô al netto nel miglior modo, che
potrà la mia tremante mano, e con quella giungerô,
conforme a quanto V. S. mi scrive, due parole le più
divote e le più umili, che potrô, per ringraziar sua
Emi. deir onore, che mi fa, di ricordarsi di me, e
per pregarla di accettare quello per signo di tributo
délia mia servitù. Mi arrosisco in conoscermi sug-
getto cosi debole, che in niun modo posso corrispon-
dere a gl' infiniti obblighi, e favori, che giornalmente
ricevo dalla benignita sua, se non coll' afîetto.
Ultimamente il Sig. Bordelot venue da me da
parte di V. S. ad offerirmisi per quanto puô, ed invi-
tarmi a servirmi di lui, come ancora per questa pré-
sente de' 24. Aprile vedo pienamente, quanta è la
bontà di V. S. e del benignissimo sua fratello verso
di me, che non posso far altro, se non cercar di ser-
vire con tutto il cuore tutti questi Signori amici di
V. S. come se fusse Ella propria; e le bacio umilissi-
mamente le mani.
Di Parigi 27. Giugno 1642.
Nicolô Poussin.
Au Commandeur Cassiano del Po^^o.
J'ai reçu cette semaine trois lettres de la part de
V. S. 111»*, l'une par l'intermédiaire du Seig»" Gabriel
Naudet, l'autre de Monsieur Petit, marchand, et la
troisième, du P. Nicéron^. Les deux dernières sont
I. Jean-François Nicéron, physicien, né à Paris en i6i3, mort
à Aix, le 22 septembre 1646; il appartenait à l'ordre des
1642] DE NICOLAS POUSSIN. 167
du 21 et du 3 1 mai. Pour la première, je rends à V.
S. des grâces infinies pour la faveur dont il lui a plu
d'user à l'égard de mon ami François Bonnemes. Et
quant à ce que V. S. m'écrit touchant Monsieur
Carlo et l'envoi de la petite caisse des tableaux, j'ai
écrit plus d'une fois ce qui est arrivé, et comment je
n'attends plus à cette heure de V. S. que les nom et
surnom du courrier, auquel elle désire que la dite
caisse soit consignée. Je vous ai même écrit que si
les ordres de V. S. tardaient trop à venir, j'avais
résolu, pour ne pas perdre davantage de temps, de
prier à la fois Monsieur Stella de traiter avec l'un des
courriers de Lyon, et de se mettre d'accord avec lui
pour porter la caisse à Rome, et la remettre saine et
sauve aux mains de V. S. Et bien que vous ne me
fassiez pas savoir que vous ayez jusqu'à présent traité
avec quelqu'un, aussitôt que la nouvelle que le dit
Stella a reçu la caisse me sera venue, je lui écrirai et
le prierai d'expédier l'affaire, comme si c'était la
sienne; et je crois qu'il le fera ponctuellement. Que
V. S. ne se mette donc plus en souci de cela, et
qu'elle laisse faire. Je vous écrirai après et vous ferai
savoir quel sera ce courrier, quand il sera pour par-
tir, et à quelles conditions il portera la dite caisse, et
s'il sera payé ou non.
Pour l'affaire du Père Ferrari, je ne vous en dir^i
rien d'autre. On dit que Monsieur de Chantelou s'en
va prochainement à Rome, et là-bas, s'il en a la com-
Minimes, qui l'envoya deux fois à Rome. Il écrivit sur l'op-
tique et son principal ouvrage avait paru en i638, intitulé :
La perspective curieuse. — Bourdelot écrit de lui, à Cassiano
del Pozzo, le 12 septembre 1642 : « Il est persuadé de votre
mérite et vous considère comme un Dieu en terre et quand il
parle de vous il pleure de joie. »
X
t6B CORRESPONDANCE [1642
mission, il pourra servir le dit Père, selon qu'il en
avait donné l'espérance. Je ne dirai rien encore des
autres choses, parce que je n'ai pas eu l'occasion de
les lui rappeler.
Je me sens encore une fois extrêmement obligé à
V. S. de ce qu'elle me donne l'occasion de servir
S. E. Mgr le Cardinal Barberin en lui faisant le des-
sin de l'histoire de Scipion. Il me déplaît fort d'être
privé de l'esquisse que j'en fis avant mon départ de
Rome; il ne m'en est resté que la première pensée
qu'au premier moment que je pourrai dérober, je
mettrai au net du mieux que le pourra ma main
tremblante; et comme V. S. me récrit, j'y joindrai
deux mots, les plus dévoués et les plus humbles que
je pourrai, pour remercier Son Em" de l'honneur
qu'elle me fait de se souvenir de moi, et la prier d'ac-
cepter ce dessin comme un hommage de son servi-
teur. Je rougis de me trouver si faible sujet que je ne
puisse répondre d'aucune façon aux obligations infi-
nies, aux faveurs que journellement je reçois de votre
bienveillance, si ce n'est que par mon attachement.
Tout dernièrement, le Seig»^ Bordelot^ me vînt
trouver de la part de V. S., pour m'offrir ses bons
offices en tant qu'il pourroit, et m'inviter à me servir
de lui. Par cette lettre du 24 avril, je vois pleinement
combien est grande envers moi la bonté de V. S. et
de son excellent frère, si bien que je ne puis que
I. Le médecin Bourdelot. — Bourdelot à Cass. del Pozzo,
20 juin 1642 : « J'ai vu M. Poussin qui est toujours l'incompa-
rable. Il est ici dans une touchante estime, non seulement
pour son savoir mais pour ses mœurs. Il est tenu pour très
honnête homme. C'est votre prédicateur éternel, il se loue si
hautement des faveurs que vous lui faites tous les jours, qu'il
dit qu'il est votre créature. Nous vous chantons des hymnes à
qui mieux mieux. »
1642] DE NICOLAS POUSSIN. 169
chercher à servir de tout mon cœur tous ces Seig^^
amis de V. S., comme je la servirai elle-même, et je
lui baise très humblement les mains,
Nicolas Poussin
De Paris 27 juin 1642.
70. — Poussin a Cass. del Pozzo.
(Bottari, t. I, p. 298'.)
V. S. Illustriss. e Rev. sapera per moite délie mie
passate tutto il successo délie cose concernenti l'invio
de' quadretti, di sorta che non è di bisogno dirne
altro, senonche V. S. ne puô aspettar la comparsa tra
pochissimo tempo. leri ebbi nuova, che la suddetta
cassetta è per viaggio dalli 18. di questo, e le sarà
portata fedelmente franca di porto, ma corne l'ho
umilissimamente pregata di accetar il poco, che v'è
incluso dentro in dono, e come di mano del più umile
e divoto servitore, che EU' abbia, la prego ancora di
farmi favore di scrivermi, se l'avrà ricevuta in quella
maniera, ch' io spero, ben condizionata.
Per conto del disegno dello Scipione, ne ho scritto
a V. S. Di questo e degli altri, che m' ero proposto
d'inviarle, potria, essere ch' io stess6 ne fussi il porta-
tore. Di tutte queste cose ne scriverô alla prima
comodità più alla lunga. Prego affettuosamente V. S.
dispensarmene par il présente, perché non ho tempo
di farla più lunga. Partiamo adesso per Fontanablô,
dove arriva la Corte etc.
Di Parigi 25. Luglio 1642.
Nicolô Poussin.
I. L'original de cette lettre figurait dans la collection du
baron de Trémont, vendue le 9 décembre i852 {Arch. de l'Art
français, t. III, p. 23i). — M. Advielle la signale dans Recherches
sur Nie. Poussin et sa famille, p. 128.
lyO CORRESPONDANCE [1642
V. S. Ill^eet R'"^ saura par plusieurs de mes lettres
passées le succès de ce qui a trait à l'envoi des petits
tableaux, de sorte qu'il n'est plus besoin d'en dire
autre chose, sinon que V. S. en peut attendre l'arri-
vée d'ici très peu de temps. Hier j'appris que la dite
petite caisse est en route depuis le i8 de ce mois et
qu'elle sera fidèlement apportée franc de port à V. S.,
mais comme je l'ai très humblement priée d'accepter
le peu qui y est contenu comme un présent de la
main du serviteur le plus humble et le plus dévoué
qu'ait V. S., je la prie encore de me faire la faveur de
m'écrire si vous l'avez reçu, et en bon état comme je
l'espère.
Quant au dessin du Scipion, j'en ai écrit à V. S. De
celui-ci et des autres que je m'étais proposé de vous
envoyer, il se pourrait que j'en fusse moi-même le
porteur. De tout cela, je vous écrirai plus longue-
ment à la première occasion. Je prie affectueusement
V. S. de m'en dispenser pour la présente, parce que
je n'ai pas le temps de la faire plus longue. Nous
partons de suite pour Fontainebleau, où la cour
arrive \ etc.
Nicolas Poussin.
De Paris 25 juillet 1642.
I. Le prudent Poussin ne dit rien de l'arrestation de Cinq-
Mars (i3 juin 1642) ni du séjour de Richelieu à Tarascon (28 juin-
17 août), pendant qu'on instruisait le procès du favori, « tré-
buché de si haut ». Louis XIII avait délégué à Richelieu
une autorité presque royale (déclaration du 3o juin) et il
était revenu à Fontainebleau par Lyon et Roanne. Il y arriva
le 23 juillet, toujours accompagné de Noyers et de Chavigni.
1642] de nicolas poussin. i7i
71. — Poussin a Cass. del Pozzo.
(British Muséum •.)
Al Ill^° et Reu^'» Sig'^'' et Pion mio
Oss^'^Il Sig^ Ahhate di Cauore
in Roma
Non ho potuto dar risposta ail' ultima di VS. lU'Pf
del 27 Giugno fin che io non ha stato tornato di Fon-
tanableô doue ero gito corne per la mia ultima gli
scrisse il Sig. de Noyers hauendomi ordinato di por-
tarmi costi accio di vedere se si poteuano ristaurare le
pitture del Primasticcio quasi consumate dal ingiurie
del tempo o almeno di trouar qualche messo di con-
seruar quelle ch' erano rimaste più intiere. Con questa
occasione ho trouato tempo di parlarghi del deside-
rio ch' haueuo di tornare in Italia accio potesse con-
dur meco la moglie in Parigi et hauendo egli sentito
le raggioni che mi portauano il desiderio di tal cosa
ma subito concesso di far quello ch' è délia mia
intiera sodisfatione con una amorevolezza incompa-
rabile con patti perô di dar tal ordine aile cose comin-
ciate da me che n5 restassero in dietro e che io tor-
nassi qui in Parigi la primauera venente di maniera
che mi no disponendo per il viaggio il quale speramo
di cominciare al principio di Settembre prossimo. Ma
di questo auanti di partire spero scriuerne a VS alla
lunga. Le diro solamente per adesso che le diligente
che VS. mi scriue di fare per l'inuio délia Cassetta de
quadri non si puo più effettuare imperoche ella e
I. L'original est conservé au British Muséum, n" 21514. C'est
le n° 806 de la collection Donnadieu. Bottari l'avait publié,
t. I, p. 299.
172 CORRESPONDANCE [1642
stata consegnata in mano d'un corriero fidato il
quale la deue hauer in mano di VS. auantî che questa
présente gli sia data. Bene e vero che l'editto ch' è
stato fatto in Roma, secondo ch' ella mi scriue per il
sospetto del contaggio che dicono essere in Leone
mi fa molto merauigliare percioche qui nD se n'e par-
lato in nessun modo et si fusse vero il Re al suo
ritorno di Perpignano nô si sarebbe fermato iui per
tanti giorni; ma con tutto questo sospetto n5 dis-
pero del buon successo del incominciato negotio
poi délia mia parte faro ogni diligenza a me pos-
sibile accioche ogni cosa vada bene ; il resto lo
lasceremo in man d'Iddio. Ringrazio infinitamente
VS. délia cura ch' ella si prende di me e di casa mia.
L'indispositione délia mia cara consorte mi ha afflitto
meno hauendo inteso per le sue che il suo maie n5
era per torle le forze ma al contrario per hagumen-
targli per la moltiplicatipne de demi sui. Resto eter-
namente il suo obbligatiss. et le bagio humilie le
mani.
DI VS. IUt? et Revpf
Humilissmo Serf^
Nicolô Poussin.
Di Parigi 8. Agosto 1642.
Quel amico mio prebendente quella Parrochia di
Nantes ed io similmente ringratiamo infinitamente
VS lU'na del fauor ch' ella ha hauuto in volonta di
farei.
A l'Ill^^ et Rev^*^ Seig^^ mon Maître très honoré^
le Seig^ Abbé de Cavore^ à Rome.
Je n'ai pu faire réponse à la dernière lettre de
V.S. Ill™e du 27 juin avant d'être revenu de Fontana-
1642] DE NICOLAS POUSSIN. lyS
bleo où était allé — comme je vous l'écrivis dans
ma dernière lettre — M. de Noyers, lequel m'avait
ordonné de m'y rendre, pour voir si l'on pouvait res-
taurer les peintures du Primastice \ presque détruites
par les injures du temps, ou du moins trouver
quelque moyen de conserver celles qui étaient res-
tées les plus intactes. A cette occasion, j'ai trouvé le
moment de lui parler du désir que j'avais de retour-
ner en Italie, pour pouvoir ramener avec moi ma
femme à Paris et, comprenant les raisons qui me
portaient à désirer une telle chose, il m'a aussitôt
accordé de faire à mon entière satisfaction, avec une
amabilité incomparable, à condition toutefois de
donner de tels ordres aux choses commencées qu'elles
ne restent pas en arrière, et que je retourne ici à
Paris au printemps prochain; de sorte que je vais me
disposer pour le voyage, que nous espérons commen-
cer au début de septembre prochain 2. Mais, avant de
partir, je compte en écrire longuement à V. S. Je lui
dirai seulement pour le moment que les soins qu'elle
m'a dit de prendre pour l'envoi de la caisse des
tableaux ne se peuvent plus prendre, parce que
celle-ci a été consignée entre les mains d'un courrier,
homme de confiance qui doit l'avoir remise à V. S.,
avant que la présente lettre ne lui soit rendue. Il est
bien vrai que l'édit, qui a été rendu à Rome, comme
vous me l'écrivez, à cause du soupçon de la conta-
gion que l'on y dit être à Lyon, me surprend fort,
puisqu'ici on n'en a parlé d'aucune façon, et si c'était
1. Le Primatice.
2. « Monsieur Poussin s'en retourne bientôt; je l'importune-
rai de quelque chosette dans ses balles pour vous. » Bourde-
lot à Cass. del Pozzo, 28 août 1642.
174 CORRESPONDANCE [1642
vrai, le Roi, à son retour de Perpignan, n'y serait
pas resté tant de Jours ^ Mais, malgré toutes ces
craintes, je ne désespère pas du bon succès de l'affaire
entamée. Puis, de mon côté, Je ferai toute la diligence
possible pour que tout aille bien : le reste, nous le
laisserons aux mains de Dieu. Je remercie infiniment
V. S. du soin qu'elle prend de moi et de ma maison.
L'indisposition de mon épouse bien-aimée m'a moins
affligé, ayant appris par ses lettres que son mal n'était
pas pour lui enlever des forces, mais au contraire
pour les lui accroître par la multiplication de ses
dents. Je demeure éternellement votre très obligé et
vous baise humblement les mains.
De V. S. Ill«« et Rn»*
Le très humble Ser^
Nicolas Poussin
De Paris 8 août 1642.
Mon ami prébende de cette paroisse de Nantes et
moi-même remercions infiniment V. S. lli'"^ de la
faveur qu'elle a eu l'intention de lui faire.
72. — Noyers a Chantelou.
(Ms. 12347, fol. 73.)
De Monceaux^ ce 4. septembre 1642.
Je vous renuoye les desseins que Mons. le Poussin a
1. Louis XIII était arrivé à Lyon le 7 juillet 1642, venant de
Tarascon. Il n'y séjourna pas longtemps, puisque le 14 il par-
tait de Saint-Symphorien et, le 17, de Roanne. — Richelieu
arrivera à Lyon, son bateau remorquant celui de Cinq-Mars
sur le Rhône, le 2 septembre et il en partira le 12 au matin,
quelques heures avant l'exécution du favori.
2. Monceaux-en-Brie, auj. comm. du cant. de Meaux (et non
près de Melun) (Baguenault de Puchesse, Corresp. de Catherine
de Médicis, t. X, p. 648). Cette reine y fit construire un superbe
1642] DE NICOLAS POUSSIN. l']S
projettes pour l'Orengerie de Luxembourg*. Il ne
reste qu'à les faire exécuter mais auant que l'on y
comence je désire absolument que le marché en ait
esté arresté parceque ces messes les peintres se rendent
nos maistres après qu'ils ont entamé un ouurageetje
prétens estre tousiours le leur.
Que mons. de la Noue face tel essay qu'il voudra
dans son cabinet mais absolument je ne veux point
qu'il comence l'ouurage que le deuis n'en ait été
arresté et le prix faict^ .
De Noyers.
73. — Poussin a Cass. del Pozzo.
(Bottari, t. I, p. 3oo.)
Desideravo bene, Illmo e Rev. Sig., che il qua-
dretto del Battesimo di Cristo capitasse in mano sua
prontamente e sicuramente, acciochè con questo
mezzo Ella potesse conoscere, quanto desidero esser
pronto a servire il mio Sig. e Padrone : ma d'altro
canto temero la comparsa di esso avanti agli occhj
suoi tanto delicati nel conoscere le cose belle ; e niente
di meno, perch' Ella mi ha onorato tante volte di
pigliarsi qualche diletto nelle cose fatte di mia mano,
non ho ardito tanto questa volta, che io mi sia potuto
promettere il medesimo di questa, ancorchè ho usato,
di quella diligenza, che ho potuto migliore, acciô l'o-
château (1547) "tI^^ Henri IV donna à Gabrielle d'Estrées et
dont quelques restes subsistent encore. — Louis XIII se trou-
vait alors à Monceaux; il y était encore le 10 septembre 1642.
1. Poussin avait déjà été employé aux travaux du Luxem-
bourg en 1621 (voir Avenel, Corresp. de Richelieu, 1. 1, p. 675).
2. L'addition et le prix faict est de la main de M. de Noyers
et ajoutée par lui quand il a signé la lettre qu'il venait de
dicter à un secrétaire.
176 CORRESPONDANCE [1642
pera riuscisse almeno al pari di qualchuna di quelle,
che ella tiene in casa : ma il cielo, sotto il quale è
stata fatta, mi fa dubitare, che ella non sia stata grata
agli occhi suoi corne l'altre già fatte, ma se parago-
nandola colle suddette paja a V. S. che s'accompagni
bene, me ne rallegrero sempre, ed a me farà occasione
di ardimento a continuare nel cercare i mezzi di ser-
virla come ardentemente desidero. Le bacio le mani
devotissimamente, e le resto eternamente umilissimo
servitore.
Di Parigi 5. Settembre 1642.
Nicolô Poussin.
Je désirais bien, HW^ et R»^ Seig% que le petit
tableau du Baptême du Christ arrivât dans vos mains
promptement et sûrement, afin que vous puissiez
reconnaître par là combien je désire être empressé à
servir mon Seig^ et Maître, mais d'un autre côté je
redoutais sa comparution devant vos yeux, si délicats
dans la connaissance des belles choses, et néanmoins
que V. S. m'ait tant de fois fait l'honneur de prendre
quelque plaisir aux travaux de ma main, je n'ai pas
eu cette fois la hardiesse de m'en promettre autant,
bien que j'ai apporté mes meilleurs soins pour que
l'œuvre réussisse au moins à l'égal de toutes celles
que vous avez chez vous. Mais le ciel, sous lequel
elle fût faite, me fait douter qu'elle soit aussi agréable
à vos yeux que les autres déjà faites. Cependant s'il
semble à V. S., en la comparant aux susdites, qu'elles
vont bien ensemble, je m'en réjouirai toujours, et ce
me sera une occasion de m'enhardir à continuer de
chercher les moyens de servir V. S. comme je le
désire ardemment. Je lui baise les mains très afifec-
1642] DE NICOLAS POUSSIN. I77
tueusement, et je reste éternellement son très humble
serviteur
Nicolas Poussin
De Paris 5 septembre 1642.
74. — Poussin a Cass. del Pozzo.
(British Muséum 1.)
Illustrissimo et Reud™° Sig. Mio.
Ho auuto per un largo dono la lettere di VS: Illus'Pf
nel 20. Agosto hauendo inteso da quella come il qua-
dretto del battessimo di Christo le sia riuscito second©
l'aspettazione chi ella ne aueua, ma tanto più sarebbe
stato maggior la sodisfazione mia, se la cassetta le
fusse stata consegnata dal Coriero in quella maniera
che hauero ordinato a Monsieur Stella, il quai final-
mente mi ha seruito maie et del quale non ho potuto
cauere altra raggion fino adesso, se nô che stasse sicuro
che la sudetta cassa le saria portata fidelmente, e che
il Coriero non haueua voluto denari per il porto
hauendo egli detto di volerla portar gratis perche
haueua obbligation particolare a VS : quelle è quanto
n'ho potuto cauare. Intorno aile copie di Raffaello,
quando le mando Monsieur de Chantelou a VS : lo
pregai di far in maniera che le fussino presentate con
più gratia che non furono li ritratti, ma finalmente
vedo che in tutte queste cose è accaduto quello che
meno mi pensauo, pero la prego humilmente d'escu-
sar me il primo e creder che s'io hauessi potuto trouar
I. Nous publions la copie envoyée par M. Ch. Ephrussi à
M. de Chennevières en 1879. L'original appartenait alors à
M. Malcolm. Il est actuellement au British Muséum, Add.
Ms. 37772, fol. 93 (renseignement dû à l'obligeance de M. War-
rer, conservateur). Bottari l'a publiée, t. I, p. 3oi.
1911 12
lyS CORRESPONDANCE [1642
megliori messi intorno aile cose che concernano il
suo gusto, l'hauerei adoprati è di tutto l'animo mio.
Hieri mi fu resa la sua deli 6* Agosto, alla quale
questa mia servira anche di risposta, no sapendone per
adesso che dir altro, se nQ che martedi prossimo, Iddio
volendo, mi metterô per viaggio, scriuero à VS : di
Leone, e de gli altri luoghi dove mi ritrouerô, cosi lei
sappia che per tutto doue sarô ella hauerà un humi-
lissimo e deuotissimo seruitore et col fine gli bagio
riuerentemente le mani
DIVS: Ills«f et Rf?
Humiliss»" Serj'f
Poussin.
Di Parigi i8 Settembre, 1642.
Mon Seig'' lU»»* et R««.
J'ai tenu pour un rare présent la lettre de V. S. Ill™«
du 20 Août^ qui m'a appris que le petit tableau du bap-
tême du Christ a réussi auprès de vous selon l'attente
que vous en aviez ; mais ma satisfaction eut été d'autant
plus grande, si la caisse avait été remise au Courrier
de la façon dont je l'avais recommandée à Monsieur
Stella, qui en fin de compte m'a mal servi, et dont je
n'ai pu tirer jusqu'ici d'autre raison, si ce n'est qu'il
était assuré que la caisse vous serait fidèlement por-
tée, et que le Courrier n'avait pas voulu d'argent
pour le port, disant qu'il le voulait porter gratis pour
une particulière reconnaissance qu'il avait envers V. S.
Voilà tout ce que j'en ai pu tirer. Pour les copies de
1. Bottari a lu le 16.
2. « M' Poussin qui fut ravi avant hier que je lui rendis
votre lettre un quart d'heure après l'avoir reçue; il vous ido-
lâtre, in sumnna tous ceux qui ont eu l'honneur de vous appro-
cher. » Bourdelot à Cass. del Pozzo, 12 septembre 1642.
1642] DE NICOLAS POUSSIN. I79
Raphaël, quand M. de Chantelou les envoya à V. S.,
je le priai de faire en sorte qu'elles fussent offertes
avec plus de grâce que ne le furent les portraits, mais
enfin je vois que de tout cela il est arrivé ce que je
pensais le moins. Aussi je prie humblement V. S. de
m'excuser, tout le premier, et de croire que si j'eusse
pu trouver de meilleurs moyens pour ce qui a trait à
votre plaisir, je les aurais employés de tout mon cœur.
Hier me fut remise votre lettre du 6* Août, à
laquelle la présente va servir aussi de réponse, car je
ne sais pour le moment rien vous dire de plus, sinon
que mardi prochain 2, si Dieu le veut bien, je me
mettrai en voyage. J'écrirai de Lyon à V. S. et des
autres endroits où je me trouverai, afin qu'elle sache
que partout où je serai, elle aura un serviteur très
humble et très dévoué, et pour finir, je vous baise
humblement les mains.
De V. S. Ill"' et R«<=
Le très humble Ser""
Poussin.
De Paris 18 septembre 1642.
75. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fol* 74-)
A Monsieur de Chantelou^
Commis de Monseigneur de Noyers^ en Court.
[M. Poussin 21^ Septembre 1642.
Cette lettre contient un raisonnement sur les des-
seins faits pour la chapelle de Dangu.
1. Bottari a lu le 10.
2. Mardi 23 septembre 1642. Richelieu, de retour vers Paris, y
descendait la Loire de Roanne à Briare.
l8o CORRESPONDANCE [1642
Il prens congé de moy partant pour sen retourner
en Italie^ dans des termes qui sont plains damour et
destime singulière.]
de Paris ce 21 Septembre 1642
Monsieur
Vendredi au soir^ je repceus vostre lettre auec les
desseins de la Chapelle de Dangu. Je considérei les
dits deseins desquels je direi librement mon oppinion
sauf toutefois un melieur auis. Celuy de M"" Le Vau-'
est gentil et poli en tout et par tout la différence tou-
tefois d'entre celui ci et celui du s"" Adam est fort
petite . ayant esté peut estre abstreint a la mesme
chose par la colloquation de la porte de laditte cha-
pelle Lon les peut egallement estimer pour ce qui
touche la distribution des pilastres mais il me semble
que les coulomnes rondes de l'autel de m"" de Vau
ont melieure grâce que les pilastres qui touchent
l'autel et porte le frontispice du dessein dudit Adam
marqué B. Mais dautre part la proportion du tableau
du dessein dudit Adam est plus belle et plus conno-
dote pour i dépeindre quelque chose que nest celle
dudit Vau. Pour ce qui est des flanc de la Chapelle
il me semble difiicille de pouuoir faire melieure dis-
tribution que celle quil ont fette en leurs desseins
marqués X. parce que i voulans mettre les pilastres
1. « Il partit vers la fin de septembre 1642 et arriva à Rome
le 5. Novembre de la même année » (Félibien, p. 35). Louis XIII
et la cour séjournèrent à Livri, près Paris, du 18 au 22, selon
la Ga:{ette.
2. Vendredi 19 septembre 1642.
3. L'architecte Louis II Le Vau, né à Paris vers 161 3, mort le
10 octobre 1670. Il devint premier architecte du roi. Il travailla
beaucoup aux Tuileries et au Louvre et construisit l'hôtel
Lambert, les bâtiments neufs de Vincennes, le château de
Vaux et le collège des Quatre-Nations (auj. l'Institut).
1642] DE NICOLAS POUSSIN. 181
adeus adeus comme au dessein marqué CH. il sensui-
uoit deus inconueniens. Le premier seroit de la porte
qui se trouueroit toutte d'un costé proche dun des
deus pilastres et de lautre il resteroit un grand espase
vuide qui ne seroit pas une moindre laideur que de
voir en une face humaine la bouche sur la jouée au
lieu destre au milieu du visage au dessous du nés.
Lautre inconuénient seroit que les dits pilastres estans
accouplés l'espase .A. du dessein CH nauroit aucun
raport avec lespase .B. ni B. avec .C. qui sont les
deus bouts du mur. et néanmoins que l'espace .A
soit égal à celui de .G. le pilastre Q. nest que^ demi
et ne consour en nulle manière auec les deux entiers
.A. Pour ce qui touche les ornemens des interpil-
lastres il me semble que estans canellés et riches deux
mesmes il se faut bien garder auec la confusion des
ornemens de guaster leur beauté car tels incidens ou
parties accessoire ne doiuent estre adaptés aux
œuures les parties [des quelles] principales desquelles
sont desià belles si senest auec de la prudense et bon
jugement affin que par iceus il leur soit aporté de la
douceur et de la grâce. Car les ornements n'ont esté
inuentés que pour modérer une certaine sévérité ^
qui est en l'architetture simple Cest pourquoy il ma
semblé quil suffiroit dorner les entrepilastres de la
manière que je les ai signés au dessein marqué .Z.
qui seroint certaines petites tables releuées d'un
poulce ou enuiron avec des testes de Chérubins au
dessus et au dessous deus petites Cartelles ployés en
forme de S avec une coquille qui les joint, entre les
deus petites tables, il reste le lieu dun quadre long
I. Que, en surcharge du mot plus.
2.tMot en marge.
ifo CORRESPONDANCE [1642
avec sa bordure que l'on pourrait délicatement ^ en-
tailler et sur le fond. Ion i ferait des figures ou de
bas relief ou de peinture qui représenteroint les douze
Apostres se trouuans Justement douze interualles ou
entrepilastres. Jei communiqué ma pensé au s"" Adam
quil a aprouuee. pour ce qui est de la frise un foeil-
lage i conviendra forbien pourueu quil soit dassés
bas relief afïîn quil reçoiue moins la poudre et l'or-
dure. Vous aves (Mo*") fet aporter des exemples de
Rome qui pouront beaucoup seruir. Si puis après
dieu me donne la grâce de retourner sein du pais la
ou je vas. Jestimerei avoir une occasion dignissime
de faire les desseins de l'ornement de la vouste avec
tout ce qui plaira à Monseigneur et à vous de me
commander.
Je joindre! alla présente ces deus lignes pour vous
suplier de croire que je me parts disi avec grand
regret de nauoir pas le bonheur de vous dire adieu
personnellement et en prendre congié et quil faut que
une feuille de papier face set office pourmoy^. Mon-
sieur je vous dis donc adieu. Adieu mon cher pro-
tecteur adieu l'unique amateur de la vertu adieu Cher
Seigneur qui mérités destre honnoré et admiré, adieu
jusque a tant que dieu me donne la grâce de revoir
vostre bénigne face. Cependans je demeure
Monsieur
Vostre treshumble et
très obéissant Serviteur
Le poussin.
Je vous renuoye les desseins affin que vous les
reconsidériés.
1. D'abord écrit : déliquatement.
2. Chantelou était à la cour. Le 10 septembre, Louis XIII
séjournait à Monceaux.
1642] de nicolas poussin. l83
76. — Poussin a Chantelou'.
Lyon ce 22^ Nouembre 1642,
Monsieur et Cher patron.
Je vien tout présentement de reseuoir la lettre de
monsr le brun laquelle et datte du cinquiesme de se
mois Je ne say ou Elle peu auoir ettée retenue car
Monsieur dullieu me fait la faueur de me faire rendre
mes laittres des premiers et franche il faut quelle
77. — Poussin a Cass. del Pozzo.
(Coll. Alf. Morrison'.)
AU 111'^° et Rew^? Sig^^ et Pron
mio oss^° il Sig^ Abbate di Cauore
In Roma.
Illmo et Reu'ï'.o Sig. mio
Scrisse à VS: Ill™f délia mia partenza di Parigi
come ancora del mio arriuo in Leone, di Auignone
et di Marsilia hauerei fatto il medesimo se l'occa-
sione ni si fusse trouata adèsso che per la grazia
d'Iddio mi ritrouo in Genoua sano et disposto l'in-
1. Ce fragment nous est signalé par M. Alexis Pitou, agrégé
des lettres au lycée de Caen. Il a été publié en fac-similé dans
le Magasin pittoresque de i856, p. igS, comme un « ancien
brouillon de lettre », au verso duquel Poussin a dessiné deux
esquisses de la Conversion de saint Paul (voir lettre du i5 mars
i658). Ce papier fut communiqué au Magasin par M. Des-
perets.
2. Cette date du fac-similé est fautive, puisque Félibien dit
expressément (p. 35) que Poussin « arriva à Roma le 5 no-
vembre ». De plus, novembre ne peut pas être un lapsus pour
octobre, puisque Poussin écrit de Gênes le 22 octobre, — ni
pour septembre, puisque le 21 septembre il se trouve encore à
Paris.
3. Lettre inédite communiquée à M. de Chennevières par
M. Thibaudeau. Aujourd'hui, chez M. Alfred Morrison, Font-
hill House, Wilts.
184 CORRESPONDANCE [1642
drisso questà due riglie perché questo credo esser
molto del debito mio et accio ella sappia che per
tutto doue io mi ritrouo puo ben credere di hauere
(se bene debole di forza almen d'affetto) il più feruente
seruitore di qualunquè se gli dedicasono mai per
questo rispetto délia mia deuozione la prego di con-
tinuarni nel honor de suoi favori et col fine gli bagio
le mani
DI : VS : Ill-p? e Reu>r?
Hum^o Ser^«
Nicolo Poussin
Di Genoua 22 ottobre 1642.
A l'Ill^^ et Rev^^ Seig^^ mon Patron très honoré^
le Seigf Abb'é de Cavore, à Rome.
Mon Ill'î'f et Révns Seig^
J'ai écrit à V. S. IIH^ lors de mon départ de Paris
comme encore à mon arrivée à Lyon; à Avignon et
à Marseille, j'aurais fait de même, si l'occasion s'en
fut trouvée. Aujourd'hui que par la grâce de Dieu,
je me retrouve à Gènes sain et dispos, je vous adresse
ces deux lignes, que je crois être de mon devoir strict
et afin que vous sachiez que partout où je me trouve,
vous pouvez bien croire avoir le plus fervent servi-
teur de tous ceux qui se donnèrent à vous (bien que
débile de force, au moins solide d'affection); par ce
respect de mon dévouement, je vous prie de me
maintenir dans l'honneur de vos faveurs, et enfin je
vous baise les mains
De V. S. IIH^ et R«e
Le très humble Ser"":
Nicolas Poussin.
De Gênes, le 22 octobre 1642.
1642] DE NICOLAS POUSSIN. l85
78. — M. DE Noyers a Chantelou.
(Ms. 12347, ^ol- 1^-)
[Monseigneur 26 nouemb 1642 '.]
De Paris ce 26= Nouemb. 1642^.
Si la joie que j'ay eiie lorsque j'ay appris v^ arri-
uée à Thoulon^ a esté grande, mes alarmes ne l'ont
pas esté moindres lorsque je vous ay veu ambarqué
dans cette double fuste"*, car ne croies pas que vostre
persone me soit moins chère que tout ce que vous
portés, quelque prétieux quil soit. Ainsy je n'aurai
guères de repos jusques à ce que j'aie des nouuelles
de v^e arriuée en Terre ferme. Hastés les donc je vous
prie, et m'en faictes scauoir au plus tôt./
Ion m'a doné aduis de faire jetter en bronze dès
Rome^ les basses tailles antiques, dont nous tirons
1. Au-dessus de ce sommaire de Chantelou, on lit, d'une
encre plus noire :
« huit pièces.
« Pour Paul Fréard de Chantelou Gouverneur de la ville de
Chasteauduloir et M" d'hostel ord" du Roy. »
Cette indication paraît être du fils de M. de Noyers, M. de
la Boissière, et la fonction de Chantelou à Château-du-Loir
est postérieure à son mariage (20 mars i656).
2. Cette lettre est écrite tout entière de la main de M. de
Noyers.
3. Jal cite cette dépêche de Louis XIII relative au départ de
Chantelou pour Lorette (de Fontainebleau, le i5 octobre
1642) :
« Monseigneur le bailly de Forbin, le sieur de Chantelou,
l'un de mes conseillers et secrétaires, va en Italie pour faire
quelques présents à Sa Sainteté et de là passer à Lorette pour
y offrir de ma part un don que j'y faict pour recognoistre la
protection spéciale de la Vierge, en l'heureuse naissance de
mon fils le Dauphin... » (vieilles arch. de la Guerre, vol. LXX,
pièce 264).
4. « Une petite galiote », selon Jal.
6. M. de Chambray, préface du Parallèle de l'architecture
antique et de la moderne : « Il fit former plusieurs figures et
l86 CORRESPONDANCE [1642
les creux en piastre pour les faire puis jetter icy/ et
je m'y range volontiers, pour plusieurs raisons/ Ces
pièces ne seront point en danger destre rompues estant
de matière solide/ Elles ne cousteront pas plus tout
compté et rabattu/ Que s'il se rompt quelque chose
en tirant les Piastres et les reparans le remède est aisé
à trouuer, aiant les originaux devant les ieux/ Ion dit
que les fondeurs sculpteurs sont fourbes et trompeurs
mais vous scaurés bien les choisir et vous précaut-
tionner contre leurs artifices. Ainsi j'incline beau-
coup à cest aduis; J'en remets touttefois la résolution
à ce que vous en jugerez, faittes à peu près le compte
de ce que cela coustera et me l'enuoiés afïin que par
comparaison nous jugions quel party nous deburons
prendre. L'on considère le risque de la mer, et des
ennemys qui seroit sans comparaison plus grand ap-
portans des bronzes réparés que des piastres/
Lon met en compte le change et la tare des monoies
qui enchérit extrêmement l'ouvrage.
les Appointements d'un homme qu'il faudra char-
ger du soing de ces ouurages qui seront longs à faire/
Je ne vous mande point que M"" Stella a escrit par
deçà que M"" le Poussin ne reviendrét point, que
d'auës^ ne tienent tous les jours de semblables dis-
cours parce que je le croi homme d'honeur, et qu'il
ne vouldrois pas manquer à la parole qu'il m'a donée
bas-reliefs particulièrement la Flora et l'Hercule du Palais
Farnèse, duquel il y a présentement un ject à Paris; deux
autres médailles de l'Arc de Constantin, et les deux colosses
de Montecaval avec leurs chevaux, ... que M. de Noyers avoit
dessein de faire jetter en bronze pour les placer à la princi-
pale entrée du Louvre. »
I. d'autres.
1642] DE NICOLAS POUSSIN. 187
sans y estre forcé. Il suffit que je vous aduertisse des
bruits de deçà. Le Roy a chassé Troisvile, Tilladet,
Beaupuy la Sale, et enuoié des Essarts cap"^ des
gardes beaufrère de Troisuille en Piedmont^ le tout
à cause de l'estroite union quils auoient tous auec
M"" le Grand et cœt
De Noyers
On m'a prié de vous escrire que si vous pouués
mener à Lorette le Père d'Atichy Jésuiste sans vous
incommoder vous obligerés grandement ce bon Père,
sans permettre qu'iP parle ni quil se mesle du subiect
de vostre voiage./
79. — M. DE Noyers a Chantelou.
(Ms. 12347, fo^- 78-)
[Mgr 24 décembre
reçue à Rome le i4januier 1643.]
De S^ Germain ce 24^ x^/ 1642^
Jay mieux aimé que vous ayes sceu d'ailleurs la
1. Toujours attentif à « nettoyer de temps en temps la court
des esprits mal intentionné/ » (Mémoire pour le roi, 27 octobre
1642). Richelieu exigea et obtint (non sans peine) le renvoi de
ces capitaines des gardes (Troisville était lieutenant de mous-
quetaires). « Mardi [25 novembre] sur le soir, le roy fit appe-
ler V... et Guitaut, et après avoir fait retirer tout le monde
leur dit que pour certaines considérations, il vouloit que Tré-
ville, Beaupuy, Tilladet, La Salle et des Essarts se retirassent »,
écrivait Henri Arnauld le 3o. — Ce fut le dernier triomphe du
cardinal; le vendredi 28 survenait le suprême accès du mal
qui l'emporta le jeudi suivant, 4 décembre 1642.
2. Ce qui suit écrit verticalement et en marge.
3. Ces mots en italique sont de la main de Noyers, le reste
est écrit par un secrétaire.
l88 CORRESPONDANCE [1642
funeste nouuelle de la mort de nostre cher maistre,
le souuenir m'en estant si cuisant % que ie suis bien
aise de ne l'admettre dans mon esprit, que pour m'ex-
citer à prier Dieu pour son repos ^ tous ceux qui l'ont
aimé, doiuent auoir incessamment devant les yeux, la
grandeur de ses pensées, et ne rien faire qui dégénère
à la noblesse des desseins qu'il auoit pour la gloire
de Dieu, celle du Roy, et de sa Patrie, aussy sont ce
mes plus doux entretiens, et rien ne m'occupe plus
suauement que l'espérance de les suiure toute ma vie,
bien que de loing. ce n'est pas, que ie ne preuoye,
quil y aura des difficultez à l'aduenir, à vaincre, mais
comme elles suiuent d'ordinaire les belles choses,
ainsi que^ l'ombre fait le corps, tant s'en faut qu'elles
m'estonnent, qu'au contraire, elles soustiennent mon
courage, et me préparent contre des obstacles, peut
estre plus grand, que nous n'en trouuerons en effect;
assurez en, je vous prie, Monsieur le Poussin, Mon-
sieur Piettre de Cortonne, L'Algare*, Monsieur Fran-
çois le Flamand, et toute la troupe des vertueux, sans
1. De Noyers était présent à la mort de Richelieu, le jeudi
4 décembre 1642, un peu après midi, au Palais-Cardinal.
2. On sait la piété de M. de Noyers. Richelieu la jugeait par-
fois excessive, car, lisant de lui des pensées pieuses, peu à leur
place dans les lettres d'affaires, il écrit plaisamment, le 9 sep-
tembre 1641, qu'il « se béatifie tous les jours » (Avenel, Cor-
resp., t. VI, p. 866).
3. De Noyers a barré comme, écrit par le secrétaire, et a
ajouté au-dessus ainsi que.
4. Alessandro Algardi (1602-1654), sculpteur bolonais. Envoyé
à Rome par le duc de Mantoue, il s'y lia notamment avec le
Dominiquin (fort admiré de Poussin). Il s'est distingué dans
les sculptures des anciens jardins de Salluste, de la villa du
Belrespiro (à Camillo Pamfili) et dans la décoration de nom-
breux édifices.
1642] DE NICOLAS POUSSIN. 189
lesquels il faut que noz plus généreuses résolutions
auortent, comme celles du plus noble esprit, qui
informeroit un corps, sans mains, et sans piedz;
faites moy scauoir au plus tost ce que cette déclara-
tion aura produit, et ce quil y manquera, pour la
rendre féconde, afin que iy satisface de tout mon pou-
uoir. ne me mandez pas confusément ce que vous
aurez reconneu dans les mouuements de tous cez
messieurs, mais descendez dans le détail, et m'escri-
uez bien particulièrement ce qu'il conuiendra faire,
pour contenter les uns et les autres, ce qu'il faut faire
par deçà, ce que par delà, ce que monsieur Le Pous-
sin désire pour les accommodements de son logis, ce
qu'il désigne pour la continuation de l'ouurage de la
grand gallerie^ la variété du génie francois voulant
quil divise le corps de ce grand ouurage, en quatre
parties, et que les ornements de chacune soient entie-
rem* différents des autres, la veiie, à ce qu'ilz disent,
se lassant dans une si longue course, d'obiets si non
semblables en tout, au moins en la pluspart
Enuoyez moy une ample relation de tout vostre
voyage, sans y obmettre aucune circumstance tant
soit peu considérable, votre arriuée à Rome, vostre
réception, l'oblation de voz présentz, leur agréement,
leur prisée, l'estime de leur valeur, parlant à la mode
du païs, et aprèz auoir amplement déduict ce qui
touche Rome, n'obmettez pas ce qui regardera Lo-
rette. Couchez y voz espérances, touchant les riches
trésors de vertu, que vous espérez remporter en
triomphe auec vous, ce que vous ferez copier, dans
I. De Noyers a rectifié un lapsus du secrétaire qui avait
écrit : la continuation de la grand ouvrage de la gallerie.
190 CORRESPONDANCE [1642
les ouurages de Raphaël, pour seruir au dessein des
tapisseries Royalles, et quelles autres excellentes
pièces, pour orner et enrichir les palais de noz Roys.
et généralement tout ce que vous scaurez qui pourra
satisfaire la curiosité des esprits les moins desraison-
nables de deçà
Saluez, ie vous prie, en mon nom, monsieur le
Poussin, et l'assurez que j'ay pour luy toute l'estime
et l'affection, quil peut désirer d'un véritable amy.
Noubliez pas le bon monsieur le maire ^, et tous
ceux que vous estimerez le mériter.
Visitez de ma part le Reuerend Père General des
Jésuistes^, et l'assurez de mon obéissance.
Dites luy, que monsieur le Cardinal mazarin me
pria hier de luy escrire, quil estoit de sa charité pater-
nelle, d'auoir pitié du pauvre Père Caupony. N^ou-
bliés pas le Père Assistant et lui dictes que mon ^ele
envers la Compagnie^ augmente par la diminution
de ses protecteurs en france / Mandés moy quand je
puis espérer de vous reuoir et vostre compagnie. Je
prie Dieu que ce soit hientost car ce sera tousiours
trop tard pour la satisfaction de celui qui vous aime/
De Noyers.
î. « Le peintre Lemaire et M. de la Varenne devaient faire
partie de cette compagnie de M. de Chantelou dont parle de
Noyers » (Chardon, Les Fréart de Chantelou, p. 53).
2. Mutio Vitelleschi, sixième général des Jésuites, élu le
i5 novembre i6i5, mort le 9 février 1645.
3. Nous laissons à Tallemant des Réaux la responsabilité de
l'affirmation suivante sur de Noyers : « Il avait fait les vœux de
•^ jésuite depuis son veuvage, mais il était exempt de porter l'ha-
bit et de vivre autrement qu'un séculier » {Historiettes, éd. 1834,
t. II, p. i5).
1643] de nicolas poussin. iqi
80. — Poussin a Chantelou l'aîné.
(Ms. 12347, fol. 81.)
A Monsieur De Chantelou* A Paris*.
De Rome Ce premier Jour de l'an 1643.
Monsieur.
Je ne sai quel Jugement vous ferés de moy voulant
faire un mestier contraire à celui que je proffesse
Véritablement j'aurois usé du Silence si jeusse creu
auoir satisfet a mon debuoir par quelques humbles
Recommandations que je vous ai fettes par les Lettres
que jai escriptes à monsieur Remy Vuibert'. Mais
sachans bien que ce naist pas assés. Jei quitté le pin-
ceau pour mettre la main alla plume (Néanmoins que
se soit anticiper sur ce qui apartient à vous seul) e
vous adresser ses deus lignes vou saluans humble-
ment par icelles et vous augurer une bonne et heu-
reuse nouuelle Anée. il est vray que pour cela il ne
1. Ce « M. de Chantelou, à Paris », n'est pas notre Paul de
Chantelou, mais son frère aîné Jean Fréart; Poussin a oublié
d'ajouter « l'aîné », comme il fait en pareil cas. Paul est à
Rome depuis la fin d'octobre 1642 jusqu'à la fin de mai 1643.
Aussi, pendant ce séjour près de Poussin, la correspondance
est-elle suspendue. — Jean Fréart de Chantelou, l'aîné des
trois frères, né au Mans le i5 février 1604, inhumé le 26 oc-
tobre 1674. Conseiller du roi, commissaire provincial en Cham-
pagne, Alsace et Lorraine; élu des finances au Mans, où il
vécut.
2. Lettre très bien écrite, comme il convient à une lettre
de cérémonie, à l'occasion du i" janvier.
3. « Rémi Vuibert, peintre, de qui nous avons la Guérison
d'un possédé, de sa composition, et dont il a fait une eau-forte
portant la date de 1639. » Gault de Saint-Germain, Les tt-ois
siècles de la peinture en France. Paris, 1808, p. 44. C'est le
« M. Rémy » dont parle Bourdelot dans sa lettre du i" mai
1642 (voir p. i33).
192 CORRESPONDANCE [1643
faut estre ni grammairien ni grand orateur, que si
jestois tel, je ne ferois autre chose que vous escrire
pour vous persuader de me commander de vous
seruir qui est tout ce que je désire et que vous croyés
(Monsieur.) que toute ma vie je demeurerei vostre
trèshumble seruiter
Monsieur
Vostre trèshumble et
tresaffectionné seruiteur
Poussin
81. — Mazarin a Chantelou.
(Ms. 12347, fol. 83.)
M. de Chantelou^ Rome.
Monsieur La peinture que vous
m'auez enuoyée de mon Palais de Rome^, me le
représente sans doute plus beau que je ne l'auois
trouué; Mais je vous puis dire outre cela qu'il m'est
plus considérable qu'il nestoit à cause du séjour que
vous y faites. C'est la chère Retraite que j'auois des-
tinée pour la solitude que je méditois après la mort
de Monsieur le Cardinal Duc, et c'est où j'auois résolu
d'aller chercher de l'allégement à la douleur que ma
laissée la perte de ce grand homme. Mais l'affection
qu'il auoit eiie pour moy ayant passé les bornes de sa
vie, l'obligea de prier le Roy en mourant de se seruir
de moy dans la conduite de ses Affaires^. Cet hon-
1. Dès le 21 décembre 1641, M. Boart écrivait : « L'on croit
icy que M. le Gard"' Mazarin viendra bien tost habiter le beau
Palais qu'il y a achepté... »
2. Par les lettres patentes du 5 décembre 1642 (dès le lende-
main de la mort de Richelieu), Louis XIII annonçait que
« Dieu ayant voulu retirer à lui notre très-cher et très-aimé
1643] DE NICOLAS POUSSIN. ig3
neur que i'ay receu de Sa Majesté avec tant d'autres
marques de sa bonté, m'arrestant icy, je ne puis que
je ne désire qu'il me donne le moyen de vous tesmoi-
gner l'estime que je fais de vostre personne, et de
vous faire voir par effet que je suis véritablement
Monsieur,
Votre très^ affectionné à vous faire seruice,
Il Gard' Masarini.
A S' Germain en Laye^ ce 22* janvier 1643.
82. — Testament de 1643^ (traduction).
Le 3o avril 1643.
Pour l'illustre M" Nicolas Pousin (fils de M* Jean,
Français, de bonne réputation), bien connu de moi,
et par la grâce de Dieu Tout-puissant, sain d'esprit,
cousin le cardinal-duc de Richelieu », il appelait pour le rem-
placer « notre très-cher cousin le cardinal Mazarini », cela
pour le bien des affaires et « en sorte qu'il n'y aura aucun
changement ».
1. Cette lettre a été dictée à un secrétaire, mais Mazarin, en
la signant, a eu l'amabilité de renforcer la formule finale; le
secrétaire avait écrit : votre bien affectionné serviteur. Mazarin
a barré bien et a écrit au-dessus le mot très.
2. La cour y restera jusqu'à la mort de Louis XIII (14 mai
1643). Il est déjà fort malade.
3. Ce testament, en latin, est conservé aux Archives urbaines
de Rome. Il n'en a pas été parlé dans les publications fran-
çaises relatives à Poussin, bien qu'il soit imprimé (avec les
etc.), depuis 1886, dans le livre touffu, mais inégal, de A. Ber-
tolotti, Artisti francesi in Roma, p. 108. M"* Em. F. S. Patti-
son, à qui Bertolotti l'avait communiqué, y a fait allusion
dans un article de l'Art, 1882, p. 121. — A. Bertolotti le porte
comme ex,trait des Testaments de Jacob Pizzutus, années 1640-
1644. Nous n'avons pas reproduit le texte latin, qui est plein
de fautes, dont beaucoup sont évidentes : nobilibus pour mobi-
libus, Dugnet pour Duguet, el esse pour et esse, etc. Nous
verrons, à propos du testament de i665, que rien n'égalait la
négligence des scribes en matière d'orthographe, même des
noms propres.
1911 i3
r
194 CORRESPONDANCE [1643
de sens, de la vue, de l'ouïe, de la parole, de l'intelli-
gence et du corps;
lequel, craignant le fait de sa mort future (car rien
n'est plus sûr que la mort, et rien plus incertain que
son moment), et ne voulant pas mourir intestat, ni
qu'entre ses descendants et héritiers surgisse quelque
procès ou différend, a fait ce présent dernier testa-
ment, dit en droit civil nuncupatif et non écrit de sa
main', de la façon et dans la forme qui suit :
Commençant donc par l'âme, comme plus noble
et plus digne que le corps, et devant être mise avant
toutes les choses humaines, il la recommande, avec
piété et dévotion, au suprême créateur de toutes
choses, à la Très Glorieuse Mère Marie, à toute la
cour céleste et triomphante^;
Et il veut que son corps, après que l'âme en aura
été séparée par la volonté divine, soit inhumé dans
la vénérable Eglise paroissiale du lieu où ledit testa-
teur aura passé à une autre vie, et il laisse pour la
sépulture à cette église, etc.
De tous ses biens tant meubles qu'immeubles,
créances et actions universelles, déposés et existants
en quelque lieu et sous quelque mention que ce
soit..., il fait, institue et désigne de sa propre
bouche, pour sa légataire universelle, l'ill. dame
Anne-Marie Duguet, sa femme, à laquelle il laisse
1. La formule italienne nuncupativo sen:{a scr/«/ désigne un
mode testamentaire qui serait nul aujourd'hui. Le testament
nuncupatif était l'enregistrement, par la main d'un notaire,
des déclarations verbales que le testateur, généralement inca-
pable d'écrire ou de signer, lui dictait, en présence de sept
témoins (dont on lira les noms à la fin du testament).
2. Ce paragraphe est la copie d'une formule usuelle, non l'ex-
pression d'une foi personnelle. On le retrouvera presque exac-
tement dans le testament du 21 septembre i665.
1643] DE NICOLAS POUSSIN. igS
tous ses biens, à charge de payer 1000 écus à M« Jean
Duguet^ propre frère de lad. Anne-Marie et 2000 écus
à l'Illustre Seigr Ferdinand del Po:{:{o^ fils de l'Illustre
Seig. Charles Antoine^ del Po:{!{o;
i5oo écus à Barbara et Catherine Cherabitto^ filles
de Sébastien, neveu de lad. Anne-Marie, desquels
3ooo et i5oo écus, légués comme ci-dessus, la dame
Anne-Marie, déjà nommée légataire universelle, doit
garder l'usufruit, et non d'autres, etc, et parce que, etc.
Et il dit que ceci est son dernier testament et sa
dernière volonté, lesquels il veut qu'ils valent comme
testament nuncupatif et non signé de sa propre main.
Il fait exécuteur de ce présent dernier testament le
Seig. Charles Antoine del Po^o, à qui il donne une
ample autorisation, etc.
Fait à Rome par mon ministère, etc, en présence de :
i<> l'ill. M« loe Antonio Cincio, fils de défunt Marco,
de Tibur;
2°. l'ill. Seig. Antonio Gattaio, fils de défunt Aris-
tote, Romain;
3°. M* Julio Siracchi, de Parme;
4°. l'ill. M« Andréa Camillo, de Sancto-Gemino;
5° M^ Cesare... Salusto, de Colle Valentino;
6°. l'ill. M^ Silvestre Bontempo^, citoyen romain.
7°. M« Sancte, notable florentin.
1. Carlo Antonio del Pozzo avait épousé, en 1627, Téodora
Costa, nièce de l'évêque de Savone. Leur fils, Ferdinand, né
en i63o, filleul de l'ambassadeur de Toscane, succéda à son
père dans la commanderie de la famille, en 1661.
2. Ces sept noms n'ont jamais été prononcés à propos de
Poussin. Nous supposerions que ce sont des noms de voisins
qui auront eu la. complaisance de servir de témoins. Le nom
de Bontempo, Bontemps, pourrait désigner un Français, sans
sa qualité énoncée aussitôt de « citoyen romain ».
196 correspondance [1643
83. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fo^- 84-)
A Monsieur de Chantelou, où quil soit.
[M. Poussin g^juin 1643.
Il fait responce à la lettre que je luy escriuis de
Turin.
Cette lettre est plaine d'amitié et de moralité.]
de Rome ce .9. Juin 1643.
Monsieur
Vostre trèschère lettre de Turin m'a osté d'une
paine non commune d'autans que depuis vostre dé-
part « de Rome, je n'auois point entendu de nouuelles
certaines ni de l'aduansement de vostre voyage ny de
Testât de vostre santé. Maintenant je me trouue
l'ame moins inquiétée néanmoins qu'elle ne peut pas
retourner en sa tranquillité ordinaire jusque à tant
que je sois certain de vostre ariuée à Paris, ausur-
plus ceux de qui vous estiés l'apui et consolation
estans par un si long et facheus voyage demeurés
comme orfelins seront acompagnés de la tristesse
jusques à tant quil vous reuoyent car il se peuuent
imaginer les dangiers que vous aués coureus et ne
scauent pas que par l'aide de dieu vous aués éuité
les plus grands dont vous pouuiés estre menasse.
Le bon M^ de La Varane et le cher M^ Le Maire
seront ceux là qui plus viuement seront touchés de
telles apréhensions. Le danger mesme où ils se
peuuent trouuer en personne est assés capable pour
les affliger. Je remercie dieu de m'auoir préserué de
cette paine puisque mesme je luse prinse en vain. La
1643] DE NICOLAS POUSSIN. I97
mort du Roy^ et la retraictte de la Cour de Monsei-
gneur^ ont esté deus choses qui musent fet mourir
de déplaisir en me trouuans en mesme temps engagé
den un long voyage. Je vous assure (Monsieur) que
dans la commodité de ma petite maison^ et den le
peu de repos qu'il a pieu à dieu me prolonger Je nay
peu éuiter un certain regret qui ma percé le cœur
jusque au vif en sorte que je me suis trouué ne pou-
voir reposer ni jour ni nuit. Mais à la fin quoy quil
m'ariue. je me résous de prendre le bien et supporter
le mal. C'est une chose si commune aux hommes
que les misères et disgrâces que je m'émerueille que
les hommes d'esprit s'en fâchent et ne s'en ris plustost
que d'en soupirer. Nous n'auons rien en propre nous
tenons tout à louage.
Néanmoins que les disgrâces susdittes sointariuées
en peu de temps et quelle soint capable de mettre le
monde sendessus dessous — le cher M"" Remy m'a
escrit quil y a apparanse que les choses que nous
auons commensées pourrons continuer "•. Si cela est
1. Louis XIII, mort à Saint-Germain le 14 mai 1643.
2. 10 avril 1643. — Cette disgrâce était l'effondrement de
l'avenir administratif des Chantelou. — « La maladie du Roi
augmentant aussi bien que le crédit du cardinal Mazarin, Sa
Majesté donna toute sa confiance à Chavigny; Des Noyers ne
le put souffrir. Il demanda la permission de se retirer ; ce qui
lui fut accordé. II fit en cela une démarche dont il eut tout le
temps de se repentir » {Mémoires du comte de Brienne, collec-
tion Michaud et Poujoulat, t. III, m, p. 76).
3. Les registres de l'état de la population constatent que la
maison habitée par Poussin, dans la via Paulina, maintenant
via Babuino, est celle qui porte le n° 79. Il y demeura de 1637
à sa mort, en i665 (H. Lemonnier, Documents sur Poussin).
4. « L'Imprimerie royale continue et la peinture de la Gale-
rie du Louvre, quoyque M. de Noyers soit disgracié... Les
gens de guerre sont bien aise de sa disgrâce, mais i virtuosi
stampatori, pittori, scultori, muratori, indoratori, stucatori le
^
198 CORRESPONDANCE [1643
ainsy, vous scaués à vostre départ ce que je vous ay
promis et comme je seray tousiours prest à obéir et
seruir à Monseigneur et à vous. Je vous auois supplié
longtemps deuans vostre départ de Rome, de toucher
un mot à Monseigneur, sur ce que jay aduancé
quelque fatigues desquelles je nay rien repseu — et
que juse bien désiré d'en auoir quelque récompense
sil est plu audit Monseigneur de le faire. Mai je
crois que une infinité de choses auront esté cause que
ma requeste n'aura pas eu d'effet. Maintenant que
vous serés auprès de Monseigneur*, je vous supplie
tresaffectueusement de vous souuenir de moy qui
suis icy en atendans vos commandements.
Jay veu tous ceux qui copient à farnèse^ et leur ay
mostré vos lettres ils se montrent tous fort affection-
nés à vous seruir et promettent de ne rien faire autre
jusques à tant quil vous ayent satisfet. J'aurei soin
que tout aille bien. Jay présenté votre lettre à Mon-
sieur Errard^ qui a esté raui d'avoir de vos nouuelles.
J'atens auec impatiense celle que vous me promettes
de paris à vostre ariuée. Je vous supplie de toute mes
regrettent. J'ai bien peur que les desseins qu'il avait ne con-
^ tinuent pas avec toute la chaleur et que monsieur Poussin se
■^ trouve bien où il est et che ci stia. » Bourdelot à Cass. del
Pozzo, de Paris, 18 avril 1643.
1. Dans « ce château de Dangu, si cher à M. de Noyers, qui
allait y vivre ses tristes années de disgrâce politique, dans
une solitude charmée par les plus doctes entretiens sur l'art
X antique entre Errard et Chambray, et les nouvelles de Rome
que transmettait à Chantelou la correspondance du Poussin ».
Ph. de Chennevières, La peinture française, p. 288.
2. Le palais Farnèse appartenait toujours à la famille de ce
nom, qui l'avait fait construire de i53o à i58o, et possédait le
duché de Parme.
3. Charles Errard avait reçu, grâce à M. de Noyers, le bre-
vet de peintre du roi, le 20 février 1643 (voir Arch. de l'Art
français, t. III, p. 256).
1643] DE NICOLAS POUSSIN. I99
forces de ne changer jamais la qualité dont il vous
plaist m'honnorer au commensementde vos lettres à
cette fin que je m'en glorifie par tout.
Jei fetvos baisemains à Monsieur le Cheuallier du
Puis qui vous les rend au double et M"" son frère ausy
il ni a personne qui chérisse ' tant que vous et vous
seront tousiours obligés et affectionnés
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsaffectionné seruiteur
POUSSIN
Je baise les mains à Messieurs vos frères.
84. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fol- 86.)
A Monsieur de Chantelou, en Sa Maison, à Paris.
[M. Poussin 2 2^ juin 1648.
Cette lettre est plaine d'affection^
et rend compte de ce que je faisois faire àfarne^e.]
De Rome Ce .22. Juin 1643.
Monsieur et Maistre
après m'auoir honnoré de vos nouuelles et de vostre
ariuée à Turin par la vostre du 21 du passé mainte-
nant jay repseu une double faueur par celle qu'il vous
a pieu m'escrire de Lyons, je vous peus dire auec
vérité que jay esté transporté d'aise quand j'ay sceu
que par l'aide de dieu vous auiés eschappé les dan-
giers que vous pouuiés craindre, et je m'assure en-
1. Le mot chérisse est d'une lecture un peu douteuse.
2. Les mots pleine d'affection sont rétablis d'après la copie
de l'Institut, car ils manquent au ms. 12347, ^^ ^^^^ '^^ 1^ page
ayant été déchiré postérieurement à 1755.'
200 CORRESPONDANCE [1643
quores que^ vous serés ariué à Paris et fini heureuse-
ment vostre longue et fâcheuse course,
Je fis response à vostre première ausi tost que je
l'eus repceue. Je vous assure par icelle de la déuo-
tion que j'auroi toutte ma vie devons seruir. mais Je
crains que vous n'ayés eu agré la prière que je vous
fesois touchans mes intérés sans vous laisser prendre
halaine, je vous en demande pardon. La promptitude
que jay remarquée en vous quand vos amis vous ont
requis de quelque faueur, m'a fet croire que vous
n'estiés jamais las de faire plaisir, Je n'entends pas
pourtant que pour la prière que je vous ay fette vous
vous portiés à se qui vous seroit désagréable, mais si
s'estoit chose que auec le temps et l'occasion vous
pussiés faire je vous en serei grandement obligé,
néanmoins mon mal est de la qualité de la bruslure
à qui il faut incontinent apliquer le médicament pour
en estre bientost guaranti.
Pourcequi est de la régense de la Royne Mère^, et
se qui c'est passé depuis la mort du Roy^ nous en
auons eu aduis, l'on dit ausi bubliquement que l'on
prira Monseigneur de retourner en Court"*. Si sela
est ainsi je prie Dieu de tout mon coeur que se soit à
1. Poussin, ayant écrit deux fois le mot que, l'a rayé la
seconde fois, en se relisant.
2. La régence fut déclarée au Parlement dans le lit de jus-
tice du 18 mai 1643.
3. C'était le triomphe de la cabale des Importants. Anne
d'Autriche cédait toujours : « La reine est si bonne! » Le jour
où Poussin écrivit, 22 juin 1643, on célébra les funérailles solen-
nelles de Louis XIII à Saint-Denis.
4. M. de Noyers intriguait avec la cabale des Importants
contre Mazarin. Selon les Mémoires de la Châtre, Anne d'Au-
triche « assurait à M. de Vendôme que, deux heures après la
mort du roi, elle ferait revenir M. de Noyers » (éd. Michaud,
p. 280).
1643] BE NICOLAS POUSSIN. 201
son grand honneur et contentement, au reste Je ne
doubte point de la crainte que vous aués plustost que
de la joye de retourner dans les embaras de la Court.
Le repos et la tranquillité de l'esprit que vous pouués
posséder se sont des biens qui n'ont point d'esgal.
Finallement vous ne debués pas mettre la perte de
ma conuersation au nombre d'un seul point de dis-
grâce. C'est bien moy qui me doibs plaindre de ne
jouyr plus de vostre douce présense. Mais puis quil
est ainsi, à mon trèsgrand déplaisir je me consolerei
si jay le bonheur de vous seruir. Si donc (Monsieur)
vous cognoissés en moy quelque talent qui vous
puisse apporter quelque sorte de plaisir, me voisi en
atendans vos commandemens, vous assurant bien
que je vous seruiray de tout mon cœur, pour cet effet
je ne m'engagerei avec personne affin de demeurer le
vostre tout entier
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsaffectionné
seruiteur
i»OUSSIN
Mesieurs vos frères trouueront ici mes trèshumbles
baisemains.
Hier au matin je fus à Farnese pour voir en quel
estât estoint vos copies. Celle que le Sieur mignard*
a entreprise est finie. Le S"" Le Vieux^ en a fini une
1. Pierre Mignard, né à Troyes, 7 novembre 1612, mort à
Paris, 3o mai lôgS. Ce fameux portraitiste, qui était à Rome
depuis i635, s'était signalé par le portrait d'Urbain VIII (voir
la Vie de Mignard^ par l'abbé de Monville).
2. Ph. de Chennevières {La peinture française, p. 148) a par-
ticulièrement étudié cet artiste et distingué « les deux quasi-
homonymes Reynaud Le Vieux et Claude Le Rieux ou De
Rieux, que Quatremère de Quincy avait confondus comme à
plaisir ». — Ce Le Vieux était un « brave Nîmois » {Ibid.).
202 CORRESPONDANCE [1643
celle qui est à demi corps descouurant un petit Crist
qui est couché sur un oreille. M"" Le Maire a fini son
dieu de pitié du Caracio. M"" Errard aura bientôt fini
ses portrais. Le Napolitain na pas beaucoup aduansé
la Vierge du Chat Mais il promet de continuer à y
trauailler. Nocret^ a esté malade de sorte quil na peu
rien finir. Le Vieux a esbauché encore la Vierge du
Chat. Le tout va assés raisonnablement bien et chas-
cun s'efforsera de faire le mieux quil lui sera possible.
Vous me manderés sil vous plaist ce que vous désirés
que l'on face. —
85. — Poussin a Chantelou.
(Félibien, éd. i685, t. IV, p. 290.)
A propos du Ravissement de S^ Paul :
« Avant que de le commencer, il écrivit, le 2 juillet
1643, à M. de Chantelou.
« Qu'il craignoit que sa main tremblante ne luy
manquast en un ouvrage qui devoit accompagner
celuy de RaphaeP. Qu'il avoit de la peine à se
résoudre à y travailler s'il ne luy promettoit que son
Tableau ne serviroit que de couverture à celuy de
1. Jean Nocret, né à Nancy en 1617, revint de Rome en 1645;
peintre et valet de chambre du roi, 10 décembre 1649, P^i" ^^
faveur d'Anne d'Autriche. Ce portraitiste devint ensuite peintre
de Monsieur et décora le château de Saint-Cloud. Mort à Paris
le II novembre 1672 (voir l'étude de E. Meaume, Jean Nocret,
1886).
2. Paul de Chantelou avait acquis, à Bologne, la Vision
d'É^échiel de Raphaël : « Le tableau acheté par M. de Chan-
telou passait alors pour l'original; il se pourrait très bien,
suivant M. Charles Clément, que ce fût une répétition par
Raphaël lui-même de la Vision d'É:^échiel de la galerie Pitti.
Il se trouve aujourd'hui chez Sir Thomas Baring, à Stratton »
(Chardon, Les Fréart, p. 81).
1643] DE NICOLAS POUSSIN. 203
Raphaël, ou du moins qu'il ne les feroit jamais
paroistre l'un auprès de l'austre, croyant que l'affec- X"
tion qu'il avoit pour lui estoit assez grande pour ne
permettre pas qu'il receust un affront ».
86. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fol. 881.)
De Rome Ce .4'ème aust 1643.
Monsieur
J'ay repseu la vostre du .g'^în^ Juillet à laquelle je
nay pas vouleu manquer de respondre comme jay fet
à toutte celles générallemf quil vous a pieu m'escrire
depuis vostre départ de Rome, jusque à présent. Jay
repseu comme je vous ay escrit par ma dernière la
vostre de l'onsiesme Juing auec une lettre de change
en vertu de laquelle (Ainsi comme vous me l'aués
ordonné) jay repseu huitcens et trentetrois escus
deux^ Jules de cette monoye de Rome. Sixcens des-
quels jay déposés au banc Sj esprit. Le reste je le
tiens chés moy pour auoir plus de commodité de
faire les payemens à ceux qui ont fini quelque choses
de celles que particulièrement vous me recomman-
dés. Jay payé le S^ pietro paulo sculpteur en bois des
six chandeliers que vous luy auiés ordonnés, pour la
somme de septantedeux escus et demy y compris la
cornice de vostre S',« nous auons rabatu douze escus
quil auoit eus pour arres.
Jay fet prix et donné des auances au doreur pour
1. Les quatre pages de la lettre sont entièrement remplies.
Aussi l'adresse dut-elle être écrite par Poussin sur une autre
feuille, qui manque, et M. de Chantelou n'a pas eu de place
pour écrire, selon son habitude, le sommaire de la lettre.
2. Deux est très lisible (Quatremère, p. 124 : dix).
204 CORRESPONDANCE [1643
les dorer pour la somme de septante écus les six. il
m'a semblé qui réusiroint plus riches de les faire dorer
entièrement que de faire quil yen eust de couleur de
cher, cela a trop de son pauure homme et du Sf' de
village. J'aurei l'œil ouuer affin que le tout se face dil-
ligemment et comme il appartient. Du reste, je suis
raui que vous m'ayés honnoré de cette commission et
ne la cèderei point à d'autres sependans que j'y pour-
rai vasquer. et je sais bien pourquoy.
Monsieur Errard vous a escrit que tout aloit bien
à farnese il estvray. Mais non pas très bien. Car pre-
mièrement Mignar ha fet sa copie différente de collo-
ns de l'original autans comme il y a du jour à la nuit.
du reste sans l'auoir fet voir ni à moy ni à Mon-
sieur Errard. il se l'est retirée chés soy là où il la fet
coppier. Du reste quand je luy ay demandé le pris il
m'a dit ne la pouuoir pas donner à moins de quatre-
vins escus et de plus quand la copie seroit finie dens
deux mois d'icy Voilà pour celui là en quel estât est
la chose
Le Vieux a fini une de ses coppies, c'est assauoir la
Vierge à micorps qui lèue un voile de dessus son
petit Crist. elle est coppiée moyennemen bien. Ce-
luylà du moins s'acommode alla Raison et se con-
tente de vintecinq escus
Le Napolitain Cique=^ est celuy de tous comme je
crois qui imitera mieux la Vierge surnommée de la
gatta.
Mais il est si Ions que c'est une mort, elle n'est pas
1. Poussin a plutôt écrit : S' (seigneur) que 5' (saint) de
village.
2. C'est Ciccio francisé. On francisait presque tous les noms
propres : les Barberins (Barberini), Quérasque (Cherasco),
Mazarin, Maldaquin, etc.
1643] DE NICOLAS POUSSIN. 205
finie à la moitié. Nous sommes conuenus de pris et
compris les arres quil a repseus il se contentera de
septante escus, il me semble que ce n'est pas trop
pour le trauail quil y a. Le susdit Vieux a esbauché
la mesme mais il ne peut y trauailler que quant
l'autre l'aura finie. Je donnerei demain un peu d'ar-
gent au dit Gique affin de l'obliger à promtement
finir l'ouurage commensé. Le sieur Nocret fet le
diable je ne sais pourquoy il a fini la vierge à des-
tenpre d'après le parmesan* tellement quellement.
(Néanmoins que depuis je luy ay fet retoucher en
plusieurs lieux) il n'en veut rien moins de trentecinq
escus. Et se qui est destrangement fascheux il s'est
mis en teste de ne pas finir les portrais qu'il a com-
mensés, n'alegans point d'autres escuses sinon quil
trouue à gagner dauantage que en les fesans à moins
de soisante ou septante escus. quand à moy je demeure
muet quand je vois des gens de ce calibre là prétendre
de si grandes récompenses de ce qui font. Il me des-
plaist extrêmement que deuans que vous vous soyés
parti vous n'ayés terminé de prix auec tous ceux que
vous employés; maintenant que vous estes absent et
qui voyent quil ni a que moy qui procure que vos
afîeres aillent à vostre satisfaction, il se sont secrète-
ment accordés se voyant es mains et les aduances et
l'œuure de tenir bon et de se faire et courtiser et payer
à leur mode.
En tout cela néanmoins il y auroit une médiocre
difficulté, si ce n'estoit que je ne scais pas vostre
volonté ni ne peus comprendre en quelle manière
vous aués fet vostre compte Gela fet que je vas fort
I. Francesco di Filippo Mazzola, surnommé il Parmegianino
(n janvier 1504-24 août 1540).
206 CORRESPONDANCE [1643
reserué. Car vous m'écriués ainsy : l'argent que je
vous enuoye seruira pour payer les copies que jay fet
faire à farnèse, les chandeliers, le tableau de S^ Pietro
in Montorio^ le tableau de Fonligno^ et les quatres
copies de chés Monsieur le Cheuallier du puis oultre
qu'il faudra despenser à les faire porter enquesse et
autres. Vostre manière descrire m'a fet penser que
vous désiriés peu despenser pour chasque chose. Ce
qui fet que j'iray ménageant le mieux quil me sera
possible vostre argent sans atendre la response de
celle si car il nia personne qui vouleust tant atendre.
Entre toutte les choses qui se passent icy touchant
vos affaires merueilleuse^ est la strauaganse du Si-
gneur Chaperon*, lequel après nous auoir remis de
Jour à autre, et n'ayans jamais vouleu trauailler pour
vous depuis vostre départ jusques à maintenant en
fin il dit quil a eu lettres de Monsieur Renard" com-
prinse dens celles que ledit renard a escritte à mon-
sieur Passart. qui disent que vous aués dit tant de
1. La Transfiguration, de Raphaël, qu'il laissa inachevée
(i52o).
2. La célèbre Madone de Raphaël (peinte vers i5ii), alors
dans l'église Sainte-Anne, aujourd'hui au Musée du Vatican.
3. Poussin avait oublié d'écrire ce mot et, en se relisant, il
l'a ajouté en marge.
4. « Nicolas Chapron de Chasteaudun n'a pas été un des
moindres élèves de Vouet » (Mariette, Abecedario, t. I, p. 354).
— « Le jeune homme qui s'appelle Chaperon est à présent à
Rome; il donne dans la manière du Poussin; je crois qu'il
réussira. « Bourdelot à Cass. del Pozzo, 28 août 1642. — Né le
19 octobre 1612, mort à Rome vers i656.
5. Pierre Renard ou Regnard, dit Saint-Malo, « homme
d'esprit, de goût et d'intrigue », selon Bonnaffé, Dict. des
amateurs, p. 266 (qui le fait mourir, à tort, avant 1643). Valet de
chambre du commandeur de Souvré, garde du cabinet des
armes du roi, l'un des correspondants de M"" de Sablé; célèbre
par son fameux jardin, qui était le rendez-vous du bel air
(terrasse des Tuileries). • • . ,
1643] DE NICOLAS POUSSIN. 2O7
mal de luy audit Renard que vous luy aués rendu
d'ami et protecteur quil luy estoit anemi desclaré, et
que ce n'estoit pas ce quil atendoit de vous en fin
sous se faux et balourde prétexte il a en tout renonsé
à la continuasion de l'œuure si bien commensé. Mais
parceque et les Moines du lieu et moy et Monsieur
Errard l'auons prié comme à jointe mains de ne *
laisser point une œuure si aduancée. pour des fausses
impressions, et celle pour laquelle vous auiés des-
pensé de l'argent et employé tous vos amis de par
desà. enfin vaincu il a dit qu'il en auoit perdu le goust
et quil ne scauoit pour qui il trauailloit ni à quelle
condision. Nous l'auons prié de s'acommoder du prix
et se mettre à quelque raison. Mais nous n'en auons
peu tirer que une demâde qui nous a fermé la bouche,
disans qu'il ni trauailleroit jamais à moins de sissens
escus de payement et que il vouloit toucher présen-
tement deux cents escus. en fin Je nay osé rien lui
offrir plus de cent pistoles dont il c'est moqué et a dit
aux Moines quils remisent leur tableau à sa place
sil vouloient, et que quand pour lui quil ni trauail-
leroit jamais. Vous pouués ordonner ce que vous
voulés que l'on face de Tesbauche que nous laisse-
rons chez les Moines jusque à tant que nous aurons
de vos responses. Nous auions pensé de chercher
quelqu'un qui le vouleust finir mais nous ne trou-
uons personne qui veille finir les choses commencées
par un autre si ce n'estoit des copistes à la dozeine
qui ne feroint rien qui vaille oultre que les Moines
sudis sont extrêmement las d'atendre et en toutte
manière veuUent remettre le dit tableau en son lieu
pour les quarante heures que l'on y va mettre, et
jurent fort et ferme que jamais plus il ne souffrirons
208 CORRESPONDANCE [1643
que l'on Poste de son lieu. Voilà ce qui se passe autour
de cette affere.
Nous ne trouuons personne qui veille aller copié
le tableau de Fonligno^
Monsieur Le Maire aura fini un de ces jours le
dieu de pitié de Farnese, que je retirerei quand il
sera fet, si nous nous acommoderons du prix.
Pour Mf Errard, il a quasi fini les portrais qui
seront beaux et bien imités^.
Finallement je tacherei d'acorder tout à vostre
aduantage sans atendre d'autre response car il n'est
pas raisonnable que vous perdiés et la paine que vous
aués prise et l'argent que vous aués aduansé.
Nous chercherons qui vous copira bien les tableaux
de Mr le Cheuallier du puis, auec monsieur Errard.
sil en veut prendre la paine comme je crois qu'il le
fera plus pour l'amour de vous que pour l'œuure.
Quand vous m'aurés enuoyé la mesure de vostre
petit tableau de Raphaël, je tascherei à vous seruir le
mieux qu'il me sera possible^.
Pour ce qui est de mon interest je n'en parlerei
jamais. Je vous demande pardon de ce que j'en ai dit.
Monsieur, vostre trèshumble et trèsaffectionné ser-
uiteur
Poussin.
1. Il est vrai que c'est à trente bonnes lieues de Rome, en
pleine Ombrie, et que les chemins étaient peu sûrs (voir l'as-
sassinat d'un courrier, lettre du 24 mars 1647).
2. Félibien (p. 36) dit que ce sont ceux de Léon X (par
Raphaël).
3. La fin de la lettre, qui suit, est écrite en marge, vertica-
lement.
1643] de nicolas poussin. 2o9
87. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fol. 90.)
A Monsieur de Chantelou, en Sa Maison.
[M. Poussin 25^ aoust 1643.
Il rend compte de ce que je Jesois coppier à Rome
quil a trouué la pensée du petit S^ Pol^ et me promet
que sil fait quelque chose de bon goust ce sera po\
moy.]
De Rome Ce vintecinq aust 1643.
Monsieur
il m'a semblé nécessaire de vous aduertir de ce qui
se passe en ces quartiers icy touchant les choses des-
quelles vous m'aués donné le soin, sans atendre
dauantage affin que vous puissiés penser à donner
ordre à ce quil ne despend point de ma dilligense. —
Premièrement, vous estes frustré de l'atente que
vous auiés non seullement de la coppie en petit que
vous atendiés du tableau de S^ Pierre in Montorio
mais ausi de la grande, le Sieur ChapperO ayans de
propos délibéré et « sans aucun subiect, abandonné
l'œuure. Son procédé et * ses menteries ne sont point
racontables. Il suffit de vous dire qu'il est si impu-
dent qu'il chante des vers diffamatoire sur le subiect
de Monseigneur, vous pouués bien vous imaginer
d'où cela vient'. Vous me ferez scauoir ce que vous
voulés que l'on face de l'esbauche. laquelle Je ferei
arester et desposer entre les mains des Moynes dudit
I. De la clientèle de Mazarin, pense H. Chardon. — Dès le
18 avril 1643, Bourdelot écrivait à Cass. del Pozzo : « Ils ont
déjà fait des vers sur lui [M. de Noyers] depuis son éloigne-
ment par lesquels ils le jouent. »
1911 14
2IO CORRESPONDANCE [1643
S* Pierre lesquels avec grandissime desplaisir peuuent
supporter que un maraud de cette estoflfe vous traitte
si mal. Je vous assure quil ont eu toutte la patiense
que^ humainement il se peut auoir et sil voyoint quil
y eust espéranse de finir l'oeuure commensée il souf-
friroint pour encore un long temps l'incommodité
quil ont repsue Jusque à présent, mais d'autans quils
voyent que ce ne seroit faire autre chose que perdre
le temps il ont délibéré de parler au Cardinal Bar-
barin et le prier quil permette quils remettent le
tableau en son lieu.
Ceux qui coppient à Farnèse ne se monstrent pas
plus affectionnés à faire leur debuoir que Chaperon
principalement Nocret Le Maire Le Vieux et Mignard
qui tous de commun accord se veulent faire payer à
leur mode, et ne veulent pour rien faire les secondes
coppies quil auoint commensées.
Je ne scais pas quelles espéranses vous leurs auiés
donnés mais quand il ont veu la chanse^ retournée,
il ont tous montré les dens comme chiens enragés, et
ont pris plaisir à vous mal traitter sil ont peu. Se qui
m'a contrains de m'acommoder auec eux le mieux
que jai peu. Et en fin jay retiré de leur griffes, la
coppie du Dieu de Pitié d'Annibal Caragio du Maire^.
la Vierge d'après le Parmesan de Nocret. la Vierge à
mi-corps coppiée du Vieux, les portrais de Monsieur
Errard. vostre portrait de la coppie fette par Nocret.
Il ne reste que la Vierge du Chat que le Napolitain
finit, et celle de Mignard qui retient chez lui et la fet
1. Que est surchargé en che.
2. Mot un peu douteux : c'est plutôt chanse que chose.
3. Cette copie est visible dans l'église Saint-Benoît du Mans,
à qui elle fut donnée en 1707 par une descendante des Chan-
telou (H. Chardon, Les Fréart, p. 76).
1643] DE NICOLAS POUSSIN. 211
coppier. Vous aurés donc une coppie de chasque
sorte de quoy vous vous pourrés contenter, car se
n'est pas chose que vous debuiés beaucoup souhetter
que d'en auoir des doubles coppies. Je n'estime pas
que vostre argent y fust bien employé, vous le ver-
res bien par celles que je vous enuoyrei et si se neust
été pour ne perdre point vos arres vostre argent eust
été ausi bien employé à autre chose.
Je vous ay prié par ma dernière me * mander * ce
que vous voulés que je face de l'argent qu'il vous
aduansera et que personne ne vouloit aler coppier à
Fouligni.
Jay prié fra Jouanin' de vous escrire se mot pour
confirmation des Strauaganses de Chaperon, et M"" Er-
rard vous auroit fet le mesme si se n'eust esté son
indisposition : il a eu la fiebure quelque jours et com-
mense à se porter mieus. Mais cette automne il vous
en dira plus de bouche que je n'en scaurois escrire
en huit jours.
Jay trouué la pensée de vostre Rauissement de
S' Paul et la sepmaine prochaine je l'esbaucherei.
Quant ausy j'aurei fet quelque chose de bon goust je >c
vous le dédirei n'ayans point d'autre gloire ni de plus
grand plaisir que de vous seruir.
Nous nous consolons dans l'espéranse du Retour
de Monseigneur que nous prions à dieu qui soit
bien tost et à son contentement et au vostre. Quand
j'aurei retiré chés moi toutte les choses que vous
désirés, je chercherei bien l'occasion de vous les
enuoyer mais si vous auiés quelque correspondanse
à Marseille et à Lion vous fériés bien de nous en
aduertir
I. Jean Dughet, beau-frère de Poussin, et son homme de
confiance.
212 CORRESPONDANCE U^4^
pour ce qui est de mon costé je me conseillerai sur
se subiect et ferei le tout auec dilligense et soin plus
que si s'estoit pour moymesme, sependans je demeure
à jamais
Monsieur
Votre trèshumble et affectionné
seruiteur
POUSSIN
88. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fol. 92.)
A Monsieur de Chantelou, en sa maison, à Paris.
[M. Poussin, 23^ Sep^"-' 1648.
Mande les mesmes choses quaux précédentes tou-
chans les coppies de Farnèie, quil est prest définir le
S^ Paul, que si les cartons de la gallerie ne l'occupent
point il aura moyen de me seruir avec commodité,
quil se sent bien dhumeur de faire quelque chose de
bon.]
de Rome ce 23'«™^ Septembre. 1643.
Monsieur
J'ai repseu la vostre du 27'«^« Aust qui me con-
firme ce que vous m'auiés desià escript par vos précé-
dentes, desquelles je m'émerueille que vous n'aués
point eu de response. Je nay poutans jamais maqué
de vous escrire à toutte les fois que jai repseu de vos
nouuelles Je vous ay par plusieurs fois escript ce qui
se passoit autour de vos coppies tant de farnèse
comme de S^ Pierre in Montorio de sorte que il
seroit superflu de vous en dire dauantage. Je n'atens
autre chose pour vous les enuoyer, que la coppie du
Napolitain et les Chandeliers qui ne sont pas finis
1643] DE NICOLAS POUSSIN. 2l3
de dorer. J'eusse esté très aise sil eust esté possible
de vous enuoyer le tout deuant que l'incommo-
dité de l'Hiuer fust venue, mais nous auons afaire à
du monde qui ne finit jamais, et je vous jure que la
solicitation ni sert de rien. Jespère pourtant vers la
fin de ce mois d'auoir la susdite coppie et les Chan-
deliers. Ausi tost que je les aurei, je les ferei embal-
ler auec toutte les autres choses et vous les ferai tenir
par la voye la plus assurée.
Je vous ay fet scauoir comme le Sieur Chapperon
auoit laissé et abandonné la coppie du tableau de la
transfiguration. Je vous jure deuans dieu que je nay
jamais cogneu un homme d'un si déshonneste procé-
der ni le moins raisonnable ni le plus menteur.
Je crois quil vous aura fet escrire des mensonges
dont il est le père. Mais Monsieur Errard qui scait
une bonne partie de la chose et qui est témoins
comme Ton a tasché par tout moyens de le bien traic-
ter, vous dira de bouche tout le fet. Je crois qu'il
ariuera à Paris plustost que la présente, il vous dira
par mesme moyen comme Antoine sculpteur' s'est
porté enuers vous mesmement il vous dira se quil a
fet des modelles de cire que vous prétendiés qui
fussent vostres.
Pour ce qui est du bon Monsieur Tibaut^ il est hon-
neste homme et fort affectionné à vous seruir vous
fettes une charité de luy aider des vint escus que vous
I. Cf. sur cet obscur» Antoine sculpteur » la lettre suivante
du 5 octobre 1643.
2 Thibaut Poissan, né à Estrées, envoyé à Rome par la
protection de M. de Noyers (1642), mort à soixante-dix ans en
1668. — « C'est le sculpteur à tout faire, si utile dans les
siècles de grands travaux » (Ph. de Chennevières, la Peinture
française, p. 202). — Voir Guillet de Saint-Georges, Mém. de
l'Acad. de peinture, t. I, p. 319).
214 CORRESPONDANCE [1643
m'ordonnes que je luy donne il ne restera pas ingrat
je m'en assure bien. Je luy ferei scauoir la bonne
volonté que vous aués pour luy et les espérances que
vous luy donnés si les choses des bastimens se re-
mettent.
Je ne manquerei pas de voir le signeur Vitellesque
et tascherei par tous moyens d'auoirles huit bust que
vous vistes Je scaurei au parauant quel moyen il
faudroit tenir pour les faire sortir et pour les enuoyer.
Si Monsieur Rémy vous aura dit quelque chose
touchant mon retour il ne s'est pas trompé car j'irois
au bout du monde pour seruir Monseigneur et pour
vous obéir mais je ne pourois pas si tost me résoudre
à me partir ma famé estans assés mal disposée et mon
beaufrère Jan^ a vouleu perdre la vue. dont il n'est
pas enquore bien guary. Si je vis jusques au prin-
X temps qui vient plus volontiers je me disposerei au
voyage. Se pendans je ne scaurois à suffisance remer-
cier Monseigneur des offres qui me va fesant et de ce
quil luy plaira me conseruerle logement qui m'a esté
donné à son istanse et par sa bonté. Je luy rens une
infinité de grâces de ces témoignages de bonne vo-
lonté, et à vous Monsieur je vous suis redeuable de
tans de faueurs.
Les coppies de chés Monsieur le Cheuallier du
puis ne sont pas commensées. Je nay trouué que
[fr] françois le Napolitain qui m'ayt promis d'en cop-
pier deux la Confirmation et l'extréme-oncion. Mais
j'apréhende sa longueur.
Bientost je finiray vostre petit rauissement de S' Paul
I. Jean Dughet, beau-frère de Poussin. C'était un graveur
estimé (voir Ph. de Chennevières , La peinture française,
p. 296).
1643] DE NICOLAS POUSSIN. 21 5
et incontinent fini je vous l'enuoyerei. Si les cartons
de la gallerie ne m'occupent point j'aurei moyen de
vous seruir avec commodité Je me sens bien d'hu-
meur à faire quelque chose de bon. Si l'on continue
la gallerie ainsi comme me le mande M"" Remy et que
l'on veille que je mande les cartons à l'acoustumé je
le ferei volontiers si Monseigneur en est content car
autrement je suis bien plus content de m'employer à
faire des tableaux où jay du contentem* et du plaisir
joint avec l'utilité que jen recois.
L'oppinion que vous aués de répéter les termes qui
sont fets, est conforme à ce que j'auois proposé dès
le commensemi Cela estans nous pouuons suiure et
promptement et facillem' le reste.
J'atens que vous m'ordonniés ce que vous voudrés
que je face de l'argent qui vous aduansera.
Je ne me souuiens pour maintenant d'autre chose
qui soit besoin de vous faire scauoir. Sinon que
toute ma vie je vous demeurerei.
Monsieur
Vostre treshumble et trèsobligé seruiteur
Poussin.
89. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, ^^^' 94')
A Monsieur de Chantelou, En sa Maison, à Paris.
[M. Poussin, 5e oct. 1643.
Il enuoye les six beaux guéridons^ et rend compte
de diuerses choses que je lauoisprié de faire à Rome.
1. Le mot est peu lisible. Nous lisons comme le copiste de
l'Institut avait lu.
2l6 CORRESPONDANCE [1643
// dit quil les a fait faire auec diligence.]
de Rome Ce Cinquiesme [Sept] octobre 1643'.
Monsieur
pardonnes moy je vous supplie si jay laissé passé un
ordinaire sans faire response à la vostre dernière du
3e°»e septembre. Il est vray que si vous mussiés mandé
par icelle quelque chose de quoy il eust faleu incon-
tinent en mander la response je n'euse pas remis la
partie à cette fois. Le bon monsieur Remy m'auoit
prié de luy enuoyer deux desseins de deus^ médalles
de celles qui sont dépeintes sur les fenestres de la
gallerie entre les termes. Afïin que par ce moyen il
peut acomplir la disiesme pontée. Cela m'ocupa en
telle manière que je ne sceus vous escrire au long ce
quil faut que je vous face scauoir. Et néanmoins que
maintenant vous aurés repseu toutte les lettres que je
vous ay escriptes et que vous scaurés comme les
choses que vous auiés ordonnées icy sont réusies
pour plus de certitude je vous en redirei deux mots.
Je nay peu auoir de ceus qui copioint à farnèse
autre que une seulle coppie de chasque original,
quoy que jaye traicté auec eux auec le melieur moyen
que jay peu. enfin il a falu passer par où il ont vou-
leu. mais je vous prie ne désirés point dauantage ce
qui vous eust apporté plus de desplaisir que de con-
tentement. Du reste vous n'aués point du dessous en
cette affere là.
Pour ce qui est de Chapperon il vous a fet escrire
1. Les 4 de Poussin ressemblent fort à des 9. C'est, comme
on le verra plus loin, ce qui a fait mal lire la date de la lettre
du i5 mai 1645.
2. Le mot deux, écrit par Poussin différemment, à si peu
d'intervalle, nous indique combien peu il se souciait de l'or-
thographe.
1643] BE NICOLAS POUSSIN. 217
ainsy comme je crois vous verres ce qu'il désire de
vous et vous me dires ce que vous voulés que je face.
Les bons Moines ont eut patiense jusque à cet heure
et n'ont pas enquore remis leur tableau. Mais il en
faut remercier la fortune d'autans que dedens les
afferes qui courent il n'oseroint en parler au Cardi-
nal Barberin' qui difficilement leur donneroit au-
diense ayans maintenans assés de quoy s'entretenir.
Il disent quil atende vostre resolution. Il ont en dé-
pos la coppie que ledit Chapperon a tasché de retirer
telle quelle est mais il c'est trompé, il semble que
maintenant il luy fasche d'auoir conduit l'œuure si
auant et en demeurer là. Mais c'est le mauuais conseil
quil a pris qui en est cause. Quand pour moy je nay
jamais congneu un serueau comme celuy là car il n'a
aucune çaison et tout les jours du changement et de
la bigearie. et ce que il afirme auiourdhuy demain il
le nie efrontément quand ily auroit eu cent témoins.
Pour le sieur Ciche. tant de promesse que l'on veut
il en donne mais les effets sont bien rare. L'on n'en
scauroit auoir la fin. c'est son procédé avec tout le
monde particulièrement auec ceux qui le traicte bien.
Il n'a point fini encore sa coppie et il ni a que luy
seul qui empesche que je ne vous enuoye ce que jay
de fet. Auiourdhuy j'ay f et enquaisser vos six beaux
chandeliers auec la corniche de teste. J'ay fet faire
I. Francesco Barberini (1597-1679), le fondateur de la biblio-
thèque Barberine. C'est pour lui que Poussin avait peint la jC
Mort de Germanicus. — Les Barberini avaient poussé leur
oncle Urbain VIII à confisquer Castro (bourg fortifié, à
l'ouest de Viterbe), que le duc de Parme, Odoardo Farnèse,
lui avait engagé pour hypothèque de dettes contractées à Rome.
De là une guerre (la première guerre de Castro) entre le pape
et le duc de Parme, soutenu par Venise, la Toscane et le duc
de Modène, qui s'étaient ligués le 3i août 1642.
ai8 CORRESPONDANCE [1643
le tout auec dilligense^ . Incontinent que ledit Ciche
aura fini je ferai enquaisser vos tableaux et vostre
portrait de cire, et vous manderei le tout par la
melieure et la plus commode occasion qui se présen-
tera. Je vous ay escrit que M"" Antoine est parti dicy
sans faire bruit et ne m'a rien laissé de ses modelles.
Monsieur Errard vous racontera comme va l'affaire.
Pour Monsieur Thibaut il mérite que l'on luy face du
bien vous l'aués ressucité tans par les vint escus que
vous voulés que je luy paye comme par les témoi-
gnages que vous luy montrés de l'affection que vous
aués pour luy il vous remerciera par lettres et vous
seruira en effet si vous luy commandés il fait bien de
demourer encore icy au moins une Anée. Je vous
assure quil a fet grand proffit en peut de temps.
Le Signeur Vitelleschi est hors de Rome pour
jusques au vintiesme de ce mois si tost quil sera
retourné je l'iray voir pour ce que vous scaués. Les
coppies de Monsieur le Cheuallier du puis ne sont
point commencées faute de trouuer quelqun qui
sache imiter ayés patiense je chercherei tant que je
trouuerei quelqun.
Je vous ay fet scauoir que il vous aduancera
de l'argent J'atens vostre response et vos ordres,
néanmoins quand les coppies de chés Monsieur le
Cheuallier du puis seront paiées ce qui aduansera ne
sera pas grand chose. Quand j'aurei fet enquaisser
toutte les choses que jay présentement à vous et que
je les aurei consignées je vous en donnerei entière
relation et vous manderei vos comptes à celle fin que
vous sachiés au juste ce qui vous aduansera. incon-
I. Poussin a souligné toute cette phrase, à partir du mot :
Auiourdhuy.
1643] DE NICOLAS POUSSIN. 2I9
tinent que j'aurei mis en ordre un petit tableau que je
commense, je mettrei la main au petit rauissement
de S' Paul et quand il sera fet je vous le ferei tenir
par la voye du courrier d'autans quil sera assés por-
tatif \ Si monsieur Rémy vous a dit quelque chose
de mon retour ce que je luy en ei peu dire n'a esté
que pour entretenir ceux qui font l'amour à la mai-
son du Jardin des Thiiilleries car mon cher maistre
à vous dire la vérité estant absent Monseigneur de la
Cour je ne scaurois pourquoy que ce fust penser à i^
retourner en France et néanmoins que ce pais icy
soit assés menasse de quelque destourbier^ je ne
scaurois penser à en sortir, et puis ne scaués vous pas
bien que quand les maux nous doiuent ariuer il nous
trouue partout.
Le pauvre M"" Snelles croyans s'en retourner jouir
la douceur de sa patrie (car il n'en auoit que une seul
dont il auoit esté longtemp privé) n'a pas eu le hon-
neur de la toucher de ces pies et * l'ayans seullement
veue de loint a rendu l'esprit et perdu la vie. à Nice
de prouense n'ayans esté malade que trois jours', et
puis qu'aije affere de tant tenir conte de ma vie qui
désormais me sera plustost fâcheuse que plaisante, la
vieillesse est [comme] désirée comme les nopses et
puis quand l'on y est arriué il en desplait. Je ne laisse
pas pourtant de viure allègre le plus que je peux me
1. Ce n'est pas le Ravissement de saint Paul (n" 433 du '^-
Louvre), peint pour Scarron en i65o, et qui mesure i""48 sur
i^ao.
2. « Vieux mot qui signifioit autrefois obstacle, empêche-
ment. Ce mot vient du latin distiirbium, » Dict. de Furetière.
3. Jean Senelle, peintre, né à Meaux en i6o3. — Ph. de Chen-
nevières a étudié ce peintre et démontré que Poussin avait
été mal renseigné : Senelle survécut à cette maladie jusqu'aux
environs de 1670 {La peinture française ^ p. 226).
220 CORRESPONDANCE [1643
réjouissans surtout quil vous plaist me donner occa-
sion de vous seruir.
Les Nouuelles que vous me mandés touchant ce
qui se passe en Court ne m'estonne en manière du
monde. Si nous viuons nous en entendrons bien
d'autres ^
J'atens que l'on me mande quelque résolution tou-
chant la gallerie mandés moy ceque vous estes d'op-
pinion que je face et vous m'obligerés beaucoup, et
quand il vous semblera à propos permettes que l'on
tire un peu d'argent des Meubles que M^ me fit
donner.
Je ne vous scaurois mander de grandes nouuelles
de ce pais icy sinon que la guère se va tous les Jour
enflammans de plus en plus^ et jusques à maintenant
le Toscan 3 a eu de l'aduantage. L'on tasche à le diuer-
tir du costé de pistoia à la quelle les gens du pape qui
estoint du costé de bollogne (au moins une partie)
ont donné quelques assaut de nuit sans rien proffi-
ter. Voilà tout ce quil y a de nouueau. Cependans si
j'oublie à vous dire quelque chose se sera pour la pre-
mière fois que je vous escriray. Sependans je vous
baise trèsaffectueusement les mains demeurât à jamais
Monsieur
Vostre treshumble seruiteur
POUSSIN.
1. 11 s'agit de la défaite des Importants (avec lesquels M. de
Noyers intriguait). Après l'exil de la duchesse de Montbazon
(22 août 1643) et l'arrestation du duc de Beaufort (2 septembre),
Mazarin se trouva le maître et jouit de son triomphe avec
modération.
2. Au début, le duc de Parme et ses alliés eurent quelques
succès, mais le commandeur de Valençay (cardinal en 1643),
qui commandait les troupes du pape, reprit l'avantage.
3. Ferdinand II, grand-duc de Toscane, 1621-1670; générale-
ment favorable à la politique espagnole.
1643] de nicolas poussin. 221
90. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fol. 96.)
A Monsieur de Chantelou^ en Sa Maison, Paris.
[M. Poussin 2y^ octobre 1648.
Il a fait le pris de 8 bustes du Vitelleschy pour
j35o*. Il a esbauché le S^ Pol, Chapperon a aban-
donné la copie de S^ Pierre in montorio.]
de Rome Ce. 27i«^« octobre 1643.
Monsieur
Néanmoins que depuis quelque jours Je me ' sois
trouué en assés mauuaise disposition de ma santé,
par un mal d'oreille et une pesanteur de front qui
ne me laisse point. Je nay pas voulu manquer de
vous faire scauoir en quel estât sont les choses que
vous désirés d'icy. et enquores que par ma dernière
je vous en aye assés informé je ne laisserei pas par
celle-ci de vous en dire quelque chose. Je nay point
enquores donné d'argent pour l'inscription que vous
voulés que l'on atache au veut de Loreto. parceque
le père recteur a trouué à propos d'en escrire à ceux
du lieu pour scauoir si vous n'aués rien ordonné de
delà touchant cet affere et pour scauoir le lieu où
l'inscription doit estre atacher. ensemblement ce qui
y doibt estre escript. Vendredi prochain nous en au-
rons la response et selon quelle sera nous nous gou-
uernerons.
Jay esté en compagnie de M^ Thibaut voire le
Si'' Hypolite Vittelleschi. Jay traicté auec luy des huit
testes de Marbres que vous désirés mais auec une infi-
nité de paroles la conclusion a esté que. il dit que vous
luy fîtes offrir par le Catalan, soisante escus de la
pièce et que maintenant vous en voulés donner
222 CORRESPONDANCE [1643
moins comme si elles estoint moins bonnes que alors?
ala fin nous sommes demeurés d'acord en cette ma-
nière, que il s'obblige de faire restaurer les deux bust
qui sont an bas là où estoit le monceau d'orge à ses
dépens et que vous luy donnerés [cent] de tous les
huit pièces quatre cens et cinquante escus que c'est
tout ce quil peut faire et que à ce conte là où je lay
fet condecendre, il y per plus de cinquante escus.
Voila Testât où est cette affere là. Sependans que vous
nous en donnerés response vous penserés aux frais
quil faudroit faire pour les emballer et faire porter.
Les occasions se rencontrent rarement, et toutte ses
choses là vont bien à la longue, il touche à vous à en
délibérer.
Pour le tableau de S^. Pierre in Montorio. Je vous
ay escrit quil estoit remis en son lieu et que les
Moines guardoint la coppie.
Je croyois scauoir quelque chose de nouueau du
S^ Chapperon. Mais il a fet une nouuelle scapade.
s'en estant allé à Malte sans rien dire à personne, de
sorte que Je ne scaurois traicter avec personne de
finir la ditte coppie sans que premièremt l'on se soit
acordé avec luy en quelque manière et ne sachant
pas ses prétensions au retour qui pouuoit faire il au-
roit prétexte de me plaider comme desià il m'en
auoit follement menasse, mais à cela nous aurons du
temps pour y penser car mesme pour cet hiuer quand
j'aurois trouué qui le vouleust finir il est impossible
di pouuoir trauailler au lieu là où est le tableau
maintenant pour l'obscurité.
Je nay pas encore parlé à Mf le Maire ni au Vieux
pour voire sil voudroint finir les deux coppies des
vierges quil auoint commencées à coppier à farnèse
1643] DE NICOLAS POUSSIN. 223
c'est assauoir la coppie double de celle du Chat et
l'autre que le S^ Mignard a fette. Je verrei sil y a
moyen de les contenter ou de les conuertir puisque
ainsy vous le désirés. Le Menteur de Napolitain nous
fera perdre quelque bonne occasiS de vous enuoyer
vos afferes, il n'a pas enquores finy^ son tableau de
farnèse.
Vostre petit rauissement de S.' Paul est mis en-
semble. Je le laisse sécher pour le retoucher.
Vous pourés voire par ce mémoire cy l'argent qui
vous aduansera icy à Rome, et ne pouuant pour cette
fois résister à vous la faire plus longe je finiray en
vous baisans trèshumblemf les mains
Monsieur
Votre trèshumble et trèsobéissant
seruiteur.
Poussin.
91. — I" Compte a Chantelou.
(Ms. 12347, fol. 98.)
Conte.
Jay repseu deus cents septante et septpistolesd'es-
pagne^ et trois quarts à trois escus la pistole font
huit cens trentetrois écus deuk Jules Monoye de
Rome.
premièrement
Jei payé au Sieur Mignart pour
la copie de la Vierge, escus 68
plus au Sieur Le Maire pour la
copie du dieu de pitié, escus 42
1. La lettre i surchargée en y.
2. C'est la pistole du type de i537, évaluée à 10 livres tour-
nois (déclaration royale du 20 mars i652).
224 CORRESPONDANCE [1643
à Cique, Napolitain jei donné
d'auanse, escus 20
Jei paie au Vieus pour sa copie
de la Vierge à mi corps, escus 12
Jei paie à Nocret pour la copie
de la vierge du Parmesan 17
plus au Sieur Angelo Caninio*
pour ses desseins, escus 12
Apietro Paulo pour la façon de
six chandelliers et une corniche
de teste, escus 69 Jules. 5
Jei paie au doreur pour la do-
rure des six chandeliers et une
Corniche de teste, escus 72 Jules. 5.
Jaypayépour six quaisses, escus 8 Jules 5
plus pour l'alga, le foin, la corde,
la toille cirée le chaneuas et l'em-
ballage, escus i5
pour porter les quaisses chés
moy Jules. 3.
Jay donné selon vostre ordre à
monsieur Thibaut, escus 20
plus pour le papier et ficelle qui
couure les chandelliers Jules. 4.
pour le port des tableaux de Far-
nèse chés moy Jule. i.
pour un mémorial présenté au
Commissaire de la Châbre Jule i/i
Somme 347. Jules. 3 i/i.
Les arres quevous auiés donnés
à Mignart escus 12.
I. Giovanni-Agnolo Ganini; élève du Dominiquin, si appré-
cié de Poussin.
i643]
DE
NICOLAS
POUSSIN,
au Maire
i8
au Napolitain
i6
au vieux*
i8
à nocret
i8
225
au Menuisier des Chandelliers 12
Il faut maintenant sur ce qui reste de vostre argent
qui sont escus quatre cens ottante six ou enuiron.
paier la lame d'argent pour Loreto. Il faudra paierie
sculpteur qui restaura le doit et les aureilles de L'Her-
cule de farnèse il faut finir de paier Cique Napolitain
de sa coppie il en veut septante cinq escus et rien
moins, au surplus si Monsieur Le Viens et Le Maire
seront de volonté de vous finir les deux coppies des
Vierges quil auoint commensées il en voudront
quatreuins escus de l'une conforme au payement que
en a eu le Sieur Mignart. il reste maintenant à faire
enquaisser et emballer vostre portraict de cire et vos
tableaux, il reste les copies que vous désiriés de chés
Monsieur le Cheuallier du puis, et déplus le payement
qu'il vous plaist que je prengne du rauissement de
S' Paul que je finis pour vous. Vous permettrés que
j'en prengne cinquante escus mais quand vous l'aurés
veu si vous jugerés que ce soit trop je vous referei le
reste sur autre chose.
La despense de ce reste ci importeroit au moins
escus trois cents nouante deux [escus] à faire sollem'
deux des copies des Set Sacrements. Et je ne scais si
l'on se contentera de cinquante escus pour chascun.
Maintenant vous voyés à peu près la despense qui est
fette et à faire du reste j'atendrei vos ordres et com-
mandés moy sans aucun scrupule car je suis entière-
ment vostre —
I. La lettre v est minuscule, mais très lisible : vieux.
1911 l5
226 CORRESPONDANCE [1643
J'ay oublié à conter quelque bagatelles Je les met-
tray au dernier côte.
92. — Poussin a Chantklou.
(Ms. 12347, fol. 99.)
A Monsieur de Chantelou.
[M. Poussin 5« nouembre 1643.
Il tesmoigne sa joye d'auoir apris que Mgr de
Noyers estoit retourné en cour
promet de m'enuoyer le petit S^ Paul.]
de Rome Ce S'*»* Nouembre 1643.
Monsieur et trèscher Maistre.
Jei occasion maintenant de vous dire beaucoup de
chose Mais ce que jei en la pensée ne scauroit conte-
nir en un petit espase. La joye qui m'a sesi est si
grande quelle desborde de tous costés comme un tor-
rent qui après une longue sécheresse rempli des
surabondantes pluies venoues à l'impouruue sort
impétueusement de ses riues. L'heureuse nouuelle du
Retour en Court de Monseigneur' s'estant espandu
1. Un rapport des agents de Mazarin, du 28 octobre 1643,
attribue le retour de M. de Noyers à M"°« d'Hautefort (voir Victor
Cousin, M""' d'Hautefort, p. 468). — Ce retour n'était que pas-
sager. Chéruel {Corresp. de Mazarin, t. I, p. 392, 453) cite
deux extraits fort intéressants des lettres de Grotius et de La
Barde. Voici la traduction du passage essentiel du second : « Il
arriva par hasard que la Reine se rendît à Pontoise pour voir la
Mère Jeanne [sœur du chancelier Séguier]. Dans le même monas-
tère, la fille de De Noyers était religieuse. C'est pourquoi De
Noyers, très connu de la Mère Jeanne par sa piété et ses
anciennes fonctions, lui remit une lettre pour la Reine : « J'ai
« reçu », écrivait-il, « d'hommes pleins de science et de piété
« [les Jésuites ?] le conseil formel de ne pas demeurer plus
« longtemps dans l'inaction. Comme j'ai parfaitement con-
« science des services éminents que j'ai antérieurement ren-
1643] DE NICOLAS POUSSIN. 227
en un instant par toutte l'europe m'a esté de tous mes
bons amis anoncé à la bonne heure de tous costés de
manière quil nia plus de doubte. dieu soit loé mille
et mille fois d'un si bon heur qui est ariué et se n'est
pas en vain que ]a franse se debuera maintenant
appeller heureuse, puis que elle recognoist ceux qui
seuls peuuent augmenter son nom et sa gloire. J'atens
de vostre courtoisie aux premiers jours quelque
bonne nouuelles et plus Amples que celles ci qui nous
ont esté données comme pour arres. Il me vient une
enuie très effrontée de témoigner à Monseigneur la
Joye que j'ay de son retour Mais la Raison ne me le
permet pas encores et me commande de continuer
mon silense jusques à un temps plus opportun. Le
reste de cette feuille seruira pour vous faire scauôir
que auiourdhui jei esté voir le père Charles pour
résoudre du moyen qu'il faut tenir pour l'inscripsion
que vous voulés que l'on adiouste au veu de l'ange
de Loreto. L'on a trouué nécessaire de rechef d'es-
crire à Loreto pour auoir la mesure du plinte où
pose l'ange, et si tost que nous l'aurons l'on trauail-
lera à la piastre d'argent laquelle nous ferons faire et
atacher auec grâce tant que faire se pourra, et quand
le tout sera fet je vous en enuoyerei la forme et figure.
Pour ce qui est de vos autres choses, il ni a rien de
« dus à l'État, je commettrais une faute grave si je n'en ren-
« dais compte à la Reine. Ce n'est pas l'ambition qui me porte
« à agir ainsi : ma vie passée prouve assez que j'en suis bien
« éloigné » (La Barde, De rébus Gallicis, t. I, p. 69). — Quoi
qu'il en soit, Mazarin résolut d'en finir : De Noyers, qui refu-
sait de vendre à Le Tellier le prix de sa charge de secrétaire
d'État, dut s'exécuter. C'était chose presque faite quand Pous-
sin se réjouissait, car Grotius écrit, le 7 novembre 1643 :
« Noyers a cédé à Le Tellier son office de secrétaire » {Lettres,
P- 97)-
228 CORRESPONDANCE [1643
nouueau depuis que je vous en ayescrit. Laissés moy
fere du reste et ne vous mettes nullement en paine
d'aucune chose car cependans que j'aurei la vie et la
santé j'aurei un soin particulier de tout ceque vous
desirerés de moy. Je vous ay fet scauoir ce que jei
aresté auec le Vitelleschi Si vous en estes content,
pour ce qui sera du port maintenant, je crois que
toutte choses vous seront facilles, et que mesme il
vous viendra quelque nouuelle enuie des choses de
se pais icy C'est pourquoy j'atendrei vos ordres, et
vous laissans vaquer dans vos nouueaux embarras je
finirei la présente en vous souhettans toutte sorte de
félicité.
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsdéuotieus seruiteur
Poussin.
Je me porte un peu mieux et de mon oreille et de
mon front. Le petit S* Paul veut enquore deux jours
y de caresses ; il seroit fini si se n'estoit un peu de drap-
perie d'azur qui n'est pas sec.
93. — Poussin a Chantelou l'aîné.
(Ms. 13247, fol. 101.)
A Monsieur de Chantelou l'aisné^ A Paris.
de Rome Ce. 5'«f™« Nouembre. 1643.
Monsieur
Jei grande enuie sur les Nations lesquelles nepou-
uant exprimer de vive vois les plus hautes concep-
sions de leur esprit ont inuenté certaines figures par
la force desquelles il peuuent à autrui faire concepuoir
ce quils ont en l'intellect si j'auois sepouuoir facille-
ment en ce petit espase de papier vous pourries mesu-
rer la grandeur de la joye que jei eue lors que tout le
1643] DE NICOLAS POUSSIN. 229
monde m'a assuré du rapel de Monseigneur en Court.
Mais il faut que je me contente de dire q'elle ne se
peut acroistre Ausi je m'imagine que la vostre ariue
audelà de l'infini, vous aurés sil vous plaist pour
agréable que en se transpor je vous tienne compagnie.
ausibien les bienheureux n'ont point d'enuie. Je prie
dieu sependans qu'il vous remplisse de ses faneurs.
et pour fin je vous baise humblement les mains. —
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsaffectionné seruiteur
Le Poussin.
Je baise déuotieusement les Mains
à Messieurs vos Cousins.
94. — Poussin a Chantelou.
(Félibien, éd. i685, t. IV, p. 290.)
Sur la fin de la mesme ^née, il luy envoya ce
Tableau du ravissement de Saint Paul, et luy répète
encore par sa lettre du 2. Décembre 1643
« Qu'il le supplie, tant pour éviter la calomnie,
que la honte qu'il auroit qu'on vist son Tableau en
parangon de celuy de Raphaël, de le tenir séparé et
éloigné de ce qui pourroit le ruiner, et luy faire
perdre si peu qu'il a de beauté ».
95. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, f°^' ^'^^•)
A Monsieur de Chantelou^ En Sa Maison^ à Paris.
[M. Poussin X/* décembre 1 643.
Il rend compte de ce que je faisais exécuter à
Rome.]
de Rome Ce onziesme décembre. 1643.
Monsieur
Je viens par ses premières lignes cy vous supplier
230 CORRESPONDANCE [1643
de m'escuser de deus erreurs que je fis en vous escri-
uans dernièrement. L'une fut d'auoir serré le mot de
lettre que j'écriuoisà monseigneur^ vous ayans escrit
auparaduant que je vous le voulois mander ouuert.
L'autre est que je vous debuois enuoyer par le mesme
ordinaire une lettre de Monsieur le Cheuallier du
Puis L'une et l'autre de ses fautes vous sembleront
moins lourdes quand vous scaurés que tout le monde
fut surpris de la partanse inopinée du Courrier Mon-
sieur l'ambassadeur 2 le fesant expédier deux jours
plustost quil ne debuoit de manière que si le courrier
mesme ne m'eust aduerti j'eusse perdu l'occasion de
vous mander vostre petit S* Paul. Je fus donc telle-
men pressé et d'escrire etd'enquaisserle sudit tableau,
qu'il ne me souuint pas de laisser la ditte lettre ouuerte.
Monsieur le cheuallier du Puis ne me donna sa lettre
que depuis le départ du Courrier ayant esté encore
desseu par un mesme moyen Je vous l'enuoye auec
celle ci que je vous escrits pour response de la vostre
du cinquiesme Nouembre par laquelle vous me man-
dés auoir veu les deus desseins que j'auois enuoyés à
Monsieur Rémy pour finir la disiesme pontée de la
gallerie, et par icelle mesme vous me témoignés
d'auoir eu à gré cette mienne pontualité puisque vous
me fette l'Honneur de me promettre de vous souue-
nir de moy à l'opportunité Je vous supplie de me
conseruer cette bonne volonté.
Vos affaires d'icy sont quasi dans le même estât
qu'il estoint ses jours passés. Celle de S* Pietro in
Montorio est demeurée là, comme vous scaués. le
1. Ce « mot de lettre » est perdu.
2. Le marquis de Fontenay-Mareuil (voir lettre du i3 août
1640).
1643] DE NICOLAS POUSSIN. 23l
bon Chapperô n'est plus en cette ville dernièrement
il se partit fesant semblant de s'en aler à Malte sur les
gallères mais l'on dit quil est aie à Paris où vous le
verres. Il est vray quil ne vous a pas escrit, et le soup-
son qui me l'auoit fet croire a esté an' contraire,
pour le sieur Ciche il dit auoir fini sa coppie de far-
nèse dans six jours mais je n'en crois rien. Si tost
quil aura fet je le ferei trauailler aux copies de chés
Mf le Cheuallier du Puis.
La lame d'argent que vous désirés que l'on aplique
au veu de Loreto n'est pas enquore fette d'autans quil
y a eu mille brouilleries deuant que d'auoir peu sca-
uoir le lieu où elle doibt estre attachée, de quelle
grandeur elle debuoit estre. et là où estoit l'escripture
qui y debuoit estre entaillée, alla fin nous en sommes
venus jusques au point de la fere faire lundi l'on y
trauaillera. et si tost quelle sera finie le Père Charles
la fera tenir à Loreto.
Pour les deux autres coppies que vous désiriés
auoir, l'une que Le Maire auoit commencée et l'autre
Le Vieux, n'acompagneront point les autres que je
vous enuoyerei d'autans que Le Vieux se part de
Rome, et le dit Le Maire a fini la siene d'après celle
que Mignart vous a coppiée assés mal de sorte que
je ne suis nullement d'aduis de y employer vostre
argent.
Je ne suis pas marri que nous ayons atendeu jusques
à cet heure à vous mander ce que nous auions de
prest d'autans que la saison a esté et est trèsextraua-
gante pour les continuelles pluies et tempeste qui
vont enquores tous les jours continuans. vous scaués
ce quil ariua aux formes que vous fistes emporter il
I. La lettre n du mot an est très bien formée.
232 CORRESPONDANCE [1643
y a 3 ans La mesme chose eust peu ariuer à ces choses
icy qui sont bien plus subiecte à se gaster. puisque
l'on a atendu jusques à maintenàt l'on pourra atendre
que le mauuais temp soit passé.
Nous atendons vostre response sur ce qui est des
bust du S^ Vitelleschi du reste si vous venoit fantasie
de quelque chose qui se fet mieux et de meillieur des-
sain icy que à paris, fettes le moy scauoir parceque
il me semble que vous fériés mieux de les fere escegu-
ter de delà que non pas icy en ayans les desseins ou
modelles au moins vous sériés assuré de les auoir
seins et entiers et alla fin à aussibon marché, car qui
contera tout là où va l'un va l'autre et à Paris l'on
trauaille mieux le bois que nonpas icy. Je vous dis
sesi pourceque si nous vous achettons des bust ou
testes de marbre il y faut dessous leur termes pour
les poser. Vous pouués penser à d'autre gentillesses
et nous en aduiser M^ Thibaut et moy nous ne man-
querons pas à vous bien seruir.
Si vous mandés à Ml le Cheuallier du Puis les
médailles que Monsieur Varin* a fette de nouueau
du Roy et de la Royne il vous en demourera grande-
ment obbligé.
Pour ce qui touche ceque jei commensé de delà,
j'atendray avec bonne patiense que toutte chose
s'acommode — car quand à moy je suis fort bien icy
et je mi peus entretenir joyeusement — particulièrem*
puis quil vous plaist que quelquefois je m'employe à
I . Jean Warin, 1604-1672, le fameux médailliste que M. de Noyers
avait placé à la tête de la Monnaie — « J'ai une médaille en or,
ovi est d'un côté le portrait de Louis XIV jeune, et de l'autre
celui d'Anne d'Autriche, sa mère. C'est un chef-d'œuvre et
dont rien n'approche dans le même genre; finesse de touche,
élégance de dessin, beauté de travail, tout y est porté à un
tel point qu'il n'est pas possible d'aller au delà » (Mariette,
Abecedario, t. IV, p. 36).
1643] DE NICOLAS POUSSIN. 233
VOUS seruir. Si je voulois embrasser les choses qui
me viennes cent bras ne me suffiroint pas mais je
nay pas enuie de m'incommoder pour les biens que
je ne jouiray le peu de reste de ma vie.
Je vous ay escrit à l'autre ordinaire passé comme
j'auois conseigné le Si paul bien enquaissé et bien
couuert — es mains du Courrier nommé Rigar —
qui le doit à Lion mettre en main de Mj" Van Score
lequel jei prié de l'enuoyer assurément à Paris où
Monsieur Pointel mon bon ami et vostre seruiteur le
doib recepuoir et vous le rendre. Vous lui ferés sil
vous plaist rendre l'argent quil aura déboursé pour
le port de lion à Paris. Le port de Rome à Lion est
payé, il vous plaira sans me flatter m'en dire vostre
oppiniO quand vous l'aurés veu affin que si je ne vous
ay bien serui je m'efforse de mieux faire à l'aduenir.
Je demeure à jamais
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsobéissant seruiteur
Poussin
Messieurs de Chantelou vos frères trouuerront icy
mes trèshumbles baisemains
Ma famé vous fet une profonde réuérense.
96. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fol. 104.)
A Monsieur de Chantelou^
en la maison de Môsigneur de Noyers^ paris.
[M. Poussin 21 décembre 1648.
Rend compte des choses que je luy auois com-
mises.]
de Rome Ce 2i'««'"« décembre 1643.
Monsieur.
Jay repseu deus de vos lettres par le mesme ordi-
234 CORRESPONDANCE [1643
naire, l'une du Xm« nouembre et l'autre du 19 du
mesme. Senest pas san raison que vous vous estes
fasché de scauoir que le tableau de Si Pierre du
Mot a esté remis en son lieu deuant que de l'auoir
peu finir. Mais vous scaués assés à qui vous en debués
l'obbligation. il faut néanmoins que vous preniés la
paine de m'escrire. ou que l'on le finisse ou non ce que
vous désirés que l'on face de l'ébauche, qui est demou-
rée en garde chez les Moynes.
Du reste vous vous consolés de peu de chose quand
vous m'assures que mes bagatelles vous seront agré-
ables au lieu des choses qui n'ont point leur pareil
au Monde. Vous vous repentirés peut-estre d'auoir
eu trop [de] bonne oppinion de moy quand vous
aurés veu le petit S^ Paul que je vous enuoyas sous
le quatriesme du courant et que maintenât vous aurés
repseu de M;; Pointel. Senest pas pourtant que je
me puisse escuser sur le peu de temps que jay eu à
le fere. Car vous auiés eu tant de patiense en Patente
de si peu de chose que je crains [que] d'en auoir abusé.
Monsieur le Cheuallier du Puis vous a escrit et je
vous enuoyas ses lettres par l'ordinaire dernier. Et
l'un et l'autre vous confessés d'auoir fet une heureuse
rencontre de vous estre cognus car pour M^ le Che-
uallier je vous assure qui met le honneur de vostre
cognoisse au nombre de ses melieures fortunes et
vous montrés journellement l'estime que vous fettes
de sa personne ausi ne manquai-je pas [d'estre] de
luy faire voir en quelle façon vous l'honnorés de
vostre amitié.
Il n'est pas besoin de me dire que vous estes deue-
neu plus prudent que par le passé car vous l'aués
tousiours esté grandement Mais c'est que vous vous
1643] DE NICOLAS POUSSIN. 235
aués donné le temps de considérer vous [mesme]
mesme. il est bien vray que vous estes en une escole
là où l'on peut aprendre à deuenir sage. Vous aués le
grand liure ouuert où l'on voit comme sur un téatre
jouer d'estranges personnage. Mais ce n'est pas peu de
plaisir de sortir quelquefois de sortir de l'orquestre.
pour d'un petit coin comme incogneu pouuoir gous-
ter les gestes des acteurs.
Sachant le désir que vous aués des secondes cop-
pies des vierges de farnèse Monsieur Le Maire à qui
jay parlé de nouueau m'a promis de finir la siene
d'après l'original il l'auoit comme je vous l'ay escrij
par paresse et négligense finie d'après celle de Mignart.
Mais pour celle que le Viens auoit commëcée je ne
scais commen nous ferons, au pis aler vous pourrés
faire coppier à Paris celle que vous aurés de Ciche.
mais premièrement je prouuerei toutte chose pour
luy la faire finir*.
La vostre du ig»?^ Nouembre me transit de joye
pour ce quil vous plaist me confier touchant l'acom-
modement de Monsigneur". Je doubtois bien fort de
ses satisfactions, tanplus j'alois considérât sa vertu
qui néanmoins quelle soit confessée de tout le mOde
est suspecte à grandquantité de malins, qui ruineront
ala fin dans une horrible présipise. Car le chemin
qui tiennent les i mené tout droit.
La mesme me réjouit et me console doublement
1. Cependant, le Bernin, voyant la copie de « Chique, Napo-
litain », chez Chantelou, dira : « C'est de ces sortes de copies
que je fais du cas » (voir la Relation du voyage du Bernin en
France, par Chantelou, éd. Lalanne, Galette des beaux-arts,
ï" août 1877, p. 176).
2. « La surintendance des bâtiments resta seule à de Noyers
comme une fiche de consolation qui ne pouvait inquiéter
l'ombrageux cardinal » (Chardon, Les Fréart, p. 62).
t^
236 CORRESPONDANCE [1643
quand par les termes que vous usés en m'escriuant je
cognois assés éuidamment qui vous plaist me con-
seruer en l'onneur de vos bonne grâce et de vouloir
bien que je vous honnore de tout mon cœur.
Je vous remersie infiniment de la promesse que
vous me fettes de vous souuenir de mes interrest si
les affaires s'accommodes. Le reste que vous désirés
de moy assurés vous Monsieur que jay renonsé à
moymesme pour estre tout vostre.
Chascun est résioui de ceque deux personnages si
vertueux comme M^ le Viconte de Turenne et M;; Gas-
|ion en ayent reseu les marques. M^ Gassion particu-
lièrement est trop généreux pour ne pas honnorer ses
amis en tout temps ausy est-il loué générallement de
tout le monde, dieu le cDserue'.
Je suis en atendans de vos nouuelles touchant ceque
je vous ay escrit des bust du Vitelleschi.
Je vous ay enuoyé un conte par le quel à peu près
vous verres ce qui vous auanse d'argent et ce qui a
esté despensé, de sorte que vous pourrés pouruoir
aux autres despense que vous voudrés faire, et assu-
rés vous d'estre tousiour serui plus soigneusement
de moy que si s'estoit mon propre interrest.
Je finirei la présente en vous souhettans les bonnes
festes et une melieure nouuelle Anée que la passée.
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsdeuot seruiteur
Poussin
I. « De Noyers, ami sincère et ardent protecteur de Gassion »,
selon Avenel {Corresp. de Richelieu, t. VII, p. 844), ce qui
explique que Poussin se réjouisse particulièrement de ce que
Gassion ait été nommé maréchal de France, avec Turenne,
le 17 novembre 1643 et conseiller d'État le 27.
1644] I>E NICOLAS POUSSIN. 237
Messieurs vos fraires trouueront icy mest trèshumbles
Salutations.
Ma famé vous baise les mains en vous fesant trèspro-
fonde reuerense.
La vision qui m'estoit venue de prier le Secraitaire
du Car. Ma. pour l'enuoy de vos quaisses s'est ausi-
tost passée et m'en empescherei forbien.
97. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, ^'^^' '^0
A Monsieur de Chantelou^ Paris.
[y^januier 1644.
Parle des bustes du Vitelleschi, de la recommence du
petit S^ Paul.
Dit que Chique Napolitain et Claude Le Rieux luy
ont promis de coppier les Sacrem^ du Chlier delPo\\o.]
de Rome Ce 7'«™« genuier 1644.
Monsieur
ayans tardé à faire response ala vostre. du 2™« dé-
cembre jusques au jourdhuy que jay repseu la der-
nière de l'onziesme du mesme cette si seruira de res-
ponse à toutte les deux, et deuant que d'entrer [cy] en
raisonnement d'autre choses je prie dieu que toutte
choses se passent au contentement de Monseigneur^
car estant ainsi les autres choses que vous désirés
sont^ en point et preste à vous obéir.
1. Il n'avait guère sujet de l'être, puisque Mazarin écrivait à
son frère, le 18 décembre 1643 : « On ne pense pas pour l'heure
à donner aucun emploi à M. de Noyers, qui vient bien sou-
vent chez moi en me protestant qu'il ne veut plus dépendre
d'aucun autre que de moi. » — Poussin et peut-être Ghante-
lou prenaient un peu leurs désirs pour la réalité.
2. Sont, mot redoublé; le second, non rayé.
238 CORRESPONDANCE [1644
Le Vitelleschi est fort solicité et depuis que je tretai
auec lui il a conté tous les jours et les nuits qui se
sont passés luy semblant que une houre dure mille
ans pour la grande enuie quil a d'engloutir vos quatre-
cents et cinquante escus comme un loup affamé dont
l'estomac rauissans ne se peut jamais remplir. Mais
il ne les a pas enquore. Et ne doubtés pas que je ne
fase toutte sorte de dilligense affin que vous restiés
serui.
Je vous remercie au surplus de vostre libéralité
touchant la rescompense du petit S'. Paul que je vous
ay enuoyé quand vous l'aurés veu alors vous pourrés
dire peut estre quil vous couste beaucoups J'atens
ses reproches de vous Mais auec le temps nous en
paierons l'amende.
Je ne me resiouis pas tant de se qui c'est passé au
contentement de Monseigneur jusques aujourdhuy
comme je me laisse flatter à l'espérance que j'ay de
le reuoir bientost plus florissant que jamais. Les dif-
ficultés quil a passées ont esté plus périlleuse que le
passage de Scilla et Garibde aux nauigans et mainte-
nant flottans par un occéan plus calme il ariuera
bientost au port de ses justes désirs.
Hier je fus voire la coppie que le Sieur Ciche a
finie, et auiourdhui je l'aurois retirée — si se n'eust
esté quelque difficulté que une autre fois je vous
raconterei — J'espère la retirer en bref et auec les
autres choses qui sont prestes je vous la manderei
alla première commodité.
Pour l'enuoy des bust quand ils seront à vous et
vostre portraict de sire je chercherei le meilleur
moyen et le plus facille pour vous les enuoyer.
1644] DE NICOLAS POUSSIN. 239
[Gh Cich] Ciche et Claude' le vieux m'ont promis
ensemblement de coppier les tableaux de chés Mon-
sieur le Cheuallier du puis. Je crois que l'on les com-
mensera incontinent. Jay monstre vostre lettre au
bon Monsieur Tibaut qui en a esté fort consolé, et
si vostre volonté est de luy aider il seroit bon luy
ordonner quelque peu de chose par mois affin que
celuy fust un recour dens la nécessité.
La distanse des lieux est cause que souuent les
choses que l'on escrit à temps et à propos (se semble)
à leur ariuée paresse tout au cOtraire. O que le temps
amène de variété en peu de jours. Mais enfin la joye
que nous auons eue du retour de M;; alla Cour^ n'a
pas esté veine puisque il a fouslé aux pied la difficulté
qui se luy estoit opposée Je m'en resiouis doublement
puisque il est veu de bon oeil de Sa Maiesté et pour
ceque maintenant l'occasion est née pourfaire voir
qui est nécessaire qui est homme de bien et qui mérite
de commander aux autres.
Nous ne scauons quelle mine faire de la perte de
M^ de Guebrien^ et de son armée*. Mais qui scait se
qui en doibt succéder? quelquefois si nous n'estions
perdus nous serions perdus^. Des plus grands maux
1. Poussin a d'abord écrit Claude (comme on prononce
encore en plusieurs provinces).
2. Poussin avait d'abord écrit : de son retour, puis il a cor-
rigé : du retour de M'. C'était à la fois plus clair et plus poli.
3. Dans Gtcébrien, la lettre r est en surligne.
4. Jean-Baptiste Budes, comte de Guébriant, maréchal de
France le 22 mars 1642, mort le 24 novembre 1643 des bles-
sures reçues le 17 au siège de Rothweil (Souabe). Ses lieute-
nants ne surent que se faire battre.
5. Cf. Plutarque, Apophtegmes (i85. C). Thémistocle, exilé
par les Athéniens et comblé de dons par le roi de Perse, dit à
240 CORRESPONDANCE [1644
il en vien souuent de grand biens et se sont les secrets
chemins que tien la Nature pour le changement des
choses ^
Jei repseu ensemble auec vostre dernière une lettre
de change de quatre cens escus que le Sieur Arigoni
m'a promis de me paier à ma volonté si par cas il ne
se fesoit rien auec le Vitelleschi il ne sera pas besoin
de la recepuoir.
J'atendray tousiours avec impatiense les bonnes
nouuelles que vous vous promettes me donner. Sepen-
dans je demeure àlacoustumée
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsobéissant seruiteur
Poussin.
98. — Poussin a Chantelou l'aîné.
(Ms. 12347, f*^^- 2^0
A Monsieur de Chantelou l'Aisne à Paris.
de Rome ce y^^ Genuier 1644^.
Monsieur
Si le plus grand de vos souhets et le plus raison-
nable ne trouuoit point d'autres obstacles que la
mer et les alpes comme fet le moindre que vous
ses enfants : « O mes fils, nous serions perdus si nous ne
l'avions été. » — Plutarque cite encore ce mot dans la Vie de
Thémistocle et dans un autre passage, où il est question de
l'avantage qu'eurent les villes d'Asie d'être conquises par
Alexandre [note de M. Alexis Pitou].
1. Poussin était bon prophète. La mort de Guébriant le fit
remplacer par Turenne, qui lui était supérieur, et fut vain-
queur à Fribourg les 3, 5 et 9 août 1644.
2. Cette lettre est reliée, par erreur, dans le ms. 12347, <^omme
si elle était datée du 7 janvier 1649, parce que Poussin a mal
formé le dernier chiffre du millésime.
1644] DE NICOLAS POUSSIN. 24 1
pouués désirer, vous pouriés vous assurer d'estre en
l'espace de six sepmaines hors de soupçon, si le pre-
mier comme chascun le croit ne sauroit manquer de
vous ariuer à plus forte raison le dernier qui n'est
rien ne vous manquera jamais et sependans que j'au-
rei la vie je ne cesserei de désirer d'estre entièrement
vostre, cependans je vous suplie me continuer l'hon-
neur de l'affection qu'il a pieu jusques à présent me
témoigner. Je vous baise très affectueusement les
mains en qualité
Monsieur de
Vostre trèshumble et obéissant seruiteur
Poussin.
99. — connoissement a m. de chantelou^
(Copie de l'Institut, n" 49.)
De Rome le ii janvier 1644.
Ont chargé au nom de Dieu et de bon sauvement
un seul fois dans cette Rippe grande Guillaume Des-
pers et Pierre Ravel, d'ordre de Monsieur Poussin et
pour conte de qui appartient sur la barque nommée
saint François Patron Jean Bronde de Marseille ou
autre pour lui.
Caisses sept marquées comme de contre qu'ils
disent contenir savoir six chandelliers un chandellier
de bois doré l'autre un rouleau de copie de tableaux
et toutte enveloppé de toille cirée canevas, cordée,
séchée, et bien conditionnée, pour de même con-
I. Le connaissement du 11 janvier 1644 et la lettre du 12
furent bien envoyés. Chantelou écrivit le sommaire des deux
pièces au dos de la feuille du connaissement. Celle-ci s'est per-
due et ne figure pas au manuscrit. Nous donnons le connais-
sement et le sommaire d'après la copie de l'Institut.
1911 16
242 CORRESPONDANCE [1644
signer ce présiejn voyage à Monsieur Louis Napolon *
de Marseille ou autre pour lui audit lieu en lui payant
de notte soixante trois livres tournois, Dieu le con-
duise à sauvement.
Signé.
100. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, ^^^- "^O
[Enuojre de toutes mes copies et de mes guéridons.
Il demande à être le copiste des Sacremens du Caual-
lier du Puy de tous les sept ou d'une partie ou de les
faire d'une autre disposition. Il fait un grand
préambule pour me persuader ce que je deurois dési-
rer auec passion.]
de Rome Ce dousiesme Jenuier. 1644.
Monsieur
Ausitost quil a esté possible de pouuoir rousler la
coppie du Ciche je lay auec les autres enquaissée en
manière que je crois quelles vous seront rendues bien
conditionnées. Néanmoins quand vous les aurés
repsues vous les ferés tendre sur chascune leur chas-
sis et lauer avec une esponge et de l'eaue claire que
vous ferés essuier incontinent auec un linge demi usé
blanc et net. Quand elle seront bien sèche vous y
ferés donner le vernix par quelqun qui s'en entende.
Si par hazard le papier s'estoit ataché en quelque lieu
prenés un peu de suc d'orenge et frottés doucement
le lieu et le papier se destachera.
Les six chandeliers sont enquaissés en six autres
I. Un Sanson NapoUon, de Marseille, est souvent cité dans
la Correspondance de Peir£sc, éd. Tamizey de Larroque.
1644] ^^ NICOLAS POUSSIN. 248
quaisses chascun à par soy. Le plus dilligamment que
nous auons peu. La cornice dorée y est enquore.
Touttes les sept susdittes quaisses sont couuertes dç
bonne toille cirée et de grosse toiUe par dessus et for-
tement liées de cordes. Ayans trouué l'occasion d'une
bonne barque Marseillonise qui estoit preste de par-
tir. J'ay prié Monsieur Guillaume d'Espéot* et Piçrre
ravel marchand francois demourant icy à Rome de
vous faire tenir les sept susdites quaisses par le moyen
de leurs correspSdâs de Marseille et de Lion.
Voisi si indus une des polices que j'sLy repsues de*
susdits que Je vous enuoye l'autre je me la tiendrai
auprès de moy ainsi comme l'opi coustume de faire.
Les quaisses sont touttes marquées en teste auec ce
présent caractaire ~^. Les toilles ou coppies de la
plus petite quaisse sont au nombre de noeuf. La
Vierge du Chat, la Vierge qui est assise et qui tient
sur son giron le petit çrist. qui est celle de Mignat.
celle d'après le parmesan de Nocret. Celle du vieus.
Les portrais de M^ Errard. Le dieu de pitié du Maire,
Vostre portraict et la copie, et une petite coppie d'uoi?
vierge en pié fette de Claude le rieus.
Je prie à dieu que le tout arriue à bon port et à
sauuement.
Tous les jours passés jay trotté chés l'un et çh^s
l'autre pour auoir la patente pour pouuoir tirer hors
de Rome les huit bust du Vitelleschj".
1. Guillaume Des Piots, D'Espiots ou Despiots, marchand
fréquemment cité dans les lettres de Peiresc. — « M. Despiots,
à qui il ne manque pas des commoditez à toutes heures »,
comme l'écrit Peiresc au chanoine Menestrier, le 6 février
1637 {Corresp. de Peiresc, éd. Tamizey de Larroque, t. V,
p. 809).
2. « La permission de transporter des anticques a esté
244 CORRESPONDANCE [1644
Mais je nayenquores peu rien faire. Il estvray que
croyant un chascun que nostre Curé deust mourir^
cela a été cause du retardement de nostre affere que
je ne cesserei de poursuiure jusques à tant que j'en
sois dedens ou dehors. Vostre argent est demouré es
mains du S^ Arigoni jusques à tant que je sache ce
que je dois en faire.
Vostre piastre d'argent pour Lorette est finie. Il ni
manque que l'escritture qui faut grauer dessus. Si
tost quelle sera prête je la conseignerei au père
Charles qui la mandera audit lieu de Lorete.
Jay pensé mille fois au peu d'amour au peu de soin
et netteté que nos copistes de proffession aporte à ce
quil imitent, et au pris quils demandent de leurs bar-
bouilleries. et me suis esmerueillé tout ensemble
comme tant de personnes s'en délectent. Il est vrai
que voyant les belles choses et ne les pouuant auoir
l'on est contrains de se contenter des coppies bien que
mal fettes chose qui à la vérité pouroit diminuer le
nom de beaucout de bons paintres si se n'estoit que
leurs originaux se voient de plusieurs, qui cognoissent
bien l'estrême différence qui est entre eux et les cop-
pies. Mais ceus qui ne voyent autre chose que une
mauuaise imitation croyentfacillement que l'original
ne soit pas grande chose, et mesme les malings se
quelquefois impossible à obtenir et jamais n'est aysée » (Louis
Fouquet à Nicolas Fouquet, 16 avril i655).
I. La santé d'Urbain VIII (qui avait soixante-seize ans) était
mauvaise depuis longtemps. Fontenay-Mareuil écrivait, le
1 1 février 1641 : « Le pape est très faible : on croit qu'il ne
vivra pas longtemps », et, le i" janvier 1642 : « La santé du
pape est fort abaissée par sa dernière goutte... » Aussi, fin
janvier 1642, Richelieu signale-t-il à Mazarin « la caducité du
pape, qui, déchéant à vue d'oeil... ».
1644] ^^ NICOLAS POUSSIN. 24$
scauent bien seruir de ses copies mal fettes pour
décréditer seux qui scauent plus que eux. Pensant en
moymesme toute ses choses jay creu faire bien et
pour mon honneur et pour vostre contentement de
vous faire scauoir que (demourant icy) je souhetterois
estre moymesme le copiste des tableaux qui sontchés
Mf le Cheuallier du puis ou de tous les sept ou d'une
partie, ou bien les faire d'une autre disposition. Je n
vous assure Monsieur qu'il vaudront mieux que des
coppies, ne cousteront guère plus, et ne tarderont pas
plus à estre fets. Et si se n'eust esté que depuis vostre
départ jay esté dans une perpétuelle irrésolution j'au-
rois desià commensé. je scais bien que vous ne m'au-
riés pas désaduoué et ariue ce qui poura je suis pour
y mettre la main en atendans vostre response. Et
quand bien il seroit nécessaire de trauailler pour les
desseins de la gallerie j'atendray à l'un et à l'autre,
sependans portés vous bien, et j'atendrai à me con-
seruer pour vous seruir.
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsobéissant seruiteur
Poussin.
101. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fol. 109.)
A Monsieur de Chantelou.
[M. Poussin 25feb'^ 1644.
Il promet de faire un tableau le meilleur quil aye
encore fet et rend compte de différentes choses.
Quil souhaithe le retour de Ml de Noyers dans les
246 CORRESPONDANCE [1644
ajf »■«* po^ voir quelque signe de grandeur dans nostre
Nation.]
De Rome Ce vintcinquiesme feburier. 1644.
Monsieur
à l'heure mesme que jeus repseu la vostre dernière
du vintedeusiesme Januier je fus saluer M^ le cheual-
lier du Puis et luy présenter vostre lettre, qui fut lue
en ma présense elle fust repsue auec aplâudissement
dudit S^ et louée pour le dous stille que vous aués à
escrire et la force d'exprimer la tendresse de coeur
que vous aués pour vos amis, de manière que je me
treuuas encore raui de joye d'en auoir oui la lecture
car comme celle alaquelle vous respondiez fut fette
en ma faueur la vostre abondoit de gratification à
mon endroit. Vostre belle médalle d'or fut présentée
huit jours auparant Ainsi comme desià je vous ay
escrit. Les lettres de Messieurs de Valansé furent
ausi mandées à Bollogne par voye bien assurée ^
Or maintenant il faut que je vous rende conte du
reste de vos affaires de pardesà. Je vous ai escrit il y
a desià quelquetemps que je vous auois enuoyé vos
coppies de tableaux auec vos chandelliers de bois
doré ensemble la police du marchand par le moyen
duquel le tout vous sera enuoyé. Je vous en enuoye
un autre ci incluse de l'embarquement des huit bust
du Vitelleschi Cest assauoir ceus que vous-même
choisîtes pendans que vous estiés à Rome, ensemble-
ment vostre portraict de cire^ et les couleures à fres
1. L'oncle et le neveu : Achille d'Étampes de Valençay, au
service d'Urbain VIII, commandait alors les troupes pontifi-
cales; cardinal depuis 1643; il réconcilia Mazarin et les Bar-
berini en 1645, mort en 1646. — Louis d'Etampes, chevalier de
Malte, bailli, puis commandeur de Valençay, agent diploma-
tique français souvent employé dans les négociations d'Italie.
2. S'agit-il d'un portrait en cire, comme par exemple celui
1644] ^^ NICOLAS POUSSIN. 247
pour M^ Le Maire et une autre pettite quaisse àpart.
de sorte que elles sont dix en tout, elles sont touttes
cignées de leur nombre particulier, comme 1234
56789 10 à chascune en teste est l'adresse ainsi :
Chés Môs/ de Noyers à Paris. Elles sont touttes con-
tresignées de vostre arme. C5me il y a à touttes la
figure d'un flasque^ pour monstrer et faire entëdre que
se sont choses suiettes à rompre. Le tout est dilligem-
ment enquaissé, lié et garotté de bonne cordes. Le
nom de chasque portrait est en un billet en chasque
quaise. L'on les mandera par te destroit ainsi l5 a
résolu après auoir bien pensé aux autres moyens. Le
marchand que l'on doibt recepuoir à Rouen pour
vous les faire tenir à Paris se nomme Jan Turgus.
Pour ce qui est de la lame d'argent pour Loreto.
elle est acomplie et si se n'eust esté un peu de mal
que jay eu aux genous je l'aurois consignée au père
Charles. Se sera dieu aidans pour un de ses jours II
ne faut point que vous croyés qu'il y en aye une autre
de fette car au parauant que d'auoir ordonné celle si
l'on s'est informé dilligemment si à Loreto chés
quelque argentier il y auoit quelque chose de com-
mensé ce que les pères Jésuites n'on point trouué de
manière que seus qui vous ont donné à entendre le
contraire vous ont trompé, que vous m'ayés mandé
une autre lettre que celle que jeus de vostre par tou-
chans cette affere je n'en scais rien. Mais à cette fin
que vous ne croyés pas que je vous aye serui à l'es-
tourdie. Je vous remanderei vostre propre lettre et
vous voirés ce que vous m'aués ordonné de faire.
de Louis XIV, conservé à Versailles, dans sa chambre à cou-
cher?
I. Poussin esquisse en marge, non un « flasque », mais un
croissant placé horizontalement, les cornes en haut, et dans
lequel s'entrecroisent deux palmes.
248 CORRESPONDANCE [1644
Et parceque il ne reste maintenant que à faire finir
la coppie que M^ Le Maire a promis de finir. (Car
pour le tableau de S* Pietro Môtorio il ne faut point
penser de le faire finir, personne ni veut atendre et
mesme il est impossible là où est maintenant l'origi-
nal) du reste je n'ay point de lieu chés moy où je le
peusse mettre et de le rousler il se gastera en for peu
de temps. C'est pourquoy je vous y laisserei auiser.
Du reste quand Chaperon retourneroit icy je ne
veux auoir à faire à luy non plus que au diable
qui l'acompagne. Je vous enuoye vostre conte ci
inclus là où parle meneu vous pourrés cognoistre en
quoy jay employé vostre argent, et ensemble ce qui
vous aduâsera. plusieurs fois je vous ay escrit que
j'auois repseu et fet accepter la lettre de change des
quatrecens escus. qui ont serui avec cinquante autres
à paier les huit bustes sudits.
Je ne tarderei guère à commenser le tableau que
vous me commandés que je face et se sera des meil-
leurs pinceaux que jaye. vous assurans bien que
toutte les forces me manquerCt si n'est le meilleur
de tous ceux qui sont sortis de mes mains.
J'atens vostre response sur ce que je vous ay mandé
des coppies de M^. le Cheuallier du puis et puis nous
nous gouuernerons sels vostre désir.
Je prie à dieu que M;; donne une bonne mortifica-
tion à ce laron et ignare de Jaquelin^ il mériteroit
-/ que l'on le pendit par les génitoires.
Je prie dieu encores de tout mon coeur que les
I. Jacquelin, intendant des bâtiments, avait dans ses attri-
butions tout ce qui touchait aux bâtiments du roi et aux
artistes logés au Louvre. Il paraît avoir été un des principaux
adversaires de Poussin (voir H. Chardon, Les Fréart, p. 47).
1644] DE NICOLAS POUSSIN. 249
belles délibérations de Nostre prinsesse' ne soient
jamais détournées d'aucun malheureux obstacle afïin
que la postérité puisse voir quelque signe de grandeur
en Nostre Nation. Mais mon cher maistre nous
sommes en un étrange ciècle. dieu omnipotent vous
tienne tousiours en sa protection et vous face prospé-
rer en toutte sorte de biens
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsobéissant seruiteur
Poussin
Le bonhomme Tibaut se recommande fort à vos
bonnes grâces. J'ei oublié à vous dire que l'on vous
enuoyera plus d'un modelle pour poser vos bustes,
quand vous les aurés.
Je vous mande une lettre que ce charlatan de Vitel-
leschi vous escrit, il dit quil désireroit fort auoir des
nouuelles de M^ de la Varenne.
102. — 2'n* COMPTE A ChaNTELOU.
(Ms. 12347, fol- "'•)
[Conte de M. Poussin de ce quil a mis de mon
argent à Rome.]
Conte.
J'ay repseu 277 pistoles et [un] 3/4. qui sont.
833. escus Jules. 2. Monoy de Rome Les quatrecens
escus n'entre point en ce conte,
premièrement
A Mignart pour sa
coppie . . . escus 68
Au Maire pour son
dieu de pitié .... 42
I. La régente Anne d'Autriche.
250 CORRESPONDANCE [1644
au napolitain pour la
vierge du Chat ... 59
au Vieus pour sa
vierge à mi-corps . . 12
à Nocret pour la
vierge du Parmesan . 17
à Angelo Caninio
pour ses desseins . . 12
pour la façon des
chandelliers de bois et
bordure 60 Jules 5
pour la dorrure des
chandelliers et cor-
niche 72 Jules 5
à Monsieur Tibaut . 20
pour 7 quaisses . . 18 Jules 5
pour l'emballage des
7 quaisses i5
pour porter les quais-
ses chés moy .... Jules 3
pour le papier pour
enveloper les châde-
liers Jules 4
pour le port d'un
tableau de farnèse . . Jules i
pour Manche^ aux
doreurs et menuisiers . Jules 6
pour deus mémo-
riaux au commissaire . Jules i
ï. Pour le pourboire. Saint-Amant écrira, dans sa Rome
ridicule :
« Ces gens-ci n'ont point l'humeur franche,
A tout gain leur arc est bandé;
Souvent pour m'avoir regardé.
J'ai vu me demander la manche. »
1644] DE NICOLAS POUSSIN. 25l
à M»^ Tibaut ... 16
pour l'argent de la
piastre pour Loreto et
vis 17
pour la façon de
laditte piastre. ... i3
pour une vis de fer . Jules 2
pour le Restorateur
de l'Hercule de farnese. 8
pour port d'un ta-
bleau de farnèse . . . Jules I 1/2
pour le papier pour
couurir les tableaux . Jules 2 1/2
pour le bois de la
quaisse du tableau . . Jules 4 1/2
pour la douane des
sept caisses .... 3
pour la charette qui
les porta Jules 3
pour le seau de la do-
gana Jules 4
pour l'enballage de
la quaisse des copies
toille cirée chaneuas
corde et toutte la fatige
du fachin pour aler et ^
venir à ripe charger et
deschar, et autre . . i Jules 2
pour la quaissette
toille cirée et port du
St Paul 4 Jules 5
pour la license de
porter hors de Rome
les bust de marbre . . 3
252 CORRESPONDANCE [1644
pour l'escripture pour
grauer sur la lame . . i Ju. 5
pour port de la quais-
se du portrait de Cire . baïo. 5
pour le papier pour
enueloper le portrait de
Cire Ju. I baïo. 5
pour faire grauer les
dis lignes en lettre
minscule sur la placque
d'argent 6
pour les Noeuf quais-
ses i5 Ju. 3
au Vitelleschi ... 5o
pour les fascine. . . . Jules 2
pour deus charettes . Jul. 6
pour le commissaire. Jules 3
pour charger, em-
barquer, pour l'embal-
lage pour une piese de
toille sirée et chaneuas
et autre tests 6
pour la douane . . escus 12
pour le seau . . . Jul. 5
pour le tableau du
S* Paul escus 5o
toute cette somme
monte à escus.
578. Jul.
I.
bai 5
833 Jul.
578.
2
I.
5
auanse 255.
I.
5
833.
1644] de nicolas poussin. 253
103. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fol* ''2*)
A Monsieur de Chantelou^ paris.
[M. Poussin <S*e mars 1 644.
Tibault.
Quil a enuoyé la lame pour linscription de Lau-
retto et quil cherche quelque pensée de tableau pour
moy.]
A Rome Ce. 8'«ï°«^ Mars. 1644.
Monsieur
Ne pouuant faire autrement jay tardé Jusques à
présent à faire response à la vostre dernière du
Sœe feburier. tous les chefs de laquelle je respondray
maintenant sans rien obmettre. Vous n'estes plus en
paine de la lettre de change que vous me mandastes
pour paier les bust du Vitelleschi vous ayant escrit
par plusieurs fois que je l'auois repsue.
Les lettres que vous mandiés au gouuerneur de
Lorette lui furent assurément mandées par le moyen
du bon père Charles.
Les bust que vous mesme vous choisîtes chés Hipo-
lite Vitelleschi ont été payés de vos quatrecent escus
mandés dernièrement y goint cinquâte de vos huit
cens et trentetrois escus. Je vous ayescript que je les
auois fet embarquer par le moyen de M^ Guillaume
despior et Pierre Ravel Marchands françois pour
vous les faire tenir. Je vous ay mesmement enuoyé là
leur police, et fet encore scauoir le nom de leur cor-
I. Le copiste de l'Institut (et Quatremère après lui) date
cette lettre du 18 mars. Poussin et Chantelou ont cependant
écrit fort lisiblement la date du 8.
i54 CORRESPONDANCE [1644
respondant à Roen. d'autans que nous vous les man-
dasme par le destroit. à celle fin que tardans trop
vous vous puisses informer du dit correspondant et
scauoir s'il en a des nouuelles ou non. Avec la mesme
lettre et police je vous enuoyas le compte de l'argent
que jay employé pour vos affaires de pardesà et en
suitte se qui vous reste.
Je me trouue extrêmement consolé de Testât où
vous espérés que seront bientost dieu aydans les
afferes de Monseigneur et que vous trauailliés comme
d'autres vertueux Hercules de purger le monde de
tirans de larons et de hideux monstres dont nostre
pauure France, [qui est] est toutte misérablement
infectée dieu vous donne la grâce d'en venir à chef.
J'atens auec impatiense vostre résolution touchant
ce que je vous ay escrit des coppies de chés M^ le
Cheuallier du puis, car jay empesché que l'on les
aye commencée, et à bonne fin et auec bon respect,
mais quand finalement vous les voudrés il ni aura
empeschement aucun.
Monsieur Thibaut ces esuanouy de joye en
lisant ce que vous m'ordonnes de faire pour
luy et de l'espérance que vous luy donnez pour
l'aduenir. Le pauure garson auoit bien besçin
no'"^. de vostre Ayde. A tout hasars je luy auois
donné oultre les vint escus de vostre argent
ainsi que vous voirrés sur vostre compte que
si par hasar vous n'en eusiés pas esté content
je vous les euses remboursés du mien. Mais
ï. « Mettre à chef on venir à chef signifie achever, venir à
bout. Cette expression est vieille et surannée. » Dict. de Fure-
tière.
2. Cette indication marginale est de Chantelou.
1644] ^^ NICOLAS POUSSIN. Zii
voyans la bonne volonté que vous aués pour
luy par vos dernières lettres jey esté hors du
doubte là où j'estois et de nouveau je luy ay
donné dix escus pour son mois de Mars et ainsi
j'iray continuans de mois en mois ainsi que
vous me l'ordonnés, il dit que tout ce qui
modelle est pour vous et sil me met quel
chose en main je vous le conseruerei jusques
à tant que vous en ordonnerés*.
Je voudrois bien auoir l'occasion de vous mander
quelque nouuelles de ce pays icy Ainsi que vous me
fette la faueur de m'escrire de ce qui se passe par
delà. Mais l'on ne fet autre que de parler de la paix,
dieu voille nous la donner. Un chascunla désire fort 2.
Jay consigné vostre lame d'argent pour Loreto. au
père Charles qui trèsassurément la fera tenir, et
mettre en son lieu. Nous auons acommodé la chose
en manière quelle ne peut manquer et ne croyés point
M|; Le Cat, car s'est ne luy déplaise un menteur ni luy
ni personne n'ont rien fet commencer pour vous à
Loreto touchant l'inscription que vous vouliés fere
adioudre Au veu que vous portâtes.
Je ne fes maintenant les soirs autre chose que de
chercher quelque beu subiec pour vous faire quelque
table de réputatiô si je peus. quand je l'aurei trouué
et résolu je vous en enuoyerei une idée. Cependant
je demeure éternellem^
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsobligé seruiteur
Poussin.
1. Cette disposition typographique reproduit celle du ma.
2. La France va réussir à mettre fin à cette première guerre
de Castro par la paix de Ferrare (3i mars 1644), due aux efforts
du cardinal 'Bichi, chef du parti français.
256 CORRESPONDANCE [1644
Je baise trèshumblement les mains à Messieurs vos
fraires.
104. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fol. 114.)
A Monsieur de Chantelou.
[M. Poussin 1 7e mars 1 644.
Il promet de commancer l'ouurage des Sept Sacre-
ments et rend compte des autres affaires.]
de Rome Ce ij*^^ mars. 1644.
Monsieur
J'ei repseu en même temps deus de vos très chères
lettres par l'une et par l'autre vous me monstres que
la proposition que je vous ay fette touchant les Sept
Sacrement vous a esté àgré ausy me vas-je préparer
à vous bien seruir, et laissant à part les autres choses
que j'auois pensé de vous faire, j'atendrei seullement
à celles icy. et auec d'autant plus de soin et de plai-
sir que vous me fauorisés de remettre le tout à mon
arbitre, tant de la disposition comme de la grandeur
des figures et autres particularités. Si je serei si heu-
reus que d'auoir la santé à l'aduenir telle seulement
comme l'ay maintenant (néanmoins que la fatigue soit
longue) j'espère les auoir bientost fets. et principalle-
ment estans délibéré de laisser une infinité de pra-
tiques qui s'offrent tous les jours. En deux choses
seullement je me trouue engagé pour des personnes
à qui je ne peux dire non. Mais cela s'acommodera
auec le temps et sans s'estendre dauantage sur cette
matière seci soit dit pour tousiours.
Je vous suplie de ne point traicter de cérimonie
auec vostre seruiteur mais de croire seullement que je
1644] DE NICOLAS POUSSIN. 257
n'ay rien en si grande recommandation que vostre
seruice. Tout caque vous m'aués commandé de faire
icy est fet. Vos chandelliers et tableaus sont ariués à
Marseille. Mo^ Despior en a eu nouuelles. Vostre lame
d'argent a esté enuoyée à Lorete. Vos bust de marbres
sont ariués à Ligorno^ mais il se présente une diffi-
culté car il ni a point de veseaus et ni en aura point
plustost que dans un an qui aillent ou à S^. Maslo ou
à Rouen, il nia maintenant que ceux d'Holande qui
se partent. Et d'engleterre il ni faut point penser à
cause de la guerre. Je vous ay vouleu aduertir de ce
qui se passe. Mais deuant que j'aye vos responses si
hors de nostre espérance il se présentoit quelque
occasion nou nous en seruirons. il m'estoit veneu en
la pensée deuant que de les enuoyer par le d'estroit.
de les enuoyer à Lion et les faire tenir en quelque
magasin, j'usques à tant que le sculpteur qui conduit
les statues du Car. Ma.^ en passant par ledit lieu de
Lion les eust fet passer jusques à Paris auec la mesme
dilligense que les sienes. Je luy en auois desià parlé
et m'auoit promis de le faire (car il est bien de mes
amis). Mais ne sachant pas que ce fust chose bien
assurée, je les mandés à Ligorne sans atendre de
crainte de laisser quelque bonne occasion. Or main-
tenant qu'il est bientost prest de se partir je luy veus
reparler et voir sil sera de la mesme bonne volonté
quil estoit à l'ors. et en cas quil eust changé je ne
laisserai pas de vous les enuoyer à Lion là où si par
hazard ils demouroint quelcun de vos amis passant
1. « Dans ce temps-là, on disait Ligourne ou Livourne, et
plus souvent Ligourne » (Avenel, Corr. de Richelieu, t. VI,
p. 847).
2. Le cardinal Mazarin.
1911 17
258 CORRESPONDANCE [1644
par là vous les pourroit faire porter à paris il se part
bien souuent d'ici des personnes de cognoissanse qui
en passant par Lion vous pouroint les conduire, mais
pour bien faire cette affere là parlés en à nos bons
amis Serisier^ et Pointel qui ont de bonnes corres-
pôdanses et de bons amis à Lion par le moyen
desquels il seroit possible que vos dits bust vous
seroint mandés assurément et dilligemment et si par
hazar nostre dit sculteur s'oblige à faire cette besongne.
vous pouués par auanse ordonner à Lion par le moyen
des susdits Serisier et Pointel de la despense quil
faudra faire, et comme j'ei dit des personnes qui en
ayent le soin. Je vous escriray du succès de cette
affere quand il en sera besoin ayés sollement un peu
de patiense et tout ira bien. Ce que maintenant je
vous dis ne vous doibt pas mettre en paine et nous
aurons du temp à penser à tout deuant que les quaisses
soint arriuées à Lion.
Pour finir de respondre à quelques autres choses
de vos lettres je vous prie de croire que Nostre Sî Père
se porte fort bien, il est entièrement hors de la mala-
die que l'on croioit que en peu de temps le debuoit
emporter 2.
C'est comme une folie de craindre les nouueautés
^ et les brouilleries^ en France puis que l'on ne les
peut éuiter et que jamais elle n'a esté autrement.
1. Cerisier, négociant lyonnais établi à Paris, en face Saint-
Merri. Grand admirateur de Poussin, il avait de lui le Corps
de Phocion emporté, ses Cendres ramassées, la Fuite en
Egypte, la Reine Esther et un portrait du peintre (Bonnaffé,
^ Dict. des amateurs, p. 5i). Dans le Banquet des curieux, il se
joint à Pointel : « Pour chanter que Poussin n'eut jamais son
pareil. »
2. Urbain VIII mourra cependant bientôt, le 29 juillet 1644.
3. La Fronde ne commencera qu'en 1648, mais son état d'es-
1644] I>E NICOLAS POUSSIN. 269
Si je n'espérois vous mieux satisfaire auec les Pin-
ceaux q'auec la plume je fuirois leplus que je pourois
les occasions de vous peindre quelque chose, ausi
bien que je fets consiense de vous importuner de mes
lettres mal poUies comme elles sont.
Mais puis quil vous plait [auoir] auoir agréable le
receuoir souuent de mes nouuelles je mettray ausi
souuent la main à' la plume comme aux pinceaux.
Je suis vain de joye de ce que vous me fettes scauoir
du gros homme Jaquelin. mais bien dauantage de ce
que la vertu et les vertueus auront un bon protecteur
à l'aduenir^
Je sererei la présente pour cette heure en vous bai-
sant trèshûblem' les mains moy qui serei à jamais
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsobéissant Seruiteur
Poussin.
105. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fo^- "6-)
A Monsieur de Chantelou^ paris.
[M. Poussin 8 auril 1 644.
Il approuue les raisons que jay eues de ne me pas
faire intend\ des hastimens^ me mande quil a fait son
prit se manifestait déjà, à l'occasion de l'opposition entre la
Cour et le Parlement, sur l'État du Toisé (27 janvier 1644).
1. Il était question que Chantelou remplaçât Jacquelin,
comme intendant des bâtiments.
2. « Au commencement de 1644, ^^ charge d'intendant des
bâtiments fut offerte à M. de Chantelou, mais, après quelques
hésitations, il refusa par égards pour de Noyers et malheu-
reusement pour les arts, qui n'eussent pas vu sans cela pen-
dant vingt ans la triste administration de Ratabon » (Chardon,
Les Fréart, p. 60). Ce Ratabon (Antoine de, inh. i3 mars 1670)
200 CORRESPONDANCE [1644
capital de Vouurage des sacrements quil y mettra
toute son estude et les forces de son talan
que l'inscription de Lorette a été consignée à Mon-
sig\ Caetane* qui la f et poser.]
De Rome Ce S'*"»* Apuril 1644.
Monsieur
Je deuois respondre à la vostre du cinquiesme Mars
par l'ordinaire passé. Mais l'incommodité d'un gran-
dissime Rume qui m'étoit surueneu m'en empescha.
Maintenant que le mal s'est amoindri je ne veus pas
manquer à mon debuoir. et en premier lieu de vous
remercier de l'honneur que vous m'aués fet de me
raconter confidamment les raisons pour lesquelles
vous n'aués pas vouieu accepter la charge d'intëdans
des bastimens. que tout le monde qui vous cognoist
et qui vous aime souhettoit que vous eussiés. Mais
toutes vos actions estant conduittes par le moyen de
la raison vous ne pouués rien faire qui n'aye une fin
vrayemen vertueuse. Tous vos despendans comme
moy et tant d'autres au moins se doiuent resiouir que
sependans que Monseigneur. (A qui dieu donne
longue vie) sera, vous demeurerés auprès de luy et
nostre bon aduocat et protecteur. S'est ceque nous
pouuons souhetter et rien dauantage.
Se n'est pas merueille si Monsieur de Charmois^
est mentionné dans un acte du 9 juillet 1645 comme « con-
seiller du Roy, intendant des bastimens de France et secrétaire
de M. de Noyers, dem' en la maison dud. s' de Noyers, en la
rue Neuve St-Roch ».
1. Lecture douteuse.
2. « C'était un ami commun de Poussin et de M. de Chan-
telou et un amateur très considéré » (H. Chardon, Les Fréart,
p. 19). Sur Martin de Charmois (1609-1661), voir Vitet, Jour-
nal des Savants, 1857, p. 26, 29, 35, 114.
1644] ^E NICOLAS POUSSIN. 2^
qui est extrêmem'. modeste a loé le petit S'. Paul que
je vous ay fet estant particulièrem'. entre vos mains,
là où il sera encore preserué de la morsure des plus
venimeuses langes.
Se seroit me faire tort si vous ne croyés que Je n'aye
en singulière recommâdation les sacrements que vous
m'aués commandé que Je face. J'en ay fet mon capi-
tal et se sera là où Je metterei toutte mon estude et
toutte les forces de mon talent tel quil est.
Je vous promis par ma dernière de vous faire
scauoir en quel estât estoit l'affere de vos huit bust
du Vitelleschi. J'ei donc seu de Ml despior que son
correspondant de Ligorne les auoit fet embarquer
sur un gros veseau holandois pour Amsterdam, où
estans ariués dieu aidans l'on les remandera à Rouen
au Si; Jan Turgus marchand qui vous les enuoyera à
Paris. Le dit S^ despior dit que le port ne coustera
guère dauantage que si s'estoit pour Rouen à droitture
et que le voyage se fet en deus mois, en fin soit se qui
plaira à dieu il faut patienter. Car il n'est plus temps
de penser à un autre moyen.
Le père Charles m'a mandé une lettre d'un Père
prouinsial Jésuite qui porta la lame d'argent à Lorete
là où il dit auoir conseigné laditte lame en main de
Monseigneur Gayetano qui ausi tost commanda
qu'elle fust appliquée en son lieu, pour ce qui est de
vos chandelliers et coppies, Je n'en ay pas eu d'autres
nouuelles que de Marseilles là où il y a longtemps
quils estoint ariués. Je crois si vous ne les aués rep-
sus que se sera bientost.
Jay retiré la coppie de Vierge que le S^ Le Maire
vous a fette J'atens que vous m'ordonniés de la
202 CORRESPONDANCE [1644
manière de vous l'enuoyer l'on nous assure que la
paix est fette entre le Pape et messieurs de la Liguée
Nous en atendons la publication. L'on dit icy que
Sa Sainteté ne se porte pas bien. S'il nous manque
dieu nous donne mieux^. H ni a autre chose de nou-
ueau en ces quartiers icy.
Monsieur le Cheuallier du Puis et M^ son frère
vous saluent très affectueusem^. .
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsaffectionné Seruiteur
Poussin.
106. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fol. 118.)
A Monsieur de Chantelou^ Paris.
[M. Poussin 1 5™e auril 1 644.
Il mande que Vinscription de Lorette est posée
quil souhaitte que les caisses quil ma enuoyées
arriuent heureusement
Quil commance le premier de mes Sacremens quil
prie dieu de luy donner assés de vie pour les acheuer
tous sept^.]
De Rome Ce iS^*»"" Apuril 1644.
Monsieur
Quand ainsi seroit que vous eussiés laissé passer
1. La France (par l'intermédiaire du cardinal Bichi) venait
enfin de ramener la paix en Italie, malgré l'Espagne, par la
paix de Ferrare (3i mars 1644), qui mit fin à la première
guerre de Castro.
2. Bien qu'Urbain VIII fût favorable à la France, Poussin ne
pouvait dissimuler combien les Barberini, ses neveux, gou-
vernaient d'une façon lamentable.
3. Pour la description des Sept Sacrements, voir Description
des tableaux du Palais-Royal (par Dubois de Saint-Gelais), 1727,
1644] I^E NICOLAS POUSSIN. 203
encore cet ordinaire sans m'escrire (néanmoins que
vos nouuelles me consolent infiniment l'esprit) pour-
ueu que j'euses en fin repseu nouuelle de l'ariué de
vos quaisses, se m'eust esté un grandissime conten-
tem' principallement quand j'euses seu que ce qui est
dedens vous eust esté rendu sain et entier. Car je
doubte fort quil ni aye quelque chose de guasté ayant
par un si long voyage passé par tant de mains. Je
serei certainement en inquiétude jusques atant que
j'en aye quelque bonnes nouuelles.
Vos dix autres quaisses sont par le voyage. Je crois
assurément quelles arriueront à bon port, considéré
la bonté de la saison, il y a eu par mer cet Hiuertant
quil a duré des tempestes et tourmentes extraordi-
naires de sortes que quantité de barques et de veseaus
ont estes engloutis des ondes et crois que sa esté bon-
heur d'auoir tardé un peu à les enuoyer.
Je suis bien aise que vous ayés repseu la dernière
police que je vous ay enuoyée avec le compte de la
despense que jei fette pour vous. Jei du depuis
employé septante écus en la coppie que le Si; le Maire
a fette. et vint escus à M^ Thibaut. Vous me mande-
rés sil vous plaist ce que vous désirés que je face du
résidu de vostre argent.
Je vous prie affectueusement de ne considérer
point le temps que j'employe à vous seruir car je l'es-
time à bonheur et le fés auec joye. Si vous vous sou-
in-i2, p. 333. — On sait que les Sept Sacrements de Chante-
lou, comme ceux de del Pozzo, sont aujourd'hui en Angleterre.
Ceux de Chantelou furent achetés 120,000 francs parle Régent
et restèrent au Palais-Royal jusqu'à leur vente, avec toute la
collection d'Orléans, au duc de Bridgewater, pour 1,225,000 fr.
Ils ont passé par héritage à lord Egerton, puis à lord EUes-
mere.
264 CORRESPONDANCE [1644
uiendrés de moi lors que les aflferes de delà s'accom-
moderont je recepuerei les grâces que vous me ferés
en don et vous en demeurerei à tousiours estroitte-
ment obbligé.
Je vous rends mille grâces de ce que vous aués per-
mis à Mi; Rémy de faire la vente des meubles qui
estoint restés en la maison des Thuilleries, Ausibien
se gastoint il. L'on en a tiré cent escus que je recepue-
rei demain.
Je ne vous répliquerei autre chose pour ce qui est
de la placque d'argent de Lorete car je vous en ay si
souuent escrit quil baste elle est enfin coUoquée à sa
place'.
Hier, je commensas à trauailler à l'un des Sacre-
mens Je prie dieu quil me donne la vie assés longue
pour les finir tous sept ainsi comme je souhette. Je
scais bien que l'atendre^ est une fascheuse chose et
quil vous anuira en Patente de cet ouurage mais mon-
sieur mon cher patrO je nay que une main qui en fin
s'employera pour vous seruir le plus promtement
quelle pourra.
Quand vous aurés escrit au Vitelleschi je ne man-
1. « On voit à côté de l'Evangile un ange d'argent de la taille
d'un homme tenant entre ses mains et présentant à la sainte
Vierge un enfant d'or du poids de 24 livres, dans un plat bas-
sin de vermeil sur un coussin d'argent; ... Le coussin sur
lequel repose la tête de l'enfant porte cette inscription :
Acceptum a Virgine Delphinum
V Gallia Virgini reddit.
« A ce présent, qui est d'un travail exquis et qui est estimé
plus de 100,000 écus, Louis XIII et Anne d'Autriche joignirent
deux couronnes d'or enrichies de diamans, l'une pour la mère
et l'autre pour l'enfant, que le pape Urbain VIII fit mettre sur
leur tête » (J.-B. Vanel, Un pèlerin lyonnais à Rome et à
Lorette en 174g, p. 71).
2. Poussin, qui avait d'abord écrit : l'attente, a corrigé en :
Vatendre.
1644] I*E NICOLAS POUSSIN. 205
querei pas de luy présenter vos lettres. Jei donné à
M^ Thibaut les vint escus en deux fois dix escus pour
le mois de mars, et dix autres pour le mois d'apuril
Il a esté raui quand il a veu vostre lettre et quil a seu
que vous luy ordonneriés icy. x. escus le mois, il
vous en remercie très humblement, et parceque il ne
se présente maintenant autre chose à vous faire
scauoir je finirei la présente en me disant toutte
ma vie
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsobéissant Seruiteur
Poussin.
107. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fol. 120.)
A Monsieur de Chantelou, Paris.
[M. Poussin 25 auril 1644.
Il me mande quil trauaille à l'extremonction qui
est un sujet dappelles qui se plaisoit à/« des transis.
Il parle de mes coppies après Rafaël et des guéri-
dons quil a enuoiés.]
de Rome ce 25'«'"« Apuril 1644.
Monsieur
J'aurois esté extrêmement satisfet si auec la nou-
uelle que vous m'escriués du 3i'"''de Mars del'ariuée
de vos caisses j'euses entendu en quelle manière les
six chandeliers ont esté trouués conserués sil seront
ariués ausi bien conditionnés comme vos coppies
tout ira bien.
Je vous prie de croire que Jei fet mon possible pour
vous faire bien seruir aus coppies que l'on vous a
fettes. Mais les peintres qui les ont coppiées ne sauent
âi56 CORRESPONDANCE [1644
pas faire dauantage comme je crois, ou l'amour qu'ils
deuoint auoir à i employer touttes leurs forces aura
esté diminué pour quelque subiec qui ne m'est pas
assez cogneu. il ne laissent pas de croire d'auoir fet
des merueilles car au payement je m'en suis bien
aperseu.
La dernière coppie que Monsieur Le Maire a fette
(si bien il i a bien pris de la peine) est inférieure à
celle de Mignat que vous aués. Et si le Vieus auoit
fini la siene s'auroit esté la moindre. Enfin Monsieur
il faut confesser quil ne se rencontre guère de per-
sonne qui puisse contenter les intelligences manquant
aux uns les forces et aux autres l'amour de la dilli-
gense quil faut auoir pour bien faire, pour ce qui est
de la dernière elle n'empêchera jamais que je ne vous
face quelque chose de bien mais si la première ne
chemine d'un pied égal, vous pourés m'excuser puis
que n'y aurei rien espargné. Je trauaille gaillardement
à l'Extrême occion qui est en vérité un subiec digne
d'un apelles (Car il se plaisoit fort à représenter des
transis). Je ne cesserei cependans que je me trouue
d'umeur que je ne Paye mis en bon terme pour une
esbauche. Le dit tableau contiendra diset figures
d'hommes de famés d'enfants jeuneset vieus une par-
tie desquelles se consomment en pleurs et les autres
prient dieu pour le moribonde
Je ne vous le veus pas descrire autrement car se
n'est pas bien l'offise d'une plume mal taillée comme
la miene. mais d'un pinceau doré et bien amanché.
Les premières figures sont de deus pieds de hauteur ^
1. Voir, au Louvre, un dessin d'étude de l'Extrême-Onction.
2. Les Sacrements de del Pozzo « n'ont que deux palmes de
long » (Félibien, p. 17).
1644] DE NICOLAS POUSSIN. 267
et le tableau sera enuiron de la grandeur de vostre
manne % mais de plus belle proportion.
Nous ne scauons point de nouuelles pour vous
entenir. C'est pourquoy je serrerei la présente en
atendans d'auoir l'honneur de vos commandemens
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsobéissant Seruiteur
Poussin.
Ma famé vous salue en toutte humilité.
Je vous enuoye avec celle si une lettre de M^ le
Cheuallier du Puis.
108. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fol. I2li)
A Monsieur de Chantelou^ Paris
[M. Poussin 14^ may 1644.
Cette lettre est à remarquer parlant de lextre-
onction qui seule promet valoir mieux dans la seule
ébauche que tous les sept de M. le Caualier du Puy.
Quil diffère de seruir M. Ton et M. de Cotances^
pour trauailler pour moy.]
De Rome Ce i4'e«e May. 1644.
Monsieur
Je nei peu respondre à la vostre du i5"« Auril jus-
ques à maintenant ce que pourtant je n'aurois pas fet
sil y eust en icelle quelque chose qui eust eu besoin
d'une prompte response.
Il n'est plus besoin de vous mettre en peine de vos
bust. Car il y a longtemps que l'on les a enuoyés par
le destroit ainsi que je vous l'ai escript par plusieurs
1. La Manne, au Louvre, mesure 2 mètres sur o"49.
2. Voir, sur ce personnage, les Notes complémentaires.
208 CORRESPONDANCE [1644
fois. Nous sommes en atendans les nouuelles de l'ari-
uée car si le veseau là où ils furent embarqués aura
eu bon temps il doit estre proche d'Amsterdam. Si
vous en auiés nouuelle plustost que nous vous nous
ferés la faueur de nou oster de peine Nous ferons le
mesme à vous en vous mandans les nouuelles que
nous en aurons aprise.
Je scais bien que Patente de se que l'on désire [de]
posséder est une peine des plus grandes que l'on
puisse souffrir mais comme vous estes modéré en
toutte chose je crois que vous le serés enquore en
l'atente de vos tableaus. Jay esbauché le premier fort
nettement de sorte que l'on peut juger se quil pourra
estre estans fini. Mf le Cheualier du Puis l'est veneu
voir qui néanmoins quil face bonne mine l'on voit
bien quil luy desplairoit si les sudit tableaus demou-
roint à Rome. Mais parceque ils vont entre vos mains
et bien loint d'icy il boit le calice avec moins de con-
trecœur. Il a esté estonné de voire sur un mesme
subiec une disposition si diuerse et des actions de
figures toutte contraires aus siennes, mais en fin il
faut quil souffre et luy et les autres de voir un de vos
seuls tableaus qui promet valoir mieus que tous les
siens ensemble. Je vas commencer le second, en aten-
dans que seluy si se sèche bien, qui est chose assés
importante en la peinture, et pour vous donner à
cognoistre combien je suis désireus de vous satisfera
et de vous seruir. jei fet atendre M"; l'Euesque de
Constanse jusques à maintenant sans rien faire
pour luy néanmoins quil y ay un long temps quil est
passionné pour auoir quelque chose du mien. Mf de
Tou* quil y a fort longtemps que je cognois famil-
I. Jacques- Auguste II de Thou (1609-1677), frère de l'ami de
Cinq-Mars; premier président d'une des chambres des enquêtes
1644] ^E NICOLAS POUSSIN. 269
lèrement désiroit que je luy fisse un trespassement
de Crist en Crois et me le paioit trèsbien. Mais jei
délibéré de laisser cette pratique pour atendre à la
promesse que je vous ay fette. Le reste des choses
qui me sont demandée de bon lieu et de bonne par
je n'en parle pas car il sembleroit que se seroit pour
me fère valoir. Il suffit que je dresse toutte ma pen-
sée à vous seruir et vous fere quelque chose de meil-
leur que je n'ai fet par le passé, sans vouloir penser
à autre chose. Je vous prie de vous en assurer.
Si tost que j'en aurei acompli quelcun je vous le
manderei incontinent ainsi comme vous le désirés.
Je ne manquerei pas d'aler ses festes voir les pères
de Sj Pierre Montorio pour retirer de leurs mains la
coppie du tableau de Raphaël la retirans chez moi
ou roulée ou autrement et quand je rencontrerei l'oc-
casion de vous l'enuoyer je la ferei encaisser avec la
coppie de la Vierge que le sieur Le maire vous a fette
(si au parauant je ne resois quelque nouuel ordre de
vous) et vous les enuoyerei.
Le bon M": Tibaut atend auec bien de l'impatiense
la lettre que vous luy aués promise il m'a prié de vous
présenter ses baisemains et vous faire * souuenir de
luy en sa nécessité.
Il ni a rien de nouueau en cette ville qui mérite
vous estre escrit L'on atent seullement de jour à
autre Mo"" le Cardinal de Lion^ Nostre S\ Père se
porte bien et l'on ne dit autre
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsobeissant Seruiteur
Poussin
au Parlement de Paris, exilé en i652, ambassadeur en Hol-
lande, 1657. Il augmenta la splendide collection de son père.
I. Alphonse-Louis du Plessis de Richelieu, frère aîné du
270 CORRESPONDANCE [1644
Ma femme et mon frère vous baise très humblement
les mains'.
109. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fol- '2^0
A Monsieur de Chantelou.
[M. Poussin 3o^ may 1644.
Il parle du tableau de la pénitence où sera le Tri-
cline lunaire qu'on appelle Signia.
Cette lettre est plaine destitue et de désir de me
seruir.]
De Rome Ce 3o« May 1644.
Monsieur
d'autans que par vostre dernière du 5^ May vous ne
m'ordOnés rien de nouueau ains vostre lettre estant
seullement la response de mes précédentes, joint
enquores les dernières que je vous ei escriptes par
lesquelles je vous ay fet scauoir se qui se passe. Je
crois quil n'est pas nécessaire d'user en celle si de
trop long discours mais seullement il suffira que vous
sachiés que jei retirés chés moy la coppie du tableau
de S*, pierre in Montorio. Laquelle je tiendrei rous-
lée. Jusques à tant quil se présente l'occasion de vous
l'enuoyer acompagnée de la coppie du S|; Le Maire.
Du reste tout va bien puis que vous aduoués ce que
jei fet touchans l'enuoy de vos bust par le destroit. Je
grand Cardinal, dont la volonté fit un archevêque d'Aix (1626),
puis de Lyon (1628). Urbain VIII le nomma cardinal le 21 août
1629, en reconnaissance de la prise de La Rochelle. — Mignard
peindra pour lui, en cette année 1644, les copies de toute la
galerie Farnèse, le chef-d'œuvre de Carrache; il y travail-
lera huit mois.
I. Phrase écrite verticalement, dans la marge.
1644] ^^ NICOLAS POUSSIN. 27 1
crois certeinement que il vous seront rendus sains et
entiers.
Jei doubté jusques à maintenant que vos chandel-
liers ne vous ayent pas esté portés conserués comme
je l'eusse désirés et d'autans plus j'en suis en peine
plus vous vous abtenés de m'en escrire un mot. Je
vous supplie de m'escrire en quelle manière ils vous
ont esté rendus, aumoins sela me seruira pour
quelque autre occasion, qui se pourroit présenter, de
mander de delà de semblable chose et je pourei co-
gnoistre d'où le defFaut peut estre veneu ou de l'em-
ballage ou de l'alge qui est de nature aucunement
salée, ou pour les auoir tenus trop longtemps enfer-
més dedens les quaisses ou bien sil ont esté gastés par
le peu de soin de ceux qui les ont portés.
> il n'est plus besoin de vou parler de la placque d'ar-
gent de Loreto puisque vous scaués bien quelle est en
sa place.
Je vous rends grâces infinies de la récepsion que
avés fette à M;; La fleur, pour l'amour de celuy qui
vous est trèshumble seruiteur. mais bien encore da-
uantage de ce que vous me promettes. Vous aies mul-
tiplians d'autans plus mes obligations enuers vous,
quand vous scaués si bien tailler les cheueus à San-
son^ de sorte quil n'aura jamais la forse de nous fere
sortir de nostre maison. Je ne sçais le jugement que
vous aués fet de luy par la lecture que vous aurés
peu fere de sa lettre que je vous ay contremandée
quand pour moy je crois que c'est Sanson le foible et
qui mériteroit recepuoir de Mo^ une bonne mortifi-
catis.
il n'estoit pas besoin d'espandre si largement les
I. Samson Lepage. Voir lettre du 26 novembre 1644.
îy* CORRESPONDANCE [1644
fleurs de vostre réthorique pour me persuader à
croire ce que en rians vous dittes de vous mesme.
Mais je vous supplie de tenir pour assuré que je
vous estime sans comparaison dauantage que ceus
qui sont montés sur les plus haut piédestaus de
nostre France, Je resterei dans cette oppinion qui me
seruira d'une stimulation perpétuelle à rechercher les
moyens de vous bien seruir. Je suis sur le point de
vous commencer un second tableau, de la pénitense
où il y aura quelque chose de nouueau. particuliè-
rem* le tricline lunaire quils apelloint Sigma* y sera
obserué pontuellement.
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsaftectionné seruiteur
Poussin.
110. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, f°'- '^5.)
A Monsieur de Chantelou^ Paris.
[M. Poussin 20 juin 1644.
Il promet d'enuoyer à l'automne l'extremonction et
à Pasques un autre sacrement.
Grand discours touchans la coppie de S^ Pierre in
Montorio^ par M. de S^ Chaumon.]
De Rome ce 20'n« juin 1644.
Monsieur
Il ne seroit pas de besoin que vous prissiés la peine
I. Triclinium, réunion de trois lits à trois personnes, pour
prendre le repas couché, à la mode des anciens. — Voir le
dessin de Poussin au Louvre, n" i263 (don de M. His de la
Salle, 1866). — « Je possède un autre dessin du Poussin, Tri-
clinio lunare detto Sigma; étude recto et verso d'une peinture
1644] ^E NICOLAS POUSSIN. 27?
de respondre à toutte celles que je vous escris, seul-
lement je me contenterois bien d'auoir de vos nou-
uelles lors quil est question de vous seruir. principal-
lement la plus part des miennes n'estant que une
jointe aux anuis que le malheur du ciècle vous pou-
roint aporter. Je voudrois bien pourtant estre capable
de vous consoler par quelque moyen, mais mon talent
est de trop petite estendue, ne pouuant fere autre que
jetter quelque souppirs auec vous.
il ne faut point doubter que ne m'ayant jamais (par
tant de lettres que jey repseues de vous) parlé de vos
chandeliers que je ne creuse que vous n'en auiés pas
du tout le contentement que vous en espériés. Mais
maintenant que vous me spésifiés le dommage qui y*
est ariué (qui peut estre estremédiable) je ne suis pas
en tant de peine que j'estois, m'estant bien imaginé
dès le commensement que des choses si fragilles ne
pouuoint pas, par un si long et facheus voyage ariuer
bien côditionnées quelque dilligense que l'on puisse
aporter en l'emballage. Mais des choses fettes le Con-
seil en est prins. Nous serons plus aduisés autour des
choses que nous auons à faire à l'aduenir.
il n'est nullement de besoin de me donner de la sti-
mulasion à finir auec amour et soin les ouurages que
je vous ay commensées. L'amour que jei pour vous et
l'enuie de bien faire ne peuuent estre augmentés par
nul moyen. Touttefois si l'artifice n'ariue à un degré
de perfection tel comme vous le dépeignés en l'ima-
des catacombes, représentant une agape, avec l'inscription
autographe du Poussin; à la plume lavé de bistre. C'est, à
n'en pas douter, le document dont s'est servi le maître, pour
le second tableau de ses Sacrements « (Ph. de Chennevières,
La peinture française, p. 219).
1911 18
^74 CORRESPONDANCE [1644
gination n'en accusés autre que l'exellenses de vos
belles idées qui ne se peuuent seconder. Je vas l'un de
ses jours finir l'extrême onction que jespère vous
enuoyer cet automne dieu aidans^ l'incommodité des
grandes chaleurs ne me permettent pas de trauaillier
tant que de une autre saison. Et sil sera possible c5e
je crois vous en aurés un autre pour pasque. Ainsi
chasque anée je pourrei vous en enuoyer deux. Sil
m'aduansera quelque peu de temps vous me permet-
trés de l'employer à quelque autre gentillesse pour
m'entretenir en * l'amitié de quelque miens amis.
Le bon Monsieur Tibaut es resucité d'auoir veu ce
que vous m'escriués. Je luy ay donné dix escus de
l'argent qui vous auanse pour le mois de May. Ainsi
comme vous le désirés, de sorte que maintenant il ne
reste de tout vostre dit argent que cent^ et cinquante
quatre escus. ayant employé depuis le dernier conte
que je vous mandas, septante escus pour la Vierge du
maire et trente audit Tibaut pour trois mois et un
escus autour du tableau de S* Pietro In Montorio. Le
susdit Sieur Tibaut m'a promis de vous escrire par
cet ordinaire touchant les modelles que vous désirés
qui me consigne.
Si les curieus que vous me nommés auec leur gui-
don^aprouue ou réprouue ce quejefespeu de resen-
timen j'en ay et d'une façon et d'une autre il me suf-
firoit bien de pouuoir contenter moymesme sans
prétendre de la louange de ceux qui ne furent jamais
loués.
1. L'écriture de Poussin s'altère. Par exemple, le jambage
du d de aidans est tout à fait tremblé.
2. Poussin, ayant écrit deux fois le mot cent, l'a rayé une
fois.
3. Simon Vouet et ses élèves.
1644] DE NICOLAS POUSSIN. 276
Or maintenant il est temps que je vous face scauoir
se qui se passe autour de la coppie de S. Pietro Mon-
torio que jei par vostre ordre retirée chés moy. Et à
celle fin que vous puissiés coniecturer plus facille-
ment la fin des présentes brouilleries je commencerai
de loins.
Monsieur Matieu Segraitere de Monsieur le Conte
de Sî Chaumont^ nostre embassadeur. incontinent
ariué à Rome avec une furie françoise^ me vint faire
une proposition, que il auoit à lion une sœur reli-
gieuse quil auoit prié de luy faire faire un tableau de
déuotion pour mettre sur l'autel principal de leur
église dont le tabernacle n'estoit pas encore fet. Je lui
dit qu'il trouueroit à Rome quantité de gens quil le
pouroint seruir, il me demanda si je le voudrois bien
faire, mais je luy fis des escuses desquelles il se pou-
uoit contenter. Du depuis je ne l'ay plus reueu'. En
suitte de sela. huit jours au parauant que je reti-
1. Melchior Mitte, comte de Miolans, marquis de Saint-Cha-
mond ou Saint-Chamont, seigneur de Chevrières (mort en
1649). Richelieu l'avait fréquemment employé dans ses négo-
ciations, mais cette brève ambassade fut sa perte : Mazarin
lui avait ordonné, au conclave, de faire exclure le cardinal
Pamphili, et Saint-Chamont le laissa élire (Innocent X). Dis-
gracié et exilé dans ses terres, à la fin de 1644, il essaya de
revenir à la cour en 1645, mais Mazarin répondit qu'il aurait
dû être « fustigé » pour sa conduite à Rome. — Ce personnage
très oublié semble avoir été suspect d'aigreur et d'arrogance :
il souffrait peut-être de voir le fidèle cardinal Bichi, et non lui,
diriger la politique française en Italie et posséder la pleine
confiance de Mazarin (voir Chéruel, Hist. de France pendant
la minorité de Louis XIV, t. II, p. i5i).
2. Est-ce l'ambassadeur Saint-Chamont ou le secrétaire
Matieu qui vient d'arriver? J'inclinerais à croire que ce serait
Matieu, car Guy Patin écrit à Spon, dès le 12 octobre 1643, sur
« M. de S' Chamond qui s'en va ambassadeur à Rome » (Bibl.
nat., ms. fr. 9357).
3. Un intervalle blanc dans le ms.
276 Correspondance [1644
rasse le dit tableau M^ l'Ambassadeur se porta à
S* Pietro Montorio. et après auoir veu la ditte cop-
pie. se luy sembloit abandonnée, il dit aus Moines
quil faloit la finir puis quelle auoit esté commensée
pour le Roy.
Peu de jours après je fis porter la ditte coppie chés
moy. Lundi dernier le dit Seigneur Ambassadeur
enuoya quérir le Sieur Chaperon qui est de retour de
Malte le jour^ le jour au parauant que le dit tableau
fust retiré luy demandas qui il estoit brusquement et
pourquoy il auoit abandonné et laissé imparfet une
ouurage commensé pour le Roy et comme embassa-
deur il en vouloit auoir cognoissanse. Chaperon fit
ses escuses à son auantage disant que l'argens lui
estoit manqué et que moy qui auoit la commission de
le faire finir ne l'auois pas vouleu payer.
Après cela je fus apellé chés Monsieur l'Ambassa-
deur qui du commensement me reprint de se que je
ne l'auois pas esté saluer et que j'auois besoin de la
protection du Roy quil faloit que je retournasse en
Franse et que en cela il me vouloit fauoriser quil
\ auoit assés ouy parler de moy. Je le remersiais bien
humblement. Alors il me demanda que vouloit dire
que le tableau de S'. Pietro Montorio n'auoit pas esté
fini. Je luy racontas brèuement toutte l'Histoire. Or
ça si 2 dit-il puis que vous l'aués chés vous je vous
deffens de l'enuoyer mais escriués en à Monseigneur
de Noyers et monstres moy la response quil vous
donnera car je la veus voire. Voilà brèuement se qui
se passe touchant Monsieur l'Ambassadeur.
1. Les mots le jour sont redoublés, parce qu'à cet endroit
Poussin a tourné la feuille et commencé une nouvelle page de
la lettre.
2. Trois mots, d'une lecture très douteuse.
1644] DE NICOLAS POUSSIN. 277
Chaperon d'un autre costé veut auoir encore rai-
son, il dit que il a trauaillé longtemps au sudit ta-
bleau et que il n'est pas satisfet à beaucoup près
de l'argent quil a repseu et qu'il prétend que son
esbauche luy soit rendue, et qu'il restitura les arres
qu'il a repsues. Pour mon particulier je ne veus point
disputer contre une beste comme il est. Je luy ay
promis de vous faire scauoir ses prétentions et que je
luy montrerois vostre response. Il vous plaira donc
(Monsieur) de dresser une lettre sur ses deus subiects
icy la quelle je puisse monstrer et à Monsieur Lem-
bassadeur et au gros Chaperon.
Si j'eusse peu faire de moins que de vous aniuer
par se long discours je l'eusse fet mais il a esté
nécessaire de vous en importuner. Sependans je vous *
suplie de me conseruer le tessor de vostre Amitié et
demeurerei toutte ma vie
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsaffectionné seruiteur
Poussin
111. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fol* 127.)
A Monsieur de Chantelou^
Commis de Monseigneur de Noyer, A Paris.
[Poussin 26^ juin 1644.
Il parle du Faune qui dort quil fera modeller le
faune qui dort qui est dit il une statue de la plus belle
manière qui se trouue entre le reste des oeuures
greques. Cest celuy dontjay le modelle de Tibault.]
De Rome Ce 26'^^ Juin 1644.
Monsieur
Jei repseu la vostre du 29™» May ensemble l'ordre
I. Mot écrit deux fois et rayé une.
X
278 CORRESPONDANCE [1644
que vous enuoyés à monsieur Thibaut. Je ne l'ay peu
rencontrer jusques auiourdhui que je crois le trouuer
sur la plase*, là où je luy présenterei. à celle fin quil
puisse toucher les dis escus pour le présent Mois, il
vous escript par le dernier ordinaire. Sur le fet des
modelles quil fet icy. Je lui procurerei la license de
modeller un faune qui dort statue en vérité de la plus
belle manière qui se trouue entre le reste des œuures
grecques Antiques et comme la * ditte figure est en un
lieu particulier chez messieurs les * Barberins * il pour-
roit estre quil y eust un peu de difficulté mais quand
le Cardinal scaura que c'est pour vous je crois que
l'on impétrera ce que l'on désire^, par le mesme ordi-
naire passé je vous fis scauoir se quil se passoit au-
tour de la coppie du tableau de S', Pietro in Monto-
rio. Je vous supplie de ne manquer pas d'en escrire
de manière que je me puisse desbrouiller de cette
affere là poliment. Car jei ici des Anemis à qui
mon repos desplaist et qui seroint bien aise de le
troubler.
Pour ce qui est des afferes de par delà, je ne seau-
rois que vous en dire sinon quil se faut conformer à
la volonté de dieu qui ordonne ainsi les choses, et la
nécessité veut quelle se passent ainsi. Nous auons eu
il y a désià quelque bon espase de temps la nouuelle
de la disgrâce de M^ de La Motte odancour. en Cata-
logne 3, vous vous pouués bien imaginer que Mes-
1. La place d'Espagne. Le beau-père de Poussin, Dughet, y
logeait, et Poussin en était peu éloigné. C'était le rendez-vous
des Français, et Poussin s'y promenait à peu près tous les
soirs (voir Bellori).
2. Le Faune Barberini.
3. Mazarin, indigné du « malheur de la Catalogne » (lettre
du II juin), va bientôt faire arrêter La Mothe-Houdancourt
1644] DE NICOLAS POUSSIN. 279
sieurs les Castiglians font grande dilligense pour
scauoir se qui se passée Nous scauons enquores par
Venise que Graueline estoit asiégée par nostre armée
surnommée la dorée^. Que plût à dieu quelle fust de
fer seuUement et quelle emportast heureusement la
victoire. Nous auons sceu ausi quil y a eu du bruit
entre le Mareschal Gassion et M^ de La Meilleraye*.
Mais en fin tout cela ne fet point pour nous.
L'on dit encore que les afferes de l'Empereur vont
bien mieus que par le passé"*. Si l'on pipe au mani-
(28 décembre 1644) et le laissera dans le château de Pierre-
Encise jusqu'en 1648. — Poussin s'intéressait d'autant plus à
ce maréchal qu'il était neveu de M. de Noyers et que certains
prétendaient (à tort) qu'il était victime de l'inimitié de Le Tel-
lier, le nouveau secrétaire à la Guerre (voir Chéruel, op. cit.,
t. I, p. v).
1. « Je pense qu'il y a des gens icy qui ont des esprits folets
qui leur aportent les nouvelles... » Gueffier à Brienne, 2 dé-
cembre 1647, fol. 541 du ms. Cinq-Cents Colbert 356.
2. « On y déploya un faste qui flattait le duc d'Orléans et
la noblesse. On annonça que le prince devait tenir table
ouverte pour tous les gentilshommes qui le suivraient; une de
ces tables était de soixante couverts, une autre de quarante,
et il y en avait beaucoup de moins considérables. On espérait
ainsi attirer à l'armée un grand nombre de volontaires » (Ché-
ruel, op. cit., 1. 1, p. 278). — Gravelines ne capitula que le 28 juil-
let 1644.
3. Mazarin en écrivait à Condé (alors duc d'Enghien) : « Vous
avez sceu la mauvoise intelligence qui avoit presque tousjours
régné, durant le cours du siège [de Gravelines], entre MM. les
mareschaux de la Meilleraye et de Gassion; mais elle a esclaté
tout-à-fait sur la reddition de la place... — Les susdits mares-
chaux s'estant rencontrés ensuite mirent l'espée à la main l'un
contre l'autre. Cela a esté accommodé; mais il est très-fas-
cheux que ce demeslé se soit passé presque à la veue des enne-
mys, et qu'il s'en ayt peu fallu que les troupes ne se soient
partagées pour se battre les unes contre les autres » (Chéruel,
op. cit., t. II, p. i5).
4. C'était exact. Ferdinand III voulait traiter et, sans l'obsti-
nation de l'Espagne, il eût pu le faire assez avantageusement,
après les défaites de Guébriant à Rothweil et de Rantzau à
Tutlingen, en 1643.
28o CORRESPONDANCE [1644
ment de nos afferes comme l'on fet au jeu de dés nos
aiFeres n'iront que bien.
Si je rencontre le Vitelleschi je luy diray un mot sur
ce que vous m'en escriués.
Je ferei voir à Monsieur le Cheuallier du Puis* ce
que vous m'escriués au lieu de response à sa lettre.
Car je scais qu'il aura fort à gré.
Je me résiouis de ce que le petit S*. Paul vous con-
tente plus d'une fois du reste ce que l'on en dira de
bon ne viendra que de vous qui scaués bien deffendre
sa cause. Je vous en baise les mains de tout mon
coeur, et demeure à l'acoustumée
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsaffectionné Seruiteur
Poussin
112. — Poussin a Ratabon (?).
(Félibien, éd. i685, t. IV, p. 292.)
26 juin 1644.
« Quelque temps auparavant il avoit sceu le retour
de M. de Noyers à la Cour. Et ensuite on le pressoit
fortement d'aller en France, pour finir seulement la
grande Gallerie, il fit réponse (par sa lettre du 26 juin
1644^), Qu'il ne désiroit y retourner qu'aux conditions
de son premier voyage, et non pour achever seule-
ment la Galerie, dont il pouvoit bien envoyer de
Rome les desseins et les modelies. Qu'il n'iroit ja-
1. Les mots du Puis en surligne. Dans la conversation Pous-
sin devait sans doute désigner Del Pozzo par son titre seul :
le Chevalier.
2. Il s'agit ici d'une autre lettre que la précédente, écrite à
Chantelou. Ce fragment est probablement adressé à Ratabon,
le nouvel intendant des bâtiments.
1644J ^^ NICOLAS POUSSIN. 28 1
mais à Parispoury avoir l'employ d'un simple parti-
culier quand on luy couvriroit d'or tous ses ouvrages
Aussi voyant bien que les choses n'estoient plus à la
cour au mesme estât qu'auparavant, il ne pensoit
qu'à travailler à Rome, et à demeurer en repos ».
113. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, f°^- '29-)
A Monsieur de Chantelou^ Paris.
[M. Poussin 7 aoust 1 644.
Touchans la Copie de 5' Piètre. Il se va remettre
au trauail de l'extremonction après sa santé reuenue.]
De Rome, Ce. 7"}^ Aust. 1644'.
Monsieur
L'incommodité que jei eue m'a empesché de vous
escrire plustost et de vous donner responces de vos
lettres. Les deus dernières m'ont feit mettre la main à
la plume bienque je ne sois pas du tout guary. Et
lésant les deux precedëtes (d'autans quil ni a rien qui
touche vostre seruice) de celles-ci sellement je veus
vous donner ces deux lignes de responce.
Je fus cbés Monsieur l'Ambassadeur luy faire voir
celle que vous auiés escritte touchant le tableau de
S* Pietro in Montorio. mais après l'auoir lue et veu
que vous prétendiés d'estre rembourcé des dépences
que vous aués fettes il demoura court, croyans que
les frés usent esté fets aux despens du Roy. Quand à
moy je crois que le coust luy en fera perdre le goust
I. Au ms. 12347, l'orthographe et la ponctuation de cette lettre
ont été surchargées (peut-être lors de la copie de l'Institut,
vers 1755). Nous donnons le texte de Poussin.
y'
}^
SSS CORRESPONDANCE [1644
Néanmoins quil ait pensé de le faire finir par un
peintre à bon marché qui tient chés luy. il n'a néan-
moins rien conclu. Car premièrement il le veut voirs
tendu chés luy et le considérer. Lundi prochain je luy
ferei porter, et l'ordinaire venant je vous escrirai ce
quil aura résolu de faire. Je monstras à ChapperQ ce
qui estoit escript pour ce qui touche son esbauche.
Mais je ne degnerois vous escrire sa réponse parce
que c'est un bœuf qui n'a ni entendement ni raison.
Je ne vous escrirei rien sur ce que peut dire An-
toine de la Corne de moy et de mes ouurages. Je
tiens ausi peu de conte de luy c5e de celuy quil le fet
parler.
Vostre tableau de lextremeonction a esté entrelaissé
quasi l'espace d'un mois pour l'incommodité que jei
eue. Mais jespère de continuer à y trauailler bientost.
Se qui me trauaille le plus maintenant est que ma
famé de huit jours en sa est encore fort incômodée
mais j'espère que le mal ne sera pas long.
Mardi prochain les Cardinaux entreront au Con-
claue pour l'élection du pape future dieu veille que
nous soyons mieus gouernés à l'aduenir que par le
passé.
Il n'i a icy rien de nouueau qui soit digne de vous
estre escrit. Cest pourquoy je finiray en vous baisant
trèshumblement les mains.
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsaflfectionné seruiteur
Poussin.
I, Urbain VIII, élu le 19 juillet 1623, était mort le 29 juillet
1644, après vingt et un ans de pontificat. Ouvert le 9 août, ce
conclave réunit cinquante-cinq cardinaux. Les chaleurs le ren-
dirent fatigant et dangereux; Innocent X ne sera élu que le
i5 septembre 1644.
1644] de nicolas poussin. 283
114. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fol- i3o.)
A Monsieur de Chantelou,
A la Rue S^ Thomas du Louvre, A Paris.
[M. Poussin II" Sep^^^ 1644
Panégirique de Chaperon.
Ilfinist la confirmation.]
A Rome ce unziesme Septembre. 1644.
Monsieur
Le longtemps que Monsieur l'Ambassadeur de
France a prins pour résoudre se qu'il debuoit faire
de la copie du tableau de S* Pierre in Montorioaesté
cause que jei tardé jusques à présent à vous faire
scauoir ce qui en est. enfin il n'a pas trouué se qui
cherchoit car il s'estoit imaginé quil estoit plus que
demi payé de l'argent du Roy et croyoit le faire finir
auec peu de chose, mais quand il a entendeu quil
faloit restituer cent et ottante escus et que pour le
faire finir l'on luy fesoit de grosses demandes, à la fin
il a quitté la prise. Le père Chaperon cependans n'a
pas manqué de dire quantité de menteries et a tasché
à faire demourer la ditte coppie en la maison de
M^ l'Ambassadeur mais à la fin l'on c'est mocqué de
luy comme d'un fripô qu'il est. et l'on me l'a rendu
sans aucune contradictiô il ne laisse pas toutefois de
dire qu'il veut estre payé de sa fatigue et ne veut pas
reprendre le tableau en rendans les frais demanière
que en le prenant de quel bies l'on voudra l'on le
trouue beste de tous costés comme un chapron quil
est id est beccho.
Vous m'aués escrit par le passé que vous désiriés
284 CORRESPONDANCE [1644
que je vous enuoyasse la susditte coppie telle quelle
est. Si je le pourrai faire sans mon dommage. Je vous
l'enuoyerei avec la copie de la vierge du petit Le
Maire par la première occasion qui se rencontrera
bonne.
Jei repseu par cet ordinaire une de vos lettres en
datte du i8'^« Aoust par laquelle je vois assés le soin
quil vous plaist prendre des interrest de vostre serui-
teur. Je vous supplie que cette bonne affection vous
dure autant comme la déuotion que jei de vous seruir.
Je veus bien que vous scachiés Testât où est vostre
tableau de la Confirmation. Si les chaleurs de l'esté ne
m'eusent pas incommodé de la façon quil m'ont fet il
seroit fini et peut estre dens vostre cabinet, mais il a
faleu bien souuent mettre les pinceaus à part, et me
semble auoir fet assés d'en estre sorti sans grande
maladie, (néanmoins que je ne sois pas encore bien
libre* de ma personne. Je l'ei reprins il y a quelque
temps et tous les jours y trauaille un peu de sorte
que je crois l'auoir fini à la fin de se mois. Quand il
sera en estât de vous le pouuoir enuoyer je ne man-
querei pas de le conseigner à un Courrier fidelle et
vous l'enuoyer.
Je vous ay par le passé enuoyé vos contes et
monstre par le meneu en quoy jei employé l'argent
que vous m'aués mandé pour paier les choses que
vous auiés ordonnés icy à Rome deuant que de vous
en partir Mais vous ne m'en aués point mandé de res-
ponce. Je vous supplie de les reuoir et de regarder ci
il sont justes. Car autrement je retournerei de nou-
ueal à en faire le calcul, il vous reste cent et cinquante
quatre escus voyés sil vous plaist ce que vous voulés
que jen face. Vous me ferés la faueur de me donner
1644] ^^ NICOLAS POUSSIN. 285
un mot de responce sur ce subiect. et vous m'oblige-
rés à demeurer comme je suis
Monsieur
Voslre trèshumble et trèsobéissant
Seruiteur
Poussin.
115. — Poussin a Ghantelou.
(Ms. 12347, ^°'- '^2-)
A Monsieur de Chantelou^ Paris.
[M. Poussin 2^ octobre 1644.
Il mande quil afiny l'extremonction quil l'enuerra
au premier ord\^.
Il parle de la transfiguration.]
De Rome ce 2<=™« octobre 1644.
Monsieur
-, Ausi tost que j'eus repseu vostre dernière du pre-
mier Septembre et que ji eus trouué celle que vous
escriués à Monsieur du Noiset je manquas point de
luy la présenter en main propre.
Le resentiment que vous monstres d'auoir eu de
mon Indisposition thémoignent assés la par que j'ei
en vos bonne grâces et de quelle façon il vous plaist
[de] chérir vostre seruiteur. Je vous assure (Monsieur)
que mon mal à l'estomac estoit le moindre que
j'eusses à lors, et le non pouuoir continuer l'oeuure
commencée pour vous m'affligeoit le plus, veu quil
y a desià longtemps que je vous la debuerois auoir
enuoyée. Vous ne debuiés pas craindre ni vous ima-
giner que dens une mauuaise disposition de ma santé
je misse la main à une chose où je n'employé que le
temps où je me trouue de bonne veine. Jei mieux
286 CORRESPONDANCE [1644
aimé entrelaisser ce qui estoit commencé, et vous
faire atendre dauantage. que de mettre en oeuure le
résultans d'un esprit languide. Mais ausitost que ma
santé a esté retournée je n'ay pas vouleu perdre le
temps Ains je l'ei employé en manière que je suis à la
fin demain je le vernirei pour le retoucher en quelques
endrois. Je vous le pourois enuoyer par le prochain
ordinaire. Mais je ne me fis à tous nos Courriers de
Lion. Je suis atendens la venue de Regar qui est per-
sonne assés confidente et celuy qui porta vostre s' Paul,
il vaut mieus atendre un peu dauantage et faire notre
affere plus assurément.
Sependans que je l'aurei es mains il pouroit estre
que Madame des Hameaux famé de Monsieur l'Am-
bassadeur de Venise^ ariueroit à temps en cette ville
pour le voir j'en serois trèsaise n'ayans chés moy rien
autre de fini que je luy pusse fere voir Je me puis
assurer d'auoir sa visite puisque elle et Mondit S^ l'Am-
bassadeur m'en ont escrit. Sa esté Monsieur du fraisne
qui m'a donné cette cognoissance là
la lettre que vous craigniez qui n'eust esté perdue
est ariuée à bon port. Je vous ay remercié trèsaffec-
tueusement du soin que vous aués de mes interest
Comme maintenant je vous rends une infinité grâces
pour le même subiec puis quil vous plaist me confir-
mer par celle si ceque vous me promettiés par celle
du passé. Si cette affere réussit heureusement Je ne
pourei dire autre qui se ne soit un don que je rep-
sois de vostre main.
Jei pensé qu'il n'estoit pas hors de propos de vous
I. Des Hameaux, ambassadeur ordinaire à Venise, du 3o no-
vembre 1642 au 5 mars 1645 (voir Baschet, Les archives de
Venise, p. 437).
1644] DE NICOLAS POUSSIN. 287
aduertir que la coppie de la transfiguratiô de S*. Pietro
In Montorio est en un estât tel quelle ne vous peust
seruir à chose du monde, et que vous aies fere une
nouuelle despense inutile. Le tableau auec la quaisse
la corde et la toille cire et caneuas pèsera plus de cent
liures ou peu moins et les marchâd veulent vint sous
pour liure poix de paris pour le port. Je n'ay ozé rien
faire sans premièrement vous en aduertir. J'atendrei
vostre responce — pour vostre coppie de vierge je vou
l'enuoyerei avec Fextremonxion. et demeurerei à ja-
mais
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsobéissant Seruiteur
Poussin
Ma famé vous baise
trèshumblement les mains.
Nous auons un Pape' de qui l'on espère beaucoup
de bien dieu le veille 2.
116. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fol. 134.)
A Monsieur de Chantelou^ à Paris.
[M. Poussin 3o^ octobre 1644.
Il menuoye le tableau de lextremontion et la cop-
pie de vierge du maire.
1. Innocent X (Jean-Baptiste Pamfili) (né en 1572, mort le
7 janvier i655); élu le i5 septembre 1644, malgré les avis anté-
rieurs d'Urbain VIII et l'hostilité de Mazarin, par l'appui des
Barberins, qui n'allaient pas tarder à regretter cette impré-
voyance. Poussin sera vite détrompé sur le fait de ce pape,
dévoué à la politique espagnole.
2. Phrase écrite verticalement et en marge.
288 CORRESPONDANCE [1644
// mande quau contraire des autres vieillissans^ il
se sent enflammé dun grand désir de bien faire.]
De Rome Ce Bo"?^ octobre 1644.
Monsieur
Je vous enuoye la coppie de la Vierge de farnèse
fette delà main de Mo^ Le Mère, et le tableau que je
vous ay fet. Demain à midi, je consignerai es mains
du courrier de Lyon, nommé Bertolin, qui est celui
qui porta vostre tableau de la Manne, sans atendre le
partement de Regart, dont je vous auois parlé par
mes dernières. J'ay espérance quil ariuera à bon
port et bien conditionné, d'autant que j'userei dilli-
gence à le faire bien encaisser et bien couurir. La
caisse sera scellée de mon cachet de la confiance^,
et l'adresse sera. A Monsieur de Chantelou à la rue
S* Thomas du Louure. Je payerei le port de vostre
argent jusques à Lion. Le courrier vous l'enuerra par
le messagier à Paris. Et parce que la caisse n'est pas
encore fête, je ne saurois vous dire ce quelle pè-
sera ; mais par le premier ordinaire vous serés aduerti
du tout. Je vous enuoyerei vostre conte fet plus exac-
tement que par le passé, à celle fin que vou sachiés
en quoy vostre argent a esté despencé que vous voyés ce
qui aduansera. Je vous supplie au mesme temps qu'il
vous plaira me respondre de m'enuoyer un mot de
y I. Poussin avait cinquante ans (né le i5 juin 1594, plutôt que
le i5 juin iSgS).
2. « Cet heureux voyage [à Paris, en 1641] ressemble à une
navigation incertaine; et cette pensée qui est sienne, il l'a
exprimée, arrivé à Paris, dans le sceau de sa bague, y faisant
graver la figure de la Confiance, avec les cheveux épars, et
X qui, des deux mains, tient un vaisseau, avec l'inscription Con-
fidentia N. P., Confiance de Nicolas Poussin, et tel le décrit
Cortari » (Bellori, Le Vite de' pittori, etc., trad. Rémond,
p. 36). — Des fragments de ce sceau de cire se trouvent après
un grand nombre de lettres du ms. 12347.
1644] DE NICOLAS POUSSIN. 289
quittance ou descharge car jei fet des repsues du dit
argent. Le payement dudit tableau est du tout remis à
vostre volonté, car Je scais bien que vous considérés le
temps et la fatigue que j'y ay mise, néanmoins que se
soit ce qui y est moins de considérable. Je vous sup-
plie deuant que l'on le voye de le faire orner d'une
corniche faite d'or matte et quelle aye ses membres
délicats. Quand vous aurés considéré le dit ouurage
vous me ferés l'honneur de m'en escrire vostre senti-
ment à la réale.
Je ne vous diray autre chose sur ce subiec, et fini-
ray la présente en espérance que vous me donnerés
subiect de continuer à vous faire les autres pièces avec
encore plus de soin et d'amour que je n'ay fet la pré-
sente; d'autans que comme je vieillis je me sens au
contraire des autres, enflammé d'un grand désir de
bien fere et particulièrement pour vous qui estes mon
idole.
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsobéissant Seruiteur
Poussin.
117. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fol. i36.)
A Monsieur de Chantelou, Paris.
[M. Poussin 6^ nouembre 1644.
Il enuoie le tableau de lextremonction.
Il y a oublié quelque chose à faire que les Italiens
apellent dit-il trascurragine.]
De Rome Ce ô"?* Nouembre, 1644.
Monsieur
Lundi passé dernier jour d'octobre je conseignas une
1911 19
290 CORRESPONDANCE [1644
quaisse au courrier de Lion nommé Bertolin dans
laquelle est rouslé le tableau de l'extrême oncsion que
je vous ay fet et ensemble la coppie d'une des Vierges
de Farnese coppiée de M^ le Maire le tout bien en-
quaissé couuert et lié de bonne corde, cachettée en
trois lieus de mon cachet ordinaire auec l'adresse
clouée dessus et escritte en parchemin. A Mo"" de
Chantelou Rue S^. Thomas du Louure à Paris. Le
port est payé jusques à Lion. Le susdit courrier la
doit conseigner au messagier de Lion à Paris. Je vous
en ay mandé lettre d'aduis par le mesme ordinaire,
sous le plac adressé à Monsieur Rémy. Vous ferés
fere dilligense de le retirer, et quand vous l'aurés
repseu vous scaués trop bien les caresses quil luy fau-
dra fere deuant que de le laisser voirs à personne.
Je n'en atends point de response jusques à tant que
vous Payés considéré. Si vous m'en mandé sans flatter
vostre sentiment vous m'obligerés beaucoup. Sil y a
quelque subtil qui reprenne une chose que jay oublié
à corriger, vous lui pourrés dire que le péché ne
vient pas d'ignorance mais de ce que les Italiens
apellent. Trascouragine^ Je ne m'en suis aperseu
que quant je lay destaché pour vous l'enuoyer. un
jour je vous diray ce que c'est et vous le ferés racom-
moder car il est trèsfacille.
Je vous enuoye le conte général de ce que jay des-
pensé pour vostre seruice. Vous voirés ce qui vous
reste qui sont à mon conte cent et cinquante sept
escus. Vous m'ordDnerez [ce qui vous plaira] le paye-
ment du susdit tableau en la façon quil vous plaira.
Je scais bien et ne doubte point que vous me don-
nerés courage de faire la suitte auec amour et plaisir.
I. Le mot, écrit en grosses lettres, est très lisible. Il signifie :
négligence, manque de soin.
1644] I>E NICOLAS POUSSIN. 29 1
Celuy que jay pensé de faire maintenant contient vint-
quatre figures, sans le fonds où il doibt auoir de l'ar-
chitecture mais je ni toucherei point jusques à tant
que jaye eu response de celuy que je vous ay enuoyé.
Je garde tousiours vostre coppie de S'. Pierre Monto-
rio, en atendans de vos nouuelles. Si se n'est point
chose qui vous soit moleste ditte moy quelque chose
de vos bust de marbres. Vous este trop reteneu auec
vostre seruiteur.
Monsieur Tibaut vous baise trèsaffectueusement les
mains, il vous apelle son bienfacteur. Je vous assure
quil est pour faire grande passade. Je vous prie de ne
perdre point la bonne affection que vous aués pour
lui et de vous en souuenir.
Je nay autre pour le présent à vous faire scauoir
sinon que je vous demeure à jamais
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsdeuot Seruiteur
Poussin
Je baise trèshumblement les mains à Mo^ deChante-
lou vostre frère.
118. — 2« COMPTE A ChANTELOU.
(Ms. 12347, fol- i38.)
double d'espagne 277 3/4, viennent à 833
[escus de] escus Jules .2. de cette Monoye
de Rome.
Despence fette.
à Monsieur le Maire pour la coppie du dieu ^ <a
^e pitié 42
pour la dorure des six chandeliers ... 72 5
I. Les colonnes sont tracées à la règle dans le manuscrit.
C'est d'une disposition très claire.
S i
3 o
2g2 CORRESPONDANCE [1644
[pour la doreure de la corniche]
pour le bois des six chandelliers .... 60
pour la coppie de Mignart 68
pour la coppie du Napolitain 54
pour la coppie du Vieus 12
pour la copie de Nocret 17
pour les desseins de Janange Canin . . 12
pour tout lemballage des six quaises de ta-
bleaux i5
pour le port des dittes quaises chés moy . 3
à Monsieur Tibaut 20
pour la façon des quaises des Chandelliers. 8 5
pour le papier et ficelle pour enueloper
lesdits châdeliers 4
pour le por d'un tableau de farnèse chés
moy I
pour la Manche aux doreurs et menuisiers. 6
pour deus memoriaus i
à Monsieur Tibaut 10
pour l'argent de la lame pour Lorete . . 17
pour la façon de la ditte lame .... 4
pour une vis de fer 2
pour l'escriture du papier pour tailler sur
la lame d'argent i 5
pour la grauure de l'escripture sur la lame
d'argent 6
pour la restoration de l'Hercule de Far-
nèse du Sculpteur Rondoni 8
pour le port d'un autre tableau .... i 5
papier pour rouler les tableaus .... 25
pour la quaisse des tableaux 46
pour la douane des six ^ quaisses ... 3
pour le port à Ripe grande 3
pour fere cachetter les dittes quaisses . . 4
1644] DE NICOLAS POUSSIN. 293
per il faquin Jouannino 12
pour le port du petit Sî Paul 45
pour la bulle ou permission de porter hors
de Rome les huit bust de marbre ... 3
pour un faquin 5
papier pour enueloper le portrés de cire . i 5
pour neuf quaises pour mettre les bustes . i5 3
au Vitellesque 5o
pour des facines 2
pour le port de quaisses à Ripe .... 6
pour le commissaire de Ripe 6
pour le faquin Jouannino pour toille corde
et emballage charger et décharger ... 18
pour la doane 12
pour le petit tableau de Sî Paul . . . . 5o
pour la coppie de la Vierge de monsieur
Le Maire 70
à Monsieur Tibaut pour Mars et April . 20
pour faire destacher la coppie de S* Pierre
Montorio de là où les moines l'auoint mis
et pour le déclouer et le porter chés moy
avec le châssis i
pour fere desclouer et reporter de chés
Mo!" l'ambassadeur chés moy le dit tableau. 3
pour la Cassette de lextremoction ... 4
pour le papier un Jul i
pour la toille cirée corde et emballage. . 6
pour le port de la ditte caisse jusques à
Lion 10
la ditte quaisse pèse vintecinq Hures de Rome.
Some 675 Jules. 5. baiochi .5.
tout 833
675
reste 157
294 correspondance [1644
119. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fol. iSg.)
A Monsieur de Chantelou^ à Paris.
[M. Poussin ig^ nouembre 1644.
Cette lettre est plaine d'amitié. Il dit que je
receuray lextremonction sans estre malade et des
mains du messager de Lion et non pas dun prebtre.]
A Rome Ce q^^ nouembre 1644.
Monsieur
Si ce n'eust esté l'impertinense de celuy qui me rend
ordinairement les lettres qui me viennent de Paris,
j'eusse fet il y a longtemps responce à vos deux der-
nières l'une du dernier septembre et l'autre du qua-
triesme octobre, mais m'aiant esté rendues trop tard,
jei différé jusques à maintenant à vous escrire.
Je suis tout joyeux de scauoir que vos bust sont
ariués bien conditionnés. Jei désià parlé à M'^Tibaut
des cheualles^ que vous voudriés qui modellast et luy
et moy nous aurions délibéré de quelque chose. Si se
n'eust esté quil est employé à faire deux figures stuc-
quées pour la cavalcate du Pape^ chose grandement
pressée et de peu de proffit. Ausi tost qu'il aura fet
nous trauaillerons pour vous.
Je vous remercie trèsaffectueusement du soin que
vous aués de mes interest que vous montrés estre
aussi grand comme des vostres propres.
Ne trouués point estrange si l'on vous a fet paier
tant pour le port de vos quaisses puis quil a faleu
1. Il semble que Poussin parle de chevalets, non de chevaux
(voir la lettre suivante).
2. Innocent X avait été couronné le 4 octobre 1644.
1644] ^^ NICOLAS POUSSIN. 29$
passer par la main des larrons et non de marchand.
Auec tout cela il les faut remercier bien humblement
de la paine quil ont prise et du seruice quil ont fet
c'est la mode qui court.
Si j'eusses eu le bonheur de vous reuoir encore une
fois en cette ville je n'aurois plus eu de regret de
mourir o dieu quelle joye jaurois eue de reuoir encore
une fois la personne que j'aime et honore sur tous les
hommes du monde. Monsieur de La Boissière' me
fet beaucoup du tort il faut quil veille mal à luy
mesme d'auoir refusé la compagnie d'un personnage
qui auroit esté sa consolation et son bonheur. Je
crois que son voyage n'en eust pas esté si long ni si
fâcheux quil sera. Car il debueroit estre maintenant
icy, si se n'est quil s'entretienne à Marceille pour auoir
l'occasion de passer sur les gallères qui viennent
pour porter en France Monsieur le Cardinal de Lion.
Si son retardement est pour cela j'en serei tout joyeux
car oultre qu'il passera assurément sans craindre les
corsaires de Final il aura bonne compagnie pour
jusques à Rome mesme de Monsieur Gueffier qui se
sert du mesme passage, dieu le veille amener en
bonne santé. Lorsque je scaurei quil sera arriué je ne
manquerei pas de luy aler offrir humblem^ mon ser-
uice.
Sans mentir je me console en quelque manière de ce
que vous recepuerés l'extrême oncsion sans estre
malade et deuant que jaye entendu les plaintes que
commensiés à fere de ne pas recepuoir se sacrement
I. M. de la Boissière était le fils de M. de Noyers. Il semble-
rait, d'après ce passage, avoir décliné l'invitation de M. de
Chantelou de l'accompagner à Rome, ce qui ne démentirait
guère l'épithète de « benêt » que lui décoche Tallemant des
Réaux (voir la lettre suivante).
2q6 correspondance [1644
au temps que je vous l'auois promis, vous le recepue-
rés non pas dun prebtre mais du messagier de Lion.
Comme par deux fois conséqutives je vous ay escript
vous aurés par le mesme moyen et tout ensemble la
coppie de la Vierge que vous désiriés que je vous
enuoyasse de manière quil vous semblera que j'ayes
eu réuélation de vostre désir, car tout a esté fet deuant
que d'auoir repseu vos dernières.
Puis que vous désirés une autre demie douzeine.
ou au moins quatre autres bust. je veus auant que de
passer par les mains de ce Masquignon de Vitelles-
chi chercher par tout Rome sans quil en sache rien
si je puis et puis au pis aler nous irons à son maga-
sin voir sil y aura moyen de tirer quelque chose hors
ses mains de Harpie.
Je tiens touiours roulée la coppie de la transfigura-
tion dont je vous ay escrit plusieurs fois et ne scais
quelle occasion prendre autre que celle des marchand
pour vous l'enuoyer. Je suis atendans vostre response
sur ce subiect.
Je vous ay enuoyé un conte de la despence fette de
vostre argent un peu plus exacte et plus à vostre
aduentage que celuy du passé. Vous prendrés la
painne de le repasser et en fere proeuue pour ce que
je désire vous rendre conte d'un obole comme il est
de mon debuoir et comâdés moy sans m'espargner
sependans que je vis car après moy il ni a personne
qui vous seruira de si bon cœur
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsobéissant Seruiteur
Poussin
Ma famé vous baise
trèsaffectueusement les
mains.
1644] I>E NICOLAS POUSSIN. 297
Mes trèshumbles baissemains
à Messieurs de Chantelou.
120. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fo'- H0-)
A Monsieur de Chantelou, A Paris.
[M. Poussin 25^ nouembre 1644.
Il parle de sa Maison et du tableau de l'extremonc-
tion.]
De Rome Ce 26«»« Nouembre. 1644.
Monsieur
Moyennant l'aide de dieu je crois que à cet heure vous
aurés repseu le tableau de l'extrêmontion auec la
coppie du Sî Le Maire que je vous enuoyas sous le
dernier octobre ainsi côe je vous en ay donné auis
par plusieurs fois, de sorte quil n'est plus besoin de
faire des veux pour le garder de mauuaises rencontres,
sil vous sera rendeu bien conditionné et que l'ouurage
vous satisface en quelque manière se me sera un con-
tentement des plus grand que je puisse recepuoir. Je
vous ay suplié de m'en escrire vostre sentiment à la
Reale sans flatterie car se seroit fere tort à vous, et à
moy, Je n'en atens pourtant point de nouuelies jusques
à tant que vous l'ayés veu auec son ornement et à
son jour.
Jei porté la lettre que vous escriués à, M^ du Noiset
ausitost que je l'ei eu repsue.
Je n'ay point entendeu aucune nouuelle de Mon-
sieur de la Boissière. J'atens la venue de Mf Gueffier
pour m'informer de luy sil ne la point ou veu ou
rencontré par les chemins.
I. Chantelou écrit le 25 au lieu du 26.
298 CORRESPONDANCE [1644
Nous trauaîllerons aux dessein de quelque gentil
cheualles pour poser vos bustes l'un de ses prochains
jours le Sieur Tibaut et moy. il s'est mieux porté
sans aucune comparaison es figures quil a fettes pour
l'arc triomphal de la Cavalcate du Pape que tous les
autres sculpteurs. Je vous assure quil réussira très
habille homme.
Je garderei l'esbauche de S* Pietro Montorio jusques
à tant quil se présente quelque occasion facille de
vous l'enuoyer. Car du reste il ni fault point penser
ainsi comme je crois.
V Que le sieur Sanson^ face ce quil poura, et que
Monsieur l'Ambassadeur escrit ce quil aura vouleu à
M^ le Conte de brionne'. Je ne luy ay jamais dit que
1, Cet important passage répond, terme pour terme, au bre-
vet expédié à Samson Lepage, le 8 novembre 1644, et dont Jal
cite le passage le plus important [Dict., p. 997) : « Le Roy bien mé-
moratif d'avoir cy devant accordé au s' Samson Lepage, mares-
chal des logis de son régiment des gardes suisses, par son bre-
vet du 20 mai 1642, confirmatif de celuy du 5 novembre i638,
la conciergerie du pavillon de la cloche, situé dans son grand
jardin des tuileries..., lequel pavillon a depuis esté occupé par
le s' Poussin, peintre, jusques à son retour à Rome, lequel
r s'en estant retourné sans avoir déclaré s'il avoit dessein de
revenir en France s'habituer aud. logement, S. M. avoit
ordonné au s' Lepage de retarder d'en prendre possession jus-
qu'à ce qu'elle eust esté informée de la volonté dud. Poussin,
et que pour cet efFect Elle auroit commandé d'en escrire au
s' marquis de S' Chamont, son Ambassadeur extraordinaire à
Rome, lequel par sa lettre en date du 26 septembre dernier,
auront mandé que « led. s' Poussin s'estoit expliqué qu'il ne
« pouvoit se résoudre de s'acheminer à Paris et que, quand il
« y viendroit jamais, de loger dans lad. maison en laquelle il
« a esté incommodé pour beaucoup de raisons, et mieux, qu'il
« l'avoit remise entre les mains du s' de Noyers, Intendant des
« Bastiments, il y a plus d'un an... » permet à Lepage d'en
prendre possession » (Arch. nat., E. 9299).
2. Poussin a écrit plutôt Brionne que Brienne. Il s'agit cepen-
dant de Henri- Auguste de Loménie, comte de Brienne, lôgS-
1666. Il resta aux affaires extérieures de i638 à i663, par la pro-
1644] Ï^E NICOLAS POUSSIN. 299
je ne voulois plus retourner en france. Mais au con-
traire, et pour ce qui est de la maison, je luy dit que
je l'auois remise à mon partement es mains de Mon-
seigneur de Noyers qui de sa grâce me l'auoit con-
seruée jusques à maintenant. Voilà surquoy il a
fondé ce quil a escrit. Le reste du peu de discours
quil me tint il n'est aucunement conuenable de vous
le redire; mais* il montre assés la malignité de son
coeur, et ne le peut cacher, du reste je n'ay point
d'armes assés fortes pour réparer les coups de la
méchanceté de l'enuie et de la rage de nos françois
sinon en soufifrans et en prenant patiense. il est vray
que mon bonheur ne despent nullement de là il est
mieux fondé. Je vous supplie pourtant d'auoîr un peu
de soin de cette affere car elle touche Monseigneur.
Monsieur le Cheuallier du Puis vous baise les mains.
Monsieur escusés si je vous escris sur ce papier mal
poly J'auois commencé la lettre et quasi fini quand je
m'en suis aperceu'
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsobéissant Seruiteur
Poussin
J'espère bien auec un peu de temps de trouuer
quelque bust. sans passer par les mains du Vitelles-
chi. mais il faudroit de l'argent tout prest.
tection d'Anne d'Autriche et malgré Mazarin. C'était un homme
désintéressé, qui traversa honnêtement la Fronde. — Dans le
catalogue de ses tableaux, écrit par lui, le 29 octobre 1662,
sous forme d'une épître latine, il cite un Moïse sauvé et un
Moïse foulant la couronne de Pharaon, tous deux de Poussin.
1. Mais surcharge parce que, rayé.
2. En effet, le verso du folio 140 du ms. 12347 porte les
traces de lignes légères, début d'un croquis à la plume, qui
figure une sorte de cintre surbaissé. Poussin avait commencé
à écrire la lettre sans s'assurer si le verso était blanc.
300 CORRESPONDANCE [1645
Je ne laisse pas de chercher sans faire bruit en aten-
dans de vos nouuelles.
121. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fol. 141.)
A Monsieur de Chantelou^ A Paris.
[M. Poussin dernier auril 1645.
Quil a trouué trois belles testes antiques.
Et quil ne pourra meuuojrer qu'un tableau.
Que sijauois changé de dessein il les gardera po\
luy.]
A Rome Ce dernier Auril 1645.
Monsieur
Vostre dernière m'a osté d'une peine trèsgrande où
je me trouuois. Car n'ayant point reseu de vos nou-
uelles en un long espase de temps je craignois que
vous ne fussiés retombé malade. Or maintenant que
je suis certain de vostre entière garison je m'en résiouis
comme ayant recouuert le plus grand trésor que l'on
ay en se monde. Je suis très joyeus de scauoir que
Monseigneur est en bonne santé'. Mais d'autre part
vous me fettes une mortification quand vous dittes
quil me veut remersier des assistances que jei donnés
à Mo^ de la boissière^ à son ariuée à Rome veu que
je ne l'ay de rien serui ains je crains plustost de l'auoir
1. M. de Noyers avait conservé, dans sa retraite, quelque
part d'autorité (voir le brevet du peintre Nocret, Arch. de l'Art
français, t. V. Documents, m, p. 2o3).
2. « Il (M. de Noyers) a laissé un pauvre benêt de fils » (Tal-
lemant des Réaux, Hist., t. II, p. i5), et en note : « Le fils de
M. de Noyers, appelé La Boissière, ne manque nullement d'es-
prit; c'est une espèce de visionnaire et d'avaricieux qui mène
une vie retirée, et qui ne s'occupe guère à rien. On a retiré
sur lui la terre de Dangu que son père avait achetée sans
prendre bien garde à sa sûreté. Il l'a perdue; il vit encore
en l'an 1672. »
1645] DE NICOLAS POUSSIN. 3oi
importuné, plust à dieu que je l'eusse peu fere mais
il a vouleu réseruer cet honneur là à quelcun qui
mérite plus que moy qui suis inutile, et qui n'ay que
la bonne volonté, qui véritablement ne se verra Jamais
diminuer à l'endroit de tous ceux qui appartienent à
MSseigneur.
Auiourdhui jei esté présenter A Monsieur du Noi-
set la lettre qu€ vous luy mandés la quelle il a repsue
courtoisement et après l'auoir lue il m'a assuré quil
auroit soin particulier de l'affere que vous lui recom-
mandés, de mon costé je serei dilligent soliciteur de
la mesme chose.
Jei esté chés le Signeur Arrigoni banquier à Rome
correspondant de Monsieur Lumague à Paris, pour
reuoir la lettre de change que vous m'enuoyaste der-
nièrement là où nous auons trouué que le payement
qui m'ont fait est bon et juste, et que la quittanse que
jei fette n'est que de quatre cents seize escus de dix
Jules de soixante baioques^ Voisiune descharge que
jei tirée de la propre main dudit Arigoni. où estoit
présent M^ Gierico bancquier françois et Monsieur
Tibaut. Je vous enuoye la ditie descharge enclose en
cette présente, de manière que vous pouués cognoistre
d'où vient que l'on vous veut fere rembourser cinq
cens escus — Mais de cela vous traictterés auec
M^ Lumagne.
Sur donc l'argent qui vous auance qui sont trois
cent et vint trois' escus je continuerei à payer dix
escus par mois au bon M.\ Tibaut et se quil sera
besoin de débourser pour le négose de l'aumosnier de
Monseigneur, le reste demeurera en lieu assuré en
1. L'écu romain, de 100 baïoques, valait 5 fr. 36.
2. trois au-dessus de quatre, rayé.
302 CORRESPONDANCE [164$
atendans que vous m'ordonniés ce que vous voulés
que j'en face.
Jei desia reconneu avec le soin et la dilligense trois
belles testes de marbre antique, des six ou quatre que
vous m'ordonnaste de vous trouuer pour acheuer la
douzeine dont vous en aués desià huit. Ainsi comme
vous m'ordonnastes par la vostre du dernier Sep-
tembre. Mais sil arriuoit pour quelque occasion à moy
incogneue que vous vous pentissiés de la pensée que
vous eûtes, ne vous mettes point en peine car je les
tiendray pour moy. toutefois je continuerei la re-
cherche des autres en atendans de vos nouuelles.
Je vous prie de * m'escuser * si pour cette Anée je
ne [vous] pourrei enuoyer autre que un de vos tableaux
des Sacrements, m'ayant esté impossible de mettre la
main à tous les deux que je vous auois promis
Monsieur Pointel est auiourdhuy ariué à Rome en
bonne santé dieu merci. Je ne sais pas sil fera banque
ou non mais si vous voulés quelque fois remettre de
l'argent en cette ville vous pourries vous seruir de
Ml Gierico qui est galant homme et bien reisonnable.
Monsieur Remy a par son moyen remis icy de l'ar-
gent à quatre et demi pour cent.
Nous ne vous auons pas enuoyé encore les Modelles
des piédestaus ou escabelles pour poser vos testes de
marbre mais nous vous les enuoirons bien tost.
M^ tibaut les pourra modeller ou aumoins nous vous
les ferons voir en dessein avec leur mesures. Jei
beaucoup de lettres à escrire pour cet ordinaire c'est
pourquoy je vous suplie de vous contenter de ces
deux lignes pour maintenant.
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsobligé Seruiteur
Le Poussin
1645] de nicolas poussin. 3o3
122. — Poussin a Chantelou l'aîné.
(Ms. 12347, fol. 209 1.)
A Monsieur de Chantelou l'aisné^ à Paris.
A Rome ce i5 may 1645.
Monsieur
La venue en cette ville de nostre loyal ami M"^ Poin-
tel. ne m'a pas apporté le seul contentement de sa
présense mais coniointement celuy que jei eu d'en-
tendre de vostre santé et de l'honneur que vous me
fettes en vous voulans bien souuenir de moy de qui
la seruitu que je vous ay vouée estoit demeurée in-
fructueuse jusques à cet heure quil vous plaist m'ho-
norer de vos commandemens. en désirans que je vous
serue d'un petit tableau sur bois de la grandeur du
Sî Paul de M"; votre frère, vous m'indiques le subiect
par la vostre du i8f^ Mars à laquelle ses présentes
lignes seruiront de response. Vous assurant quil ni a
personne au Monde pour qui je me porterei auec tant
d'affection comme pour vous en la facture de se petit
ouurage que j'espère fere seruir de thémoins de la
grandeur du désir que jei d'estre à jamais
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsaffectionné Seruiteur
Le Poussin
Je baise trèshumblement les
mains à Messieurs de Châtelou
I. Poussin écrit le chiffre 5 d'une façon qui le fait ressem-
bler à un 9. C'est pourquoi, quand on a relie' le ms. 12347 (^"^
i858), le relieur s'est trompé et a mis cette lettre en 1649. Le
copiste de 1755 n'avait pas fait cette erreur et avait bien daté
cette lettre de 1645, mais il écrit le 17 au lieu du i5, alors que
Poussin a tracé le 5 de i5 exactement comme le 5 de 1645.
^04 CORRESPONDANCE [1645
et Chambre* de qui je suis
trèshumble Seruiteur.
123. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fol- H^O
A Monsieur de Chantelou.
[M. Poussin 28 may 1645.
Il parle de la confirmation quelle est plus riche que
lextremonction.
Que Ion a jette toutes les formes que jauois fet
mettre au palais Bentiuoglio^.]
A Rome Ce 28"^" May. 1645.
Monsieur
Je suporte patiamment la mortification que vous me
donnés par vostre dernière du 27 Auril. Les reproches
que vous me fettes d'auoir manqué de vous finir pour
Pasques^ le tableau que je vous auois promis sont
trop petites Je mériterois plus aspre repréhension. La
promesse que je vous auois fette de vous finir deus
de vos Sacrement par an ne dériuoit que d'une vo-
lonté particulière que j'aurei tousiours de vous seruir
et si j'eusse esté assuré. (Comme je suis maintenant)
de la volonté que vous aués trèsferme de continuer
cette despense. Cest la vérité que je ne me fusse
engagé auec personne ainsi comme jei fet. Mais
(Monsieur) assurés vous que pour atendre vous ne
perderés rien. Permettes moy que je finisse ce que
jei commensé pour autruy. et je vous promés pour la
1. Roland Fréart de Chambray. Paul de Chantelou écrit
souvent le nom de son frère : Chambré.
2. Celui du fameux nonce Bentivoglio (1579-1644).
3. En 1645, Pâques fut le 16 avril.
1645] DE NICOLAS POUSSIN. 3o5
seconde fois que je ne m'employerei que pour vous à
qui je désire sur toutte chose de complaire. Je vous
enuoyerei dieu aidans une Confirmation deuant que
l'anée soit expirée laquelle est en bonne ordre et
esbauchée fort poliment, elle est plus riche de figures
de l'extrême onction, et crois dieu Aidans quelle la
poura bien acompagner.
Je suis très aise que vous approuuiés la recherche
des bust que jei fette d'autans que jen ay déia achepté
trois. J'espère que bientost j'en recouureray un qua-
triesme. qui sera le conte que vous désirés. 6t si vous
voulés monter à la demie douzeine je continuerei de
chercher. Vous m'en escrirés un mot [au] à la pre-
mière occasion.
Jei pensé que se sera une bonne occasion de vous
faire tenir les dittes testes quand monsieur Tibaut
sera de retour pour frâse car estant fort commode à
porter sur des mulets il sera facille de les fera porter
de Lion à Rouane. sans courir dangier de les gaster.
Un mulet du moins en portera deux, de manière que
les frais ne seront pas grands ayant la commodité de
l'eaue par tout le reste du chemina
Jei continué à donnera Monsieur Tibaut dix escus
le mois de l'argent que vous aués icy. ainsi comme
vous m'aués ordonnés. Jei parlé au bon Monsieur
Pointel tuchant la remise de l'argent que quelquefois
vous remettrés icy. il m'a prié de vous faire ses
humbles baise-mains, et m'a dit quil ne fesoit icy
aucun négose. Mais que vous vous pouriés seruir de
Monsieur Gierico le fils duquel demeure en cette
ville, il est honneste et se contente de peu de proffit.
I. Par la Loire et le canal de Briare (commencé en 1604,
il ne fut achevé qu'en 1642).
191 1 20
V
3o6 • CORRESPONDANCE [1645
Nous ne nous sommes point hastés de vous enuoyer
les desseins des piédestaus ou escabelles que nous
vous auions promis voulans au parauant voir les plus
beaus qui soint à rome lors que nous alons voirs les
vignes ^
Le Sieur Tibaut n'ayans seu auoir license de model-
1er commodém* l'Hercule de farnèse s'est résoleu de
se seruir de la forme que vous fîtes fere et en tirer un
ject que l'on conseruera^. Luy et moy nous nous
sommes d'autant plus tost résolus de fere cela comme
nous craignons quil n'ariuast de cette forme cQe des
autres^ qui touttes ont esté rompues et jettée avec les
videnges de la cour du palais mazarin.
Monsieur du Noiset vous mande l'incluse il m'a dit
que c'estoit ce que vous désirés de luy. il n'a vouieu
rien pour l'expédition et monstre d'estre fort vostre
affectionné.
Je n'ei pas encore veu M"; le Cheuallier du Puis
1. Ces « vignes » étaient les villas princières des environs de
Rome. Par exemple, Board écrit, le 28 juin 1648 : « La signora
Olympia (l'amie d'Innocent X) est à sa vigne qui se purge »
(Bibl. nat., ms. fonds Dupuy 348). — « Il (Poussin) évitoit
autant qu'il pouvoit les compagnies, et se déroboit à ses amis,
pour se retirer seul dans les Vignes et dans les lieux les plus
écartés de Rome, où il pouvoit avec liberté considérer quelques
statues antiques, quelques vues agréables, et observer les plus
beaux effets de la nature » (Félibien, Entretiens, p. 12).
2. Roland de Chambray, dans la préface du Traité de la
peinture de Léonard de Vinci, i65i, dit à son frère Paul de
Chantelou : « Vous continuastes à faire former plusieurs
figures et bas-reliefs, particulièrement la Flora et le Hercule
du Palais Farnèse, duquel il y a présentement un iect à Paris. »
3. « On dit que M. Chanteloup avait fait jeter cent belles
figures à Rome. Je serai bien marri si nous en sommes pri-
vés et des belles copies qu'il faisait faire » (Bourdelot à Cass.
del Pozzo, de Paris, 18 avril 1643).
1645] DE NICOLAS POUSSIN. Soj
mais au premier ordinaire je vous donnerei nouuelles
des Miroirs avec lesquels il reguarde les petis obiects.
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsobéissant Seruiteur
Le Poussin.
124. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fol. 145.)
[M. Poussin 18^ juin 1645.
Il tesmoigne vouloir reuenir enfrance
Il déclame contre linjustice de luy oster sa Maison
et se loue comme se cognoissant bien^.]
A Rome Ce i8'««>e Juin. 1645.
Monsieur
J'aurois matière de vous escrire beaucoup si Je vou-
lois respondre aux serimonies que vous fettes auec
moy. par la dernière dont il vous a pieu m'honnorer.
Je diray seullement que la lecture de vos lettres ne
me peut jamais apporter que de la consolation du bien
et de la joye. Ce m'est un foment qui me va augmen-
tant l'affectiO que jei de vous seruir. ne vous imagi-
nés donc point que je perde le temps à les lire ni
mesme à y respondre. Ce seroit moy mesme qui
debuerois estre le premier à vous fere mes excuses
enceque vous employant en des choses d'importanse
je vous en peus diuertir par mes inportunités. qui
sont si fréquentes. La confianse que jei en vostre
bonté sera cause que mesmement par cette présente
I. Il semble que Chantelou, qui n'avait d'abord écrit que se
loue, ait ajouté, d'une écriture plus tremblée (c'est-à-dire peut-
être beaucoup plus tard) : comme se cognoissant bien.
3o8 CORRESPONDANCE [1645
je viendrey vous importuner de nouueau et vous
prier de me prester vostre ayde en un négose que
vous scaués qui m'importe. Mo^) vous scaués que
mon absense a esté cause que quelques téméraires
se sont imaginés que puisque jusques à cet heure
je n'estois point retourné en france depuis que j'en
suis parti j'auois perdu l'enuie di jamais retourner.
Cette fausse Croyanse. sans aucun autre Raison
les a poussés, à chercher milles Inuentions pour
tacher à me rauir iniustement la Maison quil pleut
au feu Roy de trèsheureuse mémoire, me donner ma
vie durant. Vous scaués bien quil ont porté l'affere si
aduant que il ont obteneu de la Royne license de la
posséder et m'en mettre dehors. Vous scaués que pour
ce fere il ont composé de fauses lettres portantes que
j'auois dit que je ne retournerois jamais en France.-
affin que par ces fausetés la Roine leur accordas plus
facillement une chose du tout iniuste. Je suis au
désespoir de voir que une iniustice semblable ne
trouve point d'ostacle. Maintenant que j'auois enuie
de retourner jouir de la douceur de la patrie là où
finallement chacun désire mourir je me vois oster ce
qui m'inuitoit le plus à retourner de par delà, est il
possible quil ni aye personne qui veille deffendre mon
droit, qui se veille dresser contre l'insolense d'un
homme vil d'un laquais, est il possible quil ni aye
personne qui deffende mon parti. Les francois ont
il * si peu de sentiment pour leurs Nourrisons qui
honnorent par leur vertu leur pais et leur patrie?
veut on souffrir que un homme comme Sanson.
mette dehors de sa maison un vertueux cogneu de
toutte Leurope. du reste c'est l'interest du public.
C'est pourquoy Monsieur je vous supplie au moins
1645] DE NICOLAS POUSSIN. SoQ
sil ni a point d'autre remède de faire entendre aux
honneste gens le tort que l'on me fet. et vous soyés
mon protecteur en ce que vous pourés. Oultre tout
cesi je nei point esté payé de mes fatigues * . J'auois une
grande enuie de retourner cet autonne. (Ainsi comme
vous en cognoissés une partie des Occasions Jei deià
à cet effet accommodé une partie de * mes afferes et
si je suis secoureu à temps j'espère estre en France
pour la tousaint. que si l'iniustice a plus de lieu que
la Raison, se sera alors que j'aurai occasion de me
plaindre de l'ingratitude de mon pais, et seroi^ con-
trains de mourir loint de ma patrie comme un exilé
ou bani. Je ne vous importunerei point dauantage
sur se subiec. et n'en diray plus rien jusques à tant
que vous m'en ayés donné quelque mot de response.
Je suis touiours après la découuerte de quelques
belle testes de marbre antiques, mais finallement je
crois qu'il faudra que vous vous contentiés de ceque
l'on peut trouuer ne pouuant recouurer ceque l'on
désireroit.
Vostre tableau de la Confirmation demeurera ainsi
quil est en atendans la saison plus commode pour
trauaillier. Le commencemen de cet esté icy nous
espouuente. la chaleur estant venue tout à coup exes-
siue.
Nous auons en cette ville le bon Monsieur du
fresne^ de l'imprimerie qui se porte for bien. Hier au
soir en m'entretenant auec luy il me dit quelque
chose sur l'enuie que vous aués de reuoir une autre
1. Phrase écrite en marge.
2. Seroi surchargeant estre.
3. Trichet Dufresne était alors à Rome comme bibliothé-
caire de Christine de Suède (voir Ph. de Chennevières, Peintres
provinciaux, t. III, p. 142).
3 10 CORRESPONDANCE [1645
fois Rome, Je prie à dieu que cela soit deuant que je
meure à celle fin que je peusse encore un coup jouir
de vostre présense.
Du reste Monsieur je vous suplie que sil ariuoit le
cas que l'on peut tirer quelque argent de la maisO'
que vous scaués. par ceux qui la désire posséder de
n'empescher pas que cela n'aye effet et vous m'oblige-
rés à demourer à jamais.
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsobéissant Seruiteur
Le Poussin
Je baise trèshumblement les mains à M^ de Chan-
telou vostre frère de qui je suis Seruiteur trèsaffec-
tionné.
125. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fol. 146.)
A Monsieur de Chantelou.
[M. Poussin 3^ Juillet 1 645.
Il me félicite de V accès que jay auprès de M. le
Duc d'Anguin 2.]
A Rome Ce S'^^^ Juillet 1645.
Monsieur
il y a huit jours que je debuois respondre à la vostre
dernière du 24'n«. May Mais ne l'ayant pas repsue
àtemps jei remis la partie à cet ordinaire, il ni a point
1. Le mot maison a été surchargé du mot tholle, lapsus pro-
bable pour hôtel. Le copiste de l'Institut, et ensuite Quatre-
mère, p. 219, laissent le mot en blanc.
2. Cette charge de secrétaire paraît avoir été seulement
honorifique et temporaire. Le grand Condé marchait au secours
de Turenne, avec qui il allait remporter la victoire de Nord-
lingen, le 3 août 1645.
1645] DE NICOLAS POUSSIN. 3ll
de * doubte quil ne vous scauroit rien succéder de
bien que je ni prenne part comme celuy qui dépent
de vous et qui vous ayme et lionnore au dernier
degré C'est pourquoy je me suis resiouy à la nouuelle
quil vous a pieu me donner de l'accès que vous aués
auprès de la personne d'un prince du mérite de Mo"" le
duc d'Anguin ^ . La fragillité de la fortune des hommes
a tousiours besoin de puissants et gaillards estançons.
Néanmoins que l'on die quil ne se faut point lier aux
princes ni au fils des hommes là ou il ni a point de
salut. Néanmoins nous voyons bien souuent que
l'homme est un dieu à l'Homme. Je me resiouirei
dauantage de cette rencontre quand je scaurei quelle
sera à vostre côtentem'.
Auiourdhui je me suis informé à personnes fort
entendues en matière de gants d'odeurs de sauonnettes
et de tout ceque vous désirés que je vous enuoye. il
m'ont dit que si l'on atendoit jusques à l'autonne que
pour les gants ils seroint bien meillieurs que ceux que
l'on trouue maintenant qui sont fets de l'anée passée^.
Les autres choses que vous désirés se font en la
mesme saison. C'est pourquoy si vous pouués atendre
vous serés bien mieux serui. J'atendrei donc vostre
response sur se subiect.
Pour se qui est de l'argent que vous aués remis en
cette ville pour seruir à la despense de vos tableaux
de vos testes de marbre et à la pension que vous con-
tinués à M^ Tibaut est bien desià diminué. C'est
1. Sur le prestige qu'exerçait alors Condé, voir H. Char-
don, Les Fréart, p. 88.
2. Il y avait une saison pour les gants : « ... lesquels sont
assez misérables chez les marchands, si on ne prend soin de
les voir faire soi-même dans la saison qui est passée. » Board,
Corr., fonds Dupuy 348, 2 décembre 1647.
3l2 CORRESPONDANCE [1645
pourquoy il sera nécessaire d'en mander de l'autre si
vous voulés continuer vos dépenses. Je vous enuoye-
rei à la première commodité la despense que jei
fette jusques à présent. Je vous supplie de me m'es-
crire si vous voulés que je vous trouue une demie
douzeine de ses busts antiques ou si vous serés
cotent de quatre que sil est ainsi vous estes désià
serui. Autre chose que je ne vous peus faire scauoir
pour cet heure que le Courrier est prêst à partir, et
que le chaud de l'esté m'afflige puissamment et de
telle manière quil a faleu abandonner les pinceaux.
Si cependant je me pourrei conseruer la santé je l'es-
timerei à bonne fortune.
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsobéissant Seruiteur
Poussin.
126. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fo^' '47-)
A Monsieur de Chantelou^ Conseillier du Roy
et secrétaire de Monseigneur le Duc D'Anguin, Paris.
[M. Poussin 2g^ juillet 1645.
Touchant mes busts.]
De Rome Ce 29"»^ Juillet 1645.
Monsieur
Jei repseu en mesme temps deus de vos lettres l'une
en datte du 2'^'"« Juillet' que je crois la dernière
l'autre n'a point de datte, à l'ouuerture desquelles je
trouuas celle que vous adressiés à Monsieur du Noi-
set à ^ qui je ne la peus pas présenter mais je la lais-
1. Juillet en surcharge de Guin,
1645] DE NICOLAS POUSSIN. 3l3
sas à un de ses hommes de chambre qui luy donna à
son retour de la ville là où il estoit aie.
Je suis tout délibéré de fere enquaisser l'un de ses
jours les quatre testes de marbre que je vous ay
trouuées. quoy que il y aura de la difficulté à les fere
sortir de Rome à ceque un mien ami m'a dit. mais
néanmoins j'espère les tirer dehors. L'une est le por-
tret du dernier ptolomée frère de Cléopâtre ainsi
comme l'on le peut cognoistre par les médalles. une
teste la plus noble qui se voye. Je l'auois fette restorer
pour me la tenir dedens ma petite sale' et prendre
plaisir de la voir souuent. mais ayant trouué trop de
difficulté à en trouuer d'autres à honneste prix, je me
suis résoleu de me priuer du plaisir de la posséder,
[pour] préférant vostre contentement au mien propre.
La seconde est une belle grande teste de famé de
bonne et grande manière qui regarde vers le ciel. Je
l'ei eue par fortune en un lieu là où elle n'estoit pas
cogneuee, elle a esté premierem» à Chérubin Albert ^
fameus peintre, puis à ces héritiers scauoir à un
Médecin que je cognois famillièrem' il y a long-
temps. Vous y verres quatre petis trous desus et des-
sous chacune oreille deus de chaque costé là où
1. Poussin possédait une petite collection d'antiques, si nous
en jugeons par le mémoire de ce qui en restait à vendre en 1678
(Bibl. nat., ms. fonds Moreau 349, fol. 247, et Arch. de l'Art
français, t. VI, p. ibi) :
Treize bustes de marbres [Numa, Lucius Verus, Cléopâtre,
Ptolémée, son frère Auguste, Caligula, Faustine l'Ancienne,
Drusilla, Britannicus et Néron jeune, Antinous, Mercure, un
Faune), trois statues de marbre [Flore, Cupidon, Hercule),
trois statuettes [Vénus, Bacchus, Lucius Verus), un buste de
Galba (en bronze) et trois vases d'albâtre; sans parler de la
Fortune de Jean de Bologne (en bronze).
2. Chérubin - Zaccharie - Mathieu Alberti, célèbre surtout
comme graveur sur cuivre. Il était mort en cette même année
1645.
3 14 CORRESPONDANCE [1645
autrefois pendoint quelques ornemens. Je ne scaurois
bonnement juger si c'est un portret ou une teste fette
à plaisir, tan y a que l'on l'apelloit chés les albert la
Lucrèce. Elle a sa drapperie jusques aux mammelles.
La tierse est un portret sans doubte de Julia Augusta.
grande du naturel auec son bust jusques aux mamelles.
La quatriesme semble un drusus c'est un jeune homme
sans barbe d'un aspect assés fier qui auec les autres
tiendra bien sa place.
Les quatre viennet à couster cent et soisante escus.
Le Roy cinquante escus. La lucrèse cinquante et les
deux autres trente escus l'une de manière que rabatu
septante escus pour les sep mois de M"; Tibaut de
trois cents et vintetrois qui vous restoint. après
m'estre fini de paier de Lextreme oncion. il vous reste
maintenant nonante trois escus surquoy il faut fere
la despence de l'enquaissement de vos bust et autre
despenses, il faut vous achepter les gants les essences
sauonnettes et pommades que vous désirés lesquelles
choses ne vous seront point enuoyer plustost que d'icy
à trois sepmaines ou un mois car après m'estre con-
seillé à ceus qui s'en entendent chascun m'a assuré que
je ne trouuerois rien de bon si je n'atendois jusques
au dit temps parceque maintenât touttes ses marchan-
dises là sont vieilles et rances Mais il y a desià
quelque temp que l'on trauaille aux nouuelles les-
quelles je vous enuoyerei de la manière que vous les
désirés et l'argent qui manquera je l'aduancerei du
mien jusque à tant que vous ayés fet la remise nou-
uelle que vous m'aués indiquée.
pour ce qui est de vostre tableau jei réserué l'au-
tomne prochain pour le finir et vous l'enuoyer. Si
nous viuons jusques dens im an en bonne santé je
vous en finirei deux. Mais pour cette anée vous vous
1645] DE NICOLAS POUSSIN. 3l5
contenterés de la Confirmation que jei commensée.
Je croyois me débarrasser d'une partie de mes fa-
cendes*. mais la chaleur nous afflige si fort que l'on
ne sauroit rien fere. Un chacun est tombé en tant de
langeur que c'est une chose estrange ausi tout Rome
est rempli de malades et se meurent grande quanté de
personne dieu nous veille continuer la santé affin que
nous soyons tousiours en estât de vous seruir.
Monsieur Tibaut a besoin de vostre aide il vous
baise bienhumblement les mains. Je fet responce à
Monseigneur sur la lette de laquelle il m'a fauorisé —
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsobéissant Seruiteur
Le Poussin
Je vous suplie Monsieur d'acheuer la susescritte de
la lettre de monseigneur et vous m'obligerés extrê-
mement.
127. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fol. 148.)
A Monsieur de Chantelou^ Paris.
[M. Poussin 20^ aoust 1645.
Il parle de la difficulté dauoir congé de tirer mes
4 bustes de Rome.
Que la confirmation est un tableau qui luy couste
six mois de temps, quil nen fait quune teste en un
jour.
Il parle du petit tableau de S^ Jean de mon frère.]
A Rome Ce 2o*^">^ Aust. 1645.
Monsieur
Vostre dernière en datte du 23'^™« juillet est arriuée
I. Facondes ou facendes : les choses qui doivent être faites,
comme dans agenda, légende, etc.
3l6 CORRESPONDANCE [1645
fort à propos pour ce qui concerne la despense que
vous m'auiés ordonné que je fisse alentour de cer-
tains gants et autres choses car j'estois sur le point de
les achetter et vous les enuoyer ce que je retarderei
suiuant l'ordre que vous m'en donnés
Pour ce qui est des bust de marbre je vous en ay
achetté quatre et crois y auoir bien employé vostre
argent^ il faut maintenant estudier aux moyens de les
tirer hors de Rome et vous les enuoyer. Les choses
de Rome se sont bien changées dessous ce Papat icy.
et nous n'auons point de faueur en Court^. J'apréhens
pour cela que je n'aye de la peine pour impétrer la
license de transporter les testes susdittes car aucuns
m'ont assuré que le Cardinal Pamphile depuis un
mois en sa, a ordonné que aucune chose antique ne
fust transportée hors de Rome. La raison est que il
voudroit que ce qui est à vendre seruist d'ornement
à la ville qui fet fere' sans le payer — ou bien l'auoir
pour bien peu de chose. Nonobstant j'essayerei par
tous les moyens du monde d'auoir cette difficille
license'' Je vous en manderei des nouuelles quand
j'en aurei fet les tentatifs
1. A cet endroit de sa lettre, Poussin a fait un astérisque et
il a écrit en marge : ils coustent cent et soixàte escus.
2. Alors qu'Urbain VIII (1623-1644) avait été favorable à la
•^ France, Innocent X (1644-1655) soutenait les Espagnols. Guet-
fier, notre chargé d'affaires, au milieu de difficultés sans cesse
renaissantes, pouvait écrire qu'il était « comme marchant sur
des espines » {Corr., Cinq-Cents Colbert 356, fol. 175).
3. La villa Pamphili, bâtie par l'Algarde, à un kilomètre de
V, la ville, non loin de la promenade du Poussin; les jardins sont
les plus grands et les plus beaux dans le voisinage de Rome.
4. Louis Fouquet écrit à son frère, le surintendant : « Il est
absolument impossible que l'on achète ici quelque chose de la
nature de celles qui ne sortent qu'avec licence, comme marbre
et une infinité d'autres, sans qu'une partie de Rome ne le sache.
1645] DE NICOLAS POUSSIN. 3l7
La grande et fascheuse chaleur de l'Esté a mis mes
aflferes assés en derrière n'ayans quasi peu rien faire
depuis le commëcem^ de Juin jusques à maintenant
que nous sommes estoufés. La grande quantité de
maladies et la mortalité qui cour a fet que je nei
pensé à autre chose que me conseruer la santé C'est
pourquoy si je peux finir vostre tableau de la Con-
firmatiO et vous l'enuoyer pour la fin de l'anée je
croirei auoir fet beaucop. il contient vintquatre
figures casi touttes entière sans l'architecture de der-
rière, de manière quil ne faut pas moins de cinq ou
six mois pour le bien finir et puis (Monsieur) si vous
le considérés se ne sont pas des choses que l'on puise
faire en siflans comme vos peintres de paris qui en se
jouant font des tableaux en vintequatre heure, il me
semble que je fets beucoup quand je fes une teste en
un jour pourueu quelle face son effet C'est pourquoy
je vous supplie de mettre l'impatiense françoise à
part car si j'auois autant de haste comme ceux qui me
pressent je ne ferois rien de bien. Ne me proposés
point pour d'autre que pour vous de nouueaus
ouurages car se seroit aux despens que je reserue
pour vous seruir. Monsieur de Chantelou vostre frère
m'a escrit par deux fois quil désireroit bien que je
luy fisse un petit batesme de S', Jan de la grandeur
de vostre S^. Paul. Je confesse que je ne peux luy rien
refuser Mais comme jei juré de jamais ne rien fere de
Il en faut parler au Pape, mesme des moindres; il faut avoir la
déposition du commissaires des visites pour les antiques; il faut
soliciter la permission de Sa Sainteté; il faut obtenir le congé
du cardinal camerlingue ou vice-camerlingue; il faut une
patente de la chambre apostoliques; il faut des visites de
douanes, des compositions avec la douane, d'autres menus
droits de poste, des traités et des embarquements avec les
capitaines » (cité par Bonnaffé, Le surintendant Fouquet, p. 38).
3l8 ' CORRESPONDANCE [1645
si petit (m'ayant ce petit ouurage offensé notablement
la vue)* et m'estant impossible de le seruir si promp-
tement qu'il voudroit je vous supplie de seruir de
médiateur et de faire que l'on trouue tempérament à
ses deus difficultés
Si se n'estoit que Je me trouue engagé en des choses
quil y a longtemps que jei entreprinse. Je m'aplique-
rois soullement alentour de vos Sacremens. Ce que
jei bien enuie de faire aussitôt quand je serés dépes-
ché de mes embarras. Je crois vous en fere deux l'anée
qui vien. Car je suis trèsbien résolu de ne m'engager
plus auec personne que auec vous à qui je serei toutte
ma vie
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsobéissant Seruiieur
Le Poussin
Il ni a rien icy pour M|;
de Lisle^ assurés vous en.
Monsieur Tibaut vous baise trèshumblement les
mains.
Il n'auanse icy de vostre argent
que nouante trois escus.
128. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fo^- H9-)
A Monsieur de Chantelou^ à Paris.
[M. Poussin i5^ octobre 1645.
1. Poussin a biffé la parenthèse, que nous conservons pour
la clarté du texte.
2. Le sieur de l'Isle, agent diplomatique à Gênes et en Alle-
magne. Peut-être le même que M. de Lisle Sourdière, cité
dans la lettre du 22 juin 1648 et dont Félibien nous apprend,
Entretiens, p. 18, qu'il posséda, après M. Gillier, le Moïse qui
frappe le rocher.
1645] DE NICOLAS POUSSIN. BlQ
Mande que pour faire sortir mes bustes II tentera
touttes voies mesmes les illicites
quil seruira mon frère mais à m.es despens.]
A Rome Ce quinziesme octobre. 1645.
Monsieur
il n'est pas besoin de remplir cette demie fuille de
papier de friuoles et parolles ou conceptions inutiles,
puis que elle ne suffira que pour contenir les choses
quil est nécessaire que vous sachiés et premièrement
je veus bien vous aduertir que ses jours passés j'auois
quelque espéranse d'obtenir la license de pouuoir
faire sortir vos quatre testes de marbres hors de
Rome et vous les enuoyer à la première commodité
à Lion. Mais sur ses entrefettes le Cardinal Antoine *
Camerlingo aiant esté contraint de s'absenter secrè-
tement de Testât eclésiastique. Incontinent que l'af-
faire a esté descouuerte le pappe a pourueu à tous les
offices de la Chambre, en leuant dehors ceux qui y
estoint sous le dit Cardinal et y mettant ceux qui luy
a pieu particulièrement le Cardinal Sforze^a esté fet
Vicecamerlingo. Ce qui sera cause que désormais je
crains fort de trouuer de nouuelles difficultés pour
obtenir la susditte license. et à cause de cette nou-
ueauté n'ayant aucune cognoissance de ceux qui sont
entrés èsdits offices il faudra du temps pour des-
couurir les moyens quil faudra tenir pour impétrer
ce que je demande, pourueu quil ni aye de nouuelles
difficultés. Vous ne croiriés jamais de quelle sorte de
gens nous sommes gouuernés. Mais en fin je tenterei
1. Antonio Barberini, cardinal camerlingue, s'enfuit de Rome
pour Gênes dans la nuit du 3o septembre 1645. Il se rendit à
Monaco, puis à Turin et enfin en France.
2. Le cardinal Frédéric Sforza, Romain, de la grande famille
de ce nom; promu au cardinalat par Innocent X; homme de
grand mérite, mais de la faction espagnole.
320 CORRESPONDANCE [1645
touttes les vois possibles Jusques aux illicites encores
quâd se debueroit estre à mon propre dommage. Car
de parler au Pape de semblable choses se seroit
chercher sa disgrâce.
Monsieur Tibaut auoit eu quelque pensée de par-
tir cet* autonne ainsi que je vous auois escrit, Mai il
a estimé le melieur de passer encore icy cet luer et le
printemps qui vient se partir d'icy. L'argent que vous
luy ordonniés pour son voyage lui seruira pour pas-
ser l'iuer en fesant encore quelque estude nouuelle.
il vous escrira touchant serteine choses que je ne vous
peux escrire en si petit espace.
Je trauaille journellement à vostre tableau de la
Confirmation lequel ne pourra vous estre enuoyé
que à la fin de décembre. Le trauail est trèsgrand et
la manière de laquelle je le finis ne se scauroit fere
tost oultre le grand trauail quil y a.
L'anée prochaine si jei la santé j'en ferei dauantage
car je ne me veus engager désormais à nulle autre
chose que à vous seruir. S'estoit pourquoy si j'eusse
peu remettre le seruise que monsieur vostre frère
désire de moy à un autre temps, tant rhoins j'aurois
esté diuerti. Mais comme je ne peux le refuser estant
une personne que j'Honnore extrêmement. Vous per-
mettrés que je vous dérobe le temps qu'il faudra pour
le seruir ou bien vous suporterés le mal de la patience
d'autans plus que vous ne fériés Si vous nous acordés
l'une de ses deux choses je pourroi satisfere en
quelque manière à l'un et à l'autre
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsdouot Seruiteur
Poussin
I. cet surchargeant ces.
1645] de nicolas poussin. 321
129. — Poussin a Chantelou l'aîné.
(Ms. 12347, fol* i5o.)
A Monsieur de Chantelou Leisné^ A Paris*.
A Rome Ce i5™^ octobre .1645.
A la demande que vous m'aués fette du petit tableau
du babtesme de S* Jan deux difficultés (.Ainsi comme
vous scaués) se sont rencontrées en un mesme temps.
Scauoir la petitesse et le temps. Auquelles vous aués
trouué le remède. M'ayant remis* la grandeur à ma
volonté. Mais j'auois oublié à vous dire, que le temp
qui me restera désormais l'ayant totallement dédié au
seruise de monsieur vostre fraire. Je ne le peux em-
ployer pour autruy sans luy faire tort. Je vous sup-
plie donc de traicté de cette difficulté-là auec luy. et
sil veut vous acorder vostre demande? Vous voirés
bien que ce que je pourray contribuer du mien pour
vous seruir ne vous sera pas espargné. puisque j'es-
time un grand bon heur d'auoir quelque occasion de
vou témoigner que je serei toutte ma vie
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsaffectionné Seruiteur
Le Poussin
130. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12847, fol' i5'-)
A Monsieur de Chantelou^ A Paris.
[M. Poussin 12^ nouembre 1645.
1. Lettre bien écrite, en écriture plus grosse.
2. En marge : remis.
1911 21
322 CORRESPONDANCE [1645
// parle des bustes^ du Crusifix pour M. de Tou
quil trauaille à la confirmation.]
De Rome Ce i2™« Nouembre .1645.
Monsieur
Je n'ei encore peu rien faire touchans la license de
tirer hors de Rome les quatre teste de marbre que je
vous ay achettées. L'absense du Cardinal Atoine a
fet changé tous les offices de la Chambre, mais l'on
n'a pourueu encore personne de celuy de Commissere
sans la patente duquel nous ne pouuons rien faire.
C'est pourquoy il faut patienter, il ni a aucun autre
remède. Monsieur Tibaut passera encore icyl'Hyuer
puisque vous lui en donnés la commodité de sorte
que j'espère entre ci et le temps quil partira pouuoir
par quelque moyen impétrer la license nécessaire
pour le transport des testes sus dittes. Et tascherei de
faire en sorte que passant à Lion il [les] puisse vous
les conduire à paris. Mais si le malheur vouloit quil
falust atendre dauantage que la partanse dudit Tibaut
trouuans la commodité je vous les enuoyerois par le
destroit.
Vostre tableau de la Confirmation est en bon terme.
Je n'atens à nulle autre chose que à le bien finir. Se
qui sera sil plait à dieu à la my décembre, ne vous
estonnés point (Mr) du longtemps que je mes pour
finir un tableau seul car il contien vintedeus figures
sans les choses accessoires qui sont au fons. Toutte
fois j'espère à l'aduenir auoir commodité de vous
seruir plus promptement que par le passé. Et si ce
n'estoit que jei commencé une mort de Crist^ pour
Monsieur de Tou je vous assure quil ni a personne
I. Cette Crucifixion fut achetée plus tard par Jacques Stella.
1645] DE NICOLAS POUSSIN. 32^
qui me peust faire donner un coup de Pinseau pou
autre que pour vous. Sur cette promesse que je vous
faits, en atendans le reste vous me ferés la grâce de
vous contenter de celuy cy que Je finis pour cette
anée^
Incontinent qu'il sera en estât de vous l'enuoyer je
vous le ferei tenir par le Courrier de Lion et l'en-
quaisserei si bien quil ne courra aucun pril de se
gaster
J'atens vostre response Monsieur
Vostre trèshumble Seruiteur
Le Poussin.
131. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fol- »52.)
A Monsieur de Chantelou, A Paris.
[10 décembre 1645.
Il me mande que le tableau de la confirmation est
fini et quil atend de mes nouuelles pour me lenuoyer^
quil na pu encore auoir licence po^, les 4 busts.]
de Rome Ce io™« décembre 1645.
Monsieur
Jei différé de vous escrire pendans que vous auiés
encores la larme à l'oeil mais l'espasse de deus mois
vous ayant donné le loisir de penser quil ne faut
point [penser] pleurer les bienheureus. Je m'imagine
que vous serés retourné en vous mesme, et que vostre
esprit affligé du trespas de nostre bon Seigneur 2. aura
1. La suite de la lettre est écrite en marge.
2. « Il mourut en son chasteau de Dangu vn Vendredy
20. d'Octobre à une heure après midy, l'année 1645, en la 56*
de son âge, ... » (R. de Chambray, dédicace du Parallèle de
324 CORRESPONDANCE [1645
repris sa solidité ordinaire. Sur cette croyanse je
vous escris ses deus lignes tant pour vous faire sou-
uenir de vos affaires de par desà comme pour vos faire
scauoir Testât où elles sont. En premier lieu vostre
tableau de la CôfirmatiO est fini de tout point. Il est
réussi for riche en figures et des autres parties il ne
doibt rien à l'extrême onction. Je ne m'efforserei point
dauantage à vous le dépeindre car s'est une chose quil
faut voirs. Si j'eusse repseu la réponse des dernières
que je vous ay escrittes je vous l'aurois enuoyé,
deuant que l'Anée eust esté finie. Je m'assure que
vostre absense de paris et le destourbier qui vous est
surueneu vous en auront empesché mais ausi tost que
je scaurei que vous estes en volonté de le recepuoir je
vous l'enuoyerei et commenserei les autres si vous le
trouués agréable
Vos bust sont encores chés Moy. N'ayant seu trou-
uer encores le moyen d'auoir la license de les porter
hors de Rome, il est vray que un grand Rume dont
je suis encore IncQmodé m'a empesché de solisiter
l'affaire, mais assurés vous que je vas maintenant fere
mon possible. Car jy veus employer si peu d'amis
l'Architecture antique avec la Moderne, i65o). Poussin dut
regretter cette « mort intempestive et précipitée, qui vint
esteindre ce flambeau de la Vertu » (Ibid., op. cit.). — « Le
14 novembre 1645, fut fait au Noviciat des Jésuites le service
solennel du sieur De Noyers secrétaire d'État, âgé seulement de
56 ans et 5 mois, et non de 61, comme il était porté par le
mémoire qu'on avait donné. Auquel service officia l'Evêque de
Chartres en présence de tous les parents du défunt. Son corps
y avait été aporté dès le samedi précédent et ayant été reçu
par tous les Religieux dudit Noviciat tenants chacun un cierge
blanc, qui l'accompagnèrent jusques au milieu de la Nef de
l'Église, il y fut posé sous un dais de velours noir chargé de
ses armoiries et mis ensuite dans la cave qui est sous le chœur
de cette Église » [Galette de 1645, p. 1096).
1645] DE NICOLAS POUSSIN. 32$
que jei icy. Et vous ne scauriés croire le regret que
jei de ne pouuoir vous satisfere plus tost. Tout le
mal que jy trouue c'est que nous auons afere à des
tirans et nos anemis^. Cela pourtans ne m'oste pas
l'espéranse de vous les enuoyer — ou tost ou tard.
Jey continué à donner à monsieur Tibaut les dix
escus par mois que vous luy aués ordonnés, de ma-
nière quil n'auanse de tout vostre argent que cin-
quante trois escus, qu'il faut que je réserue pour le
reste des despenses qui faudra faire, à la fin je vous
rendrei fidellement conte de tout car je ne cherche
que vostre contentement et satisfaction
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsobéissant Seruiteur
Le Poussin
Monsieur Pointel vous
baise très humblement
les mains et à messieurs
vos frères
comme je fets de tout mon coeur
132. — Poussin a Chantelou l'aîné.
(Ms. 12347, fol- «54.)
A Monsieur De Chantelou L'aisné, à Paris.
De Rome Ce 20"« januier .1646.
Monsieur
Néanmoins que Monsieur de Chantelou vostre
Puiné ne m'aye rien respondu sur ce que je luy auois
escrit touchant le temps quil faloit que je dérobasse
sur celuy que je m'estois proposé d'employer à la façon
I. Confirmé par Board, Corr.^ fonds Dupuy, 22 juin 1648).
326 CORRESPONDANCE [1646
de ses set Sacremens, s'est assés puis que vous m'as-
sures quil en est content, et sil eust refusé à vous et
à moy se qui estoit juste, nous lussions prins de puis-
sance absolue, pour mon particulier je vous assure
Monsieur que je suis trèsdésireus de vous seruir que
si j'auois ausibien le pouuoir de le bien fere vous vous
pourries assurer d'auoir deuant quil soit un an le plus
bel ouurage qui se soit jamais fet. Jy employerei
toutte mon Industrie et tel quil sera je m'assure bien
que vous le recepuerés de trèsbon oeil. Je scais assés
là où s'étend la bénignité de vostre naturel et l'estime
que vous fettes des hommes de bonne volonté. Je ne
manquerei pas de vous faire scauoir quand j'aurei
commensé à vous seruir. Le tableau de la Confirma-
tion que jei fini pour Monsieur vostre fraire. seroitil
y a longtemps chésvous si j'auois repceu de ses nou-
uelles. Mais ne sachant ce quil en estoit ni là où il
estoit ^ je l'ei teneu jusques à maintenant, et ne l'en-
uoyerei point que je ne sache quil soit à paris. Je
vous souhette toutte sorte de foelicité et demeure à
jamais
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsobéissant Seruiteur.
Le Poussin.
Je baise trèshumblement les mains à M;; de
Chambrey.
Monsieur Pointel vous baise trèshumblement les
mains.
133. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fo'- '55.)
A Monsieur De ChUtelou le Jeune, à Paris.
[M. le Poussin 2i^januier 1646.
I . Paul de Chantelou résidait souvent au Mans, sa ville natale.
1646] DE NICOLAS POUSSIN. 327
// escript sur la mort de M. de Noyers^
sur les difficultés de tirer les 4 bustes de Rome.]
A Rome Ce 2i«»« Januier 1646.
Monsieur
Le long espasse de temps qui s'est passé sans que
j'aye repseu de vos nouuelles me mis plusieurs fois
en paine et m'a fet doubler de vostre santé ou de
quelque autre accident. Enfin le doubte là où j'estois
a esté deslié par les nouuelles du trespas de nostre
unique et Cher maistre. triste subiec sur lequel je ne
veus pas vous entretenir. Car se seroit renouueller
vos douleurs. Mais d'un autre costé il ne faut point
que vous croyés que se soit un malheur quil vous
soit ariué * . Si jei de la peine à auoir la license de
tirer hors de Rome vos quatre testes de marbre auec
la patiense on vient à bout de toutte choses. Vous les
aurés tost ou tard. L'affaire n'est point enquore déses-
pérée. Au jourdhui jei esté chés le nouueau commis-
sere (lequel a fet ses jours passés la visite des dittes
testes) pour voir en quel estât estoit nostre affere.
il m'a respondu quil en auoit parlé à l'auditeur de la
chambre, et que ledit auditeur luy auoit promis d'en
parler au Cardinal Panphile. et que il esperet enbref
me mander la license jusques chés moy. Je ne man-
querei pas de mon costé à soliciter. Les nouueautés
qui tous les jours ariuent en cette ville touchant le
fet de messieurs les Barbarins^ sont cause des difïi-
I. Ces « nouveautés » étaient, en effet, des plus graves.
Innocent X méditait ouvertement la ruine des Barberini, à
qui il devait son élection. Ceux-ci s'enfuirent de Rome le
16 janvier 1646. « L'on voye des rigueurs et violences si estranges
contre ces M" les Barberins qu'il semble qu'on s'abandonne
icy à toute sorte d'extrémités sans regarder aucun des incon-
vénients qui en peuvent ariver », écrivait Gueffier le 16 janvier
1646. — Enfin, Innocent X lança, le 20 février 1646, une bulle
328 CORRESPONDANCE [1646
cultes qui se rencontre, Car il ne sort rien d'icy que
premièrement l'on n'en face mille Informations et
recherches, il y a de plus un ordre particulier du
Cardinal Panfile de ne laisser sortir de Rome aucune
anticaille. Mais tout cela ne nous empeschera pas que
un jour nous ne venions au bout de nostre entreprise.
Pour ce qui est du dernier tableau que je vous ay
fini je vous l'aurois enuoyé pour le temps que je vous
l'auois promis. Mais n'ayant point repseu les lettres
que vous m'auiés promis de m'enuoyer. Jei pensé
quil seroit à propos de les atendre. Mais tout cela
n'est aucune désauenture au contraire. Je l'estime
un bon heur. Le temps a esté si facheus depuis
Nouembre jusques à maintenant, et ne cesse point,
il tombe tant de pluies et fet de si grandes humidités
quil y a longtemps que l'on n'en a veu de pareilles,
de sorte que il eust peu courir risque ou de se perdre
ou de se gaster. Je vous l'enuoyerei par un temps
plus commode, et incontinent que celle que vous me
promettes me sera rendue. Vous ne deués pas croire
que je prétende plus grande récompense du dit tableau
pour i auoir plus de figures que à l'autre que vous
aués* Je ne prends pas garde à si peu de chose, il
pourroit estre * que il y en eust moins à ceux qui sont
à faire néanmoins que tous seront riches selon leur
subiec. Si vous plaist donc (Monsieur) me traicter
comme par le passé je serei c5tent et très satisfet.
Il ne m'auanse de vostre argent que quarante trois
escus que je reseruerei pour seruir au frais quil fau-
violente contre les Barberini. Elle porta au comble l'hostilité
de Mazarin et de la cour de France, qui venait d'accueillir
^ brillamment les fugitifs.
I. L'Extrême-Onction présente seize figures et la Confirma-
tion, vingt-deux.
1646] DE NICOLAS POUSSIN. 329
dra faire alentour de vos marbres et port de vostre
tableau. Et sil reste quelque chose j'en tiendrei conte
comme s'est la raison.
Il faudra un jour que je vous enuoie vostre coppie
de S' Pietro in Motorio car que voulés vous que j'en
face, en fesant glasser certeines drapperies qui sont
laissées pour cet effet il peu estre mis en quelque
autel et pourroit paroistre mieux que quelconque
original de nos peintres de france. vous me ferés
scauoir vostre volonté.
Si je vous peus enuoyer vos marbres je les enuoye-
rei à Lion et là en lieu assuré on vous les conseruera.
Jusques à tant que Monsieur Tibaut en passant vous
les conduisse à Paris. Le pauvre garson est for triste
de la perte que nous auons fette. il vous baise les
mains et se confesse vostre trèsobligé. et moy je
demeure à jamais
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsobéissant Seruiteur
Le Poussin.
134. — Poussin a Chantelou l'aîné.
(Ms. 12347, ^°^- '^7-)
A Monsieur De Chantelou L'einé, à Paris.
De Rome Ce. 2"".^ feburier, 1646.
Monsieur
Jei repseu la vostre du. 5".* januier avec une lettre
de change de nouante et quatre pistoles d'espagne.
que Monsieur vostre fraire m'a fet expédier. J'en
serei payé au temps conuenable. Je vous remercie
en particulier de la peine que vous aués bien vouleu
prendre de me l'enuoyer en l'absense de Monsieur de
33o CORRESPONDANCE [1646
Chantelou. S'est acroistre le nombre des grandes
obbligations que je vous doibs.
par la dernière lettre dont je vous ay importuné
vous aurés veu en quelle disposition j'estois de vous
seruir. et par celle si je vous assure que je n'ay pas
atendu que vous me commâdassiés de rechef. Car au
parauant que d'auoir repseu vostre dernière j'auois
résoleu la disposition du Babtesme de S'. Jean que
vous désirés que je face. C'est grande faneur que vous
me fettes de vouloir bien donner Introduction en
vostre cabinet à si peu que je scais fere. veu que vous
n'y tenés rien qui ne soit digne de l'excellense de
vostre goust auquel je confesse parauanse de ne pou-
uoir ariuer que de bien loint. quoy que s'en soit je
ferei mon possible pour vous bien seruir et vostre
bénignité suppléra au reste.
J'enuoye par l'ordinaire prochain le tableau de la
Confirmation à M^ vostre fraire. Je luy en commense
un autre d'un triclin à l'antique qui sera chose nou-
uelle à voirs. Cependant je demeure inuiolablement
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsobéissant Seruiteur
Le Poussin.
Je baise les mains à Monsieur de Chambrey,
135. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fol. i58.)
A Monsieur de Chantelou Le Jeune^ à Paris.
[M. le Poussin 4^ feburier 1646.
Il enuoye le tableau de la Confirmation.
1646] DE NICOLAS POUSSIN. 33 1
// mande quil va trauailler à la pénitence.]
De Rome Ce 4'"« feurier. 1646.
Monsieur
Jei repceu la vostre du dernier jour de l'An, avec
une lettre de change de nouante quatre pistoles d'es-
pagne. sur lesquelles je prendrei deus cents et cin-
quante escus pour le payement du dernier tableau de
la Confirmation que jei fet pour vous, de ce qui auan-
sera des nouantes pistoles je vous en tiendrei conte
demain cinquiesme de se mois je le conseignerei es
mains du Courrier de Lion nommé Regart. Je l'adres-
serei chés Messieurs Vanschor qui vous l'enuoyeront
à Paris par le messager. Il vous plaira de payer le
port de Lion à Paris. Je payerei de vostre auanse le
port d'isi à Lion. Quand vous l'aurés repseu vous
voirés la dilligense que jei eusée à celle fin quil ne
puisse estre offensé par le voyage. Si d'auenture vous
trouuiés en iceluy quelque moisisure ne vous en
estonnés point car il n'est verni que de blanc d'oeuf
lequel vous ferés oster auec de l'eaue et une esponge
et le ferés vernir auec un vernis fin et légier. Vous
scaués le reste des caresses quil luy faudra faire pour
le faire parestre. J'atens que vous m'en escriuiés ingé-
nuem' vostre sentiment. Je vas trauailler à un tricline
que je crois qui vous donnera du plaisir, après celuy
là je ferei le babtesme de Crist.
Jei obteneu à la fin la license pour tirer hors de
Rome vos quatre testes de marbre. Je vous les euses
enuoyée présentement auec les hardes du Cardinal
Masarin mais pour quantité de respects je ne l'ei pas
vouleu faire. J'aime mieux prendre une autre occa-
sion. Je vous escrirei de cela tout au long dens peu
de temps.
332 CORRESPONDANCE [1646
J'escris à Monsieur Scaron' un mot en réponse de
la siene où « je * le * prie * de m'excuser si je ne le peus
seruir pour le présent. Je vous jure Monsieur quil
m'est impossible.
Puis quil vous plaist de vous souuenir de mes
Interest je serés bien ayse lors que l'on vous rembour-
sera de se qui vous est deu, que encore l'on me paias
ce que le Roy me doit [de reste] Si vous pouuiés faire
cela pour moy je n'en serois pas ingrat, du reste que
vous me proposés il n'importe pas que vous en met-
tiés en peine, il me suffit de scauoir la bonne volonté
que vous aués de mon bien Je vous en serei toutte
ma vie obbligé. Je vous supplie de me rendre un mot
de response sur ce que je vous ay escrit touchant
vostre coppie de Si Pierre in Montorio. Car je n'en
scaurois que faire. Je vous souhette fœlicité perpé-
tuelle, et serei à jamais
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsobéissant Seruiteur
Le Poussin.
Monsieur^
Il y a huit jours que j'estois demouré d'accord auec
le Courrier nommé Regart de vous enuoyer vostre
tableau de la Confirmation, mais sa valise se trou-
uant trop courte, dit quil ne s'en vouloit pas charger
de manière que jei esté contrainct d'atendre set ordi-
naire pour vous l'envoyer. Demain au matin i2«= de
féurier je le conseignerei es mains du Courrier de
Lion nommé L'espine lequel m'a promis de le por-
1. Sur les relations de Poussin et de Scarron, voir Ph. de
Chennevières, La peinture française, p. 276.
2. Dans le ms. 12347, ^" haut du fol. i5g. C'est un long
post-scriptum à la lettre du 4 février et non une lettre spéciale.
1646] DE NICOLAS POUSSIN. 333
ter. Messieurs Van Schore de Lion vous l'enuoyeroni
à Paris en dilligense.
La semaine prochaine je chercherai les moyens de
vous faire embarquer vos marbres. Jei fet bien de
n'auoir pas pris l'occasion de celle qui emporta il y
a quelque jours les hardes du Cardinal Mazarin car
elle a esté arestée à Civitavecchia sous de faut pré-
textes, toutes les quaisses ont portées au Chasteau.
et là séquestrées l'on les a ausi touttes ouuertes et
desclouées, chose qui m'auroit grandement despieu
si le mesme fust ariué aux vostres.
Quand j'aurei fet la despense qu'il est nécessere
pour les faire embarquer, et que j'aurei payé le port
de vostre tableau jusques à Lion. Je vous enuoyerei
le conte des frais que jei fets pour vous. Jei esté payé
de la lettre de change, de nouante et quatre pistoles
d'espagne.
136. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fol. 160.)
A Monsieur De Chantelou,
Rue S^ Thomas du Louure, A Paris.
[M. Poussin 25 feburier 1646.
Il menuoye le tableau de la confirmation Et les
quatre bustes Et les comptes de ce quil a manie'.]
De Rome Ce vintecinquiesme feurier. 1646.
Monsieur
il y a qinze jours que je vous escriuis que j'auois
repseu la lettre de change des nonante quatre pistoles
que le Sieur Arigoni me paya à temps desquelles jei
pris deus cents cinquante escus pour le paiement du
334 CORRESPONDANCE [1646
tableau de la Confirmation que je vous enuoyas le
disiesme de ce mois par le courrier de Lion nommé
L'espine. il vous sera enuoyé de Lion à paris par
Monsieur Vanschore. Je vous ay prié par ma précé-
dente et vous en suplie encore par celle si de m'en
dire vostre avis ingenuem* à celle fin que estant
aduerti de certaine choses que vous i pourrés notter
je m'efforse à l'aduenir de faire mieus. le premier que
je ferei sera la Madeleine chés Sim5, J'en ay fet la
pensée qui réussira for bien en oeuure.
Jei finallement fet embarquer vos quatre testes de
marbre sur la barque du Patron Louis Vesian d'Arles
Le reste vous le lires sur la lettre d'embarquement
>• cy incluse^ d'Arles elles seront portées par le Rosne
à Lion et seront conseignées à M^ Hugues de la bel.
Rue de flandres. Là où elles vous seront soigneuse-
ment gardées jusques à tant quil se présente bonne
occasion de vous les porter à Paris. Je vous ferei
scauoir le reste en temps et en lieu.
Je vous enuoye vostre conte par lequel vous verres
en quoy l'argent que jei repseu depuis un an a esté
employé et ce qui vous auanse.
Nous conseruerons soigneusement la forme de
l'Hercules et quand Monsieur Tibaut se partira je la
ferei porter chés moy. pour jusques à tant que vous
m'ordonniés se quil en faudra faire, autre chose ne
vous peus, je escrire maintenant sinon que je demeure
à jamais
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsobéissant Seruiteur
Le Poussin
1. Cette lettre est perdue.
1646] DE NICOLAS POUSSIN. 335
Si^ vous trouués le conte Juste il vous plaira m'en-
uoyer un mot de descharge.
137. — 4* COMPTE A Chantelou.
(Ms. 12347, ^^^- '6i.)
despense ^.
L'anée passée je repseus du Sieur
Arigoni escus 417
Cett anée jei repseu . . . escus 282
pour l'entrer payement de l'extrê-
monxion escus g3
pour les quatre testes de Marbre
Antiques 160
pour douze mois à M"" Tibaut . . . 120
pour le payement de la Confirmation. 25o
pour la license de porter hors de
Rome les quatre testes de marbre . . 2
pour le notaire et le seau i
pour le canon dans lequel est le tableau
de la Confirmation i
pour la caisse de bois dudit tableau . Jule 4
pour le port du tableau à Lion ... 7
pour un faqin. qui porta et raporta
plusieurs fois les testes 6
pour porter les caisses chés moy et
décendre les testes i
pour les quatre caisses au menuisier . 5 i
pour porter les testes de chés moy à
Ripa 3
1. Cette phrase est écrite en marge.
2. Poussin a écrit ce mot au revers du compte, après avoir,
selon l'habitude, plié la feuille en huit.
336 CORRESPONDANCE [1646
pour quarante fachines i
pour endosser la patente (nouuelle
mengerie de la douane) 6
pour le commissere de ripe, qui y met
le seau i
pour le menuisier qui vint à ripe des-
clouer les caisses et les resclouer. (car
l'on veut reuoir à ripe tout ce que l'on
transporte, néanmoins quil ait esté veu
au parauant 3
.pour le port de quatre caisses jusques
en Arles 6
pour la douane 2
655 es
Lèuant de 699.
655. Jules 7
reste 43. Jules 3
La teste de Ptolomée Auletes. 5o
La teste de la Lucrèse . . . 5o
La teste de la Jule Auguste . 3o
La teste de druse 3o
138. — Poussin a CHANTELotJ.
(Ms. 12347, fo^' 1^2.)
A Monsieur De Chantelou Le Jeune ^ , A Paris.
[M. Poussin 8 auril 1 646.
I. Paul Fréart de Chantelou était né le 25 mars 1609. Ses
deux frères étaient plus âgés que lui : Jean Fréart (M. de
Chantelou l'aîné), né le i5 février 1604; Roland Fréart (M. de
Chambray), né le i3 juillet 1606. i.. :^^^^ ^
1646] DE NICOLAS POUSSIN. 337
// tesmoigne lajoye quil a que jaye receu le tableau
de la confirmation.]
De Rome Ce S"^* Auril. 1646.
Monsieur
Vostre dernière lettre m'a raui le Coeur de conten-
tement et de joye d'auoir entendu par icelle que vous
aués repseu bien conditiOné vostre tableau de la Con-
firmation. Je vois tous les jours ariuer tant de dis-
grâces à nos Courriers que quand je leurs consigne
quelque chose pour vous faire tenir je n'ay jamais de
bien jusques à tant que j'aye repseu les nouuelles de
son ariuée à Paris. Je suis donc grâces à dieu hors de
cette peine. J'espère que nous aurons bientost nou-
uelles de l'ariuée de vos bust ou à Arles ou à Lion.
Je m'assure bien que vous aurés repseu la lettre d'em-
barquement que je vous Ay enuoyée. Par la mesme
occasion et à mesme temps j'aurois enuoyé vostre
coppie de S'. Pierre in Montorio. Mais je ne scauois
pas encore si vous vouliés que je vous l'enuoyasse.
Je ne manquerei pas alla première cSmodité de vous
l'enuoyer. Vous aurés repseu au mesme temps le
conte de la despense que jei fette de vostre argent. Si
vous le trouués bon. J'en atens un mot de descharge,
en ce fesant j'aurei occasion de me contenter grande-
ment et vous m'obligerés à chercher les moyens de
vous seruir de mieux en mieux à l'aduenir.
Jei enuoyé vostre lettre à M^ le gouuerneur de
Loreto qui la recepuera assurément.
Je n'ay point encore commensé le petit tableau de
Monsieur de Chantelou vostre fraire d'autans que jei
les mains à une chose que je ne veus pas quitter
quelle ne soit fette, alors j'aurei l'esprit libre et ne
m'apliquerei à autre chose que à vous seruir.
191 I 22
338 CORRESPONDANCE [1646
Je ne m'aresterei pas dauange à répliquer sur les
louanges que vous fettes sur le tableau que vous aués
repseu le dernier, mais je m'efforserei bien de mieux
fere celuy que maintenant je vas commencer —
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsobéissant Seruiteur
Le Poussin.
139. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fol. i63.)
A Monsieur de Chantelou,
Rue S^ Thomas du louure, à Paris.
[3^ juin 1646.
Mande qu'il a fini le crusifix de M. de Tou^ quil
ne peut trauailler pour Scarron de long temps
quil fera le petit S^ Jean^ de monfrère^.]
De Rome Ce 3«l« Juin. 1646.
Monsieur
C'est trop tarder sans vous escrire. et d'autant plus
tost je le deuois fere puis que j'auois à respondre à
deus desvostres. Les turbulenses qui sont ariuées en
cette ville et l'apréhension que nous auons eu de
quelque grand malheur a fet oublier à plusieur leur
propre deuoir. Jei esté l'un de seus qui pour pouuoir
à mes afferes plus particulières ay comme oublié à
vous fere response. Mais maintenant que jei eu le
temps de reprendre haleine et me resouuenir du
deuoir. Je satisferei à l'une des vostre (qui est rem-
plie d'une infinité de louange sur le tableau de la
Confirmation) auec l'humilité, auec une confession
t. Jean, surchargeant Pol.
2. Tout ce sommaire est d'une écriture très fine.
1646] DE NICOLAS POUSSIN. 339
quil est vray que vous me fette une bonne ^ leçon, et
une promesse que je vous fets ausy d'essaier à mieux
fere à l'aduenir que je n'ay fet par le passé
En la seconde vous me voulés disposer à fere un
tableau pour Mo"" Scaron vostre bon ami et compa-
triotte^ (à condition touttefois que ce nouuel ouurage
ne retarde point vos sacremens). Je vous jure Mon-
sieur que cela ne se peut pas fere et il est nécessaire
que vostre ami se résolue à une longue patiense.
parceque maintenant que je me trouue auoir fini le
crusifix^ de Monsieur de THou (qui m'a embarassé
grandement) jei fermement délibéré de n'entreprendre
rien quelque proffit quil y peut auoir. deuant que
d'auoir fini vos set Sacrements à la seulle réserue du
Si Jean que jei promis à Mo' vostre frère.
Je croyois au surplus vous escrire quelque chose
touchant l'ariuée de vos testes de marbre, mais je
n'en aypeu auoir jusques à maintenant aucune nou-
uelles. il est vray quil faut un longtemps pour les fere
monter par le rosne jusques à Lion, et la commodité
ne se trouue que en certain temps de l'anée. il suffira
quil soint à Lion lors que Mo' Thibaut ou Monsieur
Pointel passera en france.
il n'est pas resonnable d'oster la pratique au gazet-
tier en matière de ce qui s'est passé en cette ville
entre le parti Spagnol et le nostre"*, il vous en régalera
1. En marge : bonne.
2. En effet, Paul de Chantelou et Scarron étaient nés au
Mans et y résidaient souvent.
3. Le catalogue de Smith {A catalogue raisonné, etc., p. 58)
place cette Crucifixion dans la collection de sir Lawrence
Dundas, Bart.
4. Il s'agit, — non pas, comme le dit Quatremère, p. 370, de
l'agression des Espagnols contre l'envoyé du roi de Portugal
(en 1645), — mais du conflit de préséance entre l'Almirante de
340 CORRESPONDANCE [1646
à plain et de bon stille. Je vous diray seullement que
nous atendons la redition d'orbetello^ assiégé par
nostre armée naualle chose qui en vérité donne bien
à penser à tous ces peuples de dessà.
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsobéissant Seruiteur
Le Poussin.
140. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fol. 164.)
A Monsieur de Chantelou^ à Paris.
[M. Poussin 2g^ juillet 1646.
Mande que les 4 bustes sont arriués à Lion.]
De Rome Ce vintnœuf Juillet. 1646.
Monsieur
il est vray quil y a trop de temps que je ne vous ay
pas fet entendre de mes nouuelles. Sena point esté
aucune Indisposition de ma santé qui m'en aye
empesché. mai le peu de subiect qui s'est présenté
joint auec un peu de paresse. Je vous aurois escrit
comme vos quaisses estoint ariuées à Lion et quelle
estoint chés Monsieur de La Bel marchand. Mais
parceque le dit Signeur de La Bel m'a fet scauoir
quil vous auoit escrit quil les auoit resues et que
mesme il s'offroit de vous les enuoyer à Paris si vous
en estiés content la croyanse que jey eue que vous
Castille, ambassadeur d'obédience, et le cardinal d'Esté, pro-
tecteur de France. On en verra le récit tout au long dans les
dépêches de Gueffier [Corr., Cinq-Cents Colbert 358).
I. Orbitello ne sera prise cependant qu'en 1647, par une
seconde expédition. Dans la première, partie de Toulon le
26 avril 1646, l'armée navale débarqua le 10 mai; la tranchée
fut ouverte le i5, mais, le 14 juin, le jeune duc de Brézé fut
tué dans une bataille navale, et l'armée, privée de son chef,
leva le siège le 18 juillet.
1646] DE NICOLAS POUSSIN. 3^1
m'en escririés un mot m'a fet atendre jusques à pré-
sent à vous en parler.
Si j'estois que de vous j'atendrois le retour ou de
Monsieur Tibaut ou de Monsieur Pointel qui en s'en
retournant vous les peuuent faire porter fidellement.
Jei payé le port de Arles à Lyon. C'est assauoir qua-
rante cinq liures douze soûl, prix qui me semble
exorbitans. et je m'esmerueille que vous ne perdiés
l'enuie d'auoir de ses bust qui couste tant à porter,
il est vray que l'argent ne doib seruir que à nous con-
tenter. Si vous n'aués eu à temps les modelles des
piédestaux que Monsieur Tibaut vous auoit promis
sena pas esté faute de le soliciter, mais je l'ei telle-
ment trouué ataché à ses modelles, quil semble quil
luy facent oublier toutte autre chose et de plus le
pauure homme s'est trouué malade l'espase de deux
mois sans argent et sans en pouuoir gagner, schose
qui luy auoit engendré un si grande mélancolie que
nous croyons quil deuiendroit phisique'. Mais main-
tenant il se porte mieux, il m'a prié de vous fere ses
escuses et ses baisemains. L'automne prochain la
nécessité le chassera d'isy.
J'escrirei à M. Scarron comme vous m'aués solicité
de luy fere quelque chose et l'impossibilité que j'y
treuue pour maintenant.
Néanmoins que la trèsgrande chaleur de l'esté m'in-
commode extrêmem' je ne laisse pas de trauailler
quelque peu à vos Sacremens qui désormais s'auan-
seront puissamment pour ce que je me trouué plus
'desgagé que je n'ay esté par si deuant.
1. « Il étoit d'un caractère taciturne, qui le tenoit trop ren-
fermé en lui-même et l'empêchoit de se produire, et rien n'est
si contraire pour le développement des talents » (Mariette,
Abecedario, t. IV, p. 195).
34^ CORRESPONDANCE [1646
Pour ce qui est des six autres teste de marbre que
vous désirés je suis d'opinion quil faudra que vous
atendiés à un autre temps. Toutefois je m'informerei
des moyens quil faudroit tenir pour auoir et pour
tirer hors de Rome les dittes testes.
Vous scaurés de delà comme a réusy le Siège
d'Orbetelle^ aussi bien et mieux que nous qui
sommes icy.
Je finirei en vous baisant trèshumblement les mains
moy qui suis à jamais
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsaflfectionné Seruiteur
Le Poussin
Je n'ay encore rien commensé
pour Monsieur vostre frère
mais je le seruiray à la première
rifrescate.
141. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fol. ï652.)
[M. Poussin 23^ septembre 1646.
Mande quil a été malade 35 jours
Mande que les 4 husts sont à Lion.]
Monsieur
après auoir esté malade l'espase de trentecinq jours
et n'ayant pas encore recouuert la santé entièrement,
vous ne trouuerez pas estrange sil vous plaist la
bréuité de la présente.
1. Il déplaît à Poussin d'insister sur cet échec. Sa délicatesse
patriotique n'aurait guère été comprise à Paris, où l'on se'
réjouissait de cet échec, car on prétendait que cette expédition,
— pourtant si inquiétante pour l'influence espagnole en Italie,
— n'était qu'une vengeance personnelle de Mazarin contre
Innocent X.
2. La moitié inférieure du fol. 166 du ms. 12347, ^^ é\.&ït
écrite l'adresse, a été déchirée.
1646] DE NICOLAS POUSSIN. 343
il y a un mois ou enuiron que ne pouuans escrire
et sachant que le Sieur Tibaut estoit en délibération
de repasser les monts je le priés de vous escrire un
mot. touchant le port de vos quatre quaises qui sont
chés Monsieur de Label à Lion. Si d'auenture il ne
vous en a pas escrit il me semble qui a grandement
manqué et ne peus comprendre la cause quil en a
empesché si se n'est sa trop grande Timidité naturelle.
il estoit nécessaire de vous faire scauoir quil faloit
que vous fissiés quelque Remise d'argent à Lion pour
subuenir aux frais quil faudra faire pour faire con-
duire les dittes quatre quaisses de Lion à Paris Car
le pauure garçon ne vous peut auenser chose du
monde veu quil a esté contraint d'emprunter de l'ar-
gent pour faire son voyage.
Pour mon particulier je souhette la santé pour pou-
uoir continuer le reste de vos Sacrements et je vous.
promés que incontinent que je pourrei manier les
pinceaux je les employerei du tout à vostre Seruise.
Excusés ma débilité je ne peux plus escrire.
Monsieur
•Vostre trèshumble et trèsaffectionné
Seruiteur
A Rome 23'»« Septembre. 1646.
Le Poussin.
142. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fol- ^67.)
A Monsieur Dechantelou^
Rue S^ Thomas du Louure, à paris*.
[M. Poussin 7e octobre 1646,
I. L'adresse porte, au-dessous, la mention : franc pour
Paris, et au-dessus, à gauche, d'une écriture très fine : 3 fr.
a M' legendre (sans doute le nom du receveur de la poste).
344 CORRESPONDANCE [1646
// enuoye des gants
Parle du siège de Porto Longone.]
De Rome Ce Septiesme Octobre 1646.
Monsieur
Je vous aurois enuoyé par l'ordinaire passé les
gants de frangipane que vous désirés mais ma santé
n'estant encore bien assuré et le temps estant fort
incOmode je fus contrainct de remettre la partie à set
ordinaire. Jei employé un mien ami cognoissant en
matière de ses gants à celle fin de n'estre pas trompé
et que vous fusiés bien serui, il y en a la moitié pour
homme et la moitié pour famé et une douzeine en
tout, il ont cousté demi pistole le paire qui sont
dishuit escus et un Jule pour la toille cirée. Je vous
les enuoye auec le paquet de M"" Gierico banquier et
vous les recepuerés de son père à Paris il demeure
tout deuant la grand porte de Sî Inocent à l'enseigne
du bras d'or vous en payerés le port de Rome à Paris
(Je l'use payé icy. car il m'auanse encore du vostre
onze escus et quelques Jules) mais le dit Sieur Gierico
m'a dit qu'il estoit mieux de le payer de delà.
Quan vous aurés repseu lesdits gants escriués moy
franchement sil ont réusi comme vous désiriés. Je
vous assure quelque dilligence que l'on puisse faire
il y a tousiours danger d'estre trompé par cet Infâme
peuple icy.
Maintenant que je me porte bien je me dispose à
reprendre les pinceaux pour la suitte de vos Sacre-
ments.
Monsieur de La Mailleraye bat la forteresse de
port Longon qui est en l'isle de Lebbe. On a opinion
quil le prendra bientost, ce qui fet ouurir les yeux
1646] DE NICOLAS POUSSIN. 345
aux Italiens, et aux Spagnols serrer la bouche car ils
ne disent pas un mot^
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsobéissant
Seruiteur
Le Poussin.
143. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fol- '69.)
A Monsieur de Chantelou, A Paris.
[M. Poussin 21^ octobre 1646.
Il mande quil finist le 3^ Sacrement.]
A Rome Ce 21»^ Octobre 1646.
Monsieur
Je vous supplie de ne croire pas que se soit ma
faute si vous ne recepués pas vos douze paire de
gants au temps que je vous ay escrit que vous les
debuiés recepuoir chez monsieur Giericot. J'ai eusé
toutte la dilligense à moy possible pour vous les
enuoyer promtement. hier il me fut dit pour chose
assurée que les dits gants auoint esté retardés en
cette ville pour un autre ordinaire, de manière que
vous les recepuerés quinze jours plus tard que vous
ne croyés et huit plus tard que je ne pensois. La
faute est venue du sieur Giericot qui demeure icy
lequel ne peut faire son paquet pour le dépat du
Courrier.
I. La France prenait sa revanche de l'échec d'Orbitello. Le
8 octobre 1646, les maréchaux de la Meilleraye et du Plessis-
Praslin enlevèrent Piombino, qui appartenait au prince Ludo-
visio, neveu d'Innocent X, et Porto-Longone, dans l'île d'Elbe,
le 29 octobre. Le pape, effrayé de ces succès, rétablit les Bar-
berini dans leurs biens et leurs charges.
346 CORRESPONDANCE [1646
Je suis journellement apliqué à l'auansement de
vos Sacremens. Si se n'eust esté ma maladie je vous
aurois enuoyé par cet ordinaire le tableau que je
finis' maintenant, lequel j'espère vous fere tenir à la
fin de nouembre. et incontinent je me promés de
mettre la main à l'autre. Je m'estois bien promis de
vous en enuoyer deux cette année. Se que j'eusse fet
si se n'eust esté m5 indisposition qui m'a fet perdre
le plus beau temps de toute l'Anée.
Je vous ay escrit il y a longtemps que Monsieur
Tibaut repassoit en france cet automne, et que il
seroit fort à propos de luy ordonner à Lion de l'ar-
gent pour le port de vos bust de Lion à Paris. Mon-
sieur Serisier que vous cognoissés bien est mainte-
nant audit Lion vous pourries vous seruir de luy en
cet aflfere là. Si non je crois que le dit Tibaut
seiournera quelque temps en la ditte ville de Lion
que si sela est^ vous vous pourrés faire entendre
facillement.
Je n'ay autre chose à vous escrire maintenant sinon
que à tousiours je demeurerei
Monsieur
Vostre trèshumble et obligé Seruiteur
Le Poussin
144. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, '^ol- n^-)
A Monsieur de Chantelou^ A Paris.
[M. Poussin 18 nouembre 1646.
i., que je finis, écrit deux fois.
2. est, écrit deux fois.
1646] DE NICOLAS POUSSIN. d^
Mande le départ du petit Tihault etq^ va semployer
aux Sacrements.]
De Rome ce iS""* nouembre. 1646.
Monsieur
en fin le Sieur Tibaut après auoir recongneu que
la demoure de Rome n'est bonne que à ceux qui ont
de l'argent à y dépenser, s'est résoleu de s'en partir,
en soupirant touttefois et auec le regret q'ont acous-
tumé de sentir seux qui l'ont goustée lors qui sont yi^
contraint de la quitter. Il fera toute les dilligenses à
luy possible pour vous conduire les quatre testes de
marbres qui sont à Lion chés Monsieur de Label
marchand [à Lion] et d'autans plus facillement puis
que deuant que de partir de cette ville il a repseu
lettres de vous qui l'asurent de trouuer les moyens
chés le dit Sieur de Label pour vous les conduire
jusques à Paris.
Je l'aurois chargé du tableau que je vous ay finy
si se n'eust esté que le Courrier de Lion ira plus
vitte. et me semble la voiye la plus assurée. Jei pensé
encore dauantage quil seroit nécessaire d'atendre
vostre ordre comme vous aués acoustumé de faire,
et incontinent que je l'aurei repseu vous l'enuoyer.
Cependans je ne perderei point le temps car je vas
incontinent mettre la main à l'autre. J'aurois sans
doubte mis en exécusion ma promesse si se n'eust
esté la maladie qui m'a fet perdre le plus beau temps
de toutte l'anée. Si dieu me donne la santé j'espère
que en bref vous les aurés tous set car jei mis à part
toutte autre faconde. J'atens de vos nouuelles en
demourant comme à l'acoustumée
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsaffectionné Seruiteur
Le Poussin.
348 correspondance [1647
145. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fol- 'T'O
[M. Poussin 4'^ fehurier 164^.
Il me donne aduis de Venuoy du batesme
quil a la main à la penitense qui sera superbe
me mande que Tibaut a achepté à Lion 5o bustes
quil a receu le Hure de M. Scarron
que la forme du Hercules se gaste.]
De Rome Ce. ^'^^ feburier. 1647.
Monsieur
quoy que sous le septiesme du passé je vous aye '
importunas d'une de mes lettres, laquelle vous aura
auisé de l'enuoy de vostre troisiesme tableau des Set
Sacrements comme je l'ei consigné au Courrier de
Lion nommé Tome, que jei esté paie de vos cent pis-
toles par Monsieur Giericot demourant icy à Rome
et que je vous aye fet scauoir se quil estoit nécessaire
de vous escrire. Jei délibéré à cet ordinaire de vous
répéter les choses jà dittes avec une jointe d'autre
choses tant de celles que j'auois oubliées comme de
celles qui depuis sont ariuées.
Depuis le depar de Monsieur Tibaut, de cette ville
pour aler à Paris il m'a escrit de Lion que pour
quelque incommodité quil luy estoit suruenue en sa
santé il auoit esté contrainct de seiourner en laditte
ville plus quil ne pensoit, et que ce destourbier auoit
esté un des tours de souplesse que la fortune scait
faire quant il luy plaist, et quand elle veut se moquer
des pauures hommes ses subiects — meslans tou-
siours le mal auec le bien et le bien auec le mal.
assesonnant ainsy les choses pour nous les faire
1647] I>E NICOLAS POUSSIN. 349
mieux sentir. Ce malheur quil estimoit tel se peu de
retardement luy fit faire un rencontre de cinquante-
deux tant bust antiques que de figures de marbre
toutte lesquelles choses il a eues (il faut dire pour
rien). Voilà un heureus voyage poureueu que le reste
s'ensuiue. — Se succès innopiné m'a incontinent fet
penser que il n'estoit plus nécaissaire de vous cher-
cher des testes de marbre en cette ville puis que
bientost vous en auriés à choisir car je crois que
vous serés le premier à qui le Sieur Tibaut les fera
voirs quand il seront ariués à paris.
de deux autres choses maintenant il est nécessaire
de vous auertir et de délibérer sur icelles. — La pre-
mière est de la forme de l'Hercule de Farnèse
laquelle est demourée à l'abandon en la maison là
où demouroit le Sieur Tibaut de manière que l'on
m'a aduisé que quelques Insolens (mesmes ceux à
qui elle a esté comise en garde) [qui] en ont tiré
quelque jet la nuit en secret. Etparceque c'est dom-
mage que la forme d'une si belle chose aille en
ruine — et que je n'ei point de lieu pour la mettre
a couuert chés moy. Je voudrois scauoir ce que
vous voulés que l'on en face.
La seconde est vostre coppie de la transfiguration
de S' pietro In Montorio que je voudrois vous
enuoyer car elle se pourrira rouslée chés moy si ell
y demeure dauantage. Voyés si de l'argent qui
m'auanse du vostre vous voulés que je face despense
ou non et sortons, je vous supplie, de l'une et de
l'autre de ces afferes.
Je crois auec l'aide de dieu que maintenant vous
aurés ou serés pour recepuoir vostre tableau derniè-
rement enuoyé. Incontinent que vous l'aurés repseu
350 CORRESPONDANCE [1647
VOUS me ferés la faueur de m'en donner aduis. Sepen-
dans j'ay la main au quatriesme qui sera superbe
dieu aydans. Je continuerei à tout le reste sans inter-
mission dieu [aidans] le veille.
J'ei repseu du maistre de la poste de france un
Hure ridicule des frénésies de Monsieur Scarron^
Sans lettre et sans scauoir qui me l'enuoye. Jei par-
coureu le susdit Hure [pour] une seule fois pour tou-
siours. Si j'estois obbligé de dire mon sentiment des
œuures de se bon malade je dirois sauf vostre respect
Y quil fet des merueilles car il a le cul rond et fet les
estrons carrés, pardonnes à ma liberté.
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsobéissant Seruiteur
Poussin.
146. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fol. 173.)
A Monsieur de Chantelou^
Conseiller et Maistre d'Ostel ordinaire du Roy^^
A Paris,
[M. Poussin 24^ mars 164^.
Il mande la Joye quil a eue daprendre que le cou-
1. Paul Scarron (4 juillet 1610-7 octobre 1660). Après le très
vif succès du Recueil de quelques vers burlesques, 1643, il avait
publié Le Typhon ou les Gigantomachies en 1644, une pre-
mière Suite des œuvres burlesques en 1646, puis une seconde
en 1647.
2. Chaque charge de maître d'hôtel était évaluée 5o,ooo livres.
Elles se multiplièrent jusqu'au nombre de 170, mais, en avril
1664, leur nombre fut réduit à 12. Chantelou fui peut-être atteint
momentanément par cette réduction, puisque la lettre du
II mai i653 lui donne encore ce titre, et que celle du 7 juin
i655 ne le porte porte plus, mais le titre reparaît avec la lettre
du 24 décembre 1657 jusqu'à la fin de la correspondance, en
i655.
1647] DE NICOLAS POUSSIN. 35 1
rier qui portait le haptesme ayant esté tué le tableau
aye été sauué.
Dit quily aurait plusieurs choses à dire sur la dif-
férente manière de ce tableau qui estait trouué trop
doux renuoye au Bocalin.]
A Rome Ce 24™* Mars. 1647.
Monsieur
Si vous eustes l'alarme lors que l'on vous assura
que le Courrier auquel j'auois consigné vostre tableau
du babtesme auoit esté tué entre Turin et Suse au
retour quil fesoit de Rome à Lion. J'eus encores ma
bone part de la paour lors que cette nouuelle nous
fut apportée par l'ordinaire qui venoit de Lion à
Rome. Mais lors que Je parlas au mesme Courrier et
quil m'assura que la valise du deffunt n'auoit point
esté touché joint quil me dit et m'afirma que ma
quaissette estoit fermée dedens, cette bonne nouuelle
rasséréna mô Ame troublée et me mit l'esprit en
repos. Mais lors que Monsieur de Label auquel il
estoit recommandé m'escrit quil auoit reseu la sus-
dite quaisse et que le lendemain il vous la deuoit
enuoyer à Paris je me sentis grandement consolé, e
maintenant quil est ariué sain et entier entre vos
mains j'en suis raui de joye il resteroit maintenant
plusieurs choses à vous dire sur ce que vous m'en
escriués lesquelles seroint de longue déduction assés
pour amplir plusieurs pages de papier, mais le
temps quil faudroit emploier en un long discours de
peu d'utilité seruira à auanser le tableau de la péni-
tense où maintenant je trauaille. Si le batesme que
vous aués repseu semble à quelcun trop doux, quil
lisent la response que Traian Bocalin fet faire à
■ Apollo à ceux qui disoint que la tarte du Guarino.
352 CORRESPONDANCE U^A7
id est il Pastor fido) leur sembloit trop douce. Sil ne
sont contens de la répartie. Je les prie de croire que
je ne suis point de ceux qui en chantans prennent
tousiours le mesme ton. et que je scais varier quan
je veus^ Et vous mesme (Monsieur) vous en pourrés
estre le Juge. Et à vostre ordinaire fauorisés une per-
sonne qui voudroit en vous seruant faire des Mer-
ueilles. Je vous ei escrit touchant le rencontre que
Monsieur Tibaut a fet à Lion demanière que je ne
chercherei point de bust sans un nouuel ordre
Monsieur Vostre trèshumble et trèsafifectionné Ser-
uiteur
Le Poussin.
147. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fol. 174.)
A Monsieur de Chantelou,
Conseillier et Maistre D'Hostel ordinaire du Roy^
Rue S^ Thomas du louure, Paris^.
[M. Poussin 7« auril 164^.
Touchans le batesme.
Cette lettre est notable pour ce quil dit du tableau
du Baptesme et de luy.
Dit quil enuerra à la my May le tableau de la
pénitence.
1. « Il avait de grands égards à traiter différemment tous
les sujets qu'il représentait, non seulement par les différentes
expressions, mais encore par les diverses manières de peindre,
les unes plus délicates, les autres plus fortes; c'est pourquoi
il était bien aise qu'on connût dans ses ouvrages le soin qu'il
en prenait » (Félibien, Entretiens sur les Vies, etc., t. II, p. 328).
2. En bas, à gauche : franc pour Paris.
1647J DE NICOLAS POUSSIN. 353
// parle de Tibault.]
A Rome Ce 7»^ Auril. 1647.
Monsieur
J'auoûe ce qui est trèsvéritable que toutes les lettres
dont il vous plaist souuent me fauoriser m'apportent
tout à la fois du proffit et du contentement. Vostre
dernière du quinziesme Mars a fet en moy le mesme
effet que celles dVi passé et quelque chose encore de
plus, parceque par icelle vous me fettes scauoir sans
aucune feintise ny couleur le sentimement que l'on a
eu du dernier tableau que je vous ay enuoyé. Je ne
suis point marri que l'om me reprengne et que l'on
me critique. Ji suis acoustumé il y a longtemps, car
jamais personne ne m'a espargné. Mais au contraire
jei esté souuent le but où la médisanse a tiré et non
pas seuliement la repréhension. Se qui à la vérité ne
m'a pas apporté peu de proffit. parceque cela a empes-
ché que la présomption ne m'aie aueuglé et m'a fet
cheminer cautement en mes œuures chose que je veus
obseruer toutte ma vie. Et bien que ceus qui me [me]
reprennent ne me peuuent pas enseigner à mieux fere
ils seront cause néanmoins que j'en trouuerei les
moyens de moy mesme. Une seulle chose [seulie-
ment] je desirerei tousiours et ne l'aurei jamais et
n'oserois mesme* la dire pour n'estre blasmé de pré-
tension trop grande. Je passerei donc à vous dire que
lors que je me mis en la pensée de peindre le susdit
tableau de la manière quil est en même temps je
deuinas le jugement que l'on en feroit il y a icy de
bons témoins qui vous l'assureront de viue vois. Je
n'ignore pas que le vulgere des Peintres ne disent
que l'on change de manière si tant sois peu l'on sort
[de son] ordinaire car la pauure peinture est réduite
1911 23
354 CORRESPONDANCE [1^47
à l'estampe ^ Je pourois dire mieus si je disois à la
sépulture' (si hors de la main des grecs quelcun l'a
jamais vue viuante). Je vous pourrois dire des choses
sur se subiect ici qui sont très véritables et cognues
de personne, il les faut donc passer sous silense. Je
vous prierei seullement de recepuoir de bon oeil
comme s'est vostre coustume, les tableaux que je vous
enuoyerei bien que tous soint différem^ dépeint et
coUoriés vous assurant que je ferei tous mes effors
pour satisfere à l'art à vous et à moy.
et parceque j'espère pour la mi May ou enuiron
vous enuoyer celuy de la pénitense j'en recepuerei le
paiement de Monsieur Giericot Ainsi comme vous
l'aué's ordonné — sans perdre le temp pour atendre
vos lettres de change.
demain au matin je ferei porter la forme de l'Her-
cule de Farnèse en lieu assuré, et la coppie de la
trâsfiguratio je vous l'enuoyerei à la première occasion
qui se présentera par le destroit.
Pour ce qui est du procéder de M'i Tibaut enuers
vous et du peu de satisfaction qui vous donne, j'en
demeure estonné et je vous assure que ji ay esté
trompé, il est vray que je l'ai recongneu estimer trop
se quil fet et en estre par trop jalons, ausi d'un autre
costé je ne pouuois pas le forcer de me mettre en
main ses modelles lorsque vous me dites de les reti-
1. « Si j'entends bien ces mots, il veut dire que la peinture
n'ose plus inventer, mais va se répétant, comme une planche
est répétée par l'estampe, ne consiste plus qu'en « clichés »,
bref ne vit plus, car c'est par les combinaisons neuves que
l'art est vivant » (Paul Desjardins, La méthode des classiques
français, p. i85}.
2. Le mot sépulture est très clair dans le ms., c'est à tort
que l'on a souvent lu : sculpture.
1647] DE NICOLAS POUSSIN. 355
rer particulièrement m'aiant assuré quils estois tous
vostres, et que luy mesme vous les porteroit. S'il i a
eu de la duplicité, je n'en ay rien seu. L'on ne voit
pas dedens le coeur des hommes. Je mi suis fié
encore [manière que] et je commense à craindre qu'il
ne me paye comme vous.
il ni a maintenant personne à Rome qui face bien
un portraict ce qui sera cause que je ne vous enuoye-
rei pas si tost celuy que vous désirés
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsobéissant
Seruiteur
Le Poussin
148. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fo^- '7^-)
A Monsieur De Chantelou^
cortsi Et Maistre d'Osîel ordinaire du Roy^
Rue S^ Thomas du louure, A Paris*.
[M. Poussin 3^ juin 164'].
Il enuoye le tableau de la pénitence
dit quil ny a qua lire l'euangile pour lentendre
Parle quil a la forme de Lhercule chês lui.
Parle du retour de M. Pointel un des hérétiques
qui ayme ses ouurages, quil a peur quon le lapide sil
ne se taist quil nestplus temps dilluminer les aueugles,
que J. Christ mesme enfust mal voulu,]
De Rome Se 3«ne Juin 1647.
Monsieur
Sil estoit nécessaire de vous raconter la cause pouf-
I. En bas, à gauche '.franc pour Paris.
356 CORRESPONDANCE [1647
quoy jei tardé jusques à maintenant à faire response
à vostre dernière du 27'?« mars cette fueille de papier
ne suffiroit pas, et partant j'userei de breinte et vous
direi que par icelle comme ausi par les deux présé-
dentes je me suis aperseu que le tableau du babtesme
que vous aués repseu le dernier ne vous a pas si
satisfet comme les deus précédens. quoy que auec
belle manière vous esseyés de me consoler et taschés
à vous en contenter. Vous deués vous assurer que ji
ay procédé avec le mesme amour dilligense. Jy ay
employé le mesme temps que aux autres précédens
w et que le désir de faire bien est tousiours égal. Mais
le succès de toutte nos entreprises ne réusit pas tou-
siours auec le mesme bon heur et que tous les hommes
du monde on esté subiects à cette maladie Je n'adiurei
aucun exemple car il y a trop.
Je vous enuoye maintenant la penitense. que jei
fette Je ne sey si elle suffira pour effacer la coulpe
des fautes passées. Je ne vous ferei là dessus aucun
prologue car le subiec est représenté en manière quil
me semble quil n'a pas besoin d'interprète pourueu
seuUement que l'on aye leu l'euangille. Je l'ei con-
seigné au courrier nommé Moslart il est franc de
port jusque à Paris. J'en ai payé quatre pistoles et
jamais ne l'a vouleu porter à moins. Le prix me
semble extra ordinaire, mais parceque cette mesme
difficulté m'a fet perdre huit jours de temps ne m'es-
tant peu accorder de prix auec le courier précédent
et pour n'atendre pas à l'autre ordinaire à vous l'en-
uoyer lequel peut estre m'eust tretté encore pis (par-
ceque il sentrentêdent comme larrons en foere) Jei
donné à celuy si se quil a vouleu. Il s'est obligé de
vous l'enuoyer à Paris par le messager. Néanmoins
1647] ^^ NICOLAS POUSSIN. SSj
Je l'ei recommandé à Monsieur de l'Abel de Lion et
à M^ Serisier. quand vous l'aurés repseu et considéré
vous m'en escrirés sii vous plaist vostre sentiment
sans adulatiC.
Jei repseu pour payement du dit tableau de la péni-
tense. de Monsieur Giericot la somme de deux cents
cinquante escus Monoye de Rome. (Je luy ay fet
croire d'auoir repseu d'aillieurs cinquâte escus, affin
quil pense quil me soit payé cent pistoles) lesquel il
vous plaira luy paier conforme aux lettres de change
que je luy ay fettes première et seconde à huit jours
de vue — et vous plaira de m'en donner aduis. Jei
commensé le cinquiesme qui représentera l'ordre de
prebtrise. et continuerei di trauaillier si la trop grande
chaleur de l'esté ne m'en empesche et si dieu me
consède la santé dens un an je me promès d'auoir
fini tous les sept.
Jei fet porter chés moy la forme de l'Hercule qui
occupe la Moitié de Ma maison là où je la conser-
uerei tant que il vous plairra.
Je ne vous enuoyerei point la coppie de S' Pietro
in Montorio que quand les veseaux de S^ Maslo se
partirons de ses cartiers
Je vous aurois présentement enuoyé le conte de la
despense que jei fette pour vous depuis nostre der-
nier conte mais je suis trop pressé se sera par la pre-
mière occasion
Je serois bien aise de scauoir si le petit Tibaut
vous a contenté et si vous aués achetté quelcun de
ses marbres. Nous n'entendons aucunement de ses
nouuelles et nous ne scauons sil est vif ou mort.
Vous verres bientost à Paris un de vos affectionnés
qui retourne d'icy. il est de ces hérétiques qui croyent
358 CORRESPONDANCE ['647
V" que Vostre Seruiteur le Poussin, a quelque talent en
la peinture qui n'est pas commune Mais jei peur que
l'on ne le lapide sil ne se tait, car il n'est plus temps
de illuminer les aveugles; Crist mesme en fut mal
vouleu.
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsdéuotieus
Seruiteur
Le Poussin
149. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fol. 178.)
[M. Poussin 10* Juin 164^.
Il parle de lenuojr du 4^ Sacrement et quil trauaille
au cinquiesme.]
De Rome Ce. lo'f^Juin 1647.
Monsieur
au deffaut de celle que je vous escriuis il y a huit
jours je vous aduertis que je vous enuoyas le qua-
triesme de vos tableaus où est représenté la péni-
tense. Je le conseignas au Courrier de Lion nommé
Moslart. à condition quil vous le feroit tenir à Paris
franc de port ayant repseu icy à Rome pour cet effet
quatre pistoles dont j'en ay tiré repsue vous ferés dil-
ligense de le retirer de cbés le messager quand il sera
ariué à Paris
Jey esté payé par les mains de Monsieur Giericot
que vous rembourserés sil vous plaist. quand vous
I. Pointel « avoit tant de passion pour les ouvrages de son
ami, que bien loin de les vendre, il n'auroit pas voulu s'en
priver seulement pour un jour » (Félibien, Entretiens, etc.,
p. 342).
1647] ^^ NICOLAS POUSSIN. 35^
aurés repseules lettres de changes première et seconde
à huit jours de vue que je lui ei fettes.
Je vous enuoye auec la présente le conte de l'argent
que jey despensé pour vous depuis le dernier jusques
à maintenant si vous le trouués bon il vous plaisra
me mander une descharge affin que il ni aye que
redire en nos afferes.
J'atendrei que les veseaus de Si Maslo se partent
d'icy pour vous enuoyer vostre coppie de la transfi-
guration.
Je serois bien ayse de scauoir si vous aués changé
de délibération touchant les autres sis testes de
marbre que vous vouliés que je vous achettasse ou
si vous aués trouué celles que le petit Tibaut a empor-
tées de Lion à Paris à vostre goust. et si vous en aués
pris se qui vous manquoit.
Jei fini d'esbaucher le cinquiesme de vos Sacre-
mens que j'espère qui réussira de bonne manière Si
la chaleur de l'esté est trop incommode je ne ferei
que ourdir, mais si ' elle est * modérée je cOtinuerei
au finiment de ce cinquiesme que je pourrei vous
enuoyer au commensement de cette automne.
Je ne scaurois pour cet heure que vous escrire
dauentage sinon que je vous prie de croire que vous
n'aués point de seruiteur qui vous soit plus déuo-
tieux que moy et qui serei tousiours
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsaffectionné
Seruiteur
Le Poussin
Monsieur le Cheuallier
du Puis vous baise
les mains comme ausi M^ son frère.
360 CORRESPONDANCE [^^47
150. — 5« COMPTE A Chantelou.
(Ms. 12347, fol- 246'-)
du dernier conte que je vous enuoyas
il vous restoit quarante trois escus et trois Jules
joint auec cinquante escus que j'eus de surplus
quand je fus payé dernièrement du baptesme. Le
tout fet nonante trois escus trois Jules.
Sur quoy.
Jei despensé pour le port de quatre quaisses d'Arles
à Lion quarante sinq livres douze soûls qui disent de
cette monnoye treze escus set Jules . . i3 7
pour une douzaine de père de gants
dishuit escus et un Jule 18 i
pour le port du tableau du babtesme
à Lion noeuf escus 9
pour le canon dudit tableau sept Jules 7
pour la quaisse de bois cinq Jules . . 5
pour le papier un gros i
demi gros pour porter le dit canon et
demi gros pour la ditte quaisse chés moy. i
pour faire desmonter, porter et re-
mettre ensemble la forme de l'Hercules
chés moy trois escus et demi .... 35
pour le canon du dernier tableau de
la pénitense — Jules sept 7
pour le porter demi gros 1/2
pour la quaisse de bois cinq Jules . . 5
I. Ce compte a été placé par erreur dans le ms. 12347 après
la lettre du 2 août 1660. On peut voir, par les articles qu'il
renferme et le texte de la lettre du 10 juin 1647, que nous
l'avons rétabli à la date qui lui convient.
1647] DE NICOLAS POUSSIN. 36 1
pour me la porter demi gros. ... 1/2
pour un gros de papier i
pour le port de la quaisse où est le dernier tableau
de la pénitense jusques à paris douze escus . . 12
Le tout fet cinquante huit escus Jules noeuf
il me reste de vostre trente quatre escus quatre Jules
Si le Conte n'est Juste je me remest.
151. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fol. 179.)
A Monsieur de Chantelou.
Cons\ et Maistredostel ordinaire du Roy, à Paris.
[M. Le Poussin 28' juillet 164'j.
Il donne aduis quil a enuoyé le 4^ tableau et que
dans le mois suiuant il enuerra le cinquiesme .]
De Rome le 28«»« Juillet 1647.
Monsieur
J'atens de jour à autre que vous m'escriués si vous
aués repseu le quatriesme de vos tableaux lequel je
vous enuoyas par le Courrier de Lyon nommé Mos-
lard. franc de port pour Paris. Je vous en escriuis
consécutiuem^ par deux ordinaires. Je vous fis scauoir
par mes lettres comme j'auois esté payé dudit tableau
par le Sieur Giericot banquier demeurant en cette
ville, à cet effet que je vous enuoyas deux lettres de
change première et seconde en vertu desquelles vous
le deuiés rembourser. Je vous enuoyas en mesme
tems un conte de l'argent que jei despensé pour vous
depuis le conte dernier jusques à présent duquel si
vous le trouués bon il vous plaira m'enuoyer un mot
de quittanse.
il me semble assés à propos de vous escrire ses
302 CORRESPONDANCE [1647
deux lignes par Anticipation par lesquelle je vous
donne aduis que j'espère au quinziesme du mois pro-
chain vous enuoyer le cinquiesme de vos Sacrements,
à celle fin que si vous estes enquores hors de Paris
vous puissiés ordonner à quelcun des vostres de le
retirer ou du coche ou du messager, parceque je ne
scais par quelle voye l'on vous les fet tenir de Lion
à Paris néanmoins que je recommande à Lion de
vous les enuoyer par la voye la plus brèue.
Le gros [villain] Chaperon est de retour en cette
ville aux despens une autre fois du bon Monsieur
Renard, Il se vante de rauoir son tableau et dit quil
a ordre de le finir pour le Roy aux despens duquel y
a esté commensé. Je ne scais si son dessein réussira.
Monsieur
Vostre trèshumble Seruiteur
Poussin.
152. — Poussin a Chantelou l'aîné.
(Ms. 12347, fol. 180.)
A Monsieur de Chantelou L'aisné.
De Rome le. 17".= Aust. 1647.
Monsieur
bien quil y aie longtemps que j'obserue le Silense
enuers vous ne croyés pas pour cela que j'aye mis en
oubli la promese que je vous ay fette. Si elle s'eust
pu accomplir pour vous escrire souuent il y a long-
temps que vou sériés satisfet. Je m'estois persuadé
que ce qui s'estoit dit une fois fust pour tousiours.
Jay encore à faire deux des tableaus de Monsieur de
Chantelou lesquels ausi tost que j'aurei finis si vostre
1647] DE NICOLAS POUSSIN. 3(53
patiense se peut estendre jusques là et vous et moy
nous aurons mainteneu nostre promesse réciproque
car vous serés le premier serui comme celui que
j'Honnore pardessus les autres
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsobéissant
Seruiteur
Le Poussin
153. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, ^^^' '^^O
A Monsieur de Chantelou^
Cons\ et Maistre d'Hostel ordinaire du Roy^ à Paris.
[M. Poussin ig^ aoust 164J.
Il parle de Parriuée du tableau de la pénitence et
de l'enuojr de celui de l'ordre.]
De Rome le ig»* Aust. 1647.
Monsieur
bienque vostre dernière du lo"»* juillet ne me dise
rien de l'ariuée à Paris de vostre tableau de la péni-
tense. par les lettres de mes amis je suis aduisé quil
est ariué à bon port et que la quaisse est en vostre
maison là où l'on la gaurde jusques à vostre retour
du mans. Cette nouuelle m'a osté de la peine là où
j'estois car je n'ay point de repos jusques à tant que
je sache que ce que je vous enuoye soit ariué heu-
reusement. Il y a quelque temps que je vous fis sca-
uoir que pour le quinsiesme du mois d'Aust ou enui-
ron je vous enuerrois le cinquiesme de vos sudits
tableaux. Ce que jei acompli auiourdhui l'ayant con-
seigné au Courrier de Lion nommé Claude Marie
Scarampe qui dit estre fort vostre seruiteur. Le port
364 CORRESPONDANCE [1647
est payé Jusques à Lion. Je l'ei recommandé à Mon-
sieur Serisier et à son deffaut à Monsieur de l'Abel à
celle fin quil vous soit enuoyé ausitost à Paris. Il
seroit nécessaire que vous escrissiés un mot de lettre
audit sieur de l'Abel et le prier de ne se lasser point
de prendre le soin de vous enuoyer les deux autre
qui sont à faire lorsque je les luy adresserei. Car
pour Monsieur Serisier il sera absent de Lion estant
délibéré de venir voir Litalie cet automne prochain.
Jei repseu le payement de se dernier tableau comme
encore du pénultime de Monsieur Gericot. C'est
assauoir cent pistoles d'italie. desquelles il vous
auanse cinquante escus desquel auec le résidu du
passé je vous tiendrés conte.
Il vous plura rembourser le dit Giericot en vertu
des lettres de changes première et seconde qui vous
seront présentées.
J'atens comme de coustume le jugement que vous
ferés de ses deux tableaux, sependant que j'atendrei
au Animent des deux autres et demeure comme de
coustume UGolrf:
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsobéissant
Seruiteur
Le Poussin
154. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fol- i83.)
A Monsieur de Chantelou^
Cons[ et Maistre d'Ostel ordinaire du Roy,
Rue S^ Thomas du Louure, à Paris.
[M. Poussin premier Sep^*^' 164J.
1647] Ï>E NICOLAS POUSSIN. 365
// escript quil a la main au sixième sacrement
Et incontinent après il trauaillera au 7™*.]
A Rome le premier Septembre 1647.
Monsieur
Jei repseu la vostre du 23"* Juillet ensemblement
une descharde de l'argent que jei employé à vos ser-
vices, du résidu je vous en tiendrei conte trèsfidelle.
L'ordinaire passé je vous fis scauoir que j'auois
conseigné au Courrier de Lion nommé Scarampe. le
cinquiesme de vos tableaux, et que Monsieur Serisier
ou de l'Abel auroint le soin de vous le faire tenir à
Paris ce que j'espère quils feront trèsassurément.
Par la mesme je vous donnas aduis que j'auois rep-
seu de M'^ Giericot la somme de cent pistoles que je
vous supliois de luy rembourser en vertu des lettres
de changes première et seconde qui vous seront pré-
sentées. De se dernier payemen il vous auanse cin-
quâte escus que jei mis auec les trentequatre et demi
qui reste du nostre dernier conte.
Sur le second chef de vostre lettre je trouue matière
de vous escrire de belles choses si j'auois comme
vous le talent de bien dire, mais il vaudra mieux
que je m'estudie aux choses plus aparantes que les
paroles et tascher d'oresnauant en fesant mieux oster
à moy ^ mesme le doubte que l'on puisse faire mau-
uais jugement de mes oeuures car en se fesant je vous
satisferei et à moymesme.
Jei la main présentement au sisiesme des Sacre-
mens qui réussira bien comme j'espère. C'est celuy
où est représentée la Cesne de Crist auec ses apostres
j'espère quil sera fini pour la fin d'octobre, et incon-
366 CORRESPONDANCE [1647
tinent je mettrei (comme l'on dit) le Mariage sur le
chantier. Cependant je demeure à l'acoustumée.
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsobéissant
Seruiteur
Le poussin
Jei fet vos baisemains à Monsieur
le Cheuallier du Puis qui vous
les rend à usure.
155. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, ^o-'- ^^4-)
A Monsieur De Chantelou,
Cons\ et Maistre d'ostel ordinaire du Roy, A Paris.
[M. Poussin 3^ nouembre 164J.
Il mescript sur la mort de M. deuoit '
Et des friponneries du petit Tibault.]
De Rome le S'f* Nouembre. 1647.
Monsieur
Si se n'estoit vostre propre vertu qui vous sert de
bouclier pour parer les coups de la disgrâce certai-
nement vous sériés en danger d'en recepuoirdes pro-
fondes playes, lors q'uelle décoche sur vous, comme
des poignantes flèches la perte de vos meillieurs
1. Ce sommaire de Chantelou est fort embarrassant : d'une
part, on ne lui connaît aucun ami du nom de Devait, et,
d'autre part, le contenu de cette lettre confirme sans conteste
sa date du 3 novembre 1647, interdisant ainsi toute relation
avec la mort de Voiture, survenue en mai 1648, et que Pous-
sin déplore dans sa lettre du 22 juin 1648. On peut supposer
que Chantelou, écrivant plus tard les sommaires des lettres,
et ne se rappelant plus la date exacte de la mort de Voiture,
aura confondu avec celui-ci l'autre ami dont Poussin parlait
d'ailleurs en termes très généraux.
1647] ' ^^ NICOLAS POUSSIN. 367
amis. Je vous dis sesi sans vouloir entreprendre de
faire le confortateur. à qui comme dit l'italien, non
dole il capo. Vous aués souffert généreusement
d'autres secousses que celle si que le temps (seul
médecin de telles maladies) vous a rendue supor-
tables. Se mal présent se passera de mesme,
Sependans je vous ay apresté un Souper où est
représenté celuy qui nous a montré comment il faut
souffrir* toute choses, si entre les amertumes que
vous supportés vous i pouuiés trouuer quelque peu
de ragoust. se me sera une grande satisfaction. Mon-
sieur Serisier qui est noueu veneu en cette ville prie
auec moy Monsieur de Label de vous le faire tenir.
Le por sera payé jusques à Lion à l'acoustumée.
Jei esté payé par Monsieur Giericot et pour cet
effet il vous plaira de le rembourser conforme aux
lettres de changes qui vous seront présentées.
Pour ce que vous m'escriués touchant le petit
Tibau. Je suis d'acord auec vous que s'est un ingrat
et de plus un trompeur. Non vous seuUem' ni moy
en sommes mal satisfet mais encores tous ceux qui
l'ont cogneu et pratiqué icy maintenant s'en pleignent
car aux uns il doib de l'argent et ne leur escrit point
aux autres ils leur a manqué de foy. Il est difficile de
cognoistre les personnes dissimulées si se n'est auec
un longtemps. Quand à moy je vous jure que j'y ay
esté trompé, et n'usse jamais cru que il se fust porté
si mal en vostre endroit car il m'a juré cent fois que
tout ce qui fesoit icy estoit à vostre seruise et que
quand il seroit de retour qu'il vous donneroit à choi-
sir ou de ses modelles propres ou de ceux qui gette-
roit estant dilligemment réparés. Quand il dit qu'il
I. Souffrir surchargeant supporter, qui a été rayé.
368 CORRESPONDANCE [1647
n'a pas fet grand chose sependans que vous l'aués
entreteneu il dit vrai et peut estre l'a il fet exprès
parceque il a esté quelque fois trois et quatre mois
sans rien faire. M^ Pointel en sera témoin il s'amu-
soit à fere l'amour auec une Loraine qui dit qui luy
a promis de l'espouser. ou à faire des modelles pour
vendre, et cependant qu'il a eu vostre argent je crois
qu'il n'a modellé que un des chenaux de Monte
Cauallo'. Je voyés bien le tout et m'en desplaisoit
mais je ne pouuois pas pénétrer si auant que je peuse
cognoistre ses pensées et mauuaises résolutions, les-
quelles maintenant vous aués descouuertes.
Il est vray que il a modelé le Faune qui dor par la
faueur que lui fit Nicolas Mingin sculpteur du Car-
dinal Barbarin sans que j'en impétrasse la license du
dit Cardinal laquelle je luy auois promis d'auoir si
ledit Mingin luy eust niée.
En fin demandés luy cequil a modelé depuis auril
jusques en Nouembre de l'an 1645. C'est cequil a fet
ou peu plus [s'en manque] sependant qu'il a repceu
vos apointements. Le papier me manqueroit si je
voulois vous dire tout ceque jei descouuer depuis
qu'il est parti d'icy vous pouués sans scrupule le traic-
ter comme un homme fallacieux. Jei fet pour luy ce
que je ne ferois pas à un mien parent jusques à luy
prêter de l'argent en sa maladie et pour faire son
voyage et demeure si mal recognoissant que il ne
m'a pas seullement escrit un seul mot depuis qu'il est
en france.
Il y a [déjà] longtemps que jei fet emballer vostre
I. Il est souvent question, au xvii" siècle, de ces deux statues,
encore placées devant le Quirinal (voir Dumesnil, Hist. des
plus célèbres amateurs italiens, p. 474).
1647] ^^ NICOLAS POUSSIN. 36g
coppie de S' Pietro In Montorio. pour ne perdre
point l'occasion de vous l'enuoyer quand elle se seroit
présentée. C'est pourquoy si vous vous accordés auec
Mo^ Renard il est raisonnable que vous mettiés en
conte se qu'il a cousté à emballer, qui importe, vint
et six Jules.
Se sont des tours de se gros bouffie de Chappron
qui à la fin trompera le pauure renard qui est ausi
simple comme un oyson'.
Je crains que en atendant la résolution dudit
renard l'occasion ne se perde de vous l'enuoyer. Si
vous n'estes pas d'accord, toute fois j'atendrei vos
ordres.
Nous sommes à cinquante lieux seuUement d'un
téatre où journellement il se représente d'estranges
tragédies qui est la pauure Naples^ dieu nous pré-
serue de semblables misères vous scaurés de delà
autant et plus qui si passe journellement comme nous
qui en sommes voisins.
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsobéissant
Seruiteur
Le poussin
Jei oublié à vous dire que je cognois bien Stella.
Je baise trèshumblement les mains à Monsieur de
Chantelou vostre fraire
Monsieur Gueffier m'a donné un second liure et
une lettre de Monsieur Scarron, allaquelle je m'étois
1. En 1649, Chapron publiera à Rome, sous les auspices de
Renard, la gravure des Loges de Raphaël au Vatican.
2. L'insurrection de Masaniello, véritable émeute de la faim,
éclata le 7 juillet 1647. Masaniello fut tué le 16, mais les Napo-
litains venaient de rompre définitivement avec l'Espagne, le
3o octobre.
1911 24
^70 CORRESPONDANCE [1^47
disposé de respondre. Mais l'on m'a dit qu'il estoit
mort. Ce qui a esté cause de me faire retirer la main
de la plume. Je vous supplie (Monsieur) la première
fois que vous me ferés l'honneur de m'escrire de me
faire scauoir s'il est mort ou viuant et vous m'oblige-
rés infiniment.
156. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fol. i86.)
A Monsieur de Chantelou
Cos'^, et Maistre dostel ordinaire du Roy,
Rue S^ Tomas du louure, A Paris.
[M. Poussin 24^ nouembre 164^.
Traité des modes ^ .
// promet de nemptoier ses pinceaux pour personne
quil naye achevé les 7 Sacremens.
Il fait un grand discours sur les diuers modes
quobseruèrent les gregs dans la peinture et les poètes
et orateurs.]
De Rome le 24«e Nouembre. 1647.
Monsieur
Celle si seruira de response à vos deus dernières
l'une du 23« octobre et l'autre du premier d« courant.
J'obserue la promesse que je vous ay fette. C'est assa-
uoir que je n'employerei mes Pineeaus pour per-
sonne que pour vous que je n'aye fini vos Set Sacre-
ments, et partant après vous auoir enuoyé la Scesne
qui est le sisiesme jei mis la main au dernier qui est
celuy que vous dittes affectionner le moins. Je me
1. La lettre de Poussin est d'une écriture menue et très ser-
rée. Dans le sommaire de Chantelou, les mots : Traité des
modes ne paraissent pas de son écriture.
1647I DE NICOLAS POUSSIN. 87!
promes poutant qu'il ne réussira pas inférieur à celuy
des six qui vous plaist le plus.
Jei esté paie du dernier tableau que je tous ay
enuoyé par un Commis pour M"^ Giericot Ausi comme
vous aurésveu parla lettre de change que vous aurés
repsue et celle que je vous ay escritte de l'enuoy
dudit tableau lequel je m'assure que vous aurés rep-
seu deuant la présente.
Je me suis résolu de seruir Monsieur de Lysle puis
que vous me le commandés, néanmoins que je m'es-
tois proposé de faire désormais quelque chose comme
pour moy sans m'assuiettir dauantage aui caprise
d'autrui et principallement de ceux qui ne voyent que
par les yeux d'autrui. il faut néanmoins que le dit
Signeur se résolue à une chose difficile à un fran-
cois qui est la patiense.
Jei fetvos baisemains à Monsieur le Cheuallier du
Puis qui vous fet le mesme auec sa courtoisie ordi*
naire.
Touchant ce que vous m'escriués par vostre der-
nière, il est aisé de vous oster le soupson que vous
aués que je vous honnore moin» et que j'aye moins
d'amour pour vous que pour quelque autre. Sil estoit
ainsi pourquoy vous aurois je préféré, depuis l'espase
de cinq ans à tant de personne de mérite et de qua-
lité qui ont désiré très ardamment que je leur fisse
quelque chose et qui m'ont offert leur bourses pour
subiect me suisje contenté d'un prix si modique que
n'ay pas vooileu prendre cequc vous mesme m'aués
offert, pourquoy esse que après vous auoir enuoyé le
premier de vos tableaux composé de saize ou dishuit
figures seuUement et que je pouuois faire les autres
du mesme nonbre ou plustost les diminuer pour venir
372 CORRESPONDANCE [1647
plustost afin d'une si longue fatigue je les ei enrichis
de plus sans penser à aucun interrest autre que à
gagner vostre bienueillanse.
Pourquoy esse que jei employé tant de temps tant
couru dessà et delà par chaud et par froid pour vos
autres seruises particuliers si se n'a esté pour vous
témoigner combien je vous honnore. Je n'en veux
pas dire dauantage il faudroit sortir des termes de la
seruitu que je vous ay vouée. Croyés certainement
que jei fet pour vous ce que je ne ferei pour personne
viuante. et que je continuerei tousiours dedens la
volonté de vous seruir de tout mon coeur. Je ne suis
point homme légier ni changeant d'affection quand
je l'ei mise en un subiec.
Si le tableau de Moïse trouué dans les Eaux du
Nil que possède Mo^ Pointel vous a donné dans
l'amour, esse un témoignage pour cela que je l'aye
fet auec plus d'amour que les vostres. Voyés vous pas
bien que c'est la nature du subiec qui est cause de cet
effet, et vostre disposition, et que les subiect que je
vous traitte doiuent estre représentés par une autre
manière. C'est en cela que consiste tout l'artifice de
la peinture, pardonnes à ma liberté si je dis que vous
vous estes monstre précipiteus dans le jugement que
vous aués fet de mes ouurages. Le bien juger est
trèsdifficille si l'on n'a en cet art grande Théorie et
pratique jointes ensemble. Nos apetis n'en doiuent
point juger sellement mais la raison.
C'est pourquoy je vous veux aduertir d'une chose
d'importanse qui vous fera cognoistre ce quil faut
obseruer en la représentation des subiect qui se
dépeignent.
Nos braues Anciens grecs Inuenteurs de touttes les
1647] Ï>E NICOLAS POUSSIN. SyS
belles chose' trouuèrent plusieurs Modes par le
moyen des quels il ont produit de Merueillieus
effets.
Cette parolle Mode signifie proprement la raison
ou la mesure et forme de laquelle nous nous seruons
à faire quelque chose, laquelle nous abstraint à ne
passer pas oultre nous fesant opérer en touttes les
choses auec une certaine médiocrité et modération,
et partant telle médiocrité et modération n'est autre
que une certaine manière ou ordre déterminé, et
ferme dedens le procéder par lequel la chose se con-
serue en son estre.
Etans les Modes des ansiens une composition de
plusieurs choses mises ensemble de leur variété nais-
coit une certeine différense de Mode par laquelle l'on
pouuoit comprendre que chascun d'eux retenoit en
soy je ne scais quoy de varié principallement quand
touttes les choses qui entroint au composé étoint
mises ensemble proportionnément d'où procédoit
une puissanse de induire l'âme des regardans à
diuerses passions de là vint que les sages antiens atri-
buèrent à chascun sa propriété des effets qu'il voyoint
naistre d'eus pour cette cause il apellèrent le Mode
dorique stable graue et séuère et luy appliqoint
matières graues séuères et plaine de sapiense.
et passant de là aux choses plaisantes et joieuses
il usoint le mode frygien pour auoir ses Modulations
plus menues que aucun autre mode et son aspec plus
Aygu. Ses deus manières et nulle autres furent louées
et aprouuées de Platon et Aristote estimant les autres
I. « Il formait toujours ses pensées sur ce qu'il avait lu des J>ç*
tableaux des anciens peintres grecs » (Félibien, Entretiens,
t. II, p. 35i).
'3^4 CORRESPONDANCE U^47
inutiles ils estimèrent se Mode véhément furieus très-
séuère et qui rend les personnes estonnés.
J'espère deuant qu'il soit un an dépeindre un subiec
auec se Mode frigien. Les subiects de guerres épou-
uentables s'acommode à cette manière
il voulurent encore que le Mode Lydien s'acom-
modast aux choses lamentables parce qu'il n'a pas la
modestie du Dorien ni la séuérité du Frigien.
L'ypolidye contient en soy une certaine Suauité et
Douceur qui remplit l'ame des regardans de joye. il
s'acommode aux matières diuines gloire et Paradis.
Les Ansiens inuentèrent le Ionique avec lequel ils
représentoint danses baccanalles et festes pour estre
de nature joconde.
Les bons Poètes ont usé d'une grande dilligense et
d'un merueillieux artifice pour accommoder aux vers
les paroles et disposer les pieds selon la conuenanse
du parler. Comme Virgile a obserué par tout son
poème, parceque à touttes ses trois sortes de parler,
il acommode le propre son du vers auec tel artifice
que proprement il semble qu'il mette deuant lesyeus
auec le son des paroles les choses desquelles il traicte.
de sorte que où il parle d'amour l'on voit qu'il a arti-
ficieusement choisi aucunes parolles douces plai-
santes et grandement gratieuses à ouir, de là où il a
chanté un fet d'Arme ou descrit une bataille nauale
ou une fortune de mer il a choisi des parolles dures
aspres et déplaisentes de manière que en les oyant ou
prononsant ils donnent de l'epouuentement. de sorte
que si je vous auois fet un tableau ou une telle manière
fust obseruée vous vous imaginerés que je ne vous
aimerois pas.
1647] I>E NICOLAS POUSSIN. SjS
Si se n'estoit que se seroit plustost composer un
liure que escrire une lettre je vous auertirois de plu-
sieurs importantes choses qui faut considérer en la
Peinture affin que vous cogneussiés emplement com-
bien je m'estudie à vous bien seruir. Car bien que
vous soyez trèsintelligent en toutte choses je crains
que la pratique de tant d'Insensés et Ignorants qui
vous enuironnent ne vous corrompent le jugement
par leur contagion. Je demeure à l'acoustumée
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsfidelle
Seruiteur
Le Poussin.
157. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fol. 188.)
A Monsieur de Chantelou, Paris.
[Cette lettre respond à ce que je lui auois escrit du
Moise de M. Pointel.
Il parle de son portrait.
Et quil va songer à la Vierge que je luy demande.]
A Rome le 22™* décembre 1647.
Monsieur
Vous réitérés par la vostre du 8™« nouembre ce que
vous m'auiés escrit par une précédente à laquelle jei
répondu peut estre trop au long et innutillement car
je vois que vous demeurez ferme en l'oppinion que
vous auiés que j'aye serui M^ Pointel auec plus
d'amour et de dilligense que vous. Si je n'eusse creu
que vous estiés plus intelligent en Peinture que luy
je n'eusse pas manqué de tascher à vous satisfera
376 CORRESPONDANCE [1647
auec ce que les Italiens apellent Leccatura% mais au
contraire tenant pour certain que vous vous attachiés
à l'artifice et aux bonnes obseruations je me suis
qand et quad immaginé de vous bien satisfere par les
ouurages que je vous ay enuoyés lesquelles jei touttes
fettes auec le plus de soin et amour qu'il m'a esté
possible. Jei le dernier par les mains là où j'obserue-
rei dilligeamment ce que vous aimés tant es choses
que possèdent les autres, puis que je ne trouue point
d'autre moyen de m'entretenir en bonne oppinion de
vous estre le plus affectionné seruiteur de tous les
hommes comme en vérité je vous suis.
Je vous ei escris que pour vostre respect je serui-
rois Mo"" de Lysle Je lui ei trouué la pensée. Je veus
dire la conception de l'idée et l'ouurage de l'esprit
y est conclu^. Ce subiect est un passage de la mer
rouge par les Israélites fugitifs. Le composé est de
.27. figures principallem'^.
Pour ce qui est de mon portraict je m'efforsereî de
vous donner satisfaction et de la vierge que vous
désirez que je vous face, dès demain je me veus
mettre la ceruelle sendessus dessous pour trouuer
quelque nouueau caprice et nouuelle inuention pour
exécuter à son temps, et le tout pour vous empescher
sette cruelle jalousie qui vous fet paroistre une Mouche
grosse comme un Eléphant.
Les pluies les inondations l'extraordinaire humi-
1. Le caractère de ce qui est léché.
2. Voir Pau] Desjardins, La méthode des classiques fran-
çais, p. 191.
3. Cela contredit ces indications du catalogue de Smith :
« N° 26 : Le Passage de la mer Rouge, peint pour le marquis
de Voghera, à Turin, parent de del Pozzo.
1648] DE NICOLAS POUSSIN. Byy
dite qui nous enuironne m'a tellement enrumé que
je ne scaurois escrire dauentage^
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsafectionné
Seruiteur
Le Poussin
il faudra^ premièrement lauer d'eaue claire auec
une esponge l'essuyer auec un linge blanc sans pouel
le laisser sécher et le vernir d'un vernix légier. pou
fere reuenir la fraîcheur au tableau de la Scesne que
vous aués repseu le dernier.
158. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fol. 190.)
A Monsieur de Chantelou^
Maistre D'Ostel ordinaire du Roy^ à Paris.
[M. Poussin 7 2 Januier 1648.
Il est bien aise que j'aye esté content du tableau de
la Sene.
Parle du Tifon de M. Scarron^ ne luy plaist point ,
1. Poussin demeurait à l'abri des inondations, mais il y avait
disette de pain à Rome, que les Espagnols affamaient pour
subvenir aux besoins de leurs troupes occupées à soumettre
Naples. — Board nous relate le chagrin d'Innocent X devant
ce double fléau, de l'inondation et de la famine : « Samedi à
son réveil il pleura longtemps de ce qu'il avait eu cette dis-
grâce dans son Pontificat et sur la fin de ses jours d'entendre
le Peuple crier par les rues qu'il mourait de faim, et que le
Tybre se soit enflé et débordé si avant dans la ville ces jours
ci, et y a causé tant de désordres » {Corr., 9 décembre 1647).
2. Tout ce paragraphe, verticalement, en marge.
^
378 CORRESPONDANCE [1648
voudrait bien ne point veoir son virgile et ne point
trauailler pour lujr.l
De Rome le \2^^ Ganuier .1648.
Monsieur
J'aurois peut estre encore différé dauantage à vous
escrire si auiourdhui je n'auois repseu de vos lettres.
Le retardement a procédé d'une Indisposition qui
m'est venue il y a quelque temps et de laquelle je me
trouue trauaillé. Jei une douleur à la teste qui du
front me respond à la nuque. Je ne peus tousser ni
faire autre effort sans souffrir grande douleur. Si le
mal me dure vostre dernier tableau demeurera en
Testât qu'il est. mais ausi tost que je me porterei bien
je continuerei à y trauailler.
La Satisfaction que vous me témoignés d'auoir du
tableau de la Scesne que je vous ay enuoyé le der-
nier me console grandement car le plus grand plaisir
que j'aye au monde est de pouuoir vous faire quelque
chose qui vous plaise, et ni a rien qui me peust fâcher
que quand vous croiriés autrement.
J'auois désià escrit à Monsieur Scarron en res-
ponse de celle que je repsus auec son Tiphon bour-
lesque mais celle que jei repsue auec la vostre me
met en nouuelle peine. Je voudrois bien que l'enuie
qu'il luy est venue luy fust passée et que ma peinture
ne luy plust non plus que me plest son bourlesque.
Je suis marri de la peine qu'il a prins de me l'enuoyer
mais se qui me fasche dauantage il me menasse d'un
sien Virgille trauesti\ et d'une épitre qu'il m'a desti-
née dans le premier liure qu'il imprimera, il prétend
I. Le Virgile travesti parut en effet de 1648 à i652; il faut
reconnaître que Scarron s'en lassa plus vite que le public et
le laissa inachevé.
1648] DE NICOLAS POUSSIN. 3jl^
me faire rire comme les estropiés comme luy; mais
au contraire J'en debuerois pleurer, voyant que un
nouueau Hérostrate se trouue en nostre pais. Je vous
dis cesi en confiense ne désirant pas qu'il le sache. Je
luy escrirei tout autrement que je ne fets à vous.
J'esseierei à le contenter au moins de parolles. ma
teste ne me permet pas d'escrire dauantage. Je de-
meure à tousiours
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsobéissant
Seruiteur
Le Poussin
Désormais je vous ferei
tenir mes lettres par
Monsieur Giericot.
159. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, ^^^- '9'0
A Monsieur de Chantelou^
Conseillier et Maistre d'Hostel ordinaire du Roy,
Rue S^ Toma du louure, A Paris K
[28^ mars 1648.
Il m'enuoye le Mariage dernier des 7 Sacrements'^,
mande quil m'enuerra son portrait auec la Vierge
en grand.
Quil va trauailler au tableau de mon frère.]
de Rome le 23°»* Mars .1648.
Monsieur
Il y a huit jours que j'auois délibéré de vous
1. Dans le coin inférieur gauche de l'adresse, en petits carac-
tères : port dix sol:(.
2. Achetés par le Régent 120,000 francs, les Sept Sacrements
380 CORRESPONDANCE [1648
enuoyer le tableau du mariage ainsi que je vous
auois promis par ma précédente, mais n'ayant pas
trouué que le courrier qui se partit fust homme
fiable jei remis la partie à ce présent ordinaire auquel
je l'ei consigné enquaissé à l'ordinaire auec son canon
et bien condisionné. Le courrier se nomme Berte-
lemi Sibour. Le port est payé jusques à Lion. La
caisse est adressée à Monsieur de Label lequel je prie
de vous la faire tenir assurément Si elle ariue à bon
port comme les autres que vous aurés repsues je
pourrei dire auoir mis fin à vos set pièses des Sacre-
ments. Il sera nécessaire de lauer et reuernir le dit
ouurage car je n'y ei mis rien que un peu de glere
d'œuf de crainte quil ne s'atachas au papier qui est
au dedens. Je vous supplie de le resepuoir de bon
œil comme vous aués fet les autres. J'y ey fet mon
possible et l'ey enrichi de figures. Comme vous voyés
jei esté l'espase de plus de 4 mois à le faire n'ayant
eu rien en recommandation que chercher les moyens
de vous satisfaire, que si j'aurei réusi selon ma fin je
serei le plus content homme du monde. Je crois que
vous me ferés la faueurdem'en escrire vos sentiment
auec liberté et sans feindre comme vous aués acous-
tumé de faire.
Pour se qui regarde mon portrait je tascherei à
vous l'enuoyer auec la Vierge en grand que vous
désirés que je vous face quand j'aurei un peu de
temps.
Je vous enuoye inclus en cette lettre le conte de la
de Chantelou furent acquis par le duc de Bridgewater pour
jf. la somme énorme de 1,225,000 francs. Ils sont restés depuis,
'•» dans la même collection, en Angleterre. Les Sept Sacrements
de del Pozzo sont aussi en Angleterre, chez le duc de Rutland.
1648] DE NICOLAS POUSSIN. 38l
dépense que jei fette pour vous depuis le mois d'Aust
de l'année passée jusques à présent par lequel vous
verres ce qui vous auanse.
Je n'ei pas esté encores payé du Sieur Giericot
quand je l'aurei esté je vous en escrirei affin que à
l'ordinaire il vous plaise le rembourser.
Je m'en vas mettre la main au petit tableau du
babtesme de ^ S^ Jan pour monsieur de Chantelou
vostre frère que je prie de croire qu'il me souuien
bien de ce que je promés à mes bons patrons.
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsobéissant
Seruiteur
Le Poussin.
160. — 6^ COMPTE A Chantelou.
(Ms. 12347, fol. 192.)
Dépense fette depuis le mois d'Aust dernier passé.
Sur .33. escus qui vous auançois du dernier Conte. —
pour l'embalage de la Copie escus juies
de S* Pierre Montorio . . . i 4
pour la quaisse i 2
pour le canon du tableau de la
pénitense 7
pour la quaisse 4
pour le papier et port ... i
pour le port de Rome à Lion. 8 5
pour la quaisse du tableau de
la Scesne 4
pour le canon 7
pour la porter et pour le papier. i
pour le Courier ou le port à
382 CORRESPONDANCE [1648
Lion 8
pour le dernier tableau ou
quaisse 4
pour le canon ...... 7
pour le papier et Cœt. . , . i
pour le port à Lion .... 7
29 7
à leuer sur
33
29 7
reste 04 moins 7 Jules
161. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fo^* '9^^-)
A Monsieur de Chantelou.
[M. Poussin 24^ may 1 648.
Quil est rauy quejay receu le dernier tableau.]
De Rome le 24'ne May 1648.
Monsieur
Je ne reçois jamais de vos lettres que je ne rep-
çoiue quant et quant une très grande joye et un
extrême contentement mais cette dernière m'a raui
pour plusieurs occasions. La première m'a osté d'une
grande Inquiétude où j'estois de n'auoir eu aucune
nouuelle du dernier tableau que je vous enuoyas de-
puis que je le conseignas au Courrier. Je scais que
maintenant vous l'aués repseu bien conditionné. La
seconde c'est que vous me tesmoignés estre satisfet
I. Cette lettre, dont l'original forme le fol. 193 du ms. 12347,
se trouve recopiée sur le verso du fol. 191, d'une écfitUfc à
l'encre noire, qui paraît très postérieure à Chantelou.
1648] DE NICOLAS POUSSIN. 383
et que vous agréés les fatigues que jei fettes pour
vous seruir. C'est tout ce que je peux désirer. Je
remplirois bien cette fueille de papier de paroUes
inutiles et vainnes qui en fin ne concluroint rien
sinon que je vous suis et serei tousiour trèshumble
seruiteur que je vous suis extrêmement obbligé que
je vis et mourei tel. Sependans je vous fés trèshumble
réuérense.
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsobéissant
Seruiteur
Le Poussin.
162. — ■ Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fol. 194.)
A Monsieur de Chantelou,
Cons\ et Maistredostel ordinaire du Roy, à Paris.
[22 juin 1648.
Cette lettre respond à celle que je luy auois escritte
sur la mort de M. de Voiture ^ mon cher amy et est
de grande moralité.
Dit quil voudrait que les 7 tableaux des Sacre-
ments fussent conuertis en 7 autres des tours plus
signalés que la Fortune a faits aux hommes.]
A Rome le 22™« juin .1648.
Ma joye c'est redoublée en la lecture de cette vostre
seconde lettre par laquelle vous m'assures que vous
prenés quelque plaisir à considérer l'ouurage que je
vous ay fet. L'amitié qui vous a pieu me témoigner
I. Le convoi de Voiture, pour « ses entrailles », avait eu
lieu à Saint-Eustache de Paris, le mardi 26 mai 1648 [Dict.
de Jal).
X
384 CORRESPONDANCE [1648
VOUS en rendra juge fauorable Je me flatte de cette
oppinion m'esloignans de tout autre croyanse. — Je
souhetterois sil estoit possible que ses set Sacrements
feussent conuertis en set autres histoires où fussent
représentées viuement les plus estranges tours que la
fortune aye jamais joué aux hommes, et particuliè-
rement à ceux qui se sont moqués de ses effors. Ces
exemples ne seroint pas à l'auenture de petit fruit
rapellant l'homme par leur veue à la considération de
la vertu et de la sagesse qui faut aquérir pour demeurer
ferme et immobile aux efforts de cette folle aueugle.
Mais il ni a que l'extrême sagesse et l'extrême stupidité
qui se puissent exempter de ses tempestes l'une estant
au delà l'autre au desà. et ceux qui sont de la moyenne
trempe sont subiects à sentir ses rigeurs. Je sereis
asseuré qu'ils vous toucheroint plus viuement si vous
n'étiés désormais hors d'aprentissage et que vous ne
pussiés voir sans beaucoup d'estonnement la perte de
vos amis. Ceux qui ne font que méditer lors quils
sont assaillis de quelque disgrâce et quil en sont tou-
chés au vif il trouuent bien que l'expériense est autre
que l'imagination. Mais vous M°r/ qui aués supporté
constamment la perte de la plus chère chose que vous
eusiés, vostre fermeté peut elle estre renuersée de se
coup assés moindre que le premier? il faut soutenir
se choc et tout autre quel quil soit et faire riaillir au
dehors tout les efforts du malheur, et quoy que je
voie en cette vostre lettre je ne scay quoi de mol, vous
vous scaurés bien tost remettre en vostre ferme et
constante asiette.
L'inuention de couurir vos tableaus est exellente,
et les fere voir à un à un fera que l'on s'en lassera
V moins, car les voyans tous ensemble rempliroit le
sens trop à un coup.
1648] DE NICOLAS POUSSIN. 385
Monsieur de Lysle la Sourdière aura je m'assure
esté échaudé en l'achat qu'il aura fet trop précipite-
ment de quelcun de ses tableaus. J'en ay odoré
quelque chose. Il tombe à la Françoise d'une extré-
mité en une autre s'an sarester au milieu d'autans
que je le sens extrêmement froid, et l'enuie que j'auois
de le seruir deuien encore de glace sil ne la réchauffe
bien tost par quelque bonne résolution.
Jei ébauché le petit tableau de Mo^. vostre fraire et
esayerei de le finir cet esté il est sur une petite table
de ciprès : escriués moy sil vous plaist à qui vous
voulés que je le consigne et que je l'adresse quand il
sera fini. Je suis à jamais
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsobéissant
Seruiteur
Le Poussin.
163. — Poussin a Ghantelou.
(Ms. 12347, f°'' '9^0
[M. Poussin 2« aoust 1648.
Il parle des affaires du temps du gouuernement.
Il dit quil aurait desja fet faire son portrait^ que
Mignard est celuy qui les fait le mieux ^ mais etc.
Il promet f^ de son mieux po'^ la Vierge.
Il menuoye quelques scisses pour orner le Ptolo-
mée et le Drusus^ qu'il faudra les modeller et en veoir
toutes les vues.]
A Rome le 2^" Aust .1648.
Monsieur
Celle si deueroit seruir de response à deux des
vostres mais ayant je ne scais comment esgaré la pre-
1911 25
K
386 CORRESPONDANCE [1648
mière et ne me resouuenant pas bien de se quelle
contenoit elle respond à la dernière seullem^. A la
vérité les affaires de delà ne me sont pas si indiffé-
rentes que je ne désire comme bon françois quelle ne
soint mieux conduites quelles n'ont esté depuis
quelques anées en sa^ et si se grand désordre (comme
il ariue souuent) pouuoit estre cause de quelque
bonne réforme, pour mon particulier j'en serois
extrêmement joyeus. Je m'imagine que tout homme
de bien sera du mesme sentiment. Mais je crains la
malignité du Ciècle vertu consiense Religion sont
banies d'entre les hommes il n'i a que le vice la four-
berie et l'intérest qui régnent, tout est perdu je déses-
père le bien tout est rempli de malheur. Les remèdes
que l'on aplique n'ont point assés de puissanse pour
oster le mal Si nous n'ostons la Cause nous perdons
nostre temps que sert il de taillier le doit si le bras
est pourri. La chutte de se vilain ^ que vous scaués
ne me résiouit point car j'atens auec Impatiense ce
qui deburoit suiure.
auec le temps je pourroi seruir Monsieur Scarron
mais pour rnaintenant je suis trop engagé.
J'atens la dernière résolution de Monsieur de Lysle
laquelle m'inporte fort peu de quelque costé qu'elle
penche.
J'auroisdésia fet faire mon portrait pour vous l'en-
uoyer ainsy comme vous désirés. Mais il me fasche
1. C'était la Fronde qui commençait. La Chambre de Saint-
Louis (3o juin 1648) puis tout le Parlement réclamaient la
suppression des intendants. Mazarin temporisait; il avait
sacrifié d'Émery, et la reine consentit à supprimer les inten-
dances dans le ressort du Parlement de Paris, 11 et 18 juillet.
2. Quel est ce « vilain ».'" Peut-être Retz? (éd. de Quatre-
mère, p. 375).
1648] DE NICOLAS POUSSIN. ' 887
de despenser une dixaine de pistoles pour une teste
de la façon du Sieur Mignard qui est celuy que je
cognois qui les fet le mieux, quoy que frois piles far-
dés et sans aucune facillité ni vigeur.
Pour ce qui est de la Madonne je donneroi com-
mensement cet hiuer dieu aydans, et ny metterei
point la main que premièrement je ni aye bien pensé
car jy veus employer tout mon talent —
il m'est souueneu que vous me demandiés par la
première lettre quelque sqytze d'abis à l'antique pour
l'ornement de vos deux testes de Marbres s'est assa-
uoir le Druse et Phtollomée Je vous en enuoye quatre
trois Loriques pour le ptollomée. et l'autre auec la
trabée* pour le drusus Je vous enuoye ces quatre
sqytzes seullement pour vous témoigner comme je
veux estre prompt à vous obéir ^ quoy que je ne croye
pas qu'ils puisent seruir car il faudroit les modeller
et les voir de relief pour mieux en congnoistre la
suitte et la vraye forme par touttes les vues, il ne
seroit pas mal à propos de chercher par les galeries
de paris quelque chose qui peust seruir vous m'en
escrirés et sil sera nécessaire je vous enuoyerei deux
petis modelles fet d'après les meillieurs bust qui soint
en cette ville.
J'atens la response de se que je vous ay escrit tou-
chant le petit tableau de M^ de Chantelou vostre
fraire.
Vostre coppie de S^ pierre in Montorio est aten-
dans le retour des veseaux de S^ Maslo lesquels ariués
1. La lorique était la cuirasse et la trabée, la toge d'apparat
(voir Daremberg et Saglio, Dict. des antiquités grecques et
romaines, art. lorique et trabée).
2. En marge : obéir.
388 CORRESPONDANCE [1648
je ne manquerei pas de vous l'enuoyer comme vous
scaués que j'aurois fet il y a longtemp si se n'eust
esté ce retardement pour cause * de Monsieur Renart.
Nostre Armée Naualle passa Hier à Fiumicino^
pour aler à Naples dieu veille que tout réussise à
nostre auantage se sera un Miracle.
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsobéissant
Seruiteur
Le Poussin.
164. — Poussin a Chantelou l'aîné.
(Ms. 12347, fol. 197.)
A Monsieur De Chantelou l'aisné, Au Mans.
De Rome le iS'o^ Septembre .1648.
Monsieur
Jei enuoyé à Monsieur de Chantelou vostre fraire
le petit tableau du baptesme^ S^ Jean que vous aués
désiré que je vous fisse quand vous m'eûtes enuoyé
la mesure et que j'eus considéré le petit espase que
j'auois pour représenter un si grand subiec et en
mesme temps consulté auec la débilité de mes yeux
1. La flotte française avait déjà fait des tentatives de ce
genre, en 1647. Celle-ci, en 1648, fut trop tardive : depuis le
i3 juillet, la flotte était inactive à Porto-Longone et Gueffier
s'en plaignait. La crainte des chaleurs de Naples arrêta la
démonstration, qui échoua. — « Fiumicino, qui est l'embou-
chure du Tibre dans la mer » (Gueffier, Corr., fol. 178).
2. Il ne faut pas confondre ce tableau avec le n° 432 du
Louvre : Saint Jean baptisant sur les bords du Jourdain, peint
avant 1640 pour Cass. del Pozzo.
1648] DE NICOLAS POUSSIN. 889
et le peu de fermeté de ma main', qui en mesme
temps se déclarèrent ne pouuoir faire ce que je dési-
rois et ne pouuoir que de bien loint suiure mon peu
d'intelligense. Je me fusse excusé enuervous et eusse
laissé di mettre la main mais doubtans que vous ne
l'explicassiés au rebours je me résolus d'y faire mon
possible ce que jei fet en vérité. Vous l'accepterés
donc sil vous plaist d'ausi bon coeur comme sil estoit
mieus. Jei proportionné le prix à l'ouurage que je
peus encore amoindrir si vous le commandés Sepen-
dans je vous baise les mains en toute humilité et suis
à jamais
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsobéissant
Seruiteur
Le Poussin.
165. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fo^' '99')
A Monsieur de Chantelou^
Cons\ et Maistre d'ostel ordinaire du Roy, à Paris.
[M. Poussin 22» nouembre 1648.
Il mande qu'il enuoye le petit tableau de mon frère.
Il me promet une vierge.]
De Rome le 22'ne nouembre .1648.
Monsieur
il y a longtemps que je debuois respondre à vos
I. En effet, l'écriture de Poussin s'alourdit. — «... les infir-
mités du corps, qui souvent le travaillaient. Il avait un batte-
ment et tremblement du pouls qui l'empêchait de dessiner, et
c'est pourquoi quelques-uns de ses dessins ne sont pas d'un
trait bien sûr et paraissent faits d'une main tremblante. Avec
l'âge la main devint si débile que cela lui était un empêche-
ment à travailler » (Bellori, Le Vite de' pittori, etc., trad,
Rémond, p. 35).
SgO CORRESPONDANCE [1648
deux dernières l'une est du vintsisiesme Aut à laquelle
j'aurois respondeu quand je vous escriuis que je vous
adresserei le petit tableau de Monsieur vostre fraire
si je l'euse resue à temps, par celle là vous me fites
l'honneur de m'escrire ce qui se passoit à Paris néan-
moins que désià nous le sussions car nos anemis qui
ne dorment jamais en fesoint par tout les feus de
goye^ Depuis ce temps là jei esté fort incommodé
d'un dangereus rume que me causa une subite muta-
tion de temp du chaud au froid de manière que les
montagnes voisines se virent blanches de nege au
quiziesme d'octobre et les pluyes et vents ont duré
jusques à maintenant Sependans mon mal c'est passé
seullement il me reste un peu de mal au front après
le repas qui ne m'empesche pas de m'apliquer quelque
peu. Cela m'a empesché que je n'aye escrit à per-
sonne. Vous me fette scauoir par vostre dernière du
lyme octobrc que vous aués repseu celle que je vous
auois enuoyée pour vous aduertir que Monsieur Poin-
tel vous deuoit rendre la petite quaisse où estoit le
babtesme de S^ Jean que jei fet pour Monsieur de
Chantelou. et que vous auiés satisfet le sieur Giericot
pour le remboursement du payement que j'auois rep-
seu de luy pour le dit tableau. Le reste de la lettre
est comme conforme à la teneur de la précédente.
Là où vous me ramenteués mon portrait, et que je
pense à la Vierge que je vous ay promis de faire. Vous
pouués bien vous assurer que tant que je viuray je
I. On ne se rappellera jamais trop combien à cette époque,
Rome, l'Italie, toute l'Europe sont divisées par le grand duel
franco-espagnol. Louis XIII et les politiques de sa génération
détestaient réellement tout ce qui était espagnol (voir le Journal
d'Héroard). « Vous ne sauriez croire les belles espérances que
ces gens-ci conçoivent d'un renversement général de la
France... » (Board, Corr,, 7 septembre 1648).
1648] DE NICOLAS POUSSIN. Sçi
ferei mon possible pour vous seruir et obéir, plust à
dieu que le pouuoir fust proportionné à la bonne
volonté.
Mais pource qui est de vos bust je ne scaurois vous
rien enuoyer qui vous puisse bien seruir vous pouués
faire modeller quelcun de ceus qui sont aux galleries
de delà car il y en a d'ausi bons comme icy.
Je ne manquerei pas à vous enuoyer si je peus
vostre transfiguration par la voye que vous aués désiré.
Je vous suis redeuable de trois escus et trois jules
du vieux conte, qui seront employés à vostre seruice
ou descontés sur ce que je vous ferei à l'aduenir.
Quand j'aurei trouué la pensée de la Vierge je vous
en enuoyerei un squize auant de mettre la main à
l'oeuure.
Je suis atendans ce que vous aura semblé du petit
babtesme. par un mot de lettre dont j'espère que vous
m'onnorerés.
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsobéissant
Seruiteur
Poussin*
Je baise les mains à Monsieur de Chantelou vostre
frère de qui j'atens les mesmes faneurs que de vous.
166. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, ^o^- 20^-)
A Monsieur de Chantelou^
Maistre dostel ordinaire du Roy^ à Paris.
[M. Poussin ig^ décembre 1648.
I. Faute de place, Poussin a signé dans le coin, et il a écrit
la phrase suivante dans la marge, verticalement.
393 CORRESPONDANCE [1648
// parle du tableau quil a enuoyé à mon frère ^ dit
quil espère quil y aura plus lieu de le louer de la
vierge que je luy demande.
Aduertit de lenuoy de la transfiguration.]
De Rome le 19. décembre. 1648.
Monsieur
Je n'oserois doutter de vos Jugemens et ne me peus
assés assurer sur les louenges que vous me donnés.
L'honneur que vous me fettes de m'aymer peut faire
comme les lunettes qui font voir les choses plus
grandes quelle ne sont. Vos aplaudissements sont
trop grands pour le peu de mérite que peut auoir un
ouurage lequel je n'eusse osé offrir aux yeux de Mon-
sieur vostre fraire ni aus vostres si se n'eust esté l'as-
suranse que jay il y a longtemps de votre bienueil-
lanse sur laquelle je me suis fondé m'assurant bien
que considérant ma bonne volonté vous en excuseriés
l'imperfection.
Si la vie et la santé me durent j'espère de vous don-
ner occasion plus légitime de faire des Ancomes' sur
la Vierge que vous désirés que je vous fase. et mon
portraict la pourra acompagner.
Jei conseigné à Mo"^ Oton marchand frâcois la copie
de la transfiguration pour vous l'enuoyer par le des-
troit. Je diray le reste unautrefois.
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsobéissant
Seruiteur
Le Poussin.
I. Grec : encômia, louanges.
1649] de nicolas poussin. 3g3
167. — Poussin a Chantelou l'aîné.
(Ms. 12347, fol. 2o3.)
A Monsieur de Chantelou\ Au Mans.
De Rome le 19 décembre. 1648.
Monsieur
L'estime que je vois que vous aués fette du petit
ouurage que je vous ay enuoyé, ne procède point de
sa valeur ni de sa beauté mais seullement la courtoi-
sie qui vous est naturelle et inséparable vous porte à
ce faire. Celle dont vous m'aués régalé escrite sous
le 22. octobre est une coppie du petit tableau dépeinte
assés mieus que l'original. Vous aués bien remarqué
ce qu'il y a et ce qui y manque. Mais vous scaués
bien ausy ce que je vous en ay escrit. Je ne vous l'ay
dédié qu'à la Mode de Michel de Montagne non pour
bon, mais tel que je l'ay peu fere^. Sil est tout vray
qu'il vous aye semblé comme vous me l'escriués je
peus dire trèsaseurément que sa bonne fortune aura
suppléé à son peu de mérite. Je vous en demeure
toutte ma vie
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsobligé
Seruiteur
Le Poussin.
168. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, ^o^' 2o5.)
A Monsieur De Chantelou, Paris.
[M. Le Poussin ly^januier 164g.
1. Chantelou l'aîné (Jean Fréart de).
2. Montaigne, Essais, II, 10, Des livres.
394 CORRESPONDANCE [1649
// mande quil seruira M. Scarron pour lamour de
moy,
quil commencera la Vierge que je luy demande et
quil menuerra son portrait.]
De Rome le ij^^ Geanuier. 1649.
Monsieur
il seroit nécessaire de répliquer plusieurs choses
dittes par le passé si j'auois à respondre maintenant
à tous les point devostre dernière du i9™« décembre.
Je vous direi seullement que j'espère bientost vous
enuoyer mon portrait que vous désirés. Jei ausi
trouué une compositiD du tableau de la Vierge que
plusieurs fois vous m'aués monstre de souhetter. Je
le commenserei quand vous me l'ordonnerés, et non
point plus tost.
monsieur Scarron m'a escrit un mot pour me
faire souuenir de la promesse que je luy ay fette.
auquel jei respondu et promis de rechef de m'eflfor-
cer de le satisfaire à vostre solicitation plus qu'à la
sienne car il ni a rien en quoy je ne m'engageasse
pour vostre respect
Je vous ay désià auerti que j'auois enuoyé par les
marchands de S'. Maslo vostre coppie de la transfi-
guration de S* pierre du Mont.
Nous auons icy de bien estranges nouuelles d'An-
gleterre', il y a quelque nouueautés ausy à Naples^.
La Pologne est sendessusdesous'. dieu veille par sa
1. Comme l'écrit M' de Motteville : « L'étoile était terrible
contre les rois. » Mis en accusation le i" janvier, Charles I"
allait être exécuté le 3o janvier 1649.
2. Gueffier écrivait au comte de Brienne : « C'est tout de bon
que la confusion est grande au royaume de Naples... » (18 jan-
vier 1649). — " Les affaires de Naples vont en empirant... »
(25 janvier) {Corr., Cinq-Cents Colbert 358).
3. Une formidable révolte des cosaques du Dnieper éclata
1649] DE NICOLAS POUSSIN. SgS
grâce préseruer nostre frace de se qui la menasse ^ ^
Nous sommes icy dieu scais comment. Cependans \
c'est un grand plaisir de viure en un siècle là où il
se passe de si grande chose pourueu que l'on puisse
se mettre à couuert en quelque petits coings pour ;
pouuoir voir la Comédie à son aise. Je suis à jamais |
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsobéissant
Seruiteur
Le Poussin
169. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fo^- ^07*)
A Monsieur de Chantelou^
Cons\ et Maistre d'ostel ordinaire du Roy, A Paris.
[M. le Poussin y^feb^^ 164g.
Il promet de mettre la main à la Vierge en grand
et de menuoyer son portrait.]
A Rome le Septiesme feburier. 1649.
Monsieur
puis que vous continués dans la volonté que je
mette en exécution la pensée que jey fette de la Vierge
en grand. Je commencerai à la première commodité
à luy donner quelque commencement et si je peus je
la finirei cette année. J'aurei soin de luy faire faire
une belle corniche entaillée et dorée superbemen. Je
au moment de la mort subite de Ladislas IV (20 mai 1648) :
« Il ne restait qu'à considérer de quel côté allait tomber ce
grand arbre ébranlé par tant de mains et frappé de tant de coups
à sa racine ou qui en enlèverait les rameaux épars » (Bossuet,
Oraison funèbre de la Palatine).
I. Dans la nuit du 5 au 6 janvier 1648, Anne d'Autriche avait
emmené le roi à Saint-Germain.
396 CORRESPONDANCE [1649
VOUS enuoyerei en mesme temps le portrait que je
vous ay promis et plustost si je peus.
Jei trouué la disposition d'un subiect bachique
plaisant pour M^ Scarron. Si les turbulanse de Paris
ne luy font point changer d'oppinion. je le commen-
cerei cette anée à mettre en bon estât.
Ce que vous m'escriués des affaires de delà^ est
tout comforme à ceque tout le monde en dit. dieu
veille que le tout se termine à la gloire de dieu et au
bien et repos de nostre pauure patrie. Quand il sera
I ainsi nous en ferons les feus de joye mais jusques là
nous ne pouuons pas rire de bon cœur^. Il ni a rien
en cette ville digne de vous escrire pour le présent.
Je vous souhette la bonne santé et la tranquillité de
l'esprit sependans que je demeure à jamais
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsobéissant
Seruiteur
Le Poussin.
170. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fo^' 208.)
A Monsieur de Chantelou,
Cons^ et Maistre d'Ostel ordinaire du Roy^ A Paris.
[M. Poussin 2* May 164g.
1. La Fronde éprouvait des échecs répétés : le 28. janvier 1649,
c'était la débandade du régiment du cardinal de Retz {La pre-
mière aux Corinthiens), le 8 février, le combat de Charenton.
2. Gueffier écrivait au comte de Brienne : « Nous sommes en
une peine extrême de tant des méchants bruits qui courent
ici,... que la Reine ne se trouvant pas même en sûreté à Saint-
Germain, s'en venait à Lyon » (i" février). — « Vous jugerez
bien que nous sommes ici en une très mauvaise posture par
les confusions que vous voyez à Paris,... » {Corr., 8 février 1649,
Cinq-Cents Colbert 358).
1649] ^^ NICOLAS POUSSIN. SqJ
Cette lettre est depuis le blocus de Paris
parle du tableau de S^ Pieîro in Montorio.]
De Rome le 2™« May. 1649.
Monsieur
depuis la Guerre Parisienne^ Jusques à maintenant
je n'ay point eu l'honneur d'auoir de vos nouuelles.
Je ne scais point si vous aués esté enfermé comme les
autres dens cette misérable ville ou si à bonne heure
vous vous en estes retiré. Monsieur Pointel m'a escrit
depuis le traicté d'acord, et me raconte, plusieurs
schoses merueillieuses qui se sont passées en tout le
temp que le blocus a duré mais il ne me fet aucune
mention de vous. Cela m'a mis en peine. Car je serois
infiniment résouy de scauoir si vous n'aués point
souffert durant tout se fascheus temps.
il y desià longtemps que jey conseignas à Monsieur
Oton Marchand la quaisse où est la coppie de S' Pierre
In Montorio pour vous l'enuoyer par le destroit sur
les veseaus de Sî Maslo Mais dernièrement après luy
auoir demandé sil n'en auoit point de nouuelles. il
me dit que oui et quille estoit ariuée à Marseille et
quil la feroit porter auec ses marchandises delà à
Paris Ce qui m'estonna beaucoup d'autant que c'estoit
le contraire de ce qui m'auoit promis. Je vous ay
vouleu auertir de tout cela à celle fin que vous sachiés
que ce que l'on a fet a esté contre la promesse que
l'on m'auoit fette et quil ni a nullement de ma faute.
Jei laissé de commancer vostre grande Vierge de
qui jei trouué une assés belle pensée. M'imaginant
que vous auiés d'autre soins que de tableaux dedens
I. Cette guerre était terminée. Le 28 février 1649, ^^ Parle-
ment avait entamé des négociations, qui aboutirent au traité
de Rueil, le 12 mars. Mais si Paris était pacifié, la Fronde
provinciale commençait.
398 CORRESPONDANCE [1649
les désordres où vous estes trouué depuis trois mois.
Gependans j'atens vos commandemens et demeure à
jamais
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsobéissant
Seruiteur
Le Poussin.
171. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fol. 210.)
A Monsieur De Chantelou^ Paris.
[M. Poussin 24^ may 164g.
Il déplore la misère de la France et me promet la
Vierge en grand et son portrait.]
A Rome le 24. May. 1649.
Monsieur
Jei repseu celle dont il vous a pieu m'onnorer
datée du premier apuril. par laquelle vous me man-
dés à peu près le panure estât auquel ont esté ' et
sont de présent les affaires de nostre panure France.
Je vous assure que tout ceque vous voyés a esté
préueu de quelques Anées en sa mesme des simples
personnes, mais se qui a surprins tout le monde et
ce qui fet augurer nostre totale Ruine est l'accord que
l'on a fet quand il falloit plustost mourir. L'on estoit
le plus fort chascun estoit prest de bien faire, et l'on
c'est laissé pipera sertte nous sommes la moquerie
I. Ce passage surprend. Poussin était trop peu « mazarin »,
semble-t-il, pour souhaiter qu'au lieu de traiter à Rueil la
cour n'eût soumis les Frondeurs de Paris de vive force.
1649] ^^ NICOLAS POUSSIN, 899
de tout le monde et personne ne nous plaindra quand
il nous ariuera tout le mal du monde. L'on nous met
parallèle auec les Napolitains, nous serons traictés
égallement. L'auenir où nous pensons le moins est
plus à craindre que le présent, mais laissons y pen-
ser à ceux à qui il touche le plus, sauuons-nous si
nous pouuons cacher sous la peau de la brebis et
éuitons les sanglantes mains du Ciclope enragé et
furieus.
Juse donné commensement à vostre Vierge en
grand si se n'eust esté les mauuaises nouuelles que
journellem* nous ariuons de Paris que ces mauuais
francois mettoint désià à sac par leurs discours
enragés, nous n'en espérions que la Ruine nos ane-
mis se vanioint que bientost cette superbe ville ser-
uiroit d'exemple aux autres à jamais par sa ruine
totale. Toutes ses choses me fesoint facillement
croire que vous pensiés à tout autre chose que à orner
vos maisons de nouuelles peintures. Je suis bien
joyeus d'auoir été trompé dans mon Jugem» et de
cognoistre que rien ne vous peut empescher vostre
curiosité. Je vas préparer une toille pour à la pre-
mière commodité donner commensement à une
ouurage que je vous promés de faire avec toutte sorte
d'amour et de dilligense Et si l'esté n'est pas trop
incommode je pourei bien i mettre la main au plus-
tost que si je ne peus se sera au plus long l'automne
prochain. Et pour mon portrait je ne manquerei pas
non plus de vous l'enuoyer incontinent qui sera fet.
Tous les nouuelles que je vous pourois escrire de
se pais ici ne sont que tristes et indignes de raconter.
Gesi seullement les Espagnols ont banni l'arche-
400 CORRESPONDANCE [1649
uesque filomarino^ et enuoyé M^ le duc de Guyse en
Espagne prisonnier^. Le prince de Gallicano' est en
cette ville sous sa paroUe les Espagnols l'obligent de
remener sa* auec lui à Naples Le duc de Montesar-
chio par promesse et par torture a descouuer plu-
sieurs secrés au préiudise de beaucoup de grands '.
L'on va mener en Espagne la nouuelle espouse pour
continuer la race des fous®. Le pape fet faire l'Aust
et vendenge pour le Duc de Parme au duché de
Castres'^. L'Aflfricain fet flotte et le trouue armé
1. Il n'était pas étonnant que Poussin le connût, car son
dévouement aux Barberini lui avait valu le chapeau de car-
dinal.
2. C'était la fin de la folle équipée de cet aventurier de
marque. Le 6 avril 1648, les Espagnols s'étaient fait livrer une
porte de Naples et le duc avait été pris dans la campagne.
« Il est venu avis que le Comte d'Ognate [vice-roi de Naples]
a fait transporter M. de Guise en Espagne sur une galère ren-
forcée : il a découvert que quelques grands avaient dessein de
le sauver » (Board, Corr., 17 mai 1649, ms. fonds Dupuy).
3. De la maison des Colonna ; dévoué à la France (voir
Gueffier, Corr., 7 mai 1646, Cinq-Cents Colbert 358).
4. Poussin a sauté un mot : peut-être femme.
5. « Ce que lesdits Napolitains publièrent icy que le prince
de Montesarchio estoit mort empoisonné ne s'est pas trouvé
véritable : mais ils disent à cette heure avoir avis certain que
les Espagnols l'ont fait mourir dans les gesnes et tourmens
quils luy ont fait donner pour luy faire confesser quelque
chose quils désiroient scavoir de luy » (Gueffier au comte de
Brienne, 17 mai 1649).
6. Marie-Anne-Thérèse d'Autriche (1634-1696), fille de l'em-
pereur Ferdinand II, seconde femme de Philippe IV (voir la
lettre de Gueffier du 3i mai 1649, ms. Cinq-Cents Colbert 358,
fol. 760).
7. C'est la seconde guerre de Castro. Innocent X, irrité du
meurtre de l'évêque qu'il avait nommé, rouvrit les hostilités :
« ... si le pape sans faire autre ataque se contente qu'on face
la récolte dans le duché de Castro, led' Duc [de Parme] est
résolu d'en faire de mesme dans le Bolognois ou dans le Fer-
rarois pour se récompenser de ce qui luy sera pris dans
ledj Duché » (Gueffier au comte de Brienne, 21 juin 1649).
1649] DE NICOLAS POUSSIN. 4OI
puissamment. Les italiens mettent Jules au-dessus
de Caesar.
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsobéissant
Seruiteur
Le Poussin
J'ei veu icy Monsieur du Fraisne qui l'est en bonne
santé pour vous retourner voirs^
172. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fo^' 212.)
[M. Poussin 20^ juin 164g.
Il mande que si la Vierge estait finie il penserait à
la canuertian de 5' Paul qui est un beau sujet que
sil eust seu que je leusse vaulu il ne se serait pas
engagé.
Quil a fini un de ses partraits quil va cammancer
lautre et menuerra celuy qui réussira le mieux.]
De Rome le 20™« Juing. 1649.
Monsieur
Toutte les fois que vous m'aués honnoré de vos
lettres je n'ay jamais manqué à vous le faire scauoir
par mes responses et vous en remercier. Si quelques
unes d'icelles ne m'ont point esté rendues je ne peus
deuiner d'où cela procède, touttes celles que mon-
sieur Pointel m'enuoye me sont rendeues fidellem' et
nulle ne se pert.
il n'est nullement nécessaire que vous me rafrai-
chissiés la mémoire de ce que je vous ay promis de
faire car jei vostre contentem^ en trèsparticulière
recommandation, ausi je vous assure que je mettray
I. Post-scriptum en marge, verticalement.
191 I 26
402 CORRESPONDANCE [1649
la main à vostre vierge en grand le plustost que je
pourrei et si elle estoit fette maintenant vous pouués
vous assurer que trèsvolontiers j'embrasserois le
subiect que vous me proposés de la Conuertion de
S* Paul vostre Patron car outre que le subiec est
trèsbeau je ne scaurois rien faire pour personne qui
cognoisse si bien que vous les choses bien fettes. Si
j'eusse sceu que cette pensée vous fust venue, je ne
me serois pas si fort engagé comme jey fet auec des
personnes que je vous pospose* de bien loing — mais
un peu de temps me fera contenter l'un et l'autre.
Jei fet l'un de mes portraits et bientost je commen-
cerei l'autre Je vous enuoyerei celuy qui réussira le
mieux, mais il n'en faut rien dire sil vous plaist,
pour ne point causer de jalousie. Je vous remercie de
vos nouuelles lesquelles je ne peus contréchanger ni
ayant rien encore en évidense de cequeses Messieurs
icy ont conseu. L'on continue de faire des Soldars
que l'on enuoye à Bollogne et à Castres mais l'on
croit que se soit une fainte*. Les Vénitiens disent
auoir deffet l'armée naualle du Turc'. Amen.
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsobéissant
Seruiteur
Le Poussin
î. Latinisme : des gens que je place bien loin derrière vous.
2. Confirmé par Gueffier, lettre du 14 juin 1649. — La
feinte consistait en ce que le pape en voulait surtout à Piom-
bino, que les Français tenaient depuis 1647.
3. Voir la lettre de Gueffier au comte de Brienne, 14 juin
1649.
1649] i>e nicolas poussin. 4o3
173. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fol. 2i3.)
A Monsieur Dechâtelou,
Rue 5* Tomas du Louure, A Paris*.
[M. Poussin 22 aoust 164g.
Po. M. Puques.
Il promet à ma prière de j^ un enlèuement dEu^
rope po^ M. Puques;
dit que c'est un sujet remply d'épisodes jolis quil
faut un toille de 12 [ou\ palmes"^ de long et 6 de
hauteur.]
A Rome le 22"»^ Aust. 1649.
Monsieur
Jei repseu par les ordinaires derniers deus de vos
lettres auquelles je n'ay point respondeu d'autans
quelles ne contenoint rien de nouuea. mais par cet
ordinaire dernier vous m'aués honnoré d'une autre à
la quelle je n'ay pas vouleu manquer de faire response
et vous confirmer par icelle l'extrême désjr que jei de
vous seruir et que je vas me disposant autans comme
je peus à l'exécusion de ce que vous désirés de moy.
et je veus bien que tout le monde sache que vous
pouués tout sur moy et que il ne faut point que vous
usiés de cette parolle du peu de crédit que vous y
aués. Je me résiouis que vous me donniés l'occasion
de vous en faire la preuue. par ce que vous me deman-
dés pour Monsieur Pucques' vostre ami. lequel je
1. En petits caractères, à gauche : franc.
2. « La palme de Rome dont on se sert à présent est de
8 pouces 3 lignes » (Félibien, Entretiens, p. 16). Environ o"223.
3. « Le Poussin composa pour lui l'enlèvement d'Europe »
(BonnafFé, Dict. des amateurs, p. 260).
4Ô4 CORRESPONDANCE [1649
seruirei pour vostre respect sans lequel il n'y a récom-
pense ni payement qui me peust faire entreprendre
rien de nouueau. me trouuant le plus engagé que
j'aye esté jamais. Le subiec de Leurope est forbeau
remply d'épisodes for goûtés, mais il y a beaucoup à
faire, et la disposition requiert une toille de dix ou
douze palme de longueur et au moins six de hauteur,
et sur tout il faut que ledit Signeur face bonne muni-
cion de patiense. et tout yra bien.
il me desplaist infiniment du mal qui vous assailly
et dieu veille quil se contente de vous auoir visité
une fois. C'est un mauuais hoste. Il faut tascher à
le banir et luy faire si mauuaise mine qui ni retourne
jamais. Je le souhette de tout mon coeur.
Je vous remercie de vos nouuelles. L'on dit icy que
le duc de Parme a esté battu sur le Bollognois^
nous atendons la prinse de Castres 2. Les espagnols
semblent s'aprester pour faire quelque entreprinse en
Italie ou en Prouense. où l'on dit que tout va en
Ruine ^. L'on dit que les affaires de bordeaux^ ne
sont pas acommodées. dieu nous ayde.
Vostre trèshumble
Seruiteur
Le Poussin
î. Cette défaite, grandement exagérée à Rome, se réduisait
au fait que l'armée du duc de Parme n'avait pu forcer le pas-
sage du pont de Lenza (Gueffier, Corr., 23 août 1649).
2. Voir la lettre de Gueffier au comte de Brienne, 23 août
1649. La bourgade prise, Innocent X la fit raser et une pyra-
mide fut élevée, avec l'inscription : Qui fU Castro.
3. Board écrit, de Porto-Longone, le 5 juillet 1649 : « On ne
parle ici que des désordres de Provence... »
4. La Fronde provinciale fut assez grave à Bordeaux en 1649
et plus encore en i65o. Les pires nouvelles étaient colportées
par les Espagnols sur l'état des trois grandes provinces de
1649] ^^ nicolas poussin. 405
174. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fol. 2i5.)
A Monsieur De Chditelou, A Paris.
[M. Poussin ig^ septembre 164g.
Il me mande quil a commencé son portrait et que
sil nest acheué cette année il y aura de l'impossibilité.]
De Rome le. igi^^ Septembre. 1649.
Monsieur
quoy que pour vous bien témoigner ce que je vous
suis ne debuerois plus user de parolles mais d'effets
nanmoins j'espère tant en vostre courtoisie que vous
recepuerés encore celle sy d'ausy bon œil comme sy
elle vous témoignés l'acomplissement de ce que il y
a si longtems que vous désirés de moy. Car la bonne
volonté que jei de vous seruir. et l'impossibilité
s'étant trouués ensemble d'une forse égalle ont fet
chés moy une grande guerre. Mais en fin l'une com-
mensant à céder à l'autre, m'a permis de donner un
peu de commencement à mon portraict lequel sil
n'estoit fini en tout le reste de cette Anée vous pour-
ries vous assurer que l'impossible auroit emporté la
victoire. Ce que je ne crois pas pour tant, au surplus
je vous prie de me compassionner qui me trouue
engagé plus que je n'ay esté en toutte ma vie.
Nous scauons tous icy le retour du Roy et de sa
Court à Paris et se qui si est passé encores. mais ceux
Guyenne, Languedoc et Provence : on les tient, écrit Gueffier
le 23 août 1649, pour « tout à fait révoltées »; quant à la France,
on publiait « que tout y estoit plus embrouillé que jamais ».
406 CORRESPONDANCE [1649
qui cognoissent la bêtise et l'inconstanse des peuples
ne s'étonnent nullement de ce qui font^.
Nous auons icy grande Quantité de maladies mais
non contagieuses il ni a rien de nouueau digne de
vous escrire.
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsobéissant
Seruiteur
Le Poussin
175. — Poussin a Jacques Stella.
(Félibien, éd. 1706, p. 41.)
Il fit aussi pour Mr. Scarron un ravissement de
Saint Paul; et pour le Sieur Stella un Tableau où
Moïse frappe le rocher, tout différent de celui qu'il
avoit fait autrefois pour Mr. de Gillier. Ce fut au
sujet de cet ouvrage qu'il écrivit une lettre (en Sep-
tembre 1649) au sieur Stella, par laquelle il lui
témoigne
« qu'il a été bien-aise d'apprendre qu'il en étoit
content, et aussi d'avoir su ce qu'on en disoit. Et
parce qu'on avoit trouvé à redire sur la profondeur
du lit où l'eau coule, qui semble n'avoir pu être fait
en si peu de temps, ni disposé par la nature dans un
lieu aussi sec et aussi aride que le désert où étoient
les Israélites, il dit « qu'on ne doit pas s'arrêter à
cette difficulté. Qu'il est bien-aise qu'on sache qu'il
ne travaille point au hazard, et qu'il est en quelque
manière assez bien instruit de ce qui est permis à un
I. La cour revint de Compiègne à Paris le 18 août 1649.
Poussin fait sans doute allusion à l'accueil enthousiaste que
les Parisiens firent, non seulement au roi, mais encore à
Mazarin.
1649] ^^ NICOLAS POUSSIN. 4O7
Peintre dans les choses qu'il veut représenter,
lesquelles se peuvent prendre et considérer comme
elles sont encore ou comme elles doivent être. Qu'ap-
paremment la disposition du lieu où ce miracle se fit
devoit être de la sorte qu'il l'a figurée, parce qu'autre-
ment l'eau n'auroit pu être ramassée, ni prise pour
s'en servir dans le besoin qu'une si grande quantité
de peuple en avoit, mais qu'elle se seroit répandue
de tous côtes. Que si à la création du monde la terre
eût reçu une figure uniforme, et que les eaux n'eussent
point trouvé des lits et des profondeurs, sa superficie
auroit été toute couverte, et inutile aux animaux;
mais que dès le commencement Dieu disposa toutes
choses avec ordre et raport à la fin pour laquelle il
perfectionnoit son ouvrage. Ainsi dans des événe-
^ mens aussi considérables que fût celui du frapement
du rocher, on peut croire qu'il arrive toujours des
choses merveilleuses; de sorte que n'étant pas aisé à
tout le monde de bien juger, on doit être fort retenu,
et ne pas décider témérairement. »
176. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, ^o^- 216.)
A Monsieur de Chantelou, A Paris.
[M. Poussin 8" octobre 164g.
3 escus de reste.
Il mande quil menuerra son portrait sur la fin de
l'année — quil faut quil fasse deux tableaux auant que
de trauailler à la vierge en grand quil songera à
une conuertion de S^ Paul.]
A Rome le S^^ octobre. 1649.
Monsieur
La vostre du disiesme Septembre et la dernière du
408 CORRESPONDANCE [1649
dissept quoy que de teneur bien différentes n'ont
point produit en moy de diuers effets par la première
vous me fettes des reproches que autrefois vous
m'aués fettes les quelles ne m'ont aucunement altéré,
parceque je peus (pouruu que Je viue) vous oster tout
le soupson que vous pourries auoir de la Seruitu que
je vous proffesse mais se pendans ne trouués point
mauuais si encore je fais part de mes ouurages à
quelcun de mes amis tout ce qui va d'un costé n'est
pas bien. Vous dittes que la promesse que je vous ay
fette n'est point de la qualité de celles qui se peuuent
atendre auec modération, mais ausy ne faut il vou-
loir que se qui se peut. La tortue ne sauroit suiure
règle, par celle que je vous escriuis en datte du vint
et deuziesme d'aust vous aués veu de quelle sorte je
vous respecte et combien je suis vostre. Car nul autre
que vous ne m'auroit jamais fés promettre ce que je
vous promis pour monsieur Pucques me trouuant
engagé à plus d'une vinteine de personnes de qual-
lité. ausy la response quil vous a pieu me faire sur
icelle me témoigne bien ce que vous m'escriués par
la première que les imaginations que vous aués de
moy ne vous viennent que par Interualles. Si vous
voulés considérer toutte choses sans passion elle ne
vous reuiendrOs jamais.
Je vous enuoyerei les meillieurs gants ^ quejepour-
ray trouuer et le plus tost que je pourrei. Jei repceu
les six pistols mentionnées en la lettre de Change que
vous m'aués enuoyée comme vous verres par la quit-
tanse que j'en ay fette à M"" Gericot. Sil falloit quelque
chose dauantag je vous suis débiteur de trois escus
I. Il semble que c'était la spécialité de Rome (Board en
achète pour le chevalier de Sévigné, fol. 216).
1649] DE NICOLAS POUSSIN. 409
et quelque Jules de qui je vous tiendrei bon compte.
Je m'efForserei de vous enuoier mon portraict à la fin
de cette anée Mais pour la Vierge il faut que je face
deux tableaux au parauant. que di mettre la main.
Cet Hiuer je trauaillerei à la Composition de l'His-
toire de St Paul et auec le temps et la paille se
mûrissent les nèfles. Sependans je vous remercie infi-
niment de vos nouuelles. Nous verrons si les italiens
seront meillieurs acteurs en cette comédie que les
francois cependans c'est à nos despens et sur nostre
téatre que tout se fera.
Je demeure à jamais
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsobéissant
Seruiteur
Le poussin
177. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fol- 218.)
A Monsieur de Chantelou^ A Paris*.
[M. Poussin 18^ octobre 164g.
Il menuoye des gants que je luy auois demandé.]
A Rome le i8*"« octobre 1649.
Monsieur
Jei fet ce que Jey peu cette sepmaine passée pour
trouuer de bons Gants à la frangipane et pour ce fair
y ay employé mes amis qui ont prié la Signora Mada-
lena (famé fameuse pour les parfuns^) en ma faueur.
1. En petits caractères, en bas et à gauche de l'adresse -.port
doti^e sol^.
2. Board nous confirme sa réputation : « M. de Mauroy,
frère de l'intendant des finances [un client de Poussin], m'a
410 CORRESPONDANCE [l65o
J'y ay employé ausy son propre nepueu qui est de
mes amis, elle m'en a donné une douzeine de paire
des meillieurs quelle scait faire. Ausy ay je eu faueur
au prix car il ne coûtent que dishuit escus\ Je vous
les enuoye par cet ordinaire et vous les recepuerés
par le moyen de M"^ Giericot à qui je les ay consi-
gnés, trèsbien conditionés et [à] qui vous en payerés le
port de Rome à paris. Je vous supplie quand vous les
aurés repseu de m'escrire sil vous auront pieu. Cela
me seruira assés ou pour fuir entièrement le com-
merse de se peuple icy ou pour m'assurer quil se
trouue encore quelque fidellité en quelcun d'eus.
pour ce qui est de nos autres affaires je vous en
escriuis la sepmaine passée et seroit superflu de vous
en dire autre chose maintenant.
Nous auons eu par cet ordinaire d'assés bonnes
nouuelles de la Court et semblent que vos popheties
se veillent acomplir. Je demeure à jamais
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsobéissant
Seruiteur
Le Poussin
178. — Poussin a Chantelou.
(Copie de l'Institut, lettre 121.)
De Rome le 22^ Janvier i65o.
Monsieur
J'aurois maintenant satisfait à la promesse que je
fait des compliments de la part de M. de Trilport. Je l'ai
adressé à M. Valeran [maître des postes] pour avoir des huiles
de la Sig" Magdalena... » [Corresp., 7 juillet 1649).
I. C'était peu, vu la qualité, car Board écrit que les gants
coûtent une et une demi-pistole la paire (la pistole de trois
écus).
l65o] DE NICOLAS POUSSIN. 4II
VOUS avois faitte de vous envoyer mon portrait si la
volonté que j'en avois n'eut point rencontré d'obstacle.
Monsieur l'Ambassadeur^ a tant fait que Je n'ai pu
faire de moins que de lui promettre de faire pour le
commencement de cette année, une Vierge portée par
quatre Anges 3, que je lui ai finie de devant hier seu-
lement, ce qui a été cause que j'ai laissé plusieurs
choses en arrière. Chose semblable m'est arrivé sou-
vent c'est pourquoi il ne se faut pas étonner si quelque
fois, ce que j'ai promis de faire en un temps se trans-
porte en un autre. Je vous suplie de croire que j'ai
un déplaisir particulier de vous faire tant attendre et
que au plus tôt qu'il me sera possible j'accomplirai
ma promesse. Vous m'obligerés grandement de ce
que vous remettes à commodité les autres choses que
vous désirés que je fasse. Car je me trouve trop
embarassé. J'espère que la première fois que vous me
ferés l'honneur de m'écrire vous me ferés scavoir les
nouvelles de delà je demeure à jamais
Monsieur, Votre très humble
et très obéissant serviteur
Signé : Le Poussin.
1. La copie de l'Institut porte en marge cette note au crayon :
« M. de Créqui, je crois. » Cependant, l'ambassadeur à Rome
en i65o n'était pas Créqui, mais le commandeur Louis de
Valençay, qui était arrivé pour remplacer Fontenay-Mareuil
le mercredi 4 juillet 1649 (d'après Board, Corr.) et qui y sera
encore en i653. Le duc de Créqui (1623-1687) ne sera ambassa-
deur à Rome qu'en 1662. C'est cependant pour lui que Pous-
sin peindra, en i65i, « une Vierge dans un païsage, accompa-
gnée de plusieurs figures » (Félibien, Entretiens, p. 48).
2. Fr. Villot, dans le Catalogue du Louvre, p. 275, croit que
c'est la célèbre petite Assomption, n" 429.
412 CORRESPONDANCE [l65o
179. — Poussin a Chantelou.
(Copie de l'Institut, lettre 122.)
de Rome i3« Mars i65o.
Monsieur,
Ce seroit avec grand contentement que je ferois
réponse à Votre dernière, si j'avois quelque bonne
nouvelle à vous écrire sur le sujet des tableaux que
je vous ai promis, mais particulièrement de celui de
mon portrait, que je n'ai pas pu encore finir. Je con-
fesse ingénument que je suis paresseux à faire cet
ouvrage auquel je n'ai pas grand plaisir et peu d'ha-
bitude, car il y a vingt-huit ans que je n'ai fait aucuns
V" portrait \ néanmoins il le faut finir car j'aime bien
plus votre satisfaction que la mienne. Les autres
choses que je vous ai promises se feront à leur temps.
Pour Monsieur de Mauroi^ et de ce qu'il désire que
j'observe au tableau de la Nativité qu'il veut que je
lui fasse. Il n'y a nulle difficulté, la résolution qu'il a
faite d'attendre me plait sur toutes choses, à mesure
que la vigeur me vas manquer les années s'augmentent
1. H. Chardon [Les Fréart, p. 78) ne connaît de Poussin,
\ji< outre ses deux portraits de lui-même, que ceux de Duquesnoy
^ et de Clément IX (Giulio Rospigliosi). C'est celui de Duques-
noy (mort le 12 juillet 1643) qui doit remonter à vingt-huit
ans. Cependant, Smith, dans son Catalogue raisonné, men-
tionne encore un portrait de la collection de la marquise de
Bute, à Luton, où Poussin se serait peint vers la quarantaine.
Ce portrait serait peut-être la copie dont Poussin parle au
début de sa lettre du 29 mai i65o.
2. « En i653, il fit pour M. de Mauroy, Intendant des
Finances, une Nativité de Notre Seigneur, et les Pasteurs qui
viennent l'adorer » (Félibien, Entretiens, p. 44). — Je crains
que M. Bonnaffé ne se trompe quand il parle d'une Ado-
ration « des Mages » chez M. de Mauroy {Dict. des Amateurs).
l65o] DE NICOLAS POUSSIN. 4l3
et le travaille qui est le moyen de bientôt succom-
ber sous le faix si je n'y trouve remède. Je demeure
à jamais
Monsieur,
Votre très humble et
très obéissant serviteur
Signé : Le Poussin.
J'ai reçu il y a peu d'heurs la dernière qu'il vous
a plut m'écrire; laquelle étant assés conforme à la
précédente. Ce peu de réponse servira pour touttes
les deux. Je vous remercie de vos nouvelles qui sont
un peu contraire à celles qui courrent entre le com-
mun. Continués moi vos grâces sil vous plait.
180. — Poussin a Chantelou.
(Copie de l'Institut, lettre i23).
de Rome le 8^ Mai i68o^
Monsieur
J'espère bientôt amoindrir le nombre des choses
que je vous ai promises. Celle que vous montrés dési-
rer le plus étant à bon terme. Je serois après pour la
finir du tout mais j'attend qu'elle soit bien assonnée.
J'ai peu de chose à faire cependant laquelle entant
faitte, je finirai la vôtre misérablement et vous l'en-
voyerai aussitôt. Je confesse que votre patience a été
très grande aussi ne seriés-vous pas si acomplis. si
cette vertu là vous manquoit. Je vous prie de croire
que je n'en ai point abusé n'ayant pas été à moi jusque
à présent. J'honnore trop votre mérite et j'ai trop bon
souvenir des choses passées pour vous donner aucun
I. Lapsus du copiste, pour i65o.
414 CORRESPONDANCE [l65o
sujet de me reprendre de trop d'ignorance ou de
méconnoissance.
Je vous remercie des nouvelles que vous m'écri-
ves, je ne m'en réjouis ni je ne m'en fâche, ne sachant
pas les effets que doivent produire à l'avenir les
choses qui se passe maintenant; il ne se passe ici
rien de nouveau plus remarquable que les miracles
qui se font si fréquamment que c'est merveille La
procession de Florence' y a apporté un crucifix de
bois de co... à qui la barbe est venue, et les cheveux
lui croissent tous les jours de plus de quatre doigts.
L'on dit que le Pape le tondra l'un de ses jours en
sérémonie.
Monsieur
Votre très humble et
et très obéissant serviteur
Signé : Le Poussin.
Monsieur Scarron votre ami est sur le chantier.
Je lui baise les mains.
181. — Poussin a Chantelou.
(Copie de l'Institut, lettre 124.)
de Rome ce 29» Mai i65o.
Monsieur
J'ai fini le portrait que vous désiriés de moi. Je
pouvois vous l'envoyer par cet ordinaire. Mais l'im-
portunité de quelques uns de mes amis qui en désirent
avoir la copie, sera cause de quelque retardement.
Je vous l'envoyerai néanmoins le plus tôt qu'il me
sera possible.
Monsieur Pointel aura celui que je lui ai promis
I. Voir la Galette de i65o, n» 79, p. 693.
l65o] DE NICOLAS POUSSIN. 4l5
en même temps duquel vous n'aurés point de jalou-
sie car j'ai observé la promesse que je vous ai faitte
aiant choisi le meilleur et le plus resemblant pour '
vous\ vous en voirés la différence vous même. Je
prétends que ce portrait vous doit être un signe de
la servitu que je vous ai voué, d'autant que pour per-
sonne vivante je ne ferois ce que j'ai fait pour vous
en cette matière. Je ne vous veux pas dire la peine
que j'ai eu à faire ce portrait, de peur que vous me
croyés que je le veuille faire valoir. Il me suffira
quand je scaurai quil vous aura plust. Je pourai
envoyer en même temps à Monsieur l'Abée Sçarron
son tableau du Ravissement de S' Paul, que vous
verres et vous prirés de m'en dire votre sentiment'.
Les autres choses que je vous ai promises se feront
avec le temps. Je vous écris ces deux lignes ici pour
vous prier de croire que si j'ai tardé de satisfaire à
votre curiosité. Je n'oublie pas ce que je vous doit
qui est d'être toutte ma vie
Monsieur
Votre très humble et
très obéissant serviteur
Le Poussin.
182. — Poussin a Chantelou.
(Copie de l'Institut, lettre 12b.)
de Rome ce igt Juin i65o.
Monsieur
Ce seroit une grande sotise à celui qui voudroit
I. Ce sera aussi l'avis du Bernin quand il verra les deux n
portraits à Paris en i665 {Ga![ette des beaux-arts, février 1877).
a. On sait, par Florent Le Comte [Catalogue du Poussin),
que Scarron céda son Ravissement de saint Paul à Jabach, V'
41 6 CORRESPONDANCE [l65o
entreprendre de contenter tout le monde; mais de
tâcher à satisfaire à ses amis c'est une chose qui sied
bien à un honnête homme, j'avois délibéré de vous
envoyer mon portrait à l'heure même que je l'eus fini,
affin de ne pas vous le faire désirer plus long temps;
mais quelqu'un de mes bons amis aiant désiré ardem-
ment en avoir la copie. Je n'ai pu honnêtement lui
refuser, c'est ce qui a été la cause que Je l'ai retenu
jusque à présent. Je vous l'envoyé par cet ordinaire
dilligemment encaissé comme j'ai coutume. Je prie
Mf Serisier mon ami de vous l'envoyer à Paris aus-
sitôt qu'il l'aura reçu à Lion et croi que vous le rece-
vrés bien conditionné. J'ai prié à votre deffaut, A
Monsieur Pointel de le retirer et vous le garder tout
encaissé jusques à votre retour à Paris si vous en
étiés absent. Dans huitaine le dit Sf Pointel recevra
celui que j'ai fait pour lui. et vous en serés le juge de
l'un et de l'autre : mais je m'assure de vous avoir
tenu la promesse que je vous ai faitte car celui que
je vous dédis est le meilleur et très bien resemblant.
Je vous suplie, Monsieur, d'accepter de bon coeur ce
mien portrait tel qu'il est, et vous prie de croire que
l'original est autant votre, comme la copie.
Monsieur
Votre très humble et très obéissant
Serviteur
Le Poussin.
d'où il passa, par le duc de Richelieu, « dans le cabinet de
Sa Majesté » (c'est le n° 433 du Louvre). Aussi le tableau ne
figure-t-il pas dans l'inventaire dressé après le décès de Scar-
ron (A. de Boislisle, Revue des Questions historiques, 1893).
l65o] DE NICOLAS POUSSIN. 417
183. — Poussin a Chantelou.
(Copie de l'Institut, lettre 126.)
de Rome le 3« Juillet i65o.
Monsieur,
Si vous chérissiés mes ouvrages, j'ai à grande gloire
que vous les possédiés. Je sens tous les jours les avan-
tages que j'en retire, aussi confesserai-je toujours de
vous être grandement obligé. La place que vousvou-
lés donner à mon portrait en votre maison augmente
mes dettes de beaucoup. Il y sera aussi dignement
comme fut celui de Virgille au musée d'Augustes.
J'en seroi aussi glorieux comme s'il étoit chés les
Ducs de Toscanne avec ceux de Léonard Michel
L'Ange et Raphaël. Je suis en impatience que vous
Payés reçus; et de sçavoir s'il vous aura plust. J'ai
fait la dilligense que j'ai pu pour le faire resembler,
quoique avec incommodité, ceux qui l'ont vu ici l'ont
trouvé fort reconnoissable.
Je suis fort aise que Monsieur de Chambrai se sou-
vienne de moi et qu'il me commande quelque chose,
je le servirai de tout mon cœur.
Je vous remercie de vos nouvelles quoi qu'elles ne
soient bonnes pour nous n'y en Italie n'y en France.
Nous avons perdus Piombin et nous perderons Lon-
gon^ et puis ici à Rome Guai a noi^.
Monsieur
Votre très humble
et très obéissant serviteur
Poussin.
1. Le 17 juin i65o, le gouverneur de Piombino s'était laissé
surprendre et les Espagnols reprirent Porto-Longone le 16 juil-
let, après quarante-sept jours de siège.
2. Guai a noi, malheur à nous, gare à nous. Les Français
191 i 27
^iS CORRESPONDANCE [l65o
184. — Poussin a Chantelou.
(Copie de l'Institut, lettre 127.)
de Rome ce 29* Aoust i65o.
Monsieur
Il n'y a non plus de proportion entre l'estime que
vous faitte de mon portrait et les louanges que vous
me donnés, qu'entre le mérite de cet œuvre et la
récompense. Vous êtes exclusif partout. Je me pro-
mettois bien que vous receveriés le petit présent de
bon oeuil, mais je n'attendois rien d'avantage et ne
prétendois pas que vous m'en eussiés de l'obligation.
J'étois assés content d'avoir lieu en votre cabinet en
peinture, sans remplir ma bourse de pistolles. Cest
une espèce de Tirannie que de me rendre tant votre
redevable, que jamais je ne ne puisse aquitter ma
dette.
J'ai lu l'Épître Liminaire de Monsieur de Cham-
brai de laquelle j'ai recueilli un plaisir tout particu-
lier me remettant comme devant les yeux l'excellence
de la vertu de feu Monseigneur et Maître : laquelle
ne se peut assés exalter. Je n'eusse pas cru qu'il eût
voulut incérer le nom de son serviteur en cette noble
Épître et ailleurs si souvent et avec tant d'avantage
comme il a voulut faire c'est un effet de sa courtoisie
naturelle et d'une amitié singulière en mon endroit.
C'est ce qui m'a fait changer la pensée que j'avois eu
de lui envoyer la notte de mon origine, car ce seroit
une imprudence trop grande et sotte présomption de
étaient fort mal vus à Rome, où les Espagnols profitaient des
embarras de la Fronde pour tenir le haut du pavé. Le 27 avril
i65o, les Corses de la garde du pape avaient attaqué le palais
de notre ambassadeur.
l65l] CE NICOLAS POUSSIN. 419
désirer d'avange que ce qu'il en dit c'est trop mille
fois. Je massure que vous ny lui ne trouvères pas ce
changement vicieux, j'ai aussi cru de faire mieux de
ne pas laisser voir le jour aux avertissemens que je
commencés à ourdir sur le fait de la peinture, m'étant
avisé que ce ceroit porter de l'eau à la mer, que d'en-
voyer à Monsieur De Chambrai quoi que ce soit qui
touchât une matière en laquelle il est trop agat Ce
sera si je vis mon entretien'.
Par l'ordinaire prochain je tâcherai à vous envoyer
la descriptions des effets que vous désirés.
Je vous remercie de vos nouvelles, celles d'ici ne
vallent rien. Je suis à jamais,
Monsieur,
Votre très humble et
très obéissant serviteur
Poussin
185. — Poussin a Abraham Bosse ^ (i65i ?).
Abraham Bosse, à propos du Traité de la Pein-
1. « Il eut toujours en l'esprit de compiler un livre sur la
peinture, notant diverses matières et souvenirs, selon qu'il
lisait ou contemplait, dans l'intention de les mettre en ordre,
lorsque l'âge venu l'empêcherait de se servir de son pinceau : 1
il était d'avis qu'il ne convient plus travailler à un vieux-''^
peintre, l'esprit lui manquant pour cela, ainsi qu'il s'est vu
chez un grand nombre » (Bellori, Le Vite de' pittori, trad.
Rémond, p. 87).
2. Cette lettre est relative au « Traité de la peinture de
Léonard de Vinci, donné au public, et traduit, d'italien en
François, par R. F. S. D. C, à Paris, de l'imprimerie de
Jacques Langlois, etc., i65i. » En dépit de la dédicace qui lui
était adressée, Poussin était loin d'approuver toutes les idées,
parfois un peu étroites, de Roland Fréart de Chambray. L'hu-
meur tracassière d'Abraham Bosse, graveur illustre, mais
véritable « démon de la dissension », fut sans doute ravie de
420 CORRESPONDANCE [l65l
tU7-e de Léonard de Vinci, traduit par Roland Fréart,
sieur de Chambray, s'exprime ainsi :
« J'avoue qu'ayant leu dans son Épître, que dores-
navant ce Livre doit estre la règle de VArt^ et le guide
de tous les vrais Peintres^ et de plus, que Monsieur
le Poussin avoit fait la démonstration lignéale de
tous les chapitres qui avoient besoin d'estre éclaircis
et représente^par des Figures ' , cela me surprit, estant
certain que pour arriver à la perfection de vray
Peintre, il se faut servir de règles toutes contraires à
celles de ce prétendu L. de Vinci, duquel je feray voir
qu'à la réserve des Figures humaines nues, il n'y a
rien dedans qui vienne de Monsieur le Poussin.
Mais outre toute cette certitude, j'ay voulu pour
cause, comme j'ay dit, luy en écrire à Rome, lequel
de sa grâce m'a fait la réponse qui suit.
J'ay eu quelquefois du plaisir et ay profité des
divers jugemens que l'on a fait de moy ainsi à la
haste, comme ont accoustumé de faire nos François,
qui en cela se trompent trop souvent; je vous suis
redevable d'en avoir jugé favorablement. Si vous me
régalez de vos derniers ouvrages, j'en feray le mesme
estime que des autres que j'ay de vous, que je tiens
très-chers.
Pour ce qui concerne le Livre de Léonard Vinci, il
est vray que j'ay dessiné les Figures humaines qui
sont en celuy que tient Monsieur le Chevalier Du
Puis; mais toutes les autres, soit géométrales ou
autrement, sont d'un certain de Gli Alberti, celuy-là
cette réponse peu nuancée de Poussin, et Bosse l'inséra à grand
bruit dans son Traité des practiques géométrales et perspec-
tives enseignées dans l'Académie royale de la peinture et
sculpture, i665, p. 128. L'original de cette lettre est perdu.
I . Les passages en italiques sont conformes au texte d'Abraham
Bosse.
l65l] DE NICOLAS POUSSIN. 421
mesme qui a tracé les Plantes^ qui sont au Livre de
la Rome Sousterraine'^; et les gaufes^ Païsages qui
sont au derrière des figurines humaines de la copie
que Monsieur de Chambray a fait imprimer, y ont
esté ajonts par un certain Errard, sans que j'en aye
rien sceu.
Tout ce qu'il y a de bon en ce Livre se peut écrire
sur une fueille de papier en grosse lettre; et ceux qui
croyent que j'approuve tout ce qui y est ne me con-
noissent pas; moy qui professe de ne donner jamais
le lieu de franchise aux choses de ma profession que
je connois estre mal faites et mal dites.
Au demeurant, il n'est pas besoin de vous écrire
touchant les Leçons que vous donnez en l'Académie,
vous estres trop. bien fondé.
Et encore que cette seule réponse soit suffisante
pour convaincre nos Envieux médisans, je ne laisse-
ray pas pourtant d'appuyer le dire de Monsieur le
Poussin et le mien par les remarques qui suivent, en
attendant le reste, si j'y suis encore forcé, ou bien
pour mieux et brièvement faire, en cotter le bon par
abrégé, ainsi qu'a très bien dit nostre Illustre ; de la
communication duquel j'ay esté tellement ravi, que je
remercie mes Critiques malins et peu éclaire^ de me
l'avoir procurée, quoy que sans y penser.
186. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, f*''* 22<^')
A Monsieur de Chantelou, à Paris.
[Il parle de mon frère de Chambre
1. Sans doute les planches ou les plans.
2. La /^owasoWeranea de Bosio, publiée en i632parAldobran-
dini.
3. De l'italien goffi, grossiers, maladroits.
\
422 CORRESPONDANCE [l65l
dit que pendant que sa teste poura conceuoir quelque
chose de bon, que ses yeux verront clair et sa main
tremblante opérer ce sera p^ moy.]
Le 24™« Auril i65i à Rome.
Monsieur
Jey malheureusement esgaré la dernière que vous
me fistes l'honneur de m'escrire du mans. l'espérance
que j'auois de la recouurer m'a trompé et empesché
en mesme temps di respondre plus tost ayant oublié
ce quelle contenoit en détail il me souuient pourtant
que vous me témoignés vostre bienveillance acoustu-
mée et que vous me procuriés celle de Mf de Cham-
bray. De plus en plus touttes ces faneurs surpasse
mon peu de mérite d'autans comme il y a de la terre
au ciel. Je le cognois fortbien. C'est pourquoy l'obli-
gation que je vous ay est d'autans plus grande. Ausi
il ne faut point que vous doubtiés que je ne sois tout
vostre et ce seroit me faire tort si vous ne croyés que
cependans que ma teste pourra conceuoir quelque
chose que mes ieux verront clair et que ma main tran-
blante pourra opérer je ne sois tousioursprestà vous
seruir. Je vous prie de n'en point doubter. Je dis cecy
pource quil me semble que vous m'escriuiés que
quand je serois debaracé vous vouliés que je vous
fisse quelque chose de nouueau.
Enfin M^ vos prophéties sont acomplies. Je prie
dieu que ce soit pour tousiours*. Je crains le retour.
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsobéissant
Seruiteur
Le Poussin
I. Allusion à l'exil de Mazarin. Celui-ci arriva à Bruhl, chez
rélecteur de Cologne, le 11 avril i65i.
l65l] DE NICOLAS POUSSIN. 423
Je baise trèshumblement
les mains à Messieurs
vos fraires.
187. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fol. 222.)
A Monsieur de Chantelou, au mans.
[3^ décembre i65i.
Il promet de mettre la main à la Vierge en grand
que je luy demande.]
à Rome le 3. décembre. i65i.
Monsieur
Je suis mortifié par les deus mots que vous aués
joint au bas de la lettre de Monsieur de Chambray.
C'est me dire beaucoup quand vous dittes que je vous
aye en mon souuenir. Certainement je ne deuerois
pas seullement auoir en ma mémoire ce que je vous
ay promis il y a long-temps mai je debuerois l'auoir
fait. Je ne scai si vous aués repceu la dernière que je
vous ay escritte ou si vous y aués obserué ce que je
vous promettois touchant la Vierge en grand que
vous désirés que je face. Je vous le répette par celle
cy. et néanmoins que je sois extrêmement engagé je
m'efforserei de donner commencement cet hiuer . C'est
la mémoire que j'aurei du seruice que je vous doibs
rendre qui suis de tout mon cœur
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsobéissant
Seruiteur
Le Poussin
Monsieur le Cheualier du Puis
vous baise les mains.
424 CORRESPONDANCE [l65l
188. — Poussin a Jacques Stella.
(Félibien, Entretiens, éd. i685, p. 408.)
« Dans quelques-uns de ses Tableaux il a repré-
senté des temps calmes et serains ; dans d'autres des
pluyes, des vents, et des orages, comme ceux que
vous avez veûs autrefois chez le sieur Pointel. Le
Poussin les fit en i65i, et dans le mesme temps il
écrivit au sieur Stella,
Qu'il avoit fait pour le Cavalier del Pozzo, un
grand païsage, dans lequel, luy dit-il, j'ay essayé de
représenter une tempeste sur terre, imitant le mieux
que j'ay pu l'effet d'un vent impétueux, d'un air rem-
pli d'obscurité, de pluye, d'éclairs et de foudres qui
tombent en plusieurs endroits, non sans y faire du
désordre. Toutes les figures qu'on y voit jouent leur
personnage selon le temps qu'il fait : les unes fuyent
au travers de la poussière, et suivent le vent qui les
emporte; d'autres au contraire vont contre lèvent, et
marchent avec peine, mettant leurs mains devant
leurs yeux. D'un costé un Berger court, et abandonne
son troupeau, voyant un lion, qui, après avoir mis
par terre certains Bouviers en attaque d'autres, dont
les uns se défendent, et les autres piquent leurs bœufs,
et taschent de se sauver. Dans ce désordre la pous-
sière s'élève par gros tourbillons. Un chien assez
éloigné aboyé, et se hérisse le poil, sans oser appro-
cher. Sur le devant du Tableau l'on voit Pyrame mort
et étendu par terre, et auprès de luy Tysbé qui s'aban-
donne à la douleur. »
l652] de nicolas poussin. 425
189. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, ^^^' 224-)
A Monsieur de Chantelou,
Maistre d^Hostel ordinaire du Roy^ à paris
ou au Mans ' .
[10 nouembre i652.
Il promet de mettre la main à la Vierge en grand,
mande quil croioit que la guerre ciuille eust amorti
ma curiosité.]
Le io"['« Nouembre. i652. à Rome.
Monsieur
Celle qu'il vous a pieu m'escrire du 3o™« Septembre
m'a esté rendue un peu tard, mais ausi tost que je
l'ai repsue. jei fait recherche de ceque vous m'ordon-
nes par icelle. Je vous enuoye donc une douzeine de
paires de gant de Frangipane lesquels je m'assure
vous plairont. Je vous enuoie ausi six pacquets de
cordes de leut toutte choisies et esprouuées par un
bon joueur d'instruments mon ami. Les dittes cordes
sont enfermées en une petitte boette de fer blanc sou-
dée partout et sellée de mon cachés. Les gants sont
forbien enuelopés et sellés comme dessus. Jei consei-
gné le tout à M^, Giericot demeurant en cette ville
lequel l'enuoiera à son Paire à Paris qui vous le fera
tenir où vous serés. Vous paierés le port de delà sil
vous plaist et ordonnerés que je sois remboursé.
Ci-dessous vous verres la dépense.
Les choses que vous m'aués ordonnées pour vostre
seruice ne s'efacent nullement de ma mémoire et je
I. En bas, à gauche : franc.
426 CORRESPONDANCE [l652
VOUS jure que j'aurois à tout le moins cOmencé la
Vierge que je vous ay promise. Mais les Nouuelles
que nous auons trop souuent de la désolation de
nostre pauure France, et le refroidissem* uniuersel de
la curiosité des belles choses, m'auoit fait* penser que
vous auriés soin de toutte autre chose que de nou-
uelle peinture, qui en aués désià assés. Or maintenant
les escuses ne me seruiroint de rien puis que je vous
vois continuer dens vostre premier dessein, et quoy
que l'incommodité que jei eue cette Anée aie mis
mes « affaires fort en derrière, il faut que je trouue le
temps de vous satisfaire. C'est (Monsieur) ce que je
vous promets de faire le plus tost qui me sera pos-
sible — Jei recouuert la santé comme au parauant
dieu me la veille continuer *. en cette manière je serei
tousiours en estât de vous seruir moy qui serei
tousiours
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsobéissant
Seruiteur
Le Poussin
Messieurs vos fraires trouueront
ici mes trèshumbles baisemains.
28. escus. pour les gants
5. escus et Jules. 4.
pour les cordes de leut
à noeuf Jules le pacquet
Un Jule pour la boette.
Le tout monte à trentetrois escus et demi
de cette monoye.
i.fait, en marge.
l653] de nicolas poussin. 427
190. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fol. 226.)
A Monsieur de Chantelou^
Maistre d'Hostel ordinaire du Roy.
Rue S^ Tomas du Louure^ A Paris*.
[16^ feburier i653.
Mande quil a trouué la pensée de la Vierge en
grand que je luy ay demandée. \
Ce i6'^« féurier i653. à Rome.
Monsieur
Le Jeune homme Architecte que vous me recom-
mandés a esté le porteur de la vostre du 3°?« Januier.
Si je suis capable de le seruir je le ferei de tout mon
cœur pour l'amour de vous et de Mo;; Renart qui
véritablem.' est honneste homme et amateur des belles
choses mais qui choisit fort mal ceus qui voudroit
qui fissent proffit en l'aquisition d'icelles. Si celui ci
qui recommande réussit à faire progrès en l'art quil
entreprent d'exercer, il me trompera.
J'étois en paine de scauoir si les gants et cordes de
leut que je vous ai enuoiées vous auoint esté rendues
mais par celle vostre vous m'assures d'auoir repseu
le tout bien conditionné. Je croi que les cordes vous
auront semblé un peu chères. Car je les paioi trois
teston^ le pacquet mais toutes choisies, je fus con-
seillé d'un mien ami qui me seruit en cela de faire
ainsi pour le mieus. ordinairement le pacquet ne
1. A gauche de l'adresse, verticalement : iport douii^e sol:(.
2. Le teston, monnaie d'argent qui valait alors près de vingt
sous.
428 CORRESPONDANCE [l653
couste que deus testons mais il ne si en trouue pas le
tiers de bonnes. Ce que je fait pour vous je le faits
auec plus de soin que si c'étoit pour moy mesme. Jei
parlé à M^ Gericot pour scauoir se qui prétendoit de
change pour cent, il n'en veut rien rabatre de douze
et m'a juré que l'on lui en paioit jusques à quatorze,
il i a enuiron deus mois que je fis venir un peu d'ar-
gent que j'auois à Paris lequel me fut remis à douze
pour cent et n'en pus auoir melieur marché. M^ Poin-
tel ne peut trouuer personne qui me le vouleut
remettre à dix pour cent. Vous pouués voir ce quil
importera pour me faire rembourcer en cette ville de
vintetrois escus et quatre Jules que jei dépensés pour
vous. Se sera par qui et qand il vous plaira.
Jei trouué la pensée de la Vierge que je vous ai pro-
mise, il faut maintenant trouuer le temps et la com-
modité de la mettre en exécusion. Je manquerei pas
de vous escrire quand ji mettrei la main. Je vous
souhette toutte sorte de félicité et de bonheur, et suis
à jamais
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsobéissant
Seruiteur
Le Poussin.
191. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fol- 228.)
A Monsieur de Chantelou^
Maistre DHostel ordinaire du Roy,
Rue S^ Tomas du Louure, A Paris*.
[21^ auril i653.
I. En bas et à droite : port dix sols.
l653] DE NICOLAS POUSSIN. 429
Quil a trouué la pensée de ma
vierge en grand.]
Ce 2i"« auril i653 à Rome.
Monsieur
présentement le Sieur Maurice Giericot m'a paie
vintetrois escus et quatre jules que vous aués paie à
son père à Paris pour le remboursement de « ce * que
j'auois dépensé pour vous ici à Rome. Ce n'a pas esté
sans contraste d'autans que vous ne m'aués pas enuoié
la lettre de change que son père vous a donnée, ausi
par les quittances première et seconde que je lui ai
faittes je me suis obligé ou de lui rendre la ditte lettre
de change ou l'argent que jei repseu de luy. c'est
pourquoi je vous suplie de m'oster de cette obliga-
tion et vous m'obligerés. Pour vostre Vierge la pensée
en est irouuée et j'espère vous la commencer cet
automne dieu m'en face la grâce. Je suis si pressé
que je ne peux pas vous escrire plus au long. Cepen-
dans je vous supplie de me continuer vostre bienueil-
lance et suis à tousiours
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsobéissant
Seruiteur
Le Poussin.
192. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fo^* 229.)
A Monsieur De Chantelou^
Maistre d^Hostel ordinaire du Roy^ à Paris.
[//« May i653.
Quil va trauailler à la Vierge en grand.
43o CORRESPONDANCE [l653
Quil a fait présent des Hures de mon frère de
Chambre à M. le Cheualier du Puy qui les tient
comme des trésor s. 1
A Rome Ce ii»^* mai. i653.
Monsieur
Je n'ai rien de nouueau qui m'oblige à vous faire
long discours. Je vous dirai seullement que incluse
en vostre dernière je repsus la lettre de change un
peu tard de manière que cela a esté cause d'embroil-
1er un peu nos affaires car j'auois (manquant la ditte
lettre) fait deus quittances au Sieur Gericot une pour
son père et une pour luy et il faut maintenant faire
reuenir celle que a son père pour me la rendre, mais
tout cela n'est pas grand mal.
Pour ce qui est de vostre vierge désormais vous
n'aurés plus occasion de vous douloir de mes remises
de temps en temps ni de nulle autre occasion qui
vous pourroit déplaire jà dieu ne plaise. J'espère sur
la fin de cette anée la commencer et la finir l'ané qui
vient deuant toutte autre chose, la pensée en estares-
tée qui est le principal.
Jai fait un présent (après les auoir bien goustés)
des Hures desquels M^" de Chambray m'a fauorisé, à
Mo^ le cheuallier du Puis, qui-les tient comme autans
de trésors et les montre à tous les galanshommes qui
le vont visiter. Je lei ausi fait à celle fin qui soint veus
en bon lieu et que le non et la réputation de Mes-
sieurs les Frears de Chantelou s'étende par tout. Je
leur baise les mains et à vous je suis à jamais
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsobéissant Seruiteur
Le Poussin
1654] de nicolas poussin. 43 1
193. — Poussin a Hilaire Pader*.
Lettre de Monsievr Le Povssin^
Premier peintre dv Roy, av sievr Pader.
Monsievr,
Il y a peu de iours que ie receus un pacquet que
vous m'auez enuoyé de Monaco 2; L'on me l'a rendu
tard, d'autant (comme ie pense) que procédant en
toutes mes opérations, tout doucement et à l'aise, ie
suis peu connu du Maistre des Postes : après en avoir
fait l'ouuerture, et leu les vers de vôtre Peinture par-
lante, ie me suis trouué vostre obligé en diuerses
façons; La première à vous remercier de la mémoire,
que vous auez eu de moy en diuers temps, et lieux,
d'où il vous a pieu m'écrire des Lettres qui ne m'ont
pas esté rendues, car ie n'aurois pas manqué d'y res-
pondre à l'heure mesme. La secondeest de l'honneur
que vous m'auez fait d'insérer mon nom dans vostre
ouurage de Poésie, quoy que vous m'eussiez dauan-
tage obligé d'en parler un peu plus bassement^, et
selon mon peu de mérite : ie le reconnois pour un
1. Hilaire Pader (1607-14 août 1677), peintre, graveur et poète,
né à Toulouse. Reçu académicien le 6 décembre lôSg. La lettre
de Poussin se trouve à la page 62 de l'ouvrage : La peinture
parlante, dédiée à Messieurs les Peintres de l'Académie royale
de Paris, par H. P. P. P. Tolosain, 1657 (Bibl. nat., V. io3i7).
2. Dans le même ouvrage, Pader se dit « Peintre de Leurs
Altesses de [sic] Maurice de Savoye et de Monaco ».
3. Dans son poème, Pader décrit, en 268 vers, « divers
exemples tirés des œuvres de Mr. Poussin » : « Des Roys, des
Bergers, des enfans, des Vieillards, des Guerriers, des Pro-
phètes, des Amans, des Nymphes, des Bâchâtes, des Triôphes,
des Draperies, des Nudités, des Tableaux de Dévotion, des
Mystères joyeux ». C'est long (p. 19 à 26), vague et monotone.
432 CORRESPONDANCE [l654
effet de la bonne volonté que vous auez pour moy,
dont ie vous suis infiniment redeuable. Il ne faut pas
que vous vous incommodiés pour m'enuoyer les
autres parties de vostre Poésie, l'on iuge bien du
Lyon par l'ongle.
Je n'ay pas encore fait voir la pièce que vous m'auez
euuoyée, ie la reserue pour quelqu'un qui en sçaura
gouster la beauté; Ce n'est pas le gibier des Peintres
médiocres, ce seroit semer des perles deuant les
porcs, que de leur présenter vostre Liure pour le lire.
Au demeurant ie suis bien marri de ne vous pou-
uoir enuoyer réciproquement quelque chose du mien,
cQme vous le désirés, l'on n'a rien graué de mes
V ouurages^, dont ie ne suis pas beaucoup fâché :
Regardés cependant si ie vous puis seruir en quelque
autre chose, et commandés celuy qui est de tout son
cœur,
Monsievr,
Vostre tres-humble et tres-affectionné
serviteur,
Le Povssin.
A Rome le 3o. Januier 1654.
« Nostre Apelle François » et son « illustre Pinceau » y sont
loués par Pader avec une banalité pitoyable :
« De plus ce grand ouurier par ces rares praticques
N'eust iamais son pareil, quand à l'air des Antiques?
Il les suit de si près que ie dis et maintiens
Qu'il ne cède à pas un des Peintres Corinthiens;
... Et ie ne feindray pas de dire à haute voix
Que tous les peintres Grecs sceurent moins qu'un François,
Oui ie croy fermement qu'il sçait tout ce qu'ils sceurent,
Et qu'estant ce qu'il est, il est tout ce qu'ils furent » (p. 25).
Déjà, en 1649, Pader, dans l'Avertissement sur le traité des
Proportions, appelait Poussin, avec plus de goût : « L'honneur
de notre France ».
1. Voir G. Duplessis, Les graveurs de Nicolas Poussin {Revue
universelle des arts, i858).
l655] de nicolas poussin. 433
194. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fo^' 23o.)
A Monsieur de Chantelou,
Rue S^ Tomas du louure, à Paris*.
[y ^ juin i655.
Il menuoye la vierge en grand
et fait un discours des peintres
et sculpteur antiques.]
Le 27'ï»e Juin i655. à Rome.
Monsieur
il y a huit Jours que Je fis consigner la quaisse en
laquelle est le tableau de la vierge que je vous ai fait
au Courrier nommé L'Epine. Je me seruis de l'en-
tremise du Si^ Gericot à celle fin d'éuiter la dépense
du port duquel ils me demandoint six pistoles vous
pourrés remercier Marguin^ de cette extrauagance
quand vous le verres, il couste seullement quarante
sol pour liure pois de Lion, auiourdhui je con-
signe au mesme S;; Gericot sis paquets de bonne
Cordes de Lut. Vous ferés dilligence de retirer le
tout des mains du Si; Gericot paire auquel vous
paierés la dépense que son fis a déboursé pour vous
en cette ville"* et alieur. C'est à scauoir Le port de la
quaisse de Cordes le façon du Canon. Jules huit, de
la quaisse Jules cinq un Jule de papier et trente
nœuf Jules pour les Cordes. Les^ gants ne se sont
1. En petits caractères, au-dessous : port dou^e sols.
2. Chantelou écrit à tort le 7 au lieu du 27.
3. Peut-être Mauguin.
4. Mot en marge.
5. Ici, un astérisque qui renvoie en marge, où est écrit le
mot gants.
191 l 28
434 CORRESPONDANCE [l655
peu trouués bon. et il faut atendre jusques à cet
automne ainsi que vous aués marqué par vostre der-
nière.
Quand vous aurés repseu le susdit tableau et que
vous l'aurés bien considéré, vous me ferés l'honneur
de m'escrire cimplement à la bonne ce qui vous en
semble. Bellement je vous prie deuant toutte choses
de considérer que tout n'est pas donné à un homme
seul, et quil ne faut point rechercher en mes ouurages
ce qui n'estoint de mon talent. Je ne doute nullement
que les sentences de ceus qui verront cet ouurage ne
soint fort différentes, tous genres d'ouurages si comme
ils ont leurs auteurs ils ont encore leurs amateurs,
et partant l'on ne scait si art aucune ait son par-
fet ouurier. non sellement pourceque un autre en
autre chose est plus éminent mais encore pource-
que une forme ne plaist pas à tous partie pour la
condition du temps, ou des lieus partie pour le Juie-
ment et propos de chacun. Les premiers peintres
fameus. Les œuure desquel en vérité deuoint estre
considérées et regardées non sellement en faueur de
l'antiquité, l'on dit auoir été Polignote^ et Aglophon
I. M. Alexis Pitou a bien voulu rechercher le texte dont
Poussin s'inspire dans le reste de la lettre : Poussin suit ici de
très près Quintilien, Institutio oratoria, XII, 10 (g§ 3, 5, 6, 7, 8) :
^ « Polygnotus atque Aglaophon, quorum simplex color tam
sui studiosos adhuc habet, ut illa prope rudia ac velut futurae
mox artis primordia maximis, qui post eos exstiterunt, aucto-
ribus praeferant nam cura Protogenes, ratione Pamphi-
lus ac Melanthius, facilitate Antiphilus, concipiendis visioni-
bus (quas çavxafffaî vocant) Theon Samius, ingenio et gratia,
quam ipse in se maxime jactat Apelles est praestantissimus.
... Similis in statuis differentia. Nam duriora et Tuscanicis
proxima Gallon atque Egesias, jam minus rigida Galamis,
moUiora adhuc supradictis Myron fecit. Diligentia ac décor in
Polycleto supra ceteros ... At quae Polycleto defuerunt, Phi-
diae atque Alcameni dantur. »
l655] DE NICOLAS POUSSIN. 435
le sinple couleur desquels a eu tant et si longtems
des Studieus que ces rosses et quasi principes de l'art
furent préférés aus grandissimes auteurs qui leurs
succédèrent après, ainsi comme je croy par une
propre ambition d'entendre, la peinture florit enuirô
filippe et jusques au successeurs d'Alexandre. Mais
auec diuerse vertu. Protogène auec la dilligence et
curiosité. Panfile et Mélanthe auec la raison. Antifile
auec la facillité. Téon Samien au conseuoir les fanta-
sies. Apelle [est] fut trèspressant auec la nature et la
grâce de laquelle il se vantoit tant. Semblable difé-
rëse se trouuoit es Statues, parceque Galon et Egé-
sias les firent et plus dures et plus aprochantes des
Toscanes, et Calamide les fit moins rigides, et plus
molles des susdits Miron. En Policlète se trouue la
dilligence et la beauté par dessus les autres, et néan-
moins que la pluspar lui atribuast la palme néan-
moins aucuns pour lui oter quelque chose pensèrent
que la granité lui manquoit, et si comme il donna à
la forme humaine une beauté surnaturelle, ainsi il ne
peut ariuer à représenter l'autorité des dieus. il n'osa
mesme entreprendre de représenter les vieillars. Mais
les choses qui manquèrent à Policlète s'atribuèrent à
Fidias et à Alamène^ La mesme chose se rencontre
en cens qui ont été de réputatiS depuis trois cens cin-
quante ans. entre lesquels à qui l'examinera bien trou-
uera que jei encore ma par.
Je suplie Madame de Monmor^ de ne se mettre
1. Lapsus pour Alcamène.
2. Françoise Mariette, née au Mans le 24 décembre 161 1,
mariée à René Le Roy, receveur des tailles à Château-du-Loir,
puis à Jacques-Nicolas Chevalier, sieur de Montmort, conseil-
ler et maître d'hôtel ordinaire du roi, capitaine et gouverneur
de la ville et château du Loir, et enfin à M. de Chantelou, le
436 CORRESPONDANCE [l655
point en peine de m'escrire ni de m'enuoier des arres
quel aie sellement patience. Car jei quatre tableaus à
finir deuant que de mettre la main à la besongne
pour elle, néanmoins je ruminerei sur les dus ma-
tières que elle m'a proposées.
Jei oublié à vous dire que la nostre dame que je
vous ei enuoiée n'est vernie qu'auec du blanc d'œuf.
Vous la pouués faire vernir auec d'autre vernix qui la
rendra plus fraiche.
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsobéissant
Seruiteur Le Poussin
Je baise très humblem'
les mains à Madame
de monmor et à messieurs
vos fraires.
195. — Poussin a Chantelou'.
(Ms. 12347, fo'- 232.)
[2g aoust i655.
Il descrit la vierge en grand qu'a eue M. PointeP^
me l'offre pour M^ de Chantelou au lieu de celle
quelle luy demande.
Est bien aise que la mienne mayt satisfait.]
Le 29'pe Aust. i655. à Rome.
Monsieur
Je ne répéterei point par celle si ce que je vous escri-
20 mars i656 (à Saint-Germain-l'Auxerrois). Elle mourut avant
le 21 septembre 1690.
1. Pas de suscription; la feuille qui la portait manque.
2. Louis Fouquet écrivait au surintendant, le 2 août i655 :
« 11 y a ici un curieux de mes amis et de ceux de Becherels,
nommé Pointel, qui, en partant, il y a un an et demi, prit
mil escus à M. le duc de Créquy pour luy achepter à Rome
des tableaux; ... » Ce détail explique que Poussin parle, dans
le cours de la lettre, d'une « personne grande » : il veut dési-
l655] DE NICOLAS POUSSIN. 437
uis il i a huit jours ^ Je ne vous selerei pas pourtant
la joeie que jei de ceque par toutte les deus vostres
vous me témoignés que la Vierge que je vous ei faitte
ne vous déplaist pas.
Vous aués fait ce qu'il faloit touchent la dépense
des bust que vous désirés. Incontinent que les cha-
leurs seront passées jen ferei recherche. Jei fait
enuers M;; Fouquet^ ce que vous m'aués ordonné.
Vous me férés scauoir si vous voulés que l'on se
serue de l'ocasion du retour des Marchands de
St Maslô pour vous porter le bust de question.
Or pour ce qui touche la Vierge en grand que
Madame de Montmort voudroit que je lui fisse au
lieu d'une petite il me semble quelle n'a pas empiré
de Conseil Les choses représentées au Naturel rem-
plissent dauantage la vue. Elle a * auec moy trouué
la melieure rencontre du Monde. Car j'en ei une fort
auancée que je fesois pour une persOne grande qui
est manquée et de la quelle je peus disposer. La toille
est enuiron la grandeur de la vostre un peu plus
haute, il i a quatre figures du naturel bien disposées,
finies et dépeintes avec goust et de bon relief. Je vous
l'aurois enuoiée au lieu de la vostre si j'en euse peu
disposer alors, en somme Madame de Montmort ne
gner non Pointel, mais le duc de Créquy. — Nous rappelons
que ces lettres de Louis Fouquet sont citées dans BonnafFé,
Le surintendant Fouquet.
1. Lettre perdue.
2. L'abbé Louis Fouquet, conseiller au Parlement (plus tard
évêque d'Agde, mort en 1703), venait d'être envoyé à Rome
par son frère le surintendant. « En i655 et i656, il faisait orner y^
ses châteaux de Saint-Mandé, Belle-Assise et Vaux et il profi- ^
tait de la présence d'un de ses frères à Rome pour acheter
force tableaux, statues et meubles de prix. Comme ce frère
n'y entendait rien, c'était Poussin qui avait la charge de faire
les achats » (lettre inédite de M. de Lespinois à Ph. de Chen-
nevières, 6 septembre 1860).
438 CORRESPONDANCE [l655
peut pas estre mieus seruie de moy. La Vierge est
assise sur une cherre tenant en son giron le petit Jésus,
il i a deuant elle un St Jean assés grandet qui est en
action de prier quil donnent leur bénédiction aus
regardans. il i a derrière eus un St Josef tout debout
qui les regarde, derrière il i a un rideau une colomne
et un peu de fonds. J'atendrei réponse la dessus et
vous suis de tous mon coeur
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsobéissant
Seruiteur Le Poussin.
Je penserei à vostre Sî Paul
auec un peu de temps.
196. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fol. 2331.)
A Monsieur de Chantelou,
Rue S^ Tomas du Louure, à Paris^.
{i5 nouembre i655.
Quil est arriué de l'empeschement à l'enuoy de la
vierge en grand quil auoit offert pour M^ de Chante-
lou.]
Ce 15""^ nouembre. i655. à Rome.
Monsieur
Je nei peu jusques à présent rien faire pour vous
touchant les busts. les empeschements sont grands et
je vous les direi quand il sera temps. Je veus sauoir
seullemî de vous si en cas que [vous] je n'en puisse
auoir d'antiques, vous voudriés que je vous fisse faire
un douzeine de belles testes auec un peu de bust
1. Cette lettre est écrite d'une encre très pâle.
2. Au-dessous de l'adresse, en petits caractères :port dix sols.
l655] DE NICOLAS POUSSIN. 489
tout d'une pièce elles neserointpas moins belles que
ces vieilles testes noires et touttes rapiécées et vous les
auriés à bon marché.
pour ce qui concerne la Vierge grande de laquelle je
pensois pouuoir acommoder madame de Montmort.
il i est ariué de l'empeschement et je n'en peus dis-
poser ainsi comme je croiois. J'atendrei à la seruir
de la Vierge en égipte selon la première pensée
qu'elle en a eue. Jei fait apareiller la toille et étudie
alentour de l'inuention et disposition.
Je vous enuoie une douzeine de paire de gants à la
frangipane et des meilleurs. Je les ei consignés à
M^ Gericot qui vous les fera tenir et vous lui rendrés
la valeur de six pistoles d'espagne qu'il a déboursées
pour cet effet.
Je ne la ferei pas plus longue pour cette fois vous
supliant de croire quil ni a personne qui vous soit
plus que moi
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsobéissant
Seruiteur Le Poussin
Je* vous suplie de vous souuenir de ce dont je
vous ay suplié touchant l'afaire qui est entre les
mains de M^ le Surintendant Fouquet.
197. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fol- 2342.)
A Monsieur de Chantelou,
Rue S^ Tomas du Louure^ à Paris.
[20 décemb i655.
Dit que M. le Caualier du Puy sest excusé de p
1. Cette phrase, en marge, verticalement.
2. L'écriture devient plus tremblée, plus archaïque d'aspect.
440 CORRESPONDANCE [l655
coppier ses Sacrements sur se quil ne cognoist point
de copiste que c'est que la comparaison des miens que
je luy offre diminueroit le pris des siens.
Mande que la vierge en grand quHl mauoit offerte
nest plus sienne.]
A Rome ce 20*".' décembre. i655. —
Monsieur
deuant tout autre chose Je vous remercie très affec-
tueusement de la bonne volonté que vous aués pour
moy et que vous aués assez de bonté pour vous vou-
loir emploier enuers M^ le Surintendans Fouquet pour
l'afaire que vous scaués bien, mais que cela ne nuise
nullement à vos interrés qui sont en ce cas entière-
ment séparés des miens, il n'est besoin que de vostre
tesmoignage et dire que jei raison. Car vous scaués
que je nei rien touché de l'année quarante trois
laquelle j'emploiey toutte pour les desseins de la gal-
lerie et outre cela Je nei rien eu de la maison que le
Roy me donna en vie et que d'autres en Jouissent que*
moy.
Jei été saluer Mo^ le cheuallier du Puis de vostre
par lequel a eu grande Joie d'entendre de vos nou-
uelles. Je vous assure qu'il honnore beaucoup vostre
mérite, et vous rend mille baisemains. Je luy ei fait
voir ce que vous m'aués escrit touchant les coppies
de ses sacremens... la réponse a été assés froide car
il s'escuse sur ce qu'il ne cognoist personne qui les
pust bien imiter et que mesme il n'auoit pas de lieu
commode pour les faire copier, en un mot il n'en a
eu Jamais enuie et Je scais à quelle personnes il a
refusé la mesme chose, d'un costé celuy seroit de
l'aduentage d'auoirla coppie des vostres tant pource-
que il sont plus grands le double que les siens que
I. Que rectifiant pour, écrit d'abord.
l655] DE NICOLAS POUSSIN. 44I
pourceque les compositions sont plus riches et
ont plus du grand sans paragon Mais peut estre
creindroit il que la comparesson ne diminuas le prix
des siens, desquels véritablement il tient compte, en
effet mes ouurage ont eu cette bonne fortune d'estre
tenues chaires^ de ceus qui les scauent gouster
comme il faut. Je nei peu encore vous seruir en ce
qui concerne les bust que vous désirés auoir. Je ne
pourrei mesme y atendre cependans que M"" Fouquet
est ici. Les causes vous seront écrittes un jour mais il
faut du papier et du loisir.
Pour la Vierge dont je vous auois parlé elle n'est
plus mienne comme je croiois.
Je vous ey enuoié des gants de la façon de Julio
Béni qui sont tenus les melieurs. et si les cordes de
leut n'ont point réussi ce n'est point ma faute je fais
tousiours le mieus que je peus
et croies que en tout ce qui touche vos satisfactions
je mi emploierei de touttes mes forces qui suis
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsobéissant
Seruiteur Le poussin —
Je fais humble réuérence
à Moi^^ et Madame de Montmort.
198. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fo^' -^6-)
A Monsieur de Chantelou,
Rue S^ Tomas du Louure, d Paris'^.
[26 décemb i655.
1. Poussin a «crit très lisiblement : chaires (pour chers) et
non clairs.
2. M"" de Montmort était veuve ; Poussin a oublié d'écrire,
après 3/0' : votre frère.
3. Au-dessous de l'adresse, en petits caractères : franc.
442 CORRESPONDANCE [l655
tesmoigne estre fasché que M. le Chlier du Puy
refuge leschange des coppies de nos Sacrements .
Il trauaille à la composition de la Vierge en Egypte.
Et songera à la conuertion de S^ Paul.]
Le 26'y^ décembre. i655. à Rome.
Monsieur
La vostre du 26. nouembre me fut rendue si tard
que je ne pus y répondre par l'ordinaire passé il falut
mesmement que je prince la commodité de Mo^ Fou-
quet pour luy la communiquer, il auoit receu sous
la mesme datte de la vostre, lettre de Monsieur le
Surintendans son fraire par lesquelles il luy fesoit
scauoir l'état où étoit mon affaire conformément à ce
qu'il vous a pieu m'en escrire. Vous l'aués mise en
bon chemin, et tous les bons commencements pro-
mettant une bonne fin j'espère que tout ira bien.
Mor Fouquet qui est en cette ville me promet de si
porter en homme genereus. Je m'assure que vous vous
y emploierés comme patron et ami. Jei besoin en ce
cas là de vostre soin et solicitati5 et de quelque fois
faire souuenir. Mo^ le procureur général* de mon
affaire. Car il * pourroit oublier une si petite chose
entre de si grandes où il est touiours occupé ; Je vous
suplie de tout mon coeur de le faire.
I. Nicolas Fouquet fut procureur général de i65o à 1661. A
la même date, Louis Fouquet écrivait à son frère, le 27 déc.
i655 : « ... M. Poussin m'a prié de vous faire souvenir de son
affaire. C'est un homme d'un mérite tout à fait extraordinaire.
Il vous fera faire des Termes admirables; ce seront des sta-
tues qui vaudront celles de l'antiquité. » Sur ces Termes, voir
Ph. de Chennevières, La peinture française, p. 238. — Le
28 décembre i655, Fouquet obtiendra de Louis XIV la confir-
mation du brevet décerné par Louis XIII à Poussin et le paie-
ment des « gages et provisions omis ».
l655] DE NICOLAS POUSSIN. 443
Jei remercié Mc^de Mauroy du bon office quil ma
rendu en ce rencontre. Je le seruirei en ce qu'il
désire de moy que jei dilaié par nécessité et non
oublié.
Jei grand regret de ce que Mo^ le Cheualier du Puis
prend des excuses maigres pour vous nier ce que
vous désirés de luy auec tant d'auantages. c'est une
Ingratitude Italiane. mais vous vous en pouués bien
passer.
Pour ce qui concerne les autres choses que vous
m'aués commandé je ferei tout mon possible à ce que
vous soies serui il ni a que la longueur du temps que
je crains qui ne vous dure trop. Mais il est nécessaire
d'atendre. il m'est impossible de faire autrem^ Vous
sériés maintenant fidellem^ serui si la chose dépen-
doit de moy et de mes soins.
Je trauaille autour de la pensée et distribution de la
Vierge en Egipte de Madame de Montmort à qui je
baise très humblement les mains.
Je rumine souuent en mes heures d'élexion à la
ConuertiO de S* Paul.
Je serei trompé si pouilli^ fait quelque chose de
bon autour de vostre Vierge car il n'entent pas le
clair et l'obscur, il est ausi resis et taillant en ce quil
fait et sans garbe. Je me recommande mille fois à
vos bonnes grâces, qui suis
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsobéissant
Seruiteur Le Poussin
I. Deux frères graveurs, d'Abbeville : François de Poilly
(1623-1693), l'aîné, est plus connu que le cadet, Nicolas de
Poilly (1626-1690) (voir Duplessis, Histoire de la gravure en
France, p. 143, 249, 258).
444 CORRESPONDANCE [lÔSy
Je baise trèshumblem' les
mains à Messieurs vos
fraires de qui je suis trèshumble
Seruiteur.
199. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fol. 2381.)
A Monsieur de Chantelou,
Cons^^ du Roy et maistre ordinaire de son hostel,
Rue S^ Thomas du Louure, à Paris^.]
[24 décembre i65j^.
Il tire une lettre de change sur le tableau quil pro-
met me faire de la conuertion de S^ Paul.
Il mande qu'on dit que le signe chante plus douce-
ment lors quil est voisin de sa mort quil taschera à
Jk son imitation défaire de mieux en mieux.
Il mande que M. le chevalier du Puy est mort et
quil va trauailler po^ luy faire une sépulture''.
Le 24'î'« décembre. lôSy, à Rome.
Monsieur
Jei repceu celle quil vous a plu m'escrire du
iS'î'^ nouembre et voiant par icelle que vous vous
1. On remarquera que nous n'avons de Poussin aucune
lettre de i656. Cependant, voici au moins la trace d'une :
Louis Fouquet écrit au surintendant, le 29 février i656 :
« ... M. Poussin vous escrit; si vous le vouliez honorer d'un
petit mot de réponse?... »
2. Au-dessous de l'adresse, en petits caractères : Port dubt
10'.
3. A côté de la date : M. Poussin pour 6' Lxxbtt. Ce der-
nier mot est très douteux.
4. Cette dernière phrase : // mande... sépulture, est d'une
autre écriture et d'une autre encre que les précédentes, écrites
par Chantelou. Elle semble de la même main que la mention
ci-dessus.
lÔSy] DE NICOLAS POUSSIN. 445
contenues que l'anée où nous alons entrer Je misse la
main à la Conuersion de S' Paul que il i a longtemps
que vous désirés que je vous représente en un tableau
du quel vous [me] remettes la mesure à ce qui me sem-
blerale meillieur. Je n'ai point vouleu perdre detemps.
d'autant que je me suis proposé de le finir cette
Anée et pour cet effet et en conformité de ce que
vous m'aués escrit jei tiré sur vous la somme de cin-
quate pistoles d'italie avec le change à i5-pour cent
que vous paierés sil vous plaist comme il est porté
par la lettre de change que je vous enuoye première
et seconde aux sieurs petit desquels jei repceu laditte
somme — Le change est grand je suis content de
vous en décharger de la moitié mais nous acommo-
derons cela à la fin du Paiement.
L'on dit que le Cigne chante plus doucem^ lors
quil est voisin de sa mort. Je tascherei à son imita-
sion de faire mieux que jamais et ce peut estre der-
nier service que je vous rendrei.
Jei regret que présentemnet je ne peus vous enuoier
vostre Vierge Egiptienne. et tout* incontinent que les
passages seront libres je ne manquerei pas de la con-
signer à M^ Gerico comme vous me l'aués ordonné
pour vous l'enuoier. il y a longtemps quil est tout
prest. Le bon homme M^ Pointel qui c'est parti
vous retourner voir vous en assurera. Je croy quil est
maintenant à pHtolon où il fera quelque peu de qua-
ranteine. Je ne scei pourquoy car il y a longtemps
que cette ville dieu merci est fort saine et tout le
monde si porte forbien.
NostrebonamiM^ leCheuallierdu Puis^ est décédé
1, Plutôt que ti-ès.
2. Cassiano del Pozzo était mort à Rome, le 22 octobre 1657,
et avait été enterré dans l'église de la Minerve.
446 CORRESPONDANCE [l658
et nous trauaillions à sa sépulture. M^ son fraire vous
baise les mains, et moyje vous souhette et à Madame
semblement les bonne festes et le bon commence-
ment de l'anée qui suis à jamais
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsobéissant
Seruiteur Le Poussin
Je salue M^s vos fraires
de qui je suis trèshumble
Seruiteur.
200. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, f^'- 240 '•)
A Monsieur de Chantelou,
Cons^^ du Roy, et maistre ordinaire de son Hostel.
rue S^ Tomas du Louure, à Paris^. ^
[i5 mars i658.
Approuue le Jugement que je fais de ses derniers
ouurages au regard des premiers.
A trouué la pensée de la conuertion de S^ Paul.
Quil enuerra la Vierge en Egypte quil a faictte
quand le commerce sera restahly
mort du Caualier du Puy.]
Le i5«>e mars i658. à Rome.
Monsieur
après auoir repceu la vostre fauorable du 3 febf
je vous viens remercier de la pontualité que vous
aués usée à acquitter la somme que j'auois tirée sur
vous de cinquante pistoles de cette monnoie.
1. L'écriture de la lettre est grosse.
2. Au-dessous de l'adresse, en petits caractères : franc.
l658] DE NICOLAS POUSSIN. 447
Je ne vous direi rien sur l'opinion [d] que vous
auez eue de mes premiers et derniers ouurages vous
aués le Jugement trop clair pour vous tromper. Si la
main^ me vouloit obéir J'aurois quelque occasion de
dire ce que Temistocles dit en soupirant sur la fin de
sa vie, que l'homme finit et s'en va quand il est plus
capable ou quil est prest à bien faire — Je ne pers
pas courage pour cela car ce pendant que la teste se
portera bien (quoy que la semante soit débile) elle luy
fera tousiours obseruer^ les melieures et plus exel-
lentes parties de ce quelle fait profession.
Jei aresté la disposition de la Conuersion de St paul
et la dépendrei en temps d'élection.
Incontinent que le commerce sera restitué je vous
enuoierei vostre vierge en Egipte comme tant de fois
je vous ai promis.
Jei témoigné le déplaisir que vous auiés eu de la
mort du Cheuallier du Puis à M"; son fraire qui en a
pleuré de tendresse il a succédé à l'ordre de Cheual-
lier cela estant afecté à leur maison^ il vous remercie
et vous baise un million de fois les mains et moyqui
serei tant que je viurei
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsobéissant
Seruiteur Le Poussin.
Je remercie très humbleml
1. Louis Fouquet au surintendant, 2 août i655 : « Quoy
qu'on dise que sa main tremblante ne rend plus ses ouvrages
si beaux, c'est néanmoins une médisance, et il travaille mieux
que jamais il n'a fait, et plus juste. »
2. En marge : observer.
3. « Carlo-Antonio del Pozzo, archevêque de Pise, institua
une commanderie riche et noble de l'ordre de chevalerie de
saint Etienne, réservée à sa famille... » (Ughelli, Italia Sacra
t. III, p. 591, 1644-1662).
448 CORRESPONDANCE [l658
Madame de son souuenir
et luy suis trèsdeuot
et humble Seruiteur.
Et lui baise humblem'
les mains.
201. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fol. 242.)
A Monsieur de Chantelou^
Cons^ du Roy et Mais^^ ordinaire de Son Hostel,
Rue S^ Thomas du Louure^ à Paris * .
[25^ nouembre i658.
Explication du tableau de la Vierge en Egipte.]
Le 25. nouembre i658 à Rome.
Monsieur
Les diuerses incommodités que jei et qui se vont
multiplia auec l'aage m'enpesche de vous escrire plus
souuent que je ne faits. Je vous ai promis de vous
déclarer les pareogues qui sont au fond du dernier
tableau que je vous ai fait^. Voici ceque c'est.
Une procession de prebtres testes rases couron-
nées de verdure vestus à leur mode auec tabourins
fiustes trompettes et esperuier sur des bâtons. Ceus
qui sont dessous le porche portent le coffre nommé
Soro Apin^. ou estoint enfermés les reliques et osse-
mens de Serapin leur dieu au temple du quel ils
s'acheminent. Le demourant qui parest derrière cette
1. Au-dessous : franc.
2. La Fuite en Egypte (n" 86 du Catalogue de Smith), actuel-
lement à la Dulwich Gallery.
3. Il semble bien que Poussin a d'abord écrit Apin, Serapin,
Ibin, et qu'ensuite, on a corrigé en Apis, Serapis.
l658] DE NICOLAS POUSSIN. 449
famé vestue de jaune n'est autre que une fabrique
faitte pour la retraitte de l'oiseau Ibïn* qui est là
représenté, et cette tour qui a le tois concaue auec se
grand vase pour recueillir la rossée tout cela nest
point fait aisi pour me Testre imaginé mais le tout est
tiré de ce fameus temble de la fortune de palestrine^
le paué duquel estoit fait de fine Mosaïque et en ice-
lui dépainte au vrai^ l'istoire naturelle et * morale
d'Egipte et d'Etiopie et de bonne main. Jei mis en
ce tableau toutes ces choses là pour délecter par la
nouueauté et variété et pour montrer que la Vierge
qui est là représentée est en Egipte.
Je faits une nouuelle composion pour la Chutte de
S'. Paul m'étant venu, un' autre pensée que la pre-
mière. Je vous demande du temps pour finir cette
ouurage qui sera de grande fatigue pour moy. Je
n'écris point à Madame pour la difficulté de ma main
tremblante''. Je lui demande pardon et luy baise les
mains comme je faits semblablement à vous de qui
je serei jusque à la fin
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsobéissant
Seruiteur Poussin
Je baise les mains
à messieurs vos fraires
1. Le mot Ibin n'est pas corrigé.
2. Palestrina, qu'il n'est pas étonnant que Poussin connaisse,
car c'était une principauté des Barberini. Leur palais, bâti sur
les ruines de l'ancien temple de la Fortune, renfermait cette
célèbre mosaïque (voir D. Santé Pieralisi, Osservaiioni sul
musaico di Palestrina^ Roma, i858) découverte en i638. — Cas-
siano del Pozzo s'était intéressé à cette mosaïque (voir son
Memoriale, p. 178), et c'est sans doute lui qui l'avait signalée
à Poussin.
3. Au vrai, en marge, et indiqué par un astérisque. —
4. L'écriture de la lettre est empâtée et vraiment incertaine.
191 I 29
■X
45o CORRESPONDANCE [1660
202. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, ^ol. 244.)
A Monsieur de Chantelou, Consul du Roy
et Maistre ordinaire de son hostel^ PajHs.
[2 aoust 1660.
Cette lettre est après maladie de i65g II se plain
de ses infirmités et de son tremblement dit quil n'a
aucun jour sans douleur^ quil arriue de luy ce quil
plaira à Dieu quil me tiendra compte de 5o pistolles.]
A Rome le 2'^^ aust 1660 —
Monsieur
Je ne me suis point donné l'honneur de vous
escrire depuis longtemps m'étant imaginé que depuis
vostre guarison vous estiés retourné en Court pour
exercer la charge que l'on vous auoit donnée deuant
vostre maladie de seruir la Roine de france en ses
nopces\ et quil y eust dificulté de vous faire tenir
mes lettres. Maintenant je croi que vous serés de
retour à Paris je souhette que se soit en bonne santé.
Je vous escris la présente pour vous faire scauoir
Testât de la mienne. Je ne passe aucun jour sans dou-
leur, et le tremblement de mes membres augmente
comme les ans. L'eccès de la chaleur de la saison
présente me bat en ruine, et partant jei esté contraint
d'abandonner tout labeur, et de mettre les couleurs
et les Pinceaus à part. Si je vis cet automne j'espère
les reprendre particulièrement pour vous qui aués eu
la bonté de tant patienter, et ariue ce qu'il voudra
de ma personne Je vous tiendrai bon conte des cin-
I. Marie-Thérèse épousa Louis XIV le 9 juin 1660.
1662] DE NICOLAS POUSSIN. 4$ I
quantes pistoles que jei à vous Je vous suplie de me
continuer les grâces et faueurs que vous m'aués
départies jusques à présent. Je debuerois escrire à
Madame la difficulté de ma main m'en enpesche et je
lui demande trèshumblement excuse. Je baise les
mains à Messieurs vos fraires et je vous suis plus que
personne du Monde
Monsieur
Vostre^ trèshumble et trèsobéissant
Seruiteur
Le Poussin
203. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fol- 247-)
A Monsieur de Chantelou,
maistre d'ostel ordinaire du Roy, Paris^.
[2 auril 1662.
Donne aduis quau tableau de la Samaritaine il ne
manque à acheuer quune teste de Crist.]
à Rome le 2™* april 1662.
Monsieur
Je vous aurois enuoié par cet ordinaire l'ouurage
que je vous doibs faire il y a si long-temps. U n facheus
Rume a retardé mon dessain pour quelque Jours. En
un seul Jour je finisois une teste de Crist qui est la
seulle chose demeurée inparfaitte. Incontinent que
l'incommodité me donnera un peu de relâche je fini-
rei le dit ouurage et vous l'enuoierei par la melieure
1. Cette fin, verticalement et en marge.
2. Au bas de l'adresse, à gauche, en petits caractères : Ceri-
sier, l'ami de Poussin, par qui cette lettre devait être envoye'e
à Chantelou. Et dans le coin, le mot : vérifier.
452 CORRESPONDANCE [1662
voie quil me sera possible de trouuer. Je vous escri-
rei à lors plus au long. Vous serés content si! vous
plaist de ses deus lignes pour cette fois, qui suis de
toutte mon affection
Monsieur
Vostre trèshumble et obéissant
Seruiteur
Le Poussin'.
204. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fol. 248.)
A Monsieur de Chantelou^
Cons'^ et maistre dhostel ordinaire du Roy.
[20 nouembre 1662.
Parle du tableau de la Samaritaine et dit que cest
le dernier ouurage qt fera touchant à sa fin du bout
du doit.]
à Rome 1662. Le 20™« nouembre.
Monsieur
après vous auoir escrit continuellem* depuis le
mois de mai passé sans pouuoir auoir un mot de
réponse je viens vous suplier trèshumblement de me
faire scauoir de vos nouuelles. Je suis assuré que
vous aués reçu le dernier ouurage que je vous ai fait
et que je ferei désormais. Je scais bien que vous
n'aués pas grand suiet de vous en satisfaire, mais
I. Dans la copie de l'Institut, on lit en marge de cette lettre,
au crayon : « Il paroît être question icy de la Samaritaine que
félibien dit avoir été faite pour M" de Chantelou. tableau que
j'ai vu chez legrand avec cette Etiq. derrière : La Samaritaine
peinte en 1662 par le Poussin pour M' de Chantelou. » Nous
présumons que cette note est de Dufourny.
l663] DE NICOLAS POUSSIN. 453
après y auoir emploie toutte mes forces et ne pou-
uant plus au moins considérés la bonne volonté que
jei tousiours eue de vous bien seruir. et souuenés
vous des signes d'amitié que jei en plusieurs occasions
repcue de vostre bonté et sans interrest. J'espère que
vous me les continuerés jusques à ma fin où je touche
du bout de mon doid. Je ne peus plus. Mais je serei
tousiours
Monsieur
Vostre trèshumble
Seruiteur
Le Poussin
Je baise les mains à Madame et à Messieurs vos
fraires de qui je suis Seruiteur et trèsobligé'.
205. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fol. 25o.)
A Monsieur de Châtelou^
Cons^'' du Roy et maistre ordinaire de son hostel,
Paris ^.
{4^feh^^ i663.
Il me remercie de lestime que jay faictte du der-
nier tableau quil ma fait qui est celuy de la Sama-
ritaine.]
A Rome Le 4'n« feburier i663.
Monsieur
trois de vos lettres que jei reçues sous le pli de
monsieur Serisier nostre bon ami m'ont donné une
seconde vie. J'auois raison de douter que vous nusiés
1. Phrase écrite en marge et verticalement.
2. Lettre d'une écriture très alourdie. Elle présente même
des pâtés d'encre.
A
454 CORRESPONDANCE [l663
consu quelque indignation contre moy pour auoir
abusé de vostre longue patiense et puis vous auoir à
la fin enuoié une chose indigne d'estre regardée de
vous. Vous aués aplani tous mes doubles par vostre
cordialité et douceur ordinaires. Je vous en viens
remercier par ces lignes par lesquelles il m'est impos-
sible de vous témoigner le resentiment que j'en ai, Je
vous suplie moy indigne de tant de grâces que je
resois de vous de me les continuer jusques au bout
m'estant lunique remède^ contre les disgrâces qui
m'enuironnët et de celles que j'atens auec la malice
du temps qui court et à venir.
Ce me sera combles d'obligations si vous m'enuoiés
le liure de Mo"" de Chambray touchant l'art de la
•\ peinture^, mais il faut dire^ par quelle voie je le dois
recepuoir et je vous demeurerei obligé à jamais
Monsieur
Vostre trèshumble Seruiteur
Le Poussin
Je reuère Madame
et baise humblement
les mains à Messieurs
vos vertueus fraires.
1. En marge : remède.
2. « Idée de la perfection de la Peinture demonstrée par les
principes de l'Art et par des exemples conformes aux observa-
tions que Pline et Quintilien ont faites sur les plus célèbres
tableaux des anciens Peintres, mis en paralelle à quelques
ouvrages de nos meilleurs Peintres modernes, Léonard de
Vinci, Raphaël, Jules Romain et le Poussin, par Roland
Freart, sieur de Chambray. Au Mans, de l'imprimerie de
Jacques Ysambart, marchand libraire et imprimeur, demeu-
rant au bas du Pont-Neuf, à l'enseigne du Saint-Esprit.
MDCLXII. Avec privilège du roy » (Bibl. nat., V. 10292).
3. En marge : dire.
l663] de nicolas poussin. 455
206. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fol. 25i.)
A Monsieur de Chantelou^
Cons'' du Roy et Maistre ordinaire de son hostel^
à paris.
[Premier Auril 1 663.
Remerciement sur la permission de mettre les
armes du Roy sur sa porte que je luy auois fait
auoir.]
A rome premier Auril i663.
quand je mesure les obligations que je vous doibs
et' les grâces infinies que jei resues de vous je ni
trouue aucune correspondanse ni proportion ce qui
m'a fait craindre de vous auoir donné occasion de
dégoust.
Jei esté deliuré de mon doute par plusieurs de vos
lettres tant par les antérieures comme par vostre der-
nière qui me témoignent assés la continuation de
vostre amitié et cordialité naturelle exempte d'inter-
rest. Je sens transporté de contentement de ses bonnes
nouuelles. Une chose me fasche seullem' et me dimi-
nue une partie de ma joye qui est la peine que vous
aués prinse d'emploier la faueur de M^ Colbert que
vous deués réseruer pour les occasions urgentes, à la
réquisition de mon fou de beaufraire qui s'imaginant
que aiant dessus sa porte les armories du Roy il
seroit à * couuert de tout dangier pasé quil ariue du
désordre en cette ville * par nostre nation 2, sans que
1. Et surchargeant auec.
2. C'est un écho de la célèbre affaire de la garde corse
(agression du 20 août 1660). Le conflit ne fut accommodé que
le 12 février 1664, par le traité de Pise (voir Hanotaux, Instr.
aux ambassadeurs à Rome, p. 149).
456 CORRESPONDANCE [1664
jamais il m'en aie communiqué une seulle parolle
estât sa ^ coutume* de faire toutte chose téméraire-
ment et sans conseil^. Il m'a confessé d'auoir escrit
de cette sauuegarde comme pour luy à un sien amy
le Sieur Vinot. Je ne scai comment cela est aie jusques
à vous j'en suis inocent. Je vous suplie d'excuser
l'ignoranse de se pauure garson insensé de la peur
que lui et beaup d'autres ont des armes francoises
que si elles paroisoint ici prest on trouueroit ici plu-
sieurs morts sans blessures. Je vous remercie auec
toute deuotion et vous demande encore la durée de
vostre amitié et vos faueurs qui serei à jamais
Monsieur
Vostre trèshumble
Seruiteur
Le Poussin
207. — Poussin^ a l'abbé Nicaise^.
(Bibl. nat., ms. nouv. acq. fr. 28, fol. 77.)
Le iS""* feurier, 1664. à Rome.
Monsieur
Jei tardé jusques à présent à répondre à la vostre
1. En marge : sa coutume.
2. Gaspard Dughet, dit le Guaspre. Son caractère emporté
l'empêcha de rester auprès du duc délia Cornia et de Fran-
cesco Ariti qui l'avaient attiré près d'eux à la demande de
Pierre de Cortone (voir Ch. Blanc, Hist. des peintres, p. 3).
3. Lettre publiée, avec son fac-similé, dans le Discours sur
Nicolas Poussin, de Raoul Rochette, 1843, avec mention que
« l'original existe au département des manuscrits de la Biblio-
thèque du Roi ». Ch. Blanc, dans VHistoire des peintres
(fascicule sur Poussin), reproduit également en fac-similé
quelques lignes de cette lettre.
4. « M. l'abbé Nicaise [1623-1701], chanoine de la Sainte-Cha-
pelle de Dijon, assez connu par son mérite, et les connais-
sances qu'il a dans les belles-lettres, estant alors à Rome, et
ami particulier du Poussin », lui composa son épitaphe (Féli-
bien, Entretiens, p. 3i3).
1664] DE NICOLAS POUSSIN. 457
du dernier Januier à cause d'un grand Catare qui
mest tombé sur la poetrine qui mincommode fort. Je
me suis efforsé de vous faire ses deus lignes pour ne
pas tenir plus longtemps en doutte.
il me deplaist beaucoup que je ne peus satisfaire
vostre curiosité parce que outre que je ne peus sou-
frir l'incommodité de se faire portraire c'est que nous
nauons ici entre les Italiens ni étrangiers persSne
qui aie la pratique de faire resembler en peinture et
je conseille ' plustost de faire coppier l'un de cens qui
sont à Paris qui ne me resemble pas mal et sont de
ma main propre lors que je men seruois encore pas-
sablement^. Lun est chés Mo"" de Chantelou Maistre
dostel ordinaire du Roy à la Rue S* Thomas du
Louure. Lautre chés Mo"^ Serisier tout vis à vis la
porte S* Mederic Rue S' martin tous les deus sont
hommes facilles et courtois qui ne vous refuseront
pas cela, il se trouuera à paris plusieurs jeunes
hommes qui copient assés bien, Voilà tout ce que je
vous peus dire sur ce suiet et me deplaist de vous
estre inutile et plain de bonne volonté, et serei jusque
à ma tin
Monsieur
Vostre trèshumbie et afectionné Seruiteur
Le Poussin
Mo*^ Nicaise^.
1. Les mots « je conseille » sont très lisibles. Raoul Rochette
a lu, à tort : « je souscris ».
2. Le fameux Déluge du Louvre (n" 451) est pourtant de cette -^
année 1664.
3. Dufourny (mort en 1818) signale, à la Bibliothèque royale,
trois lettres de Poussin à l'abbé Nicaise. Déjà, la Biographie
Michaud n'en mentionne plus que deux. Enfin, aujourd'hui il
n'en reste qu'une (voir Lalanne et Bordier, Dict. des pièces
volées, p. 210).
458 correspondance [1664
208. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fol. 253.)
A Monsieur de Chantelou^
Cons^'' du Roy et maistre ordinaire de son hostel,
à Paris.
[16 nouembre 1664.
M. Poussin me recommande ses héritiers à qui il
laisse jc' escus^ .1
à Rome, Le lô^. nouembre 1664.
Morfsieur
Je vous prie de ne pas vous étonner sil i a tant de
temps que je ne me suis pas donné l'honneur de vous
faire scauoir de mes nouuelles, quand vous en scau-
rés l'occasion vous ne m'escuserés pas sellement mais
vous aurés compatis de mes misères, il y a noeuf
mois que jei tenu ma bonne famé au lit malade d'une
tousse de fiebure étique, qui après mille remèdes inu-
1. Et Chantelou écrit en haut de la lettre ces trois mots qui
marquent l'inquiétude de l'ami : tremblement de main (Ph.
de Chennevières, La peinture française, p. 290). — Sur la façon
d'écrire 10,000, cf. Louis XIII à Richelieu : « La dernière recrue
des X homes de la cavalerie » (M. Topin, Louis XIII et Riche-
lieu, p. 192).
2. M. Advielle {Recherches sur Poussin, p. 11 3) croit qu'il
faut lire : 26 nouembre, puisqu'il a testé le 25. Cependant
Poussin a bien écrit : 16 et non 26. La date répétée par Chan-
telou est cachée à moitié par une bande de papier : on ne
voit que le deuxième chiffre de la date, 6. — Il est vraisem-
blable qu'à la date du 16 novembre 1664, c'est-à-dire quand
il écrivait à Chantelou, Poussin avait seulement écrit un
testament succinct, qu'il se décida, peu de jours après,
à rédiger avec le concours du notaire J.-B. Rondini et dans
toutes les formes légales. Ce testament, ainsi rédigé le 25 no-
vembre 1664 (et dont le texte n'est pas connu), fut annulé par
le testament définitif du 21 septembre i665, dont la traduction
est publiée plus loin (voir Ph. de Chennevières, La Peinture
française, p. 292).
1664] DE NICOLAS POUSSIN. ^ 459
tiles l'aiant consommée jusques aus os et m'auoir
estraordinairement inquiété est morte \ quand j'auois
plus besoin de son secours m'aiant laissé chargé
d'anées paralitique^ plain d'infirmités de touttes
sortes étranger, et sans amis (car en cette Ville il ne
s'en trouue point). Voilà l'état où je me trouue. Vous
pouués vous imaginer le demeurant, l'om me presche
la patiense qui est le remède à tous maus, laquelle je
prens comme une médecine qui ne couste guère mais
ausi qui ne guarit de rien.
Me voiant en cet état qui ne peut durer jei voulu
me disposer au départ, jei fait pour cet effet un peu
de testament par lequel je laisse plus de dix mille
escus^ de cette monnoie à mes panures parens habi-
tans à Andely, qui sont gens grassiers, et ignorant
lesquels ayant après ma mort à recepuoir cette
somme, auront grand besoin du secours, et aide de
quelque personne fidelle et charitable. Je vous viens
suplier en cette nécessité de leur prêter le main et^
les conseiller, et prendre leur protexion afin qu'ils
ne soint trompés ou volés ils vous en viendront hum-
blement requrir, je m'assure sur l'expériense que jei
de vostre bonté que vous le ferés volontiers comme
vous aués fait de vostre panure Poussin en l'espase
1. « Acte de décès de Anne-Marie, fille du sieur Jacques
d'Ughet, romaine, âgée de 52 ans, femme du sieur Nicolas
Poussin. » Registres de la paroisse de San-Lorenzo in Lucina,
16 octobre 1664.
2. « Ses indispositions, avec le temps, s'accrurent et l'épui-
sèrent tant que dans les dernières années il sortait à grand'- ^
peine de sa maison... » (Bellori, Le Vite de' pittori, trad.
Rémond, p. 35).
3. « ... des biens qu'il avait acquis, il laissa quinze mille
écus, qui paraissent bien médiocre somme après tant de tra- >*
vaux » (Bellori, Le Vite de' pittori, etc., trad. Rémond, p. 36).
4. En marge : le main et.
460 CORRESPONDANCE [1664
de vintcinq ans. Jei si grande dificulté a escrire pour
le grand tremblement de ma main que je n'écris point
présentement à Monsieur de Chambray que je prie
de tout mon cœur me pardonner, il me faut huit
jours pour escrire une méchante lettre à peu à peu
deus ou trois lignes à la fois et le morceau ' à la
bouche hors de cette heure là qui dure fort peu (mais
qui m'ofense l'estomac débile il m'est impossible de
former une lettre qui se puisse lire Je l'honore
comme il le mérite et comme celuy à qui je me sens
infiniment obligé. Voies je vous suplie en quoy je
vous peus seruir en cette ville et commandés moy qui
suis de toutte mon ame
Monsieur
Votre trèshumble et trèsobéissant
Seruiteur
Le Poussin.
209. — Poussin a Félibien.
{Entretiens, p. 46.)
« Le Poussin se trouvant dans l'impuissance d'exé-
cuter de la manière qu'il faisoit auparavant toutes
les riches pensées que son imagination ne laissoit pas
de lui fournir, ne pensoit plus qu'à la mort. Il me
souvient que lui ayant écrit vers ce temps-là, il me
fit réponse au mois de Janvier i665. Voici sa lettre.
Je n'ai pu répondre plutôt à celle que Mr. le Prieur
de Saint Clémentine vôtre frère me rendit quelques
jours après son arrivée en cette ville, mes infirmités
ordinaires s'étant accrues par un très-fâcheux rhume,
i. A est écrit deux fois.
. 2. Jacques Félibien, né à Chartres en i636, mort curé de
Vendôme le 23 novembre 1716.
l665] DE NICOLAS POUSSIN. 461
qui me dure, et m'afflige beaucoup. Je vous dois
maintenant remercier de vôtre souvenir, et tout
ensemble du plaisir que vous m'avez fait de n'avoir
point réveillé le premier désir qui étoit né en Mr. le
Prince d'avoir de mes ouvrages. Il étoit trop tard
pour être bien servi. Je suis devenu trop infirme, et
la paralysie m'empêche d'opérer. Aussi il y a quelque
temps que j'ai abandonné les pinceaux, ne pensant
plus qu'à me préparer à la mort. J'y touche du corps,
c'est fait de moi.
Nous avons N. qui écrit sur les œuvres des Peintres
modernes, et de leurs vies. Son stile est ampoulé,
sans sel, et sans doctrine. Il touche l'art de la Pein-
ture comme celui qui n'en a ni théorie, ni pratique.
Plusieurs qui ont osé y mettre la main ont été récom-
pensez de moquerie, comme ils ont mérité, etc.
210. — Poussin a M. de Chambray^
(Ms. 12347, fol. 255.)
[/ mars i665.
Cette lettre est escripte à mon frère de Chambré
sur son Hure de la peinture quil a leu. Il lui en mande
son sentiment Et les parties de peinture quonpourroit
traitter^.]
i« mars i665. A Rome.
Monsieur
Il faut à la fin tascher à se réueiller après un si long
silence il faut se faire entendre pendant' que le pous
1. L'original de cette lettre est perdu. Le ms. 12347 ^'^"^ Pos-
sède qu'une copie remise à M. de Ghantelou, et peut-être de
la main même de son frère M. de Chambray, à qui Poussin
l'a écrite (fol. 255).
2. Ce sommaire est, dans le ms. 12347, de la main même
de M. de Ghantelou.
3. Cette copie paraît être littérale. La copie a été corrigée,
462 CORRESPONDANCE [l665
nous bat encore un peu. J'ay eu tout loisir de Lire et
examiner vostre liure de la parfaitte Idée de la Pein-
ture qui a seruy d'une douce pasture à mon âme
affligée, et me suis resjouy de ce que vous estes le
premier des François qui auez ouuert les yeux à ceux
qui ne voyoint que par ceux d'autruy * se laissant abu-
ser d'une fausse opinion commune. Or vous venez
d'échauffer et amolir une matière rigide et difficile à
manier De sorte que désormais II se pourra trouuer
quelqun qui dessous vostre guide nous pourra don-
ner quelque chose du sien au bénéfice de la Peinture.
Après auoir considéré la Division que faict le Sei-
gneur Franc, Junius^ des Parties de ce bel art Jay
osé mettre icy brièuement ce que j'en ay apris.
Il est nécessaire premièrement de scauoir ce que
c'est que cette sorte d'Imitation et la Définir.
Définition
C'est une Imitation faicte auec lignes et couleurs
en quelque superficie de tout ce qui se voit dessoubs
le Soleil, sa fin est la Délectation.
Principes que Tout homme capable de
Raison peut aprendre.
Il ne se donne point de visible sans Lumière.
Il ne se donne point de visible sans moyen trans-
parant.
sans doute aussitôt après qu'elle a été écrite et de la main de
Chambray ou de Chantelou. — Ici, d'abord cependant, corrigé
en pendant.
1. Avant ceux d'autruy, on avait d'abord écrit : !eurs aéra-
teurs (?).
2. François Junius, De Pictura Veterum libri très, Amster-
dam, 1637 : « C'est un ouvrage d'une prodigieuse érudition,
qui fut lu et loué par tous les grands artistes du xvii* siècle... »
(Ph. de Chennevières, Peintres provinciaux, t. IV, p. 119).
l665] DE NICOLAS POUSSIN. 403
Il ne se Donne point de visible sans Terme
Il ne se donne point de visible sans Couleur
Il ne se donne point de visible sans Distance
Il ne se donne point de visible sans Instrument.
Ce qui suit ne s'aprent point
Ce sons parties du Peintre
Mais premièrem^ de la Matière
Elle doit estre prise noble, qui n'aye receu aucunne
qualité de l'ouurier, Pour donner lieu au Peintre de
monstrer son esprit et Industrie. Il la faut prendre
Capable de receuoir la plus excellente forme, Il faut
commencer par la Disposition, Puis par l'Ornement,
le Décoré, la beauté, la grâce, la viuacité, le Cos-
tume, la Vraysemblance et le Jugement partout. Ces
dernières parties sont du Peintre et ne se peuuent
aprendre. Cest le Rameau d'or de Virgile ' que nul ne
peut trouuer ny ceuillir sil n'est conduit par la Fata-
lité. Ces neuf Parties contiennent plusieurs belles
choses dignes d'estre escrittes de bonnes et scauantes
mains mais je vous prie de considérer ce petit échan-
tillon et m'en dire vostre sentiment sans aucunne
cérémonie. Je scay fort bien que non seulement vous
scaués moucher la Lampe mais encore y verser de
bonne huile. Je dirois plus mais quand Je m'échauffe
maintenant le deuant de la Teste par quelque forte
attention je m'en trouue mal. Au surplus jay tous-
jours honte de me voir colloque auec des hommes le
mérite et la valeur^ des quels est au dessus de moy -^
plus que l'Etoille de Saturne n'est au dessus de nostre
Teste. C'est un effet de vostre amitié qui vous faict
1. Virgile, Enéide, VI, 146.
2. Valeur surchargeant vertu, rayé.
464 CORRESPONDANCE [l665
me voir plus grand de beaucoup que je ne suis, je
vous en suis redeuable à Tousjours et suis
Monsieur
Vostre trèshumble
et trèsobéyss* Seruiteur
Le Poussin
Je baise très humblement les mains
à Monsieur de Chantelou vostre aine.
211. — Poussin a Chantelou.
(Ms. 12347, fo'- 257 1.)
A Monsieur de C hante lo^
Cons^ du Roy et Maistre ordinaire de son hostel^
Rue S^ Thomas du Louure, A Paris^.
[28^ Mars i665.
Respond à lassurance que je luy ay donnée de ser-
uir son héritier à sa prière. Il se plaint de ce quil
lest allé trouuer à Rome^.]
Monsieur
Le Contentement que Jei repceu par la vostre der-
1. Cette lettre n'est pas la dernière échangée entre Chante-
lou et Poussin. En tout cas, Chantelou note, le 18 août i665,
dans son Journal du Cavalier Bernin en France : « J'ai prié
le signor Mathie de mettre dans le paquet du Cavalier une
lettre que j'écrivais à M. Poussin; ce qu'il a fait » (éd. Lalanne,
p. 104).
2. Cette adresse est écrite d'une main particulièrement
tremblée.
3. « M. de Chennevières, insuffisamment renseigné sur la
famille Le Tellier, a cru que Jean Le Tellier était l'auteur de
l'équipée qui avait tant indisposé le Poussin; c'est qu'il igno-
rait que ce jeune homme n'avait que seize ans en i665 : ce
n'est donc pas lui qui a pu aller à Rome. Mais Jean avait un
frère aîné, Mathias, né en 1644, par conséquent âgé de vingt
et un ans en i665; c'est lui probablement qui est allé sollici-
ter Poussin à Rome, et ce qui semble l'établir, c'est que son
l665] DE NICOLAS POUSSIN. 465
nière du Château du Loir ne se peut esprimer, mais
se contentement a trop peu duré aiant esté trauersé
par l'impertinense de se misérable étourdi nepueu^
pour le subiet duquel je vous ai importuné, et prié
de protéger après mon trépas. Se que vostre bonté
m'a bien voulu acorder, et promettre, Je vous suplie
de rechef de vous en souuenir quand il sera temps.
Se misérable rustique sans cerueau, et ignorant M'est
venu troubler le repos ou je viuois de sorte que je
n'ai peu vous venir remercier plus tost me trouuant
quasi hors de moi mesme pour le déplaisir que jei
repsu de sa part. Je vous viens demander escuse
d'auoir tant tardé à confesser que vous estes seluy à
qui Je suis le plus obligé et redeuable qui estes mon
refuge, et à qui je serai tant que je viurai
Monsieur
Vostre trèshumble et trèsobligé
Seruiteur Le Poussin
le 28 mars i665-
à Rome
oncle le déshérita [et ne le nomma même pas] quand il dicta
son testament le 21 septembre i665 » (V. Advielle, Recherches
sur Poussin, p. i2i, d'après le Bull, de l'Hist. de Normandie,
1875-1880, p. i5i). Voir le tableau généalogique plus loin, p. 472.
1. « Au printemps de i665, vint à Rome un sien neveu, amené, îr*
autant qu'il le laissa paraître, par le désir avide d'être l'héri-
tier de ce que son oncle avait acquis, et qui se conduisit de
taçon si indiscrète et impertinente que celui-ci, n'en recevant
que peu de satisfaction, le renvoya aux Andelys en septembre
de la même année » (Passeri, Le Vite de' pittori, 1772).
2. « Dans ce même mois [sept. i665] lui survindrent quelques
attaques de fièvre, causée sans doute par l'indiscrétion de ce .
sien neveu, lesquelles, le travaillant beaucoup, lui suscitèrent
un flux d'urine fréquente et sanguinolente qui lui dura l'es-
pace de vingt jours. Le sang s'arrêta, mais ce fut pour faire
place à un perpétuel relâchement des reins, de sorte qu'il uri-
nait continuellement sans rétention, et cela dura nombre de
1911 3o
466 CORRESPONDANCE [l665
Je baise trèshumbleiri'
les mains à madame
deChamelou^
212. — Testament du 21 septembre i665^.
(Ms. 12347, fol. 262 et suiv.3.)
[Au ms. 12847, fo^' 266 v°, Chantelou a écrit :]
Coppie du testament de
l'Illustre et fameux peintre
jours. Peu après s'ouvrit sous son bras gauche une aposthème
qui vint à crever et le purgea grandement. A la fin, exténué
par tant de souffrances, et tout son mal se tournant à l'état de
malignité, le 19 novembre i665, juste comme midi sonnait, il
rendit l'âme à son créateur après s'être conforté de tous les
sacrements de l'Eglise comme parfait chrétien et catholique »
(Passeri, op. cit., trad. Ph. de Chennevières).
1. Dans le ms. 12847 manque une lettre de Jean Dughet, du
27 octobre i665 : « Après que M. de Chantelou eût appris par
une Lettre du Sieur Jean du Ghet (du 27 octobre i665), l'extré-
mité où il étoit, on eût bientôt la nouvelle de sa mort arrivée
le 19 novembre i665 » (Félibien, p. 5o). — La perte de cette
lettre est d'autant plus regrettable qu'elle devait renseigner sur
les derniers mois de Poussin (voir son acte mortuaire dans
Archives de l'Art français, t. I, p. 142).
2. La copie italienne du ms. 12847 (comme sans doute l'ori-
ginal de Rome) présente beaucoup de majuscules, et selon
l'usage pour les actes notariés, elle ne va pas à la ligne, pour
ne pas laisser de blancs. C'est pour plus de clarté que nous
avons séparé ce texte fort long en alinéas.
3. L Nous possédons cinq textes authentiques du testament
du 21 septembre i665 :
A. L'original lui-même, en italien, qui est resté à Rome et
se trouve encore dans l'étude du notaire Antonio Bini (94, via
Frattina, puis 46, via Campo-Marzio).
B. La copie de cet original, en italien comme lui, que Jean
Dughet envoya à Chantelou (ms. 12847, fol. 262, 268, 264, 265
et haut du recto 266).
l665] DE NICOLAS POUSSIN. 467
Nicolas Poussin mort le
ig^ novembre i665
Requiescat in pace * .
Au nom de Dieu, amen. Par le présent moyen
C. Une seconde copie de l'original italien, que Ph. de Chen-
nevières se fit délivrer le 10 septembre 1873 par le notaire Bini
et qui est restée inédite dans son dossier sur Poussin.
D. Une première traduction française, presque mot à mot,
mais d'un français souvent peu clair (ms. 12347, fol. 267, 268,
269, 270).
E. Une seconde traduction française, d'un français plus cor-
rect (ms. 12347, fol. 271, 272, 273, 274, 275 et dernier du ms.).
— Ces deux traductions D et E accompagnaient la copie B
quand celle-ci fut envoyée à Chantelou.
II. En ce qui concerne la publication :
1° Le texte italien du testament du 21 septembre i665 (texte A)
a été publié dans le Bulletin de la Société de l'Histoire de
Normandie, 1875-1880, p. 181 et suiv., d'après une copie prise
par M. de Grouchy et adressée de Rome par lui à M. Ch. de
Beaurepaire qui l'avait déposée aux archives de la Seine-Infé-
rieure. Ce texte italien n'est pas suivi d'une traduction fran-
çaise.
2" M. Ph. de Chennevières, dans V Essai sur la peinture fran-
çaise, a publié de longs fragments d'après les textes D et E
(ms. 12347).
3" M. Advielle [Recherches, etc., p. i55) a publié une traduc-
tion française (due au baron Lumbroso) du testament original
italien, A.
III. Pour la présente publication, le texte italien ne nous a
pas paru indispensable, puisqu'il est facile de le trouver dans
le Bull, de la Soc. de l'Hist. de Normandie, 1875-1880, p. i5i.
Notre traduction française ne pouvait être la reproduction lit-
térale d'un des textes D et E, fautifs en bien des détails. Nous
donnons une traduction débarrassée de ces négligences.
I. Au fol. 261 du ms. 12347, la même main qui a copié le tes-
tament (et qui ne semble pas celle de Chantelou) a écrit : « Nico-
las Poussin, peintres des plus illustres après l'antiquité, nasquit
au bourg d'Andely, province de Normandie, le ... du mois de
juin de l'an i5g4, d'une famille noble et peu accomodée, est
mort à Rome le ig nouembre 166 5. » On sait ce qu'il faut
penser de la « noblesse » de Poussin, affirmée sans preuves
par Bellori, Le Vite de' pittori.
468 CORRESPONDANCE [l665
public, qu'il soit connu de tous, que l'an i665 de la
Nativité de N. S. J. C, la troisième année de l'in-
diction et le 21 septembre, l'onzième année du Pon-
tificat du Très Saint-Père en Christ Alexandre VII,
pape par la divine providence;
devant moi, notaire, a comparu le très illustre
Seigi; Nicolo Pussjrn^ (fils du Seig'^ Giovanni, du
Bourg d'Andely, diocèse de Rouen), bien connu de
moi, par la grâce de Dieu sain d'esprit et des autres
sens, quoique malade, infirme de corps, couché au lit^,
et voulant pourvoir à ses intérêts, afin qu'après sa
mort il n'y ait à naître aucun procès, entre sa posté-
rité et successeurs, sur les biens accordés par la
Divine Majesté, il a délibéré, de plein gré et de la
meilleure manière, qu'il peut et doit faire son pré-
sent testament nuncupatif et non écrit de sa main^.
Et premièrement, il déclare qu'ayant fait un autre
testament par mes actes sous le 25'^'"« novembre 1664,
par le présent il révoque et annulle tant celui-là,
comme quelque autre qui puisse être, testament,
codicille, et autre disposition retrouvable en quelque
manière, temps et lieu, et par les actes de quelque
1. Nous avons laissé tous les noms propres sous la forme
italienne de la copie B, la moins fautive. Ces actes et ces
copies sont peu soucieux d'une rigoureuse exactitude. Par
exemple, en i665, les Dughet habitaient Rome depuis au moins
quarante ans; cependant, ils sont appelés Douquei dans le
texte B, Bouquet dans le texte C. Le nom du testateur lui-
même est fort estropié, bien qu'il fût alors fort connu : Pus-
syn (texte B), Pouss'yn (texte C); — de même Retrou devient
Retrosi dans la traduction Lumbroso, Rebrosi dans le texte C.
2. « Sa fin s'approchant, il fut tenu au lit par un gros abcès,
avec inflammation des viscères... » (Bellori, Le Vite de' pittori,
trad. Rémond, p. 35).
3. Voir le testament du 3o avril 1643, p. 194, note i.
l665] DE NICOLAS POUSSIN. 469
notaire qu'il puisse être, en faveur de qui que ce soit,
et toutes les clauses dérogatoires, que ceux-ci peuvent
contenir, desquelles ne s'en ressouvenant pas, il
déclare qu'il ferait spéciale mention, parce qu'il veut
qu'on entende seulement son présent testament, de
la meilleure manière.
Commençant donc par l'âme, comme plus noble
et plus digne que le corps, il la recommande à Dieu -f
Tout-Puissant, à la Très Glorieuse Mère Marie tou-
jours Vierge, aux glorieux Saints Pierre et Paul, au
S' Ange Gardien, et à toute la Cour Céleste, lesquels
il prie, en toute affection de cœur, et profonde humi-
lité, de vouloir intercéder la divine Miséricorde de
Dieu Béni pour le salut de son Ame.
Et veut et dispose qu'après sa mort, son corps soit
vêtu avec un de ses habits, et ainsi vêtu, sans pompe
aucune, porté à l'Église Paroissiale % et que là il soit
exposé avec quatre torches allumées, et qu'après on ^
lui donne la sépulture dans la dite église paroissialle,
à laquelle il laisse tout ce qu'on lui devra raisonna-
blement, et pas autre chose; et pour le repos de son
âme il ordonne que son corps étant comme ci-dessus
exposé, on fasse célébrer une grand'messe chantée,
dans la même Église Paroissiale, et pendant qu'on
la célébrera, on allume quatre cierges à l'autel, et en
cas d'empêchement dans le jour, que son corps sera
comme ci-dessus exposé, on fasse célébrer la dite
grand'messe dans le jour suivant où il n'y aura pas
d'empêchement.
I. San-Lorenzo in Lucina, une église secondaire de Rome, à
l'ouest du Corso.
470 CORI^PSPONDANCE [l665
Et par raison de legs, et de toute autre meilleure
manière, il laisse au Sf" Ludovico Douquei son beau-
frère, pour une seule fois, 800 écus de monnaie
romaine, de dix pauls par écus, à se faire payer aus-
sitôt après sa mort, par son héritier vivant ci-dessous
désigné.
Item, il laisse à la dame Giovanna Douquei^
femme de Bastiano Cherahitto^ sa belle -sœur,
1,000 écus, monnaie de Rome, à payer comme ci-
dessus.
En outre, il laisse à Barbara Cherabitto, fille dudit
Bastiano^ et nièce de la dame Anna Maria Douquei,
sa femme, dix billets de crédit^ du Mont Restor,
troisième émission, déclarant vouloi